Extrait d’un Mémoire sur les plus anciens caractères qui ont servi à former l’écriture chinoise

(Mars 1823.)

JOURNAL ASIATIQUE.


Extrait d’un Mémoire sur les plus anciens Caractères qui ont servi à former l’écriture chinoise ; par M. Abel-Rémusat[1].

Si l’on pouvait démêler, dans la foule des expressions d’une langue, celles qui ont appartenu de tout tems au peuple qui la parle, et celles qu’il a créées plus récemment, ou empruntées à d’autres peuples ; séparer et trier, si j’ose ainsi parler, les termes primitifs et les termes secondaires ; rapporter avec certitude les dérivés à leurs radicaux, suivant la nature des idées qu’ils représentent ; les distribuer par genres, les arranger par familles, les classer par siècles ; faire, en un mot, l’inventaire exact et raisonné des signes, et conséquemment aussi celui des pensées et des notions qu’ils expriment ; il est probable, comme l’imaginait Leibnitx, qu’on jetterait beaucoup de jours sur l’état antique et la marche progressive des opinions religieuses et scientifiques, sur l’âge des principales inventions, sur l’origine et la communication des croyances, des usages, des lois, enfin, sur tout ce qui constitue l’histoire morale des nations. Ce serait là, sans doute, un résultat assez remarquable de ces études étymologiques que des esprits superficiels ont tournées en ridicule, parce qu’ils n’en sentaient pas l’importance, qu’ils n’en voyaient pas l’objet, et que, s’il faut le dire, ceux qui s’y sont livrés avec le plus d’ardeur ne l’ont pas toujours vu très-nettement non plus.

L’opération dont je viens de parler n’est guère praticable à l’égard des langues où l’écriture alphabétique, appliquée de bonne heure et exclusivement à l’expression des sons, a permis de suivre les transformations que les mots subissent en s’allongeant ou en s’accourcissant, en se grouppant et se confondant les uns avec les autres. Mais la même opération est possible et même facile à exécuter sur L’écriture d’un peuple qui, depuis les premiers tems jusqu’à présent, s’est attaché à peindre les objets, au lieu de représenter des sons. Les Chinois sont ce peuple : il y a bientôt quatre mille ans qu’ils se sont avisés de tracer des figures d’hommes, de chevaux, de chiens, de montagnes, des toits, des arbres, des herbes, et d’exprimer leurs idées avec tout cela. Ces figures, comme on peut le croire, étaient fort grossières dans le commencement ; elles étaient telles qu’on peut les attendre de dessinateurs chinois ; un peu plus anciens qu’Abraham. Depuis cette invention, on semble s’être occupé d’en corrompre les formes, plutôt que de les perfectionner. Mais du moins, on en a conservé le fonds intact, tout en les multipliant par d’innombrables combinaisons. Le nombre primitif des images est resté le même, et c’est, rigoureusement parlant, avec le peu de signes imaginés par leurs sauvages ancêtres, que les Chinois modernes ont trouvé le moyen de satisfaire aux nombreux besoins d’une civilisation perfectionnée.

J’ai pensé que le catalogue de ces signes primitifs, qu’on ne s’était jamais occupé d’extraire et de réunir, pouvait offrir plus d’un genre d’intérêt, et j’ai mis sous les yeux de l’Académie cet antique vocabulaire figuratif, qui contient à la vérité de très-mauvais dessins, mais qui nous présente des monumens d’un genre tout particulier. Appliquent ensuite à ce catalogue les idées que j’émettais et commençant, j’ai cherché si, par la nature des signes qui s’y trouvent, et de ceux qui ne s’y trouvent pas, on pouvait tirer quelque induction sur l’état moral et le degré de civilisation où devait être parvenue la tribu dont ces signes ont formé, pendant un tems, toute l’écriture, et pour ainsi dire l’encyclopédie. Le nombre seul de ces signes est déjà un objet d’étonnement, car il ne passe pas deux cents. Sans doute, avec deux cents images, les premiers Chinois ne composaient pas de livres ; ils n’écrivaient pas encore d’annales, ni même de romans cosmogoniques. Peut-être aussi n’est-ce pas là le premier objet des hommes qui sentent le besoin de se donner une écriture. Avec ce petit nombre de caractères, ceux-ci pouvaient s’envoyer les uns aux autres des signaux pour résister à une incursion, ou renfermer leurs troupeaux, se rassembler pour une expédition, tomber à l’improviste sur leurs voisins pour les piller, toutes actions qui marquent les premiers pas des sociétés humaines. Nous sommes maintenant trop loin de l’origine de l’écriture, pour bien juger des circonstances qui y ont conduit les inventeurs. Toutefois il est bien probable que cet art a fourni des signaux avant de servir à fixer des traditions, et que le besoin de s’entendre à distance, a précédé l’idée de faire tourner l’expérience du passé à l’avantage de l’avenir.

