Extinction du paupérisme/Chapitre IV

CHAPITRE IV.


RECETTES ET DÉPENSES.

D’après notre supposition, l’association ouvrière aurait à défricher les 2/3 de 9,190,000 hectares de terre, aujourd’hui inculte, c’est-à-dire 6,127,000 hectares.

Pour savoir combien ces hectares rapporteraient s’ils étaient soumis à une culture habile, sans jachères, nous avons fait le calcul suivant :

Le nombre d’hectares des cultures dans la France entière est de 
 19,314,741
Celui des prairies tant naturelles qu’artificielles 
 5,774,745

Étendue en hect. Total 
 25,089,486

La valeur du produit brut de ces terrains est :

Pour les cultures 
 3,479,583,005
Pour les prairies 
 666,363,412

Produit total, francs 
 4,145,946,417

Le produit moyen par hectares de terres ensemencées ou mises en prairies s’élève donc à 165 francs.

D’un autre côté, il y a en France 51,568,845 animaux domestiques de toute espèce, qui donnent un produit brut de 767,251,351 francs[1]. L’un dans l’autre, chaque tête de bétail rapporte donc 15 fr., et comme ces bestiaux sont nourris sur environ 26 millions d’hectares, cela fait environ deux têtes de bétail par hectare. En moyenne, on peut dire que chaque hectare produit 195 fr. dont 165 fr. pour le revenu de la terre et 30 fr. pour le revenu des bestiaux.

Nos 6,137,000 hectares mis en culture et en prairies, rapporteront donc :

Pour le produit brut de la terre 
 1,010,955,000
Et pour le produit des animaux 
 183,810,000

Total en francs 
 1,194,765,000
Retranchant de ce nombre ce que ces hectares produisent aujourd’hui d’après la statistique, c’est-à-dire les 2/3 de 82,064,046 fr. on a 
 54,709,364

La richesse territoriale se sera accrue de 
 1,140,055,636

Voyons maintenant quelle serait la dépense. Pour faciliter nos calculs, supposons que les terres à défricher soient également reparties par chaque division politique de la France. Nous aurons 6,127,000 hectares à diviser par 86, ce qui nous donnera par département, 71,241 hectares. En fixant un terme de vingt ans au bout duquel toutes les terres devront être mises en culture, il y aura par an, par département 3,562 hectares à défricher.

Le nombre de bras nécessaires pour ce travail peut se fixer ainsi : un ouvrier défriche en terme moyen[2] trois hectares par an. Mais, comme il faut compter les malades et qu’ensuite dès la seconde année ces ouvriers seront obligés de donner une partie de leurs soins à la culture des terres déjà défrichées et d’aider les familles agricoles qui seront appelées annuellement en surcroît, nous ne supposerons qu’un travail de deux hectares par an. Il faudra donc 1781 ouvriers pour accomplir cette tâche en vingt ans, et comme chaque année il y aura 3,562 hectares annuellement défrichés, la colonie accueillera tous les ans 120 familles pour aider à la culture des terres défrichées[3] et pour soigner les bestiaux puisque nous avons aussi compté d’après le relevé général de la France deux bestiaux par hectare. La colonie achèterait donc tous les ans, à partir de la fin de la première année deux fois autant de bestiaux qu’elle aurait défriché d’hectares dans l’année précédente. Ainsi, pendant vingt ans la colonie aurait des recettes et des dépenses qui suivraient une progression croissante.

LES RECETTES sans compter les premières avances du gouvernement se composent de l’augmentation périodique de 3,562 hectares défrichés et de l’augmentation annuelle de la valeur de ces hectares. Car en admettant que chaque hectare donne un produit de 195 fr., les terres ne rapporteront cette somme qu’au bout de trois ans de culture et quatre années de travail. C’est-à-dire que la première année, après son défrichement, chaque hectare rapportera 65 fr., la seconde année 130 fr., et les années suivantes 195 fr.

Quant aux dépenses, à part les premiers frais d’établissement, il y aura chaque année des dépenses qui se renouvelleront sans cesse, telle que la solde de 1781 ouvriers et de 120 familles, l’intérêt des terrains appartenant aux communes ou aux particuliers, la dépense des ensemencemens, des écuries, des frais d’administration, de 7,124 nouveaux bestiaux à acheter ; de plus il y aura chaque année un accroissement régulier qui consistera dans l’entretien de 120 nouvelles familles, plus la construction des baraques pour les loger.

Chaque ouvrier recevra la solde du soldat et chaque famille la solde de trois ouvriers. L’habillement doit être bien meilleur marché pour des ouvriers que pour des soldats ; nous le calculerons cependant au même taux afin de ne rien changer aux prix établis. Chaque homme coûtera donc par an, tout compris, 318 francs[4].

Les prud’hommes recevront la solde des sous-officiers, les directeurs recevront la solde d’officiers, le gouverneur