Imprimerie de John Lovell (p. 23-24).

X.

LE CERF ET LE MANANT.


« Bon homme ! par pitié laissez-moi, je vous prie,
 « Ici me cacher un instant.
« Des gens veulent ma mort, je vous devrai la vie. »
Ainsi parlait un cerf essoufflé, pantelant,
Qui tâchait par ses pleurs d’émouvoir un manant.
 — « Soit, lui répond l’homme aussitôt,
« Je veux bien envers toi me montrer secourable ;
 « Va de ce pas dans mon étable
« Te cacher de ton mieux. » Le cerf y court. Bientôt
 Survient le chasseur au galop.
Il voit le rustre et crie : « Eh l’homme ! Holà ! Ho !…
« Un cerf a-t-il passé tout à l’heure en la plaine ?… »
— « Non, monseigneur,… répond le manant incertain
 Tout en indiquant de la main
L’endroit qui recélait le fuyard hors d’haleine.
Le Nemrod n’y prend garde et part à fond de train,
De son côté le Cerf enfile la venelle,
Et l’homme de crier : « Où courez-vous ainsi ?…
« Quitte-t-on de la sorte un généreux ami ?…
« Arrêtez un instant, payez-moi de mon zèle
« À vous avoir sauvé ?… » — « Quoi ? répond le coureur
 « En fuyant de plus belle,
« Vous osez bien pour prix d’une infâme noirceur
 « Exiger une récompense ?…

M’avez-vous cru sans yeux, tantôt quand je vous vis
« Désigner de la main, — bourreau sans conscience ! —
« Le chenil où je m’étais mis ?…
« Allez !… Je ne vous dois pas de reconnaissance,
« Vous ne méritez que mépris… »

La duplicité dans ce monde
Est plus que commune, elle abonde.
— Depuis nos orgueilleux Crésus,
Constants adulateurs de l’inconstant Plutus,
Jusqu’au plus bas de notre échelle ; —
Lecteur, que de nombreux Janus !
Sans compter tous ceux là qui vous font peau nouvelle
Quand leurs mauvais plans sont connus ! !…