Nos deux cents caractères primitifs offrent un autre sujet de remarques : sans doute, on dut imaginer des signes, sinon pour tous les objets que l’on connaissait alors, au moins pour tous ceux qui pouvaient être la matière d’une communication de quelque importance. Leur réunion nous présente donc ce que nous cherchons, c’est-à-dire, un tableau des idées et des connaissances de cette époque. Envisagé sous ce rapport, le catalogue dont il s’agit conduit à un résultat tellement singulier, qu’il pourrait sembler paradoxal, si les développemens dont j’ai pu l’appuyer dans mon mémoire, et que je suis forcé de supprimer ici, ne faisaient voir qu’il est d’accord, sur tous les points, avec les traditions conservées par les Chinois eux-mêmes.

D’abord, cette partie du spectacle de la nature dont les apparences et les révolutions doivent frapper si vivement l’imagination de l’homme sauvage, le ciel n’avait fourni aux anciens Chinois que l’idée de sept caractères seulement. Ils avaient représenté le soleil par une figure circulaire ; la lune, par un croissant, le ciel lui-même par trois lignes indiquant une voûte surbaissée ; les nuages, la pluie, les vapeurs, par des lignes irrégulières et des gouttes. Nulle trace d’une croyance religieuse ne se montre dans le vocabulaire figuratif, si ce n’est la représentation d’une victime offerte en sacrifice, et aussi la tête d’un démon ou mauvais génie. Ainsi, les Chinois n’avaient encore rien à écrire sur la religion, mais ils étaient déjà superstitieux, et cela, sans doute, n’a rien d’étonnant pour qui connaît la marche de l’esprit humain.

La terre avait fourni plus de matériaux que le ciel aux inventeurs de l’écriture chinoise. Parmi les caractères primitifs, on en trouve dix-sept qui représentent les montagnes, les collines, les sources, l’eau, le feu, les pierres, et onze pour l’art de bâtir, figurant le toit d’une maison, un grenier on une grange, deux sortes de fenêtres et de portes, dont une à deux battans, une guérite ou échauguette, et un tertre artificiel dont le nom est devenu, dans des tems plus rapprochés de nous, le titre des capitales et des résidences des souverains de l’empire. Du reste, on ne voit ici rien qui signifie palais, tour, jardin, temple, pont, ville, remparts. Tous ces mots ont été inventés postérieurement.

Vingt-trois caractères ont rapport à l’homme, et désignent des actions matérielles et des relations sociales ou de parenté ; Roi, lettré, général, militaire, ne s’y trouvent pas compris. Mais on y voit la figure d’un homme qui se courbe en avant, laquelle a fourni depuis le caractère qui signifie sujet ou ministre, celle d’un sorcier, et quelques autres signes qui tiennent aux notions les plus vulgaires de la sociabilité.

Les noms des parties du corps qui ont obtenu des signes simples sont au nombre de vingt-sept. Deux seulement désignent des parties internes, le cœur et les vertèbres. Six caractères se rapportent aux habits, et le plus simple de tous représente cette pagne qui semble avoir été partout le premier vêtement des peuples qui sont sortis de l’état de barbarie. Le seul ornement qu’on trouve ici, outre deux sortes de bonnets, consiste en grains enfilés semblables à ceux dont se parent les Sauvages. Du reste, on ne voit rien qui rappelle les ornemens de pierres précieuses, ni les instrumens de musique, ni les monnaies, ni le verre, ni la porcelaine, toutes choses dont l’invention est bien plus récente ; puisque l’histoire en fait connaitre l’époque. Ce qui est plus extraordinaire, c’est qu’on ne trouve le nom d’aucun métal, pas même celui de l’or auquel les Chinois rapportent tous les autres parce que sans doute ils l’ont connu le premier. Si l’absence du signe est un indice suffisant qu’ils n’avaient pas encore l’usage de ce métal, qu’on juge du progrès qu’ils pouvaient avoir fait dans les arts à cette époque !

