Extrême-Orient, 1931 — 1938/1931-2

L. Fournier et Cie (p. 13-15).

AFFAIRES CHINOISES


3 Avril 1931.


On sait que le gouvernement de la Chine qui siège à Nankin est le gouvernement d’un parti : le Kouomintang. Il est composé de cinq « yuans » ou conseils : le législatif, le judiciaire ; l’exécutif, le yuan d’examen et le yuan de contrôle. Il n’y a pas de président de la République mais un président du gouvernement, le généralissime Tchiang Kaï Chek, et un président à la tête de chaque yuan.

Or le président du yuan législatif était hier encore M. Hou Han Min. Des télégrammes laconiques ont annoncé au début de mars qu’il avait donné sa démission, et un ou deux jours plus tard, d’autres télégrammes annonçaient sans beaucoup plus d’explications qu’il était mis sous surveillance par ordre de Tchiang Kaï Chek. La Politique de Pékin du 7 mars apporte enfin des détails sur cette affaire jusqu’à présent si peu claire.

D’après cette revue, le généralissime avait invité à dîner, le 28 février, les présidents des cinq yuans en même temps qu’une vingtaine de notabilités politiques. Au dessert Tchiang Kaï Chek aborda une question délicate, celle de savoir s’il fallait durant « la période de tutelle politique » prévue par Sun Yat Sen et dans laquelle se trouve actuellement le peuple chinois, adopter une Constitution provisoire, en attendant l’avènement de « la période constitutionnelle ». Tchiang affirmait hautement quant à lui qu’il le fallait et que c’était conforme aux principes de Sun Yat Sen. Son opinion aurait dû suffire. Cependant Hou Han Min protesta, invoquant à son tour à l’appui de son opinion opposée les intentions de Sun. Tchiang l’emmena alors dans une pièce voisine et quand ils reparurent au bout d’un moment, Hou était démissionnaire. Puis quelques heures plus tard, il était conduit sous bonne escorte dans une résidence aux murs hauts de douze pieds.

Le 2 mars, Tchiang convoquait les membres du conseil central exécutif. Quelqu’un trouvait-il à redire à l’emprisonnement de Hou Han Min ? Personne évidemment. Alors quatre propositions suivaient immédiatement : acceptation de la démission de Hou, nomination de Lin Chen, vice-président du yuan législatif, à sa place, désignation d’un successeur à ce dernier, organisation d’un comité pour l’élaboration d’une Constitution provisoire à la prochaine Convention nationale. Naturellement les quatre propositions étaient adoptées.

Officiellement le point de départ de ce scénario asiatique serait donc une différence d’interprétation de certains principes de Sun Yat Sen ; ce ne serait pas la première et cela, ajoute la Politique de Pékin, « tend à perpétuer le schisme qui a éclaté dès la mort de Sun et à stériliser l’œuvre du Kouomintang. Mais n’y a-t-il là véritablement qu’un conflit de principes et qu’une divergence d’opinions ? »

Après avoir posé cette question, la revue rapporte que le généralissime avait tenu le 2 mars, un peu avant la réunion du conseil central exécutif, dans une autre réunion les propos suivants « Notre regretté chef (Sun Yat Sen) avait insisté maintes fois sur la nécessité d’élaborer une Constitution provisoire qui serait appliquée durant la période de tutelle politique. Lorsque M. Hou Han Min affirme que cette Constitution provisoire est inutile et qu’elle n’est pas de la compétence de la Convention nationale, il commet une grave hérésie et s’éloigne manifestement des enseignements de notre chef défunt. Quelles peuvent donc être les raisons qui portent M. Hou Han Min à contester le droit de la Convention nationale à discuter la Constitution provisoire du pays ? N’est-il pas clair que s’il n’y a point de Constitution c’est au yuan législatif que revient le droit unique et total de faire et défaire les lois pendant la période de tutelle ? Si un tel état de choses était toléré, la raison d’être de la Convention nationale cesserait d’exister, et tous les sacrifices consentis au cours de ces dernières années par le parti et la nation ne l’auraient été qu’en pure perte ».

Il semble donc que Tchiang avait contre Hou un autre grief que celui qu’il a invoqué tout d’abord, et qu’il l’accusait en outre de chercher à confisquer à son profit le droit unique de légiférer, Hou Han Min étant président du yuan législatif. En tout cas en l’écartant il paraît avoir mis l’opinion de son côté, car dans toutes les classes de la société on désire une Constitution provisoire ; en même temps il s’est libéré d’un contact qui lui était désagréable depuis longtemps, Hou Han Min s’étant montré à différentes reprises hostile à ses vues. Sans couleur de faire respecter les principes fondamentaux de la République, Tchiang aurait ainsi pris sa revanche sur un adversaire véritable, qui même, dit-on, avait au cours des dernières hostilités conspiré contre lui.

Mais parallèlement à ce point de vue il y en a un autre qui veut que Hou Han Min, ancien ami intime de Sun Yat Sen, vétéran du parti kouomintang, ait essayé en s’opposant à l’idée d’élaborer une Constitution provisoire d’empêcher Tchiang Kaï Chek d’accaparer tous les pouvoirs. Une Constitution provisoire diminuera en effet l’autorité du parti, et Tchiang pourra en profiter pour se faire nommer président de la République.

Ce point de vue qui a certainement déjà des partisans nombreux semble devoir en recruter passablement surtout parmi l’élément civil, de sorte qu’au lieu d’une solution, Tchiang aurait provoqué par son geste autoritaire une difficulté de plus. Il a cru devoir démentir tout récemment par voie d’agences les ambitions que d’aucuns lui prêtent. Il a déclaré catégoriquement ne songer ni de près ni de loin à la présidence de la République, et n’avoir d’autre désir que de continuer à agir de toutes ses forces pour le bien du pays.