Fabre dEnvieu - Noms locaux tudesques/Introduction

E. Thorin ; Édouard Privat (p. 1-21).


DEUXIÈME PARTIE



EXPLICATIONS DES NOMS GÉOGRAPHIQUES



INTRODUCTION

§ i.

COUP D’ŒIL SUR L’ONOMATOLOGIE TOPOGRAPHIQUE DES CONTRÉES
DE L’EUROPE CENTRALE ENVAHIES PAR LES ALLEMANDS.

Avant d’expliquer les radicaux qui figurent souvent dans les noms de lieux du monde tudesque, il est bon de se rappeler que les Celtes ont été les premiers pionniers de la civilisation dans l’Europe centrale, comme dans toute l’Europe occidentale, et qu’ils ont donné les noms à un grand nombre de localités de ces vastes contrées. On ne doit donc pas être étonné que l’on trouve, encore aujourd’hui, au-delà du Rhin, des noms de lieux formés de mots usités dans le vocabulaire géographique des Celtes.

Les circonstances qui ont modifié plus tard les noms de ces établissements sont assez connues. La conquête d’une partie de la Celtique transrhénane par les Romains amena de nombreux changements. Ces conquérants latinisèrent beaucoup de noms de villes ou d’oppida qui existaient au-delà du Rhin, et ils modifièrent ainsi les noms donnés à de nombreuses localités par les peuples qui se trouvaient, à leur arrivée, dans la Celtique orientale ou Germanie. Ils ont agi de la même manière pour de nombreuses localités de la Gaule cis-rhénane. La langue latine a fourni aussi beaucoup de noms à des villages et à des villes dont les évêques, les prêtres et les moines ont été les fondateurs et les parrains.

L’invasion des bandes scythiques (Suèves, Goths, Francs, Burgondes, Lombards, Hérules, Saxons) et autres barbares venus des bords de la mer Caspienne, amena des modifications encore plus radicales dans l’onomatologie géographique de la Germanie. Après avoir chassé ou assujetti les Cimbres de la Chersonèse Taurique, ces hordes barbares furent attirées par la fertilité du sol que les Celtes avaient, en partie, défriché. Elles envahirent les contrées situées entre les Carpathes et le Rhin, et elles soumirent les populations celtiques, appelées aussi germaniques, qu’elles entraînèrent dans leurs confédérations ou ligues. Enfin, lorsque l’empire romain eut passé dans les mains de ces nouveaux maîtres, tous ces peuples, vainqueurs et vaincus, différents par la race et par la langue, formèrent un vaste corps politique, un corps de nation (thiuda, diet, tribu, peuple ; – voy. P., p. 64) qui fut nommé l’empire [de la langue] tudesque ou thiudisc, diutisc (populaire, vulgaire). Les tribus victorieuses imposèrent leur langue et détruisirent, autant qu’elles le purent, les souvenirs patriotiques des Celtes en changeant ou en modifiant les noms de leurs villes, de leurs rivières, de leurs montagnes, de leurs forts. Lorsque ces bandes firent irruption dans la Celtique cis-rhénane, il y eut aussi des changements, et plusieurs villes, d’origine celtique, furent débaptisées pour prendre des noms d’origine tudesque. C’est ainsi que le nom d’Argentorat disparut et fit place à Strateburg, aujourd’hui Strassbourg[1].

Changements bizarres de quelques noms de la toponomastique allemande. – Les tribus tudesques ont donné, d’après leur langue, des noms à des nombreuses localités de l’Allemagne. Ainsi Schönbrunn est un composé tout allemand (schön [primit. éclatant, pur, blanc ; Schein, clarté, lueur], beau ; Brunn, source, fontaine). La forme et la signification de ce nom sont parfaitement saisissables.

Mais un grand nombre de noms de lieux d’origine celtique, romaine ou tudesque ont été bien souvent défigurés, et ils sont entrés, sous une forme, quelquefois fort étrange, dans le nouveau nom allemand. Ainsi le nom de Bruntrut, que les Tudesques donnent à une localité que nous appelons Porentrui, ne se rattache ni à Brunn (source), ni à la truite (lat. tructa, bas lat. trutta, all. Trutte, Trusche ; grec τρώκτης, qui ronge, qui mange ; τρώγω, je ronge ; je mange ; ni à trut, suéd. bouche, plus part. bec ; cfr. Truthahn, coq d’Inde ; — à cause de la caroncule charnue qui distingue son bec). Sans la connaissance des anciennes formes (Pons Ragnetrudis, P., p. 188 ; Pont Raintru), il nous serait impossible d’expliquer les deux noms allemand et français qui représentent aujourd’hui le nom primitif. De Mons Sempronius (nommé aussi Mons Cæpionis ou Scipionis), on a fait Simplon (all.. Simpelen et Simpelberg) ; de Brucomagus (Brochmagat, Bruchmagad ; nom celtique qui offre peut-être le mot brug, brog, coteau, hauteur ; et mag, champ), les Allemands ont fait Brumath ; de Tolbiac (? irland. tully beg, petite colline : tulla, tullach, petite colline ; beag, petit), ils ont formé Zulpich. C’est ainsi que d’Atrebates (corrompu en Adertes, Adratas, Pagus Adertisus), nous avons formé les noms d’Arras et d’Artois. Le nom de Bicêtre, localité célèbre des environs de Paris, provient de Winchester[2]. Cæsarea Augusta devint Sarcusta pour les Arabes et a donné le nom moderne de Zaragoza (Saragosse).