On en peut juger aussi par les noms des meubles, ustensiles, armes et instrumens, dont le nombre s’élève à trente-cinq en tout. On y remarque diverses sortes de vases de bois on de terre, des tables, bancs et coffres de différente espèce, neuf ou dix signes pour les armes, tels que flèches, arcs, haches, lances et hallebardes. En fait d’instrumens de destruction, l’industrie humaine est toujours d’une-merveilleuse précocité. Rien pourtant n’indique dans ceux-ci l’emploi des métaux, sans lesquels les Sauvages savent bien les rendre meurtriers. Même à présent le caractère de hache porte encore l’image de pierre, comme pour rappeler la matière dont les haches étaient faites autrefois. Au reste, l’art militaire paraît avoir devancé l’agriculture dans notre vocabulaire, car on n’y trouve ni charrues, ni bêches, ni hoyaux ; seulement une sorte de crible, un vase pour mesurer les grains, et un autre pour les serrer.

Quant aux êtres naturels, cinq quadrupèdes domestiques, le chien, le cochon, le mouton, le bœuf et le cheval ; et sept animaux sauvages, le léopard, le cerf, deux sortes de lièvres, le rat, l’éléphant et le rhinocéros, sont les seuls mammifères qui aient obtenu des signes simples. Onze caractères appartiennent à la classe des oiseaux ; mais sur ce nombre, l’hirondelle et le corbeau, l’une hôtesse des habitations de l’homme, l’autre s’attachant à ses restes mortels, sont presque les seules espèces désignées distinctement. Deux signes seulement pour les poissons, un pour ceux qui sont allongés, et l’autre pour ceux qui sont de forme arrondie, prouvent qu’on renfermait alors toutes les espèces de cette classe sous deux dénominations communes. Enfin, sept caractères suffisaient pour désigner tous les animaux inférieurs aux poissons. Il y en avait un pour les vers, un autre pour les insectes munis de pieds, un pour les tortues, un pour les grenouilles, deux pour les serpens, et un pour les coquilles, lequel est devenu plus récemment le radical des termes qui ont rapport aux richesses aux échanges et au commerce. Remarquons, comme une singularité, qu’on ne trouve ici aucune mention de ces animaux fantastiques que les Chinois placent à la tête de chaque classe d’êtres animés ; ni de ce dragon qui, suivant l’expression chinoise, est le roi des animaux dont les os sont à l’extérieur du corps, c’est-à-dire des insectes, ni de ce phénix, dont la venue est un événement du plus heureux augure, ni de cette licorne merveilleuse qui ne se montre qu’aux époques fortunées où règnent l’abondance et la paix la plus profonde, et dont l’histoire ne rappelle, dans le cours des siècles, que deux ou trois apparitions tout au plus. Si le genre d’écriture que nous étudions est antérieur à l’origine des fables, rien ne prouve mieux sa haute antiquité.

Le règne végétal est compris tout entier dans vingt-six caractères, la plupart génériques, ainsi qu’on aurait pu s’y attendre. Tels sont ceux qui désignent les céréales, les arbres, les herbes, les feuilles, les fleurs et les fruits. Le riz et le millet sont au premier rang ; on n’y voit pas encore l’orge et le froment. L’ail et la courge sont les seules plantes potagères qui y aient trouvé place. Le seul arbre qui ait mérité un nom particulier est le bambou, ce végétal si précieux pour l’économie rurale et domestique des Chinois. On ne s’étonnera pas de ne voir aucun signe simple pour le mûrier, l’arbre à papier, le thé, le vernis, et les autres végétaux dont les usages économiques ou industriels ne remontent qu’à la moyenne antiquité.

