Fables de Florian (1838)/3/L’Aigle et la Colombe

Impie Lemarchand
L’AIGLE ET LA COLOMBE.

FABLE XXI.

L’AIGLE ET LA COLOMBE.
À MADAME DE MONTESSON.


Ô

vous qui sans esprit plairiez par

vos attraits,
Et de qui l’esprit seul suffirait
pour séduire,
 vous qui sans esprit plairiez parVous qui du blond Phébus savez toucher la lyre,
Et de l’Amour lancer les traits,
Toute louable que vous êtes,
Je ne vous louerai point ; allez, rassurez-vous ;
Ce serait vous mettre en courroux,
Je le sais. Cependant les belles, les poëtes
Aiment assez l’encens ; vous êtes tout cela,
Et vous ne l’aimez point ; j’en resterai donc là ;

Mais ne vous fâchez pas si j’ose
Parler toujours de vous en parlant d’autre chose.

Un aigle, fils des rois de l’empire de l’air,
Sur le soleil fixant sa vue,
Ne vivait, ne planait qu’au-delà de la nue,
Et ne se reposait qu’au pied de Jupiter.
Cet aigle s’ennuyait ; le soleil et l’Olympe,
Lorsque sans cesse l’on y grimpe,
Finissent par être ennuyeux.
Notre aigle donc, lassé des cieux,
Descend sur un rocher. Près de lui vient se rendre
Une blanche colombe, aux yeux doux, à l’air tendre,
Et dont le seul aspect faisait passer au cœur
Ce calme qui toujours annonce le bonheur.
L’aigle s’approche d’elle, et, plein de confiance,
Lui raconte son déplaisir.
La colombe répond : Petite est ma science,
Mais je crois cependant que je peux vous guérir ;
Daignez me suivre dans la plaine.
Elle dit, l’aigle part. La colombe le mène
Dans les vallons fleuris, au bord des clairs ruisseaux,
Lui montre mille objets nouveaux,
Le fait reposer sous l’ombrage,
Ensuite le conduit sur de riants coteaux,
Et puis le ramène au bocage,
Où du rossignol le ramage
Faisait retentir les échos.

Ce n’est tout, elle sait encore
Doubler chaque plaisir de son royal amant
Par le charme du sentiment.
De plus en plus l’aigle l’adore ;
Bientôt ils s’unissent tous deux ;
Leur félicité s’en augmente ;
Et lorsque notre aigle amoureux
Voulait remercier son épouse charmante
D’avoir enfin trouvé l’art de le rendre heureux,
Il lui disait d’une voix attendrie :
Le bonheur n’est pas dans les cieux ;
Il est près d’une bonne amie.