De El-Arouat (avec un raïn qui se prononce comme r grasseyé) nous avons fait El-Aghouat et puis Laghouat.

Changements de noms devenus insignifiants en noms significatifs. – Les peuples changent souvent des noms qu’ils ne comprennent pas, en des noms qui se rapprochent des mots qui ont un sens dans leur langue. Ainsi Delphes est nommée aujourd’hui Ἀδελφοί (Frères), Athènes est devenu Ἀνθῆνα (La Florissante), et de l’Hymette les Italiens ont fait monte Matto (mont fou). C’est ainsi que les anciens Grecs dérivaient le nom du Nil (Νεῖλος) de νέα ἰλύς, nouveau limon ; (hoc est novum limum Trahens, dit Servius). D’après ce même procédé, Festus Avienus désignait l’Irlande sous le nom de Sacra (ἱερά, sacrée). Il croyait donner ainsi l’étymologie du nom d’Ierne (en celt. île occidentale), sous lequel cette île était connue chez les Grecs.

Les Italiens ont transformé Sinus longus (barbarement écrit et prononcé Sina longa) en Asinalunga, et ils ont mis une « Longue ânesse » à la place d’une « Longue sinuosité. » Les Romains avaient modifié le nom de Lutèce pour le rattacher au latin lutum (boue). Ils confondirent le mot celtique penn (tête, encore auj. en armor. et en gallois), qui indiquait une montagne et une divinité topique des Gaulois, avec le mot Poeni (Carthaginois), et ils imaginèrent un Jupiter Pœninus. Les Alpes, que les Celtes avaient distinguées par un mot qui signifiait « Rocheuses » (craig, crau, rocher), devinrent les Alpes Graiæ ou Alpes Grecques. Le mot Vitodurum ou Vitu-dur-um (forteresse du bois : du celt. vidu, cornique gwid, v. h. all. wittu, bois, forêt ; dur, forteresse, enceinte fortifiée — mot qu’il ne faut pas confondre avec dwr, eau), incompris par les Tudesques, devint Winterthur, nom qui a les apparences d’un mot allemand et qui pourrait signifier « porte de l’hiver » (Winter, hiver ; Thür, porte)[3]. De Salodorum (castrum Salodurense : forteresse de la rivière : sal qui signifie « cours d’eau, » a dû désigner l’Aar ; — cette ville est située sur la rive de ce fleuve, dans le Salgau, pays des anciens Saliens), les Allemands ont fabriqué le nom de Solothurn (en franç. Soleure), et ils ont prétendu que c’est d’une vieille tour (sola turris), que cette localité a reçu son nom. Dans le Haut-Rhin, Foussemagne (de fossa magna ; ou de fous, forme de fagus, hêtre) a été transformé en Fiessenen et en Fuchsmeng, nom qui donnerait à croire qu’il y avait, dans cet endroit, une foule (Menge) de renards (Fuchs). De Montbelliard ils ont fait Mömpelgard, afin de faire disparaître le mot français « mont » et de placer une forme moderne du mot gard ( = Garten ; cfr. Stuttgart).

Beatus Rhenanus se plaignait jadis en ces termes de cette altération des noms : Nec aliter vulgus Germanicum Latinas voces corrumpit, dum Finem terræ vocat Finsterstern, Finem Montium Finstermüntz, Montem Concordiæ Kochersperg[4]. Finsterstern a l’avantage de présenter des radicaux allemands (Finster, ténébreux, opaque ; sombre, sinistre ; Stern, étoile). Finstermüntz, dont le nom a paru provenir de Venustæ Montes, rappelle le mot Münze (menthe ; — monnaie). Quant au nom de Kochersperg (perg = Berg), le peuple a pu y voir les mots Koch (cuisinier) ou Köcher (carquois ; h. all. Kocher). Mais il est plus probable que nous avons là le nom celtique de la Kocher (irl. cochen, rivière). Emsenberg, dont le nom est dû à l’Ems, qui y prend sa source, devint Enzenberg (mont du géant, comme Riesenberg ; enz, en bavarois, géant, grand) puis le mot enz étant devenu inintelligible, le nom de cette localité, située non loin de Schmalkalden, se transforma en Inselberg (mont de l’île : Insel ; lat. insula). Almona ou Alcmona (composé celtique) est devenu Altmühl (alt, vieux ; Mühle, moulin). Saarlohe (Loh, bois) remplace Saarlouis ; Philomelenlust (jouissance des rossignols : Philomele, poét. rossignol ; Lust, plaisir, jouissance), bocage près de Braunschweig, est devenu Vielmanlust (viel, beaucoup ; Mann, homme), et Beau-regard, nom d’un Français établi dans la Marche (de Brandebourg), a donné le mot bas all. Bürengarn (= Bauerngarten : Bauer, cultivateur, paysan, Garten, jardin)[5].

