Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Le Rat de Ville, et le Rat des Champs

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Rat de ville et le Rat des champs.


IX.

Le Rat de Ville, & le Rat des Champs.



AUtrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’Ortolans.

Sur un Tapis de Turquie
Le couvert ſe trouva mis.

Je laiſſe à penſer la vie
Que firent ces deux amis.

Le regal fut fort honneſte :
Rien ne manquoit au feſtin ;
Mais quelqu’un troubla la feſte
Pendant qu’ils eſtoient en train.

A la porte de la ſalle
Ils entendirent du bruit.
Le Rat de ville détale,
Son camarade le ſuit.

Le bruit ceſſe, on ſe retire,
Rat en campagne auſſi-toſt :
Et le Citadin de dire,
Achevons tout nôtre roſt.

C’eſt aſſez, dit le Ruſtique ;
Demain vous viendrez chez moy :
Ce n’eſt pas que je me pique
De tous vos feſtins de Roy.


Mais rien ne me vient interrompre ;
Je mange tout à loiſir.
Adieu donc, fy du plaiſir
Que la crainte peut corrompre.