Résumons en peu de mots, les principaux traits du tableau que nous venons de parcourir ; et, partant de ce principe, que le vocabulaire d’un peuple peut être considéré, jusqu’à un certain point, comme le miroir de son génie, voyons quelle idée les Chinois nous donnent d’eux-mêmes dans les rudimens de leur écriture : presque point de religion, nulle idée morale, nulle observation des phénomènes célestes, nulle connaissance de la division du tems ; point de villes, de murailles, de temples. Aucune notion des rapports civils, des rangs, des états de la société ; à peine quelques vêtemens grossièrement façonnés ; presque aucune de ces parures que les peuples barbares recherchent avec tant d’ardeur ; un très petit nombre de meubles et d’ustensiles de bois et de terre ; quelques armes, telles que tous les Sauvages en possèdent, et qu’on peut les fabriquer sans le secours des métaux, car l’absence du nom des métaux est l’une des particularités les plus remarquables du tableau que nous traçons ; enfin, un très-petit nombre d’animaux les plus communs, de ceux ; sur lesquels l’homme doit naturellement jeter les yeux, en commençant à vivre avec ses semblables, et un plus petit nombre de végétaux encore, parmi lesquels deux seulement semblent attester un commencement de culture : tel est le résultat de notre analyse, et ce que nous montre le genre des monumens le plus singulier, et peut-être le plus authentique qu’aucun peuple ait conservé. En nous reportant à un état de choses dont il est impossible qu’aucune chronique ait conservé le souvenir, nous y voyons les premiers Chinois à peine sortis de la vie nomade, à peine parvenus au premier degré de la civilisation, dans le dénûment le plus absolu que l’état social puisse comporter. Et, chose remarquable, les deux cents images, distribuées en dix ou douze groupes suivant la nature des objets qu’elles expriment, et considérées isolément, ramènent toujours au même résultat, et conduisent à des conclusions qui se confirment réciproquement, sans que rien vienne les infirmer ou les démentir. On voit que ceux qui employaient ces signes étaient à peu près au même degré d’habileté en astronomie, en économie rurale, en histoire naturelle ; qu’ils n’étaient ni plus savans, ni plus ingénieux, ni meilleurs qu’il ne convient de supposer une réunion de familles sauvages sur un sol encore couvert de forêts, dont nulle main n’a fouillé le sein, ni fertilisé la surface. On croirait voir les tribus de la Nouvelle-Zélande ou des îles des Amis s’essayant, dans l’enfance de la société, aux premiers arts qui marquent la naissance de la civilisation. Mais les Chinois, dans cet état même, avaient déjà conçu l’idée de l’écriture, et ce trait de génie qui leur est particulier les met seul bien au-dessus des Sauvages que je viens de nommer, au-dessus même de beaucoup d’autres peuples chez lesquels on a poussé assez loin les arts qui procurent les commodités de la vie, sans songer seulement à celui qui est la condition première de » progrès de l’intelligence.

En poursuivant l’étude des anciens caractères chinois, on s’aperçoit que l’idée première qui leur avait donné naissance ne tarda pas à être fécondée par les plus heureux développemens, D’autres besoins se faisant sentir, et l’art d’écrire venant s’appliquer à des usages auxquels on n’avait pas pensé d’abord, il fallut augmenter le nombre des signes, et, pour cela, recourir à de nouveaux procédés. Car il ne pouvait plus être question de tracer de nouvelles figures, qui auraient fini par se confondre en se multipliant ; et d’ailleurs on avait à peindre des objets sans figures, et il fallait

Donner de la couleur et du corps aux pensées.

Comment de grossiers dessins auraient-ils permis de distinguer un chien d’un loup ou d’un renard ? un chêne d’un pommier ou d’un arbre à thé ? Comment surtout auraient-ils pu exprimer les passions humaines, la colère, l’amour ou la pitié, les idées abstraites et les opérations de l’esprit ? La manière dont on a surmonté ce double obstacle, tout en prouvant qu’on n’avait fait encore que de médiocres progrès dans la culture sociale, fait beaucoup d’honneur au génie des inventeurs. Ils ont fait tout ce qu’on pouvait faire dans leur position : circonstance qu’on n’observe pas assez communément pour la passer sous silence. Ils ont combiné deux à deux, ou trois à trois les figures primitives, et ils ont formé, par ce procédé, une innombrable multitude de signes composés qui offrent des symboles ingénieux, des définitions vives et pittoresques, des énigmes d’autant plus intéressantes que le mot n’en a pas été perdu, et qu’on n’est pas réduit, comme à l’égard des hiéroglyphes égyptiens, à le deviner en s’abandonnant aux rêves de son imagination[2].