C’est ainsi que beaucoup de noms se transforment et prennent des significations bizarres. Le mot wende Luboras s’est changé en Lieberose (Liebe, amour ; Rose, rose). De Bjela Zemja qui, en slave, signifie « terre blanche, » les Allemands ont fait, au moyen-âge, Balsamerland, nom qui pourrait désigner un « pays du baume » (Balsam, baume, parfum ; Land). Ils ont aussi transformé le nom russe Perepsis en Bärensieh ( crible des ours : Bär ; Sieb, crible, tamis). Le mot slave bor (forêt) a été changé en Burg (château fortifié) et de la sorte Brannibor, Brennibor ou Brennabor et Mezibor ont été changés en Brandenburg (Brand, embrasement ; feu ; brennen, brûler) et en Merseburg. Les matelots anglais ont transformé le nom slave Sviaty Nos (pointe sainte, cap saint) en Sweet Nose (joli nez : sweet, doux, odoriférant, beau, joli ; cfr. süss, doux, doucereux, flatteur ; beau ; lat. suavis).

En Amérique, sur les bords du lac Michigan, Grande-Baie a été nommée, par corruption, Green-Bay (angl. green = grün, vert). Le nom de Boncœur (colon français qui s’établit avec sa famille dans la Louisiane) est devenu Bunkershill (colline de Bunker) ; — champ de bataille sur lequel ont lutté les Américains et les Anglais, puis les Américains du Nord et les Américains du Sud, et où les Allemands pourraient supposer un terrain tourbeux (die Bunke = Torfgegend). Près de Saint-Louis, un village nommé jadis Vide-Poche, parce que les buveurs y dépensaient leur argent dans les guinguettes, est appelé aujourd’hui White-Bush (blanc-buisson : white = weiss, blanc ; bush, buisson, arbuste ; bouchon de cabaret ; cfr. Busch, buisson ; hallier, bosquet).

C’est ainsi que, dans beaucoup de noms propres, les peuples cherchent un sens. N’en trouvant aucun dans des noms qui ont été altérés, ils adoptent une forme de ces noms et ils lui donnent une signification apparente que rien ne justifie. Les Tatars sont devenus des Tartares, parce qu’on a confondu leur nom avec celui du Tartare, région particulière des enfers, d’après la mythologie. Le nom des Hongrois a été rattaché à l’allemand Hunger (faim ; hungerig, qui a faim, affamé) et ce nom aurait été donné à ce peuple à propos d’une grande famine qu’il aurait éprouvée dans les anciens temps. C’est avec autant de science étymologique que l’on a dérivé le nom des Pannoniens de pannus (lambeau, haillons, en latin)

Souvent ces fausses étymologies ont donné lieu à des fables. Ainsi le nom celtique de Berne a produit vraisemblablement la légende de son ours (voy. App. E), et le nom d’Anvers (Antwerpen) celle de la main (Hand) jetée (werfen). On a expliqué ce nom en imaginant un géant qui coupait et jetait dans l’Escaut la main des voyageurs et des négociants qui refusaient de lui donner la moitié de leurs marchandises.

Une partie méridionale de la Saxe aurait été nommée Sauerland, parce que Charlemagne aurait dit après sa conquête : das war mir ein sauer [acide, aigre, sûr ; dur, fatigant, pénible] Land. Mais Sauerland est tout simplement une corruption de Süderland (pays méridional). Pour expliquer le nom de Sayn, on a dit que le fondateur de ce château l’avait nommé Syne, parce qu’il voulait y passer sa vie en paix (dass er sein Leben hinfür in Frieden und ruhig führen wollte). Le chef de la dynastie des Sayn fut ainsi nommé Graf zu Syne. De ce dernier mot, plus tard, on aurait fait Sayn.

Le nom du Mäusethurm (vieille tour bâtie sur un rocher au milieu du Rhin) signifie ou peut signifier tour des souris Mäuse ; — Maus, souris ; cfr. lat. mus). Toutefois le nom n’a pas trait aux « rats, » comme on l’a imaginé : il offrirait une corruption du mot Mauth (douane, impôt) ou de muserie (bouche à feu, canon), de sorte que cette tour a été construite pour être un Zollthurm (lieu de péage) ou une échauguette. Le Mäusethurm (Mauthsthurm, Mausethurm) était d’abord un donjon (eine Warthe) bâti pour la défense des pays rhénans (zur Wache für das Vaterland), et, parce que, du haut de cette tour, on épiait les bateaux comme un chat guette les souris (wie eine Katze auf die Mäuse), on la nomma Mäusethurm, car les anciens désignaient l’action de guetter par le mot mausen. Hey’l et Berlepsch (dans les Mayers Reisebücher) disent que, d’après de nouvelles recherches, la tour servait de place d’armes et que son nom dérive de muserie (canon), et ils ajoutent que néanmoins l’étymologie fondée sur le mot Mauth trouve encore des défenseurs[6]. Toutefois le nom de cette tour a donné lieu à une de ces inventions diffamatoires, mises à la mode, au xve et au xvie siècles, pour soulever contre le clergé les passions grossières et ignorantes des masses, et pour arriver à la spoliation des églises et des couvents[7].

