Fables/Le Ballet de Monseigneur le Dauphin

LE BALLET
DE MONSEIGNEVR
LE DAUPHIN ;
ENVOYÉ A MONSEIGNEVR
LE DVC
DE MONTAVSIER.



SOmmeil, ſi charmant, & ſi doux.
Agreable vapeur, ſonge ſi favorable.

Ha ! pourquoy vous diſſipez-vous ?
Laiſſez-moy touſiours voir, ce Dauphin admirable.
Ce Fils du plus grand Roy, qui ſoit dans l’Vnivers,
Gouſter prés de l’Amour, mille plaiſirs divers.
Occuper tous les ſoins des Graces obligeantes :
Réveil, ne m’oſtez point ces cheres viſions,
Vos faveurs les plus engageantes
Ont moins d’attraits pour moy, que ces illuſions.

Voilà, Monseignevr, les reproches que ie me faiſois à moy-meſme, en ſortant d’un Songe ſi agreable, que j’aurois ſouhaité qu’il euſt duré toute ma vie, ſi ie n’avois eſté perſuadée qu’il m’auroit eſté impoſſible de vous le faire ſçavoir apres ma mort. Ie ne doute pas, Monseignevr, qu’il ne vous ſoit indifferent de l’apprendre ; Un homme, chargé de l’éducation d’un des plus grands Princes de la Terre, & qui doit eſtre regardé comme l’œil viſible de la Providence, ſur le plus accomply des Ouvrages de Dieu, n’a guere de curioſité pour les Songes d’une perſonne telle que moy. Mais Madame la Ducheſſe de Montauſier receut autresfois ſi favorablement la viſion du Carouſel de Monſeigneur le Dauphin, que j’ay osé me promettre que vous ne ſeriez pas inacceſſible à celle-cy. Vous ſçavez, Monseignevr, que les chimeres des Poëtes renferment quelquesfois un ſens moral ſous leurs allegories, qui n’eſt pas toûjours indigne de la reflexion des grands hommes ; & d’ailleurs, Monseignevr, l’âge du jeune Prince que vous élevez, vous familiariſe ſi ſouvent avec des choſes au deſſous de voſtre Genie, que cette bagatelle icy, ſera peut-eſtre aſſez heureuſe pour ſe couler parmy la foule.

Dans une charmante Maiſon
Hors du bruit de la Cour, & des ſoins de la Ville,

Je goûtois les douceurs de la belle ſaiſon,
Et paſſois une nuict, ſombre, fraîche, & tranquille,
Quand ie crus voir mon lict, changé dans un Palais,
Moins redevable à l’Art, qu’aux dons de la Nature.
Les termes de l’Architecture,
Sont mots que ie ne ſçeus ny ne ſçauray jamais.
Mais fuſſay-je en cela, s’il ſe peut plus habille,
Que le Dieu meſme, à qui cét Art eſt deû,

Je croy qu’il me ſeroit encore difficile,
De bien tirer le Plan du Palais que j’ay vû.
Certain je ne ſçay quoy, s’y fait ſervir en Maiſtre,
Qui penſoit qu’à le voir, ie devois le connoiſtre,
Et ſans doute autresfois, il m’eſtoit fort connu,
Mais le temps oſte la memoire,
Les cœurs les plus ardens, ont enfin leur retour :
Et s’il n’avoit parlé, Dieux ! pourroit-on le croire,

Je ne l’euſſe jamais reconnu pour l’Amour.
Il estoit toutesfois, dans ſon jour de conqueſte,
Les jeux, les innocens soûpirs,
Les graces, les naissans deſirs,
Tout eſtoit en habit de Feſte,
On ne parloit chez luy que de plaiſirs.
Mille faveurs des plus exquiſes,
Se chargeoient du ſoin d’un Feſtin ;
Et se preparoient (quoy que permiſes)
Des mets pour le gouſt le plus fin.
Car c’eſtoit pour traiter Monſeigneur le Dauphin,

Qui s’eſtant échapé des priſons de l’Enfance,
Faiſoit prés de l’Amour, la douce experience,
De voler quelques ans, aux ordres du deſtin.
Il ne ſut, dans ce jour, ny ruſe, ny fineſſe,
Qui n’eût ordre du Dieu, d’exercer ſon metier :
Il n’eſt jeux, plaiſirs, allegreſſe,
Dont il ne regalât le nouvel Ecolier.
Les ſoûpirs concertoient une tendre musique,

Les attraits parez galamment,
Ornoient un Salon magnifique,
De doux ſoûris & d’agrément.
Le coup d’œil affecté, le radouciſſement,
Compoſoient une Comedie,
Et répondoient du ſuccez ſur leur vie,
Juſques au poinct du dénoument.
Mais l’endroit que mon cœur trouva le plus charmant,
Ce fut certain Ballet d’invention nouvelle,
Dont voicy le Recit fidelle,

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