Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Loup plaidant contre le renard par-devant le singe.


III.

Le Loup plaidant contre le Renard pardevant le Singe.



Un Loup diſoit que l’on l’avoit volé.
Un Renard ſon voiſin, d’aſſez mauvaiſe vie,
Pour ce pretendu vol par luy fut appellé.

Devant le Singe il fut plaidé,
Non point par Avocats, mais par chaque Partie.
Themis n’avoit point travaillé,
De memoire de Singe, à fait plus embroüillé.
Le Magiſtrat ſuoit en ſon lit de Juſtice.
Aprés qu’on eut bien conteſté,
Repliqué, crié, tempeſté,
Le Juge inſtruit de leur malice,
Leur dit : Je vous connois de long-temps, mes amis ;
Et tous deux vous payrez l’amende :
Car toy, Loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ;
Et toy, Renard, as pris ce que l’on te demande.
Le Juge pretendoit qu’à tort & à travers
On ne ſçauroit manquer condamnant un pervers.


Quelques perſonnes de bon ſens ont cru que l’impoſſibilité & la contradiction qui eſt dans le Jugement de ce Singe, eſtoit une chose à cenſurer ; mais je ne m’en ſuis ſervi qu’aprés Phedre, & c’eſt en cela que conſiſte le bon mot, ſelon mon avis.