Fables nouvelles/Épître

ÉPITRE
À SON ALTESSE ROYALE MADAME
DUCHESSE D’ANGOULÊME,
En lui faisant hommage de cette Édition de mes Fables.


Princesse, quand le ciel, touché de nos malheurs
Arrête sa vengeance, et te rend à nos pleurs ;
Quand il semble appaisé, vois en nous moins de crimes
Que de folles erreurs dont nous fûmes victimes.
Au silence contraints, les cœurs vraiment français,
Voyaient avec horreur ce tissu de forfaits !
Mais, dois-je rappeler, lorsque Louis pardonne,
Nos maux, tristes effets de la chute du trône !
Ma main tremble… s’arrête et n’oserait tracer
Un tableau que mes pleurs sont tout près d’effacer.
Un règne paternel, protecteur de la France,
Avait d’un peuple heureux cimenté la puissance ;

Il couvrait ses enfans de l’égide des lois ;
La Religion sainte en consacrait les droits,
Et la France, à son Dieu, comme à ses Rois soumise,
S’entourait de la gloire, à ses vertus acquise ;
Le Ciel qui nous ravit un si rare bonheur
Semblait, par nos regrets, en prouver la douceur.
Il corrige souvent ses fils dans sa sagesse ;
Voulant de leur bonheur, acquitter la promesse,
Si de sa main puissante il retire l’appui,
C’est pour les rattacher plus fortement à lui.
L’État, aux bonnes mœurs, doit son destin prospère ;
En consacrant les droits et de fils et de père,
Il resserre les nœuds de la société :
L’enfant est plus chéri du père respecté ;
Ivre du noble orgueil d’honorer sa famille,
Chacun forme aux vertus, et son fils et sa fille,
Et l’amour confondant les devoirs et les droits,
En unissant les cœurs consolide les lois ;
Ose-t-on les enfreindre et secouer leur chaîne,
Un État perd sa base et leur chute l’entraîne.
Dans ces temps désastreux, d’insidieux écrits
Égarèrent les cœurs, trouvèrent les esprits :
Le faux savoir, appui d’une doctrine impie,

Usurpant le saint nom de la philosophie,
(De l’humaine faiblesse, éternels monuments !)
Signala nos malheurs par ses débordements.
Plus d’autels, plus de trône et cette vierge folle
Dit : Je suis la Raison ; on encense l’Idole ;
Elle séduit le peuple et ses prêtres cruels,
De pleurs, de flots de sang inondent ses autels ;
Sous un masque imposteur l’horrible indépendance,
Charge d’indignes fers la moitié de la France.
Les devoirs les plus saints, dès lors, sont méconnus ;
Il semble qu’on ne doit rougir que des vertus :
Que dis-je, des ingrats ennoblissant les crimes,
Comptaient avec orgueil, les plus chères victimes…

Pour notre gloire, au moins, l’équitable avenir,
Retraçant le forfait dira le repentir ;
Nos neveux déroulant cette époque fatale,
Sans cesse y puiseront des leçons de morale ;
Ils y verront un père un bon Roi, qui des cieux
Console ses enfans, pardonne aux factieux,
Aux factieux ! excuse un souvenir pénible,
Que je dus épargner à ton ame sensible.
Mon cœur seul m’a trahi ; le cri de la douleur

Échappe au sentiment qu’inspira ton malheur.
Mais tu parais… ta voix vient calmer nos alarmes :
Le Ciel nous rend nos Rois, il tarira nos larmes.

Femme illustre, pieuse et modèle des mœurs,
Reçois des fictions qui peignent nos erreurs.
Sur des tons variés, mes esquisses naïves,
Retraçant nos défauts, peuvent être instructives.
Souvent d’un coup hardi j’ai frappé l’orgueilleux ;
Présenté le miroir à l’homme ambitieux ;
Démasqué l’hypocrite et frondé l’avarice ;
L’égoïsme au cœur dur, la fraude, l’injustice,
Et par des traits malins, attaquant nos travers,
La raison enjouée a souri dans mes vers.
Accueille ces efforts d’une muse timide,
Qu’enhardit ta bonté, qu’un pur sentiment guide ;
Ajoute cette grace à tant d’autres bienfaits,
Dont ta douce présence, annonce les effets :
Le Ciel en te rendant notre impatience,
Assure pour toujours le bonheur de la France :
Elle va recouvrer ses antiques vertus ;
Sous l’empire des Lis, les vices abattus,

Jamais d’un souffle impur, n’en terniront la gloire ;
Fière de ton appui, fière de sa victoire,
Elle verra tes soins lui rendre ses honneurs,
Et la Religion consolider les mœurs.