Pour les êtres naturels, et pour une foule d’autres objets qui purent y être assimilés, on les classa par familles à la suite de l’animal, de l’arbre ou de la plante qui en était comme le type. Le loup, le renard, la belette et les autres carnassiers furent rapportés au chien ; les diverses espèces de chèvres et d’antilopes, au mouton, les daims, les chevreuils, l’animal qui porte le musc, au cerf ; les autres ruminans, au bœuf ; les rongeurs, au rat ; les pachydermes, au cochon ; les solipèdes, au cheval. Le nom de chaque être naturel se trouva ainsi formé de deux parties ; l’une qui se rapportait au genre, l’autre qui déterminait l’espèce par un signe indiquant, ou les particularités de conformation, ou les habitudes de l’animal, ou les usages qu’on en pouvait tirer. Par cet ingénieux procédé, se trouvèrent formées de véritables familles naturelles, qui, à quelques anomalies près, pourraient être avouées des naturalistes modernes, et où les dénominations spécifiques semblent les essais de la nomenclature binaire de Linnéus, et en ont presque tous les avantages.

Quant aux notions abstraites et aux actes de l’entendement, la difficulté était plus grande, et elle ne fut pas moins ingénieusement éludée. Pour peindre la colère, on mit un cœur surmonté du signe d’esclave. Pour l’entrainement on la séduction, l’image de femme avec celles de parole et de filet. Une main tenant le symbole de milieu désigna l’historien, dont le premier devoir est de n’incliner d’aucun côté. Les images de deux hommes signifièrent saluer, s’ils se regardaient ; se séparer, s’ils se tournaient le dos ; suivre, s’ils étaient placés l’un derrière l’autre. Pour exprimer l’idée d’ami on plaça deux images de perles à côté l’une de l’autre : il est si difficile de rencontrer deux perles exactement appareillées ! J’ai dit que les Chinois étaient encore bien peu civilisés quand ils inventèrent cette écriture composée : j’en citerais pour preuve l’idée malheureuse de rapporter à l’image de femme, les mots qui peignent les défauts, les vices et les imperfections morales. Un tel usage, qui subsiste encore aujourd’hui, atteste bien l’un des préjugés les plus ordinaires aux peuples barbares. Ainsi cette image, répétée deux fois, signifia dispute et trois fois. désordre ou immoralité. Véritablement on trouve aussi sous cette classe les termes qui signifient beauté, charmes extérieurs, tendresse maternelle, repos. Il y a une foule de ces mots composés qu’il est intéressant d’analyser. Les missionnaires en ont cité quelques-uns mais ils sont loin d’avoir épuisé la matière, ou même de l’avoir étudiée sons le rapport le plus curieux. On ne saurait compter les traditions, les allusions les rapprochemens inattendus, les traits piquans et épigrammatiques qui sont ainsi renfermés dans les caractères composés ; et il est impossible d’imaginer combien on pourrait en faire jaillir de lumières sur les anciennes opinions morales ou philosophiques des peuples primitifs l’Asie orientale. Il suffirait d’étudier avec soin, et en se garantissant de l’esprit de système, ces expressions symboliques où les Chinois se sont peints sans y penser, eux, leurs mœurs et tout l’ordre de choses dans lequel ils vivaient, et que l’histoire nous fait si imparfaitement connaitre, parce qu’il date d’un tems où il n’y avait pas encore d’histoire. La paléographie chinoise n’est pas l’études des formes variées que le caprice a fait prendre aux lettres, moins encore l’étude des abréviations et des ligatures, des accens et de la ponctuation : c’est véritablement l’étude des anciennes traditions, des vieux usages, des mœurs antiques. C’est sous ce rapport qu’elle mérite une attention toute particulière ; car l’histoire des mots n’a droit à nous intéresser qu’autant qu’elle conduit à l’histoire des choses.

  1. Ce Mémoire, avec la planche qui contient le catalogue des caractères chinois primitifs, ont été soumis à l’académie en 1820. L’auteur avait rédigé l’extrait suivant pour donner une idée générale de l’objet de son travail, dans la séance publique du 27 juillet 1821.

    Le même motif nous décide à l’offrir à nos lecteurs, qui aimeront à en rapprocher le résultat de ceux auxquels on est récemment parvenu dans l’étude des hiéroglyphes. Le mémoire entier sera inséré dans l’un des prochains volumes de la collection de l’académie.

    N.d.R.

  2. La date de ce Mémoire suffit pour empêcher toute application équivoque de cette observation. On sent bien qu’elle ne saurait porter sur la découverte toute récente de M. Champollion le jeune, relativement au petit nombre des hiéroglyphes qui ont été pris comme signes de sons, et employés avec valeur phonétique.