Imprimerie de John Lovell (p. 59).

XXXII.

L’ÂNE ET LE LOUP.


Un loup regagnait sa tanière,
Quand par hasard un âne aussi lâche que sot
L’aperçut. Le grison de le suivre aussitôt,
Mais pourtant d’assez loin pour braver sa colère.
Il voulait l’insulter, il se mit donc à braire :
« Viens, brigand ! je t’échine ; avance un pas, coquin,
« L’on te fera baiser la terre !… »
Le loup qui méprisait un semblable adversaire
Haussa l’épaule de dédain
Et continua son chemin
Quoique d’un coup de dent il eut fort bien fait taire
Cet âne impudent et faquin.

Messieurs les rodomonts et gens de votre espèce
C’est à vous, rien qu’à vous que ma fable s’adresse,
Vous avez beau, mes fiers-à-bras,
Crier bien haut, porter le chapeau sur l’oreille
Et montrer une morgue à nulle autre pareille ;
Croyez moi, l’on ne vous craint pas.
Je vous compare à ces torrents dont l’onde
Bouillonne avec fracas, roule, mugit et gronde,
Eh bien ! ces torrents là se traversent sans pont !…
Le brave est le cours d’eau dont toute la surface
Claire ainsi qu’une glace
Semble dormir en paix. Mais sous son flot profond,
Se cache un effroyable abîme,
Et celui qui l’affronte est toujours sa victime.