L’embarras où l’on se trouva pour expliquer le nom d’Achalm fit inventer la légende, rapportée par Uhland, dans laquelle on nous apprend qu’un chevalier, assassiné en cet endroit, n’eut, avant d’expirer, que le temps de s’écrier : Ach Allm… Il ne put pas achever le nom de Allmächtiger (Tout-puissant). De là vient que le château bâti sur cette montagne fut nommé Achalm. Une localité, près d’Heidelberg, fut nommée Harlas, parce que, disait-on, les religieuses laissaient leurs cheveux (ihr Haar zurückliessen). Le fait peut être vrai. Mais bien souvent ce sont là des étymologies ridicules, inventées pour cacher l’ignorance d’une dénomination celtique. Voyez, entre autres, les étymologies des noms de Minden et d’Altena, que nous indiquons plus loin.

Ces observations font suffisamment comprendre que les armoiries ne sont pas toujours un fondement sérieux pour l’étymologie d’un nom de lieu. Ainsi Schaffhausen, nom que l’on traduit par « à la maison des moutons, » a dans ses armes un mouton (Schaf). Mais cette localité s’appelait jadis Ascapha, Aschafhûsen et on a vu dans ce nom le mot asc = Esche (frêne), et afa (eau). Mais nous croyons plus probable que asc représente ici les mots celtiques bien connus asch, isk (eau) et aha, ahva, af (cours d’eau) qui désignait une eau courante, comme dans Asciburg (l’enclos, la forteresse [située près] de l’eau), qui avait été, disait-on, bâtie par Ulysse ; et Aschaffenburg, ville située sur le Mein à l’embouchure de la petite rivière Aschaff[8].

L’ignorance de l’ancienne langue celtique a conduit les savants allemands des derniers siècles à des étymologies qui reposent sur une analogie toute extérieure. Le nom de Minden aurait trait au Dein Mein (Tien Mien) qui est inscrit sur le cor de Charlemagne à Aix-la-Chapelle[9]. Nürenberg signifierait Nur ein Berg (seulement une montagne), Dordrecht (passage ou bord de l’eau : dor, dwr) serait pour dort (là) recht (droit), et Olmütz serait pour alt (vieux) Mützen (Mütze, bonnet, béret, casquette ; coiffe : a pileis seniorum). Vindobona devrait son nom au vent (Wind), car le proverbe dit : Austria ventosa. Conrad Gessner traduit le nom du Danube par mali auctorem (de thun, v. h. all. tuon, duan, faire ; Uebel, mal, malheur), parce que ceux qui le traversent y courent des dangers. (Voy. Appendice F et G.)

Utilité d’un contrôle de l’histoire. – Pour beaucoup de noms, en effet, il faut connaître non-seulement le site géographique, mais le développement historique de la localité. Si l’on ne tenait pas compte des traditions et des données de l’histoire, il serait souvent bien difficile de savoir quel peuple a d’abord donné à certaines localités de l’Allemagne les noms qu’elles portent.

Nécessité de connaître quelle a été la langue de ceux qui ont imposé les noms de lieux. – Il ne suffit pas de savoir que tous les noms de lieux ont ou ont eu un sens. Il est nécessaire de savoir dans quelle langue il faut chercher ce sens. La première question que l’on doit résoudre est donc relative à l’idiome auquel ces noms appartiennent. Aussi est-ce avec raison qu’une des règles rigoureuses de l’étymologie des noms de lieux prescrit de chercher les éléments constitutifs de ces noms dans la langue des peuples qui se sont succédé dans la contrée.

On peut regarder comme certain que, dans les pays tudesquisés, les noms qui ne sont ni latins ni allemands ni slaves sont celtiques. – Il y a, dans les pays allemands, des noms qui ont évidemment une origine latine (München, Münster). On y trouve aussi de nombreux noms qui sont du pur allemand. Quant aux autres noms, les Allemands sont bien obligés de convenir qu’il faut recourir au celtique. Il y a même un dicton en vogue au-delà du Rhin qui exprime, en ces termes, cette vérité :

Was man nicht deutsch erklären kann,
Das sieht man gleich als Keltisch an.


Noms celtiques romanisés. – Dans un pays qui fut soumis à la conquête du peuple-roi, nous ne devons pas être étonnés de trouver des noms celtiques habillés à la romaine (Mogun-tiac-um, Borbeto-mag-us ; Aquæ Granni ou Aquisgranum). Dans certains cas, le nom celtique a été remplacé par un nom nouveau tiré du latin (Colonia Agrippina, Tabernæ, Confluentes (Coblenz), etc.

Noms celtiques tudesquisés. – Les envahisseurs tudesques ont altéré et vicié les noms propres de la Germanie. Ainsi, de Noviomagus et Rigimagus, ils ont fait Nimwegen et Remagen. Verodunum a été transformé en Würten, mot qui n’offre aucun sens, et qui, ajouté à Berg, a donné le nom de Würtemberg (voy. Append. II). Dans certains cas, on a traduit en allemand le nom de la géographie ancienne. Il n’est pas difficile, en effet, de changer Noviomagus en Neufeld (noms qui indiquent un défrichement récent). Froidefontaine (vg. de l’arrond. de Belfort) devient Kaltenbrunn ; Petite fontaine (vg. du H.-R.) prend le nom de Klein-Brunn. Une localité que les Romains avaient nommée Pons Saravi a reçu le nom moitié tudesque de Saarbrück (= pont sur la Saar, nom celtique de rivière, qui ajouté à aha ou ahva avait donné la forme latine Saravus). Le Ban de la Roche (dont le premier mot indique une localité celtique : ban, hauteur, plateau élevé) qui a été toujours français par la langue et par le cœur a été nommé Steinthal (vallée de la pierre). Les Allemands appellent Neuchâtel (Novum castrum) Neuenburg ou Welsch-Neuenburg, et ils connaissent la Petite-Pierre (Parva Petra) sous le nom de Lützelstein, qui a la même signification[10].

