Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/L’Hirondelle et les petits Oiseaux

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VIII.

L’Hirondelle & les petits Oyſeaux.



UNe Hirondelle en ſes voyages
Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup veu,
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-cy prévoyoit juſqu’aux moindres orages.

Et devant qu’ils fuſſent éclos
Les annonçoit aux Matelots.
Il arriva qu’au tems que la chanvre ſe ſeme
Elle vid un Manant en couvrir maints ſillons.
Ceci ne me plaiſt pas, dit-elle aux Oyſillons,
Je vous plains : Car pour moy, dans ce peril extrême
Je ſçauray m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra qui n’eſt pas loin,
Que ce qu’elle répand ſera vôtre ruine.
De là naîtront engins à vous enveloper,
Et lacets pour vous attraper ;
Enfin mainte & mainte machine
Qui cauſera dans la ſaiſon
Voſtre mort ou voſtre priſon.

Gare la cage ou le chaudron.
C’eſt pourquoy, leur dit l’Hirondelle,
Mangez ce grain, & croyez-moy.
Les Oyſeaux ſe moquerent d’elle :
Ils trouvoient aux champs trop dequoy.
Quand la cheneviere fut verte,
L’Hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce maudit grain ;
Ou ſoyez ſeurs de vôtre perte.
Prophete de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel employ que tu nous donnes !
Il nous faudroit mille perſonnes
Pour éplucher tout ce canton.
La chanvre eſtant tout-à-fait creuë,
L’Hirondelle ajoûta : Cecy ne va pas bien :
Mauvaiſe graine eſt toſt venuë.
Mais puiſque juſqu’icy l’on ne m’a cruë en rien ;
Dés que vous verrez que la terre
Sera couverte, & qu’à leurs bleds

Les gens n’eſtant plus occupez
Feront aux Oiſillons la guerre ;
Quand regingletes & rezeaux
Attraperont petits Oiſeaux ;
Ne volez plus de place en place :
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Gruë, & la Becaſſe.
Mais vous n’eſtes pas en eſtat
De paſſer comme nous les deſerts & les ondes,
Ny d’aller chercher d’autres mondes.
C’eſt pourquoy vous n’avez qu’un party qui ſoit ſeur :
C’eſt de vous renfermer aux trous de quelque mur.
Les Oiſillons las de l’entendre,
Se mirent à jazer auſſi confuſément,
Que faiſoient les Troyens quand la pauvre Caſſandre

Ouvroit la bouche ſeulement.
Il en prit aux uns comme aux autres.
Maint oiſillon ſe vit eſclave retenu.
Nous n’écoutons d’inſtincts que ceux qui ſont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il eſt venu.