Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 154-156).
Deuxième partie


CHAPITRE XXX


Dénouement des grands événements de cette seconde partie
et leur conclusion


Le carnaval approchait : j’estimais monseigneur, je trouvais du plaisir à le favoriser, mais je n’en étais pas amoureuse. Sylvina ne tenait à ses officiers que par les besoins excessifs de son tempérament. Nous nous ennuyions à périr, depuis le départ de d’Aiglemont. Nous n’avions donc rien de mieux à faire que de retourner au plus tôt à Paris.

Sa Grandeur apprit avec chagrin que nous fixions notre départ au lendemain des noces de Lambert et de Mme  Dupré, qui se concluait à peu de jours de là, non sans nécessité ; car, depuis que le futur était du dernier bien, la jolie veuve (sans compter la passade du chevalier), elle ressentait tous les petits maux qui caractérisent une grossesse. Ils se mariaient donc, nous en étions fort aises ; mais c’était pour nous une raison de plus pour partir.

En même temps, comme si le sort eût pris à tache de ne pas nous laisser emporter de cette ville même un regret de curiosité, nous apprîmes que la sublime Éléonore, malgré ses serments, épousait enfin le seigneur de la Caffardière, car, à l’occasion de son grand mariage, on obligeait notre dévot d’ennoblir son nom, dont la résonance était ci-devant par trop roturière, pour un homme dont le grand-père avait été secrétaire du roi. M. de la Caffardière, donc, épousait, parce que la féconde Éléonore se trouvait, de même que la Dupré, dans un cas fâcheux. L’épouseur, malgré les remontrances de sa mère et les secrets importants qu’elle lui avait enfin révélés, s’exécutait par déférence pour un confesseur fanatique qui l’ordonnait ainsi. Il y avait d’autant plus de résignation entière dans le fait du pauvre Caffardière, qu’il n’avait jamais pu savoir si c’était, en effet, dans les bras de sa chère Éléonore qu’il avait souillé son âme, et que, pour surcroît, il se trouvait réduit à expier dans le purgatoire de saint Côme une souillure très physique dont il était redevable… à qui ? à Mlle  Thérèse. Ç’avait été le point de vengeance de cette belle irritée. C’était à cela que se portaient ces mots mystérieux que j’ai cités au chapitre sixième de cette partie : Il passera par mes mains… et s’en repentira. Cette découverte nous donna aussi la solution de ce qu’elle avait dit d’obscur relativement à Géronimo. Ah ! si j’avais pu, etc. On n’avait pas voulu traiter celui-ci, qu’on aimait, comme ce vilain Caffardot, dont on avait à se plaindre ; cependant, la pauvre Thérèse demeurait à même de bien faire du mal à ses ennemis : ses amis étaient au moins fort heureux qu’elle eût encore plus de probité que de tempérament, mais elle pouvait déroger. Nous l’aimions, nous en étions parfaitement servies. La pitié que son état nous inspirait ajoutait encore à l’empressement que nous avions de nous rendre à la capitale. Monseigneur devait y revenir d’abord après l’ennuyeuse quinzaine de Pâques. Il consentit enfin à nous voir nous éloigner.

Lambert se maria ; monseigneur saisit cette occasion pour donner mille marques d’estime et de libéralité aux nouveaux époux. Ils nous accompagnèrent avec les officiers de Sylvina jusqu’à un château peu distant, et qui dépendait de l’évêché. Monseigneur, qui avait les devants, nous y reçut à merveille. Enfin, après trois jours consacrés à fêter l’hymen, nous nous séparâmes, Sa Grandeur promettant de nous rejoindre bientôt, et le couple fortuné de soutenir dans tous les temps avec nous les liaisons d’une étroite amitié.




Fin de la seconde partie