Quelquefois, certains noms ont été mal traduits. Ainsi les Allemands ont formé le nom de Teufelsthal (vallée du diable) d’après une confusion du mot russe tcherta (frontière) avec le mot tchort qui, dans la même langue, signifie « diable. »

Du reste, pour comprendre ce qui a eu lieu après l’invasion des barbares dans la Germanie, nous n’avons qu’à jeter les yeux sur ce qui se passe de nos jours au-delà des Vosges. En 1880, on écrivait de Mulhouse à la Presse d’Alsace et de Lorraine :

« L’inscription de l’allemand sur les enseignes, affiches, programmes, est appliquée ici avec une rigueur extraordinaire. Un habitant de Francfort, de Berlin, pourra mettre sur son immeuble : Restaurant, Café, Hôtel d’Angleterre, mais à Mulhouse il faudra mettre Restauration, Comestiblen, Kaffee, ce qui, entre parenthèse, n’est pas même allemand, car, si je ne me trompe, on dit : Kaffeehaus. Sur des programmes de conférences littéraires françaises, de concerts, il faut une étiquette allemande.

La Société industrielle elle-même n’a pas trouvé grâce. Elle voulait faire réparer l’inscription sur le fronton de son hôtel : on a voulu lui imposer un titre allemand ; elle a préféré n’en plus mettre du tout. »

Le correspondant qui a écrit ces lignes remarque avec raison qu’on devrait dire Kaffeehaus. Mais en style de commis voyageurs et de cafetiers, on dit Rheinisches Café, etc. On trouve, en Allemagne, des Café neuf, Café Schiller, Café Gœthe, etc.

D’un autre côté, dès 1875, les Prussiens ont posé à Metz, pour indiquer les noms des rues, des plaques en langue allemande à côté des plaques françaises. Constatant que celle mesure avait causé à Metz une vive émotion, un grand nombre de feuilles allemandes ont dit que cette mesure était prématurée. Mais le gouvernement prussien n’en a pas jugé ainsi. En juillet 1877, la Gazette de Strasbourg annonçait que le président supérieur de l’Alsace-Lorraine venait d’ordonner la modification de la dénomination de 90 communes de la Lorraine. La « dénomination a été germanisée ; l’usage du nom allemand sera seul autorisé. »


§ ii.

CLASSIFICATION DES NOMS DE LIEUX D’APRÈS LA SIGNIFICATION
DES ÉLÉMENTS QUI COMPOSENT CES NOMS.

On pourrait classer les noms de lieux des pays allemands en trois grandes divisions correspondant aux trois phases principales de leur histoire, que nous nommerons les périodes celtique, celtico-romaine et tudesque. Cette classification aurait des avantages pour établir une chronologie et des déductions historiques relatives à la fondation, à l’âge de quelques localités, mais elle nous éloignerait de notre but. Nous nous voyons forcé de négliger, autant que possible, les noms des époques celtique et celto-romaine, et notre classification doit se restreindre aux noms vraiment tudesques. Nous nous proposons de les grouper d’après la signification de leurs composants les plus usités.

Les noms géographiques, les noms de lieux (Ortsnamen) du monde tudesque sont significatifs, et dès lors, composés de noms communs (Gemeinnamen). Ils ont été imposés aux localités d’après le voisinage d’une montagne, d’une vallée, d’une rivière, etc. Les modifications du sol amenées par les travaux de l’homme, les institutions sociales ont aussi fourni de nombreux éléments pour la formation des noms topographiques. Pour arriver à un classement raisonné et méthodique de ces noms, nous les diviserons en dix catégories que nous indiquons dans le tableau suivant :


CLASSIFICATION DES NOMS GÉOGRAPHIQUES D’APRÈS LA SIGNIFICATION DE LEURS ÉLÉMENTS CARACTÉRISTIQUES (Grundwörter) ET D’APRÈS QUELQUES Bestimmungswörter.


Noms dus aux accidents topographiques qui sont le fait de la nature :
La terre:
– Le relief du terrain, l’aspect physique, la configuration du sol : hauteur, vallées, plaines, accidents divers du sol.
– Qualités du sol, constitution géologique : règne minéral, sécheresse, humidité, etc.
Les eaux:
– Cours d’eaux : rivières, sources, embouchures.
– Grands amas d’eaux : mers, lacs, marais.

Noms dus au règne végétal.

Noms dus au règne animal.

Noms dus aux accidents topographiques qui sont le fait du travail de l’homme :
– Noms qui ont trait à l’économie agricole (défrichement par l’incendie des forêts, etc.) ; – culture des terres.
– Noms qui ont trait à l’économie domestique : de l’habitation ou des bâtiments qui ont trait à la sûreté personnelle et sociale : enclos, camps, forts, maisons.
– Noms qui ont trait aux bâtiments de l’économie agricole et industrielle.
– Noms qui ont trait aux édifices religieux.

Noms dus aux noms qui désignent des agglomérations d’hommes. :
– Villages, villes, etc.

