Fables canadiennes/01/Le chameau et les dromadaires
FABLE III
LE CHAMEAU ET LES DROMADAIRES
Au bord d’une oasis, parmi d’épaisses herbes
Qui faisaient oublier les sables du désert,
Un chameau, décoré de deux bosses superbes,
Et qui passait pour fort disert
Parmi ses frères de la Chine,
Avait rejoint, un jour qu’il se mourait d’ennui,
Des êtres comme lui
Affligés d’une ronde échine.
Rien ne fait naître l’amitié
Comme la solitude :
On lui montra de la pitié
Puis, avec promptitude,
Sans attendre le lendemain,
On entra tour à tour au désert sans chemin.
Or, le deuxième
Riait jusqu’à se sentir mal
En regardant le dos du premier animal.
Le troisième riait de même
Des deux premiers qu’il trouvait peu mignons.
Et les autres, ma foi ! qui venaient à la suite
Tenaient bien la même conduite
À l’égard de leurs compagnons.
Mais le plus insolent c’était l’être aux deux bosses.
— J’aime mieux être seul et me perdre en héros
Que de marcher plus loin avec ces grands colosses
Qui menacent le ciel de leurs énormes dos,
S’écria-t-il, branlant sa tête altière.
Puis il s’éloigna, le hautain,
Laissant la troupe entière
Disparaître dans le lointain.
Les défauts des autres nous troublent
Et souvent nous nous en moquons ;
Or, les nôtres, peut-être, en nombre les redoublent
Jamais nous ne les remarquons.