Extrême-Orient, 1931 — 1938/1933-2

L. Fournier et Cie (p. 59-61).

LE PROJET D’INDÉPENDANCE DES PHILIPPINES

7 Février 1933.

Pour la seconde fois depuis qu’a éclaté le conflit sino-japonais, la question de l’indépendance des Philippines a été durant quelques heures « d’actualité ». La première fois, ce fut au mois d’avril dernier. À cette époque, la Chambre américaine des représentants adoptait par 306 voix contre 47 un projet de loi accordant l’indépendance aux îles Philippines dans un délai de huit années.

La forte majorité de ce vote provenait de ce que les producteurs américains de l’Ouest, de la Floride et de Cuba, dont les produits étaient concurrencés par les importations de l’archipel admises en franchise, notamment le sucre, s’étaient joints aux hommes politiques partisans de l’indépendance. En effet, le projet voté comportait une clause qui limitait dans une large mesure les importations des Philippines pendant la période de transition de huit ans. À l’expiration de ce délai, le tarif général devait être appliqué à tous les produits philippins au même titre qu’aux autres pays étrangers.

Mais, si l’on comprenait qu’en pleine crise économique les députés américains voulussent aider leurs électeurs à combattre la concurrence des Philippines, quelques mois surtout avant les élections, il ne paraissait pas moins naturel que le gouvernement fît opposition au nom des intérêts politiques. De fait, le projet fut vivement combattu par le président Hoover et le secrétaire d’État, M. Stimson, qui redoutaient qu’à l’autorité américaine ne succédât aux Philippines celle du Japon, vu la proximité de ce dernier, le nombre des planteurs japonais déjà installés dans les îles et enfin l’état social dans lequel se trouvent encore celles-ci.

Il y avait d’ailleurs mieux : le désir de séparation exprimé par la Chambre des représentants était loin d’être partagé par tous les habitants des îles. Les États-Unis sont les meilleurs clients des Philippins, en même temps que leurs principaux fournisseurs. Si des tarifs douaniers prohibitifs étaient créés entre les deux pays, les îles seraient en proie à une crise économique profonde, faute de débouchés, considération bien faite pour détourner du projet de nombreux hommes d’affaires et pour modérer les désirs même des partisans de l’indépendance.

Malgré tout, l’idée fit son chemin, et, après la Chambre des représentants, le Sénat américain, après avoir voté, en décembre dernier, un texte légèrement différent de celui de la Chambre, passait outre, en janvier, comme cette dernière, au veto du président et votait, par 66 voix contre 26, le projet de loi relatif à l’indépendance des Philippines.

Adopté par le Congrès, le projet de loi a force de loi. Il accorde leur indépendance aux Philippines dans un délai non plus de huit ans, mais de dix ans, à condition toutefois que le Parlement philippin accepte la dite loi d’ici à un an. Dès le début de la période de transition, qui ne s’ouvrira que dans deux ans, pendant lesquels une Convention philippine devra voter une Constitution, des produits philippins seront frappés à leur entrée aux États-Unis et certains autres soumis à un contingentement. Enfin, cinquante Philippins seulement seront admis annuellement aux États-Unis.

Ces perspectives, qui montrent clairement les raisons véritables des votes du Congrès, ont déjà produit leur effet sur la Chambre philippine, qui s’est prononcée contre le projet, en attendant que le Sénat philippin en fasse autant.

La question de l’indépendance des Philippines n’est donc pas résolue et l’on en parlera longtemps encore. Ce qui pour l’instant nous intéresse en cette affaire, c’est moins le désir des uns et les conditions que mettent les autres à le satisfaire que les intérêts internationaux qui gravitent autour, surtout au moment où se déroulent, tant à Genève qu’en Extrême-Orient, des événements qui donnent à l’affaire un relief particulier. Alors que le gouvernement des États-Unis s’efforce de démontrer au peuple américain l’utilité de maintenir sa souveraineté aux Philippines à cause d’un voisinage inquiétant, on le sent anxieux de ce qu’il adviendra des débats de Genève entre Chinois et Japonais. Les paroles prononcées dernièrement par M. Roosevelt à ce sujet créent un parallèle assez significatif avec le veto de M. Hoover touchant les Philippines.

Soucieux, malgré tout, de réserver l’avenir de la manière la plus efficace, le Congrès, tout en donnant dans son projet l’indépendance aux Philippines, reconnaît explicitement aux États-Unis le droit de maintenir à perpétuité dans ces îles des bases militaires et navales. Il se retrouve là avec le gouvernement, et cela prouve davantage encore, s’il était nécessaire, qu’il ne s’est agi de sa part que d’une manœuvre. En réalité, la question reste entière, et, à moins que n’interviennent des événements qui échappent à la maîtrise des États-Unis, la date de l’indépendance des Philippines n’est pas même à prévoir.

Les Japonais ne s’y trompent certainement pas, ce qui n’empêche pas les milieux officiels japonais, dit une dépêche de Tokio du 18 janvier, d’accueillir avec satisfaction un projet « qui indique que la nouvelle politique américaine en Extrême-Orient est de laisser le maintien de la paix aux bons soins des Asiatiques ».