Noms dus à l’onomastique religieuse :
– Mythologie
– Institutions religieuses
– Dieu et les saints.

Noms dus à l’onomastique personnelle :
– Noms propres individuels
– Noms de famille
– Noms ethniques.

Noms dus à des titres ou dignités religieuses ou politiques.

Noms dus aux épithètes qui déterminent des noms de lieux :
– Orientation
– Situation relative, etc.
– Point de vue esthétique (impressions que la vue des objets fait naître)
– Souvenirs
– Noms importés par les immigrants et donnés en souvenir de la patrie absente.

§ iii.

RÈGLES RELATIVES A LA COMPOSITION DES NOMS DE LIEUX
EN ALLEMAND.

Quelques-uns de ces noms sont formés d’un seul radical : Au, Hag, Haus, etc.

Noms composés de deux radicaux. – Mais ces noms se composent ordinairement de deux éléments, dont l’un est un terme générique et commun à plusieurs localités. C’est le mot que les Allemands appellent Grundwort (mot fondamental), et qu’ils emploient, en composition, comme suffixe. Ce mot exprime une idée générale : montagne (Berg), forêt (Wald), château (Burg), village (Dorf), etc. Le second composant, le Bestimmungswort (mot déterminant), emprunté à quelques circonstances particulières, sert de qualificatif ; il donne une signification spéciale qui distingue et change la physionomie des noms de lieux qui ont le même Grundwort. Ainsi, Strasbourg ou Strassburg, par exemple, comprend le Grundwort Burg et le Bestimmungswort Strasse[11].

On comprend, du reste, que des Grundwörter sont souvent employés comme Bestimmungswörter et que divers noms propres de lieux sont formés avec deux Grundwörter. Ce qui revient à dire que le même mot est tantôt préposé et tantôt postposé à un mot que l’on considère comme Grundwort. Dans le nom de Strasbourg, l’élément Burg est Grundwort, mais il en est tout autrement dans Burgau, Burgberg. C’est ainsi que, dans le nom de la Bergstrasse (chemin de montagne), le substantif Strasse devient Grundwort.

Il suit de cette observation que, dans les dénominations géographiques à doubles racines, on observe le principe qui fait loi pour la formation des mots composés dans la langue allemande. D’après ce principe, le mot qui, dans la composition, est le mot déterminant, précède toujours le mot déterminé. Ainsi, dans les composés tudesques, l’adjectif précède toujours le substantif et il en est de même du substantif qui est employé comme adjectif.

À cette règle, il est bon de joindre les observations suivantes relatives aux noms propres de lieux :

1o Le premier mot est quelquefois regardé comme indéclinable devant le second : Hirschberg, Schönau, Steinbach. Dans certains cas, on introduisait un a ( Ascapah = Eschbach, Thalaheim = Thalheim) qui se change quelquefois en e (Bielefeld), etc.

2o Le premier terme prend quelquefois la marque du cas : Arnsberg, Starkenburg, etc.

3o Souvent le second terme est au datif. On a dit que les noms de lieux doivent être généralement considérés comme des datifs, car Stuttgart et Eschenbach, par exemple, ne peuvent, d’après leur sens propre, désigner immédiatement une ville, et que, dès lors, il faut sous-entendre une préposition, et admettre que ces noms propres signifient : die Burg und Stadt beim Stuttgarten, das Dorf am Eschenbach. C’est ainsi qu’on explique comment Baden, Laufen, Giessen sont des datifs offrant le sens de : bei den Bädern, den Stromschnellen, den Canälen). Cette manière de voir se justifie généralement. Évidemment, un village n’est pas nommé directement Goldbach ; on a dit ou voulu dire d’abord : Ort am Goldbach. Mais il peut se faire aussi que l’on n’ait pas songé à un datif. Le cours d’eau se nommait Goldbach et les maisons bâties auprès ont pris le même nom. Quoiqu’il en soit, il faut admettre que les noms de lieux formés avec Berg doivent être interprétés comme s’ils étaient précédés des prépositions an ou auf : le nom d’une ville qui s’appelle Berg signifie der Ort auf dem Berge. D’après cette observation, on peut regarder les noms suivants comme des datifs que l’on peut traduire en latin par ad suivi d’un accusatif : Aachen (Aquis ou ad aquas), Baden (bei den Bädern, ad balnea), Barmen (ad sinus), Bergen (ad montes), Bremen (am Waldgehege), Garten (ad prædia), Giessen (ad fluenta), Hagen (ad septa), Hofen (ad curtes), Kirchen (ad fana), Köthen (ad casas), Lachen (ad lacus), Linden (ad tilia), Minden (ad ostia, comme Münden), München (ad monachos), Ruden ou Roden (ad novalia), Staufen (aux sommets, aux pointes de rochers), Thorn ( jad. Torun et Düren, ad portas), Werden (ad insulas), etc. De la même manière felden, hausen et hofen sont des datifs pluriels de Feld, Haus, Hof. C’est ainsi que l’on désigne les hôtels : [Gasthof] zum schwarzen Adler (hôtel de l’Aigle noir), [Gasthof] zum bayerischen Hof (hôtel de Bavière), etc. Hausen est quelquefois abrégé en sen.

