Extrême-Orient, 1931 — 1938/1931-1

L. Fournier et Cie (p. 9-12).

1931

L’autorité de Tchiang Kaï Chek grandit au fur et à mesure que s’accentue son effort pour mettre de l’ordre en Chine. Aux yeux des étrangers, la Chine gagne au point que ceux-ci consentent à examiner avec elle la suppression du privilège d’exterritorialité. Mais en même temps les Japonais semblent fixer leur attention sur la Mongolie et se montrent de plus en plus ombrageux sur tout ce qui touche à la Mandchourie. Au mois de septembre l’incident de Mandchourie éclate pour des raisons profondes que les causes immédiates ne sauraient faire oublier.



LES JAPONAIS SUR LE CONTINENT ASIATIQUE


6 Janvier 1931.


Il semble que du côté chinois, comme du côté russe des difficultés menacent certaines positions japonaises sur le continent asiatique.

Depuis l’intervention des troupes mandchoues dans la guerre des nordistes contre Nankin et l’occupation du nord de la Chine par le maître de Moukden, Tchang Sue Liang, les relations semblent s’être maintenues assez étroites entre ce dernier et Tchiang Kaï Chek.

Le point le plus important de la collaboration sinomandchoue, est pour l’instant le programme ferroviaire ; par malheur cette collaboration crée un problème international. Tandis que Nankin accepte que les autorités mandchoues poursuivent l’exécution de ce programme qui consiste à doubler le chemin de fer japonais du « Sud-Mandchourien » qui aboutit à Daïren et Port-Arthur, Tokio tout naturellement s’émeut. Une conférence ferroviaire japonaise a décidé : 1° d’adresser des représentations à la Chine à ce sujet ; 2° de lui proposer une combinaison, les Japonais concédant aux Chinois des intérêts dans le Sud-Mandchourien et prenant des participations dans les chemins de fer, chinois, Tokio offrant même des crédits pour la fourniture du matériel ; 3° de déléguer auprès des autorités locales des personnalités nippones sympathiques à la Chine, pour faire de la propagande en faveur de la collaboration.

Le journal japonais Hochi écrit : « Bien des problèmes se posent entre la Chine et le Japon. Ils pourront être résolus si les deux pays les abordent dans l’état d’esprit qu’il faut. Le plus important est celui des chemins de fer de Mandchourie. »

La même feuille remarque qu’il serait très regrettable que le gouvernement chinois réussît à placer des emprunts à l’étranger pour construire des lignes concurrentes du Sud-Mandchourien.

Un autre journal, le Jiji Shimpo du 22 octobre, se plaint également de cette concurrence. Il conclut par des considérations générales sur les intérêts du Japon en Mandchourie et exhorte ses lecteurs à s’intéresser activement à cette contrée et à encourager le gouvernement à y sauvegarder les positions économiques acquises par le Japon.

Mais le programme ferroviaire en Mandchourie n’est pas la seule indication de la nouvelle attitude politique de la Chine à l’égard du Japon. On apprenait dernièrement de Tokio que le ministre des affaires étrangères chinois, M. C. T. Wang, avait présenté au chargé d’affaires à Nankin une demande de restitution à la Chine de la concession japonaise de Hankéou. Avant même la réponse du gouvernement de Tokio, la presse japonaise s’étonne de la démarche du ministre chinois. La République chinoise, à son avis, devrait adopter une attitude plus conciliante au moment où elle s’efforce d’obtenir l’aide des puissances nécessaires à sa réorganisation. Le Jiji se demande si Tchiang Kaï Chek et Tchang Sue Liang, qui se sont entretenus à Nankin récemment, n’ont pas pris de mesures pour évincer peu à peu les Japonais de toute la Chine.

Or au moment où surgissent ces difficultés entre Chinois et Japonais, éclate entre ces derniers et Moscou un incident que les télégrammes de presse ont relaté. Des inspecteurs russes ont reproché depuis plusieurs mois à la direction de la succursale de Vladivostok de la Banque de Corée de spéculer sur le change d’une façon illicite ce qui permettait aux entreprises japonaises de prendre une extension rapide et facile au détriment, disaient-ils, des entreprises russes.

Finalement une perquisition eut lieu à la banque, et l’ordre de fermeture suivit. Le préjudice pour le Japon était considérable, cette banque finançant la plupart des pêcheries du Kamtchatka louées au Japon, les exploitations minières, forestières, pétrolières par les Japonais.

Le gouvernement japonais protesta par la voix du ministre des finances, qui déclara que la succursale de la Banque de Corée opérait suivant les règles partout en usage, c’est-à-dire qu’elle fixait son change non point certes arbitrairement comme l’eussent voulu les Russes, mais d’après l’offre et la demande. Malgré cela la banque demeura fermée et fut même condamnée à payer 2.600.000 roubles représentant, d’après les Soviets, ses fraudes depuis mars 1928.

Sans parler de connivence entre Russes et Chinois, ont peut supposer que les uns et les autres ont profité de certaines conditions actuelles, pour pousser une botte aux Japonais. Tout d’abord Nankin s’aperçoit aisément que les puissances, qui jouissent encore de privilèges en Chine, se montrent plus conciliantes que précédemment lorsqu’il est question desdits privilèges, et escompte par conséquent de leur part une renonciation pratique plus ou moins prochaine. La place que tiennent les Japonais en Mandchourie apparaît de ce fait aux Chinois comme devant être un jour chez eux le dernier vestige d’une ingérence étrangère, d’autant mieux que la situation des Japonais étant surtout économique ne disparaîtrait pas en même temps que les privilèges. Cette perspective qui les révolte fournit une explication morale plausible de la concurrence ferroviaire qu’ils ont décidé de faire au Japon en Mandchourie ; sans parler bien entendu de l’intérêt matériel. Devant cette attitude il n’y a rien d’étonnant à ce que les Russes de leur côté aient trouvé le moment favorable pour agir à Vladivostok comme ils l’ont fait.