Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 174-176).
Troisième partie


CHAPITRE VIII


Le bien vient quelquefois en dormant.


Il n’y avait pas de temps à perdre ; je savais que si je laissais à Sylvina celui de styler mon bel enfant, il était perdu pour moi : voici ce que l’amour m’inspira.

La nuit même du jour où nous avions vu monseigneur et son neveu, je me levai doucement et fus éveiller Monrose, qui dormait le plus paisiblement du monde. Cependant j’entrepris de lui persuader que je l’avais entendu ronfler d’une manière effrayante et que j’accourais, craignant qu’il n’étouffât. La brusque interruption de son sommeil lui causait, en effet, un peu d’agitation. Je prétendais que c’était une suite de l’état où il venait de se trouver en dormant ; j’avais passé mes bras autour de lui ; je le serrais contre mon sein, avec les démonstrations de la plus vive inquiétude. L’adolescent me comblait de remerciements ; ses lèvres s’allongeaient pour baiser machinalement deux globes entre lesquels je le faisais respirer. Ô nature, que tu es une admirable maîtresse !

Bientôt je sentis deux bras caressants qui s’entrelaçaient autour de moi et faisaient en tremblant quelques efforts pour m’attirer. — Monrose, dis-je alors, pénétrée d’une voluptueuse émotion, si vous craigniez de vous trouver mal une seconde fois… je resterais auprès de vous. Seriez-vous scandalisé ? si… Mais vous m’inquiétez… Je ne vous abandonnerai pas dans un état aussi critique… — Vous êtes bien bonne, ma belle demoiselle, répondit-il, hors de lui, je me porte fort bien, mais je voudrais être malade pour avoir besoin de secours si chers. — Parlez franchement, Monrose, vous faisiez tout au moins quelque mauvais songe ? — Non, en vérité, je songeais, au contraire… je n’ose vous le dire, cela est trop bête… — Dites, dites, mon bon ami. Je veux absolument savoir… — Eh bien !… je rêvais que… vous étiez le père principal du collège, charmante, malgré la robe noire et le bonnet carré… vous… me demandiez… ce que vous savez, mais avec tant de grâce que je n’avais pas le courage de vous le refuser. Loin de m’en offenser, j’ai été au désespoir de m’éveiller… imaginez quelle a été ma surprise en me trouvant dans vos bras.

Je n’avais ni robe ni bonnet carré, et mon but n’était pas précisément le même que celui du père principal ; du reste, Monrose avait songé l’exacte vérité. Je ris comme une folle et ne pus m’empêcher de lui donner plusieurs baisers. J’étais à moitié couchée sur le lit, je me glissai peu à peu sous la couverture et me trouvai enfin à côté du charmant jouvenceau.

Je m’aperçus d’abord qu’il était bon à quelque chose. La qualité réparait chez lui ce qu’il avait à désirer pour la quantité. Monrose ne fut pas étonné de sentir mes mains le parcourir ; son ami Carvel l’avait instruit même au delà des mystères du plaisir, mais il n’était pas encore fort avancé, je le connus au prompt mouvement que fit sa main pour se retirer, quand elle sentit une conformation différente, l’absence de ce qu’il croyait apparemment commun aux deux sexes. Je la retins comme elle fuyait, cette main trop timide, et la ramenai sur la place. — Tu vois bien, mon cher Monrose, dis-je en le baisant avec transport, tu vois que je ne suis pas le père principal. — Je n’y suis plus, répondit-il avec un peu de confusion. Cependant une de ses mains visitait curieusement ce nouveau pays et les environs qui lui étaient moins étrangers, l’autre prenait plaisir à manier le satin de ma gorge… Il haletait, consumé de désirs dont il ignorait encore l’objet et le remède… Ses nouvelles découvertes l’avaient absolument désorienté.

Je jouissais à mon aise de son délicieux étonnement. — Eh bien, Monrose, lui dis-je, il n’y a rien à craindre avec moi. Je ne te ferai point de sottises. — Hélas non, répondit-il en soupirant : mais si Carvel eût été vous, ou si vous étiez tout de bon le père principal, je sens que je ne pourrais résister au désir d’en faire et de m’en laisser faire, car je sais que nous avons l’un et l’autre avantage. — Eh bien, dis-je au comble de l’égarement, puisque je suis malheureusement dans l’impuissance de tirer parti de ta volonté, fais du moins ce que tu voudras.

Le pauvre Monrose fut encore plus embarrassé ; il n’avait qu’un objet ; encore en était-il à la simple spéculation. Je le désespérais surtout par une attitude aussi contraire à ses vues que favorables aux miennes. — Viens dans mes bras, lui dis-je, peut-être se fera-t-il quelque miracle en notre faveur.