4o Quelques noms de lieux sont au génitif. Ainsi St-Gallen (sous-entendu Haus, Stift, Kloster) signifie im Kloster des heiligen Gall. C’est ainsi que Gallen-Kappel (localité située près du lac de Zurich) signifie Galls-Capelle. Eglofs, Herolds sont pour Eglofsheim, Heroldshausen, etc.

On a dit que les noms ethniques (Franken, Sachsen, Bayern, etc.) étaient des datifs pluriels, pour bei den Franken, bei den Sachsen, etc., et que ces noms signifiaient im Lande der Franken, der Sachsen, etc. (au pays des Francs, au pays des Saxons). Nous croirions plutôt à une abréviation d’un mot composé d’un génitif pluriel (par exemple, Frankónolant = Frankenland). Ainsi on a dit Sachsen, Bayern, Schwaben, etc., pour Sachsenland, Bayernland, Schwabenland, etc.

De même, Landen peut fort bien être pour Landenhove, Brugge pour Bruggestock, Waesten pour Waestenland, etc.

5o Les mots composés de deux substantifs impliquent une liaison de prépositions ou une liaison de cas : Berghausen (= zu den Haüsern auf dem Berge), Feldkirch et Waldkirch (signifient : église dans la campagne, dans le bois), Seeburg (= Burg an dem See), Ruhrort (= Ort an der Ruhr), Lippstadt ( = Stadt an der Lippe), Wipperfurt ( = Furt über die Wipper), etc. ; Landeck ( = Ecke des Landes), Waldeck (= Ecke des Waldes), Paderborn (= Born der Pader), etc.

6o Les mots composés d’un adjectif et d’un substantif offrent tantôt l’adjectif joint au substantif sans aucune modification (Altdorf, Schönbrunn), et tantôt l’adjectif modifié par le signe du datif pluriel : Weissenburg, Hohenheim, Rothenberg, etc. Le signe du datif a été supprimé pour le second terme.

Dans les noms propres provenant des anciens dialectes tudesques, l’adjectif est joint au substantif par un o (Langobardi) ou par un e ( Alemani) : Schöneberg, etc.

7o D’autres noms de lieux sont composés au moyen de prépositions : Amberg (à la montagne), Zumhaus (à la maison), etc.

Noms composés de trois termes. – Quelques noms offrent une composition plus compliquée, mais qu’il sera facile d’analyser : Altenmühldorf, Burgsteinfurt, Kleinlaufenburg, Langenschwalbach, Welschneudorf, etc.



  1. Ce nom offre les radicaux Strasse, chemin, route, rue (lat. via strata, et, en latin de la décadence, strata tout seul, route pavée, chemin ferré : sterno, j’étends, j’aplanis ; sternere viam, construire, paver, ferrer une route). Mais il peut se faire que ce premier composant, dont l’origine est latine, cache un vieux mot celtique (voy. App. D).
  2. Cette localité, nommée jadis la Grange aux Gueux, devrait son nom actuel à une maison de campagne que Jean de Pontoise, évêque de Winchester, y avait bâtie (1290). Winchester (win pour Venta ; chester, de l’anglo-saxon ceaster = lat. castra) aurait donné les formes Wincestre, Vicestre, Bicestre, Bicêtre. Cette étymologie nous paraît préférable à celle qui rattache ce nom à Jean, duc de Berry (Bituricensis). Le nom celtique de Winchester était Caer Gwent (ville blanche, belle ; ou ville du pays découvert, éclairci, plaine). Les Romains transformèrent ce nom en Venta Belgarum, du nom des Belgæ qui occupaient la contrée.

    Il y a en Angleterre, dans le comté d’Oxford, une localité nommée Bicester (prononcez bis’ter), jadis Birincester (forteresse de Birin). Birin ou Birinus, était un évêque de Caer Dor (= la ville de l’eau ; auj. Dorchester), qui, au viie siècle, avait fait élever une forteresse dans cet endroit, où une église avait été bâtie.

  3. On a dit aussi que le nom de Winterthur devait son nom à une forteresse nommée Windthurn (tour du vent : Wind, Thurm, m. h. all. turn, irl. tor, breton twr, lat. turris, tour) ou Winterthurn (tour de l’hiver), bâtie par les comtes de Kybourg. Mais déjà sous les Romains cette localité se nommait Vitodurum.
  4. Epist. ad Matthiam Erbum.
  5. D’un autre Beau-regard, les Belges ont fait Bearewart (Bierwart, où l’on peut supposer une échauguette, un donjon [Warte ; cfr. Wart, guet] où l’on boit de la bière : Bier). Gramaye suppose que Biervliet (v. de Hollande) a été fondée par des brasseurs saxons. Il pensait sans doute que ce nom ne pouvait indiquer qu’une Bierbrauerei (brasserie) ou un Bierhaus, (brasserie ; cabaret). Mais cette localité doit son nom à la Bevere (voy. baver = couler, P., p. 276), petite rivière qui l’arrose. Le mot holl. vliet (= Fliess, courant d’eau, ruisseau) n’est qu’une traduction du nom celtique.
  6. Nach neueren Forschungen diente der Thurm als Waffenplatz und sein Name leitet sich von Muserie (Geschütz) ab, während anderseits auch die Abstammung von Mauth (Mauthsthurm) Unterstützung findet. Die Rheinlande, p. 251.
  7. On raconta donc que Hatto, abbé de Fulde et ensuite archevêque de Mayence, avait, dans un temps de famine, impitoyablement refusé de donner du pain aux malheureux qui périrent en grand nombre. Hatto avait même fait enfermer dans une grange, où il les fit brûler, les hommes, les femmes et les enfants. Entendant leurs cris, Hatto s’en moqua et dit : Entendez-vous siffler les rats ? Or, en punition de ces forfaits, d’énormes essaims de rats inondèrent le château, et plus on en tuait, plus il en revenait. Hatto dut s’enfuir à Bingen et fit bâtir une tour dans le Rhin et il s’y réfugia dans une nacelle. Mais les rats nagèrent à travers les eaux, grimpèrent sur la tour, où ils le dévorèrent tout vivant, et rongèrent même son nom dans les tapisseries.

