Imprimerie de John Lovell (p. 25-26).

XI.

LE CHIEN, LE COQ ET LE RENARD.


Un chien aimait un coq, et ces deux personnages,
Travaillés à l’envi par la soif des voyages
Quoique se piquant d’être sages,
Un jour quittèrent leur logis.
C’était un beau couple d’amis.
Jamais humeur ne fut plus douce et plus égale ;
Les mêmes goûts les avaient réunis.
On eût dit à les voir côte à côte, Euryale
Allant avec Nisus chasser le cerf léger.
Maintenant, cher lecteur, sans nous décourager,
— Tantôt à travers les campagnes,
Tantôt gravissant les montagnes, —
Avec ces coureurs-là nous allons voyager
Jusqu’à ce jour enfin où grâce à son astuce
Le coq sut déjouer la ruse
D’un renard imprudent qui voulait l’égorger.
Mais n’anticipons pas et racontons la chose :
Nos amis campaient dans un bois :
Il faisait nuit. C’était l’heure où chacun repose :
Les oiseaux dans leurs nids, les hommes sous leurs toits.
Le coq, suivant son habitude,
Sur un arbre dormait perché.
Dans cet arbre creusé par la décrépitude
Le chien s’était aussi couché.
Aucun bruit ne troublait leur douce solitude
Et Morphée à nos deux héros

Prodiguait ses plus doux pavots,
Quand soudain une voix papelarde et sonore
En sursaut réveilla le chantre de l’aurore :
« Venez, disait la voix, venez frère en mes bras
« Recevoir ici l’assurance
« De notre bonne intelligence :
« Je suis un vieil ami, venez, n’hésitez pas. »
— « Frère ! lui répondit, en secouant la tête
« Le Coq qui savait son métier,
« De vous baiser aussi, je me fais une fête
« Mais je ne puis venir, car je suis prisonnier.
« Je vais donc, s’il vous plaît, avertir le portier. »
Le renard à ces mots ne se sent plus de joie ;
Il croit déjà saisir sa proie,
Quand soudain le portier, — je veux parler du chien, —
S’élance d’un bond sur le sire
Et vous l’étrangle bel et bien.

Par ma fable je prétends dire
Qu’il n’est rien de plus précieux
Qu’un ami véritable et surtout courageux.
Mais qu’ils sont rares sur la terre !…
Cette autre vérité vaut pour le moins autant :
Lorsqu’un sage veut se défaire
D’un homme perfide et méchant,
Et qu’il n’est pas assez puissant
Pour s’acquitter seul de l’affaire,
Il lui suscite adroitement
Quelque plus terrible adversaire
Qui vous l’expédie à l’instant.