    Schreiber, dans son Manuel des voyageurs du Rhin, dit que « Hatto a bâti cette tour au xe siècle, vraisemblablement pour servir de signal aux navigateurs, car alors le passage à travers les abîmes de rochers était encore très dangereux. » Après avoir raconté la fameuse légende, Joanne ajoute les lignes suivantes : « L’histoire n’est pas d’accord avec la légende. À l’en croire, cette tour ne fut bâtie qu’au xiiie siècle par l’archevêque Siegfried, c’est-à-dire deux siècles après la mort de Hatto, et elle doit son nom à son usage, car elle servait à percevoir un droit de passage sur les bateaux. On l’appela tour du Péage, Mauth ou Maus voulant dire péage. D’autres étymologistes ont pensé que Mæuse venait de muserie, qui signifiait canon. Quoiqu’il en soit, la légende (mise en vers par le poète anglais Southey) est devenue trop populaire pour pouvoir être passée sous silence. » (Trains de plaisir aux bords du Rhin, p. 284.) — Sans doute, on peut reproduire cette légende, mais à la condition de la donner pour ce qu’elle est. Mais que penser d’un écrivain qui, expédié naguère (septembre 1883) aux fêtes du Niederwald, adresse les lignes suivantes aux lecteurs d’un de nos journaux : « Sur un écueil du Rhin, à un brusque tournant du fleuve, s’élève le Mausethuren (sic), fameux par la légende de l’évêque méchant et rapace, fléau des vassaux de l’Église, qui périt sur cette plate-forme, dévoré vivant par des légions de rats, sans que ni les eaux du fleuve ni les murs de sa retraite pussent défendre le mauvais riche de leurs bandes voraces. La tour gothique sert aujourd’hui de signal aux bateliers qu’elle avertit des dangers de ces parages. D’autres vestiges nous parlent d’une histoire plus ancienne encore : à Rudesheim, etc. »

  8. D’autres ont dit que jadis Schaffhausen se nommait Schiffhausen (aux maisons des bateaux ; Navium domus : Schiff, vaisseau ; cfr. lat. scapha, barque, bateau fait dans un tronc d’arbre creusé ; σκαφίς, σκάφη ; l’allem. a conservé le mot Schaff dans le sens de vase de bois. C’était un petit village, une station de barques où l’on déchargeait les bateaux qui descendaient le Rhin, car, à une lieue au-dessous de cette localité, le Rhin se précipite entre des rochers et forme la fameuse cataracte de Lauffen. On voiturait les marchandises par terre jusqu’au-dessus de la chute du fleuve.

    Mentionnons encore l’opinion de ceux qui rattachent le nom de Schaffhouse à Schaff (grenier, magasin) ; de sorte que ce nom aurait signifié ein Haus, worin geschafft wird ; et cette ville aurait été ainsi nommée von den Schaffhäusern für die Waaren aus den Schiffen, die hier nicht weiter konnten. Sans doute il y eut, dans ce lieu, des Wirthschaftsgebäude. Mais nous n’en regardons pas moins l’étymologie celtique comme plus probable.

  9. Cet empereur aurait partagé cette place avec Wittikind, en lui disant : « Ce bourg sera à moi (Myn) et à toi (Dyn), » De là serait venu le nom de Minden. D’autres ont eu recours à l’adjectif min (petit ; cfr. minder, moindre, plus petit ; lat. minor). Mais cette ville, située dans une plaine, au confluent de la Weser et de la Bastau, se nommait jadis Mindun, Mindon et ces noms rappellent le celtique dun (lieu fortifié). Le préfixe min nous offre peut-être le mot celtique [gallois] min (bord) ; irland. min (plaine, campagne). De sorte que Mindun, ville située sur le bord de la Weser, signifierait « forteresse du bord » de l’eau ou « de la plaine. » Le nom de Mimidun qu’a aussi porté cette ville, aurait trait à un dieu ou héros mythologique.
  10. La Petite-Pierre (petite ville du B.-R.) est située non loin d’une masse de rocher dont la cime ressemble à une tête de grenouille et que, pour ce motif, on nomme Froschenkopf (Frosch, grenouille ; Kopf, tête, sommet, cime). Plus loin, on voit le Heidenthurm (tour des païens : Heide, païen ; Thurm, tour), qui aurait été bâti par les Romains.
  11. On compte environ 500 Grundwörter qui, combinés avec de nombreux Bestimmungswörter, constituent une grande partie des 500 000 noms que renferme la carte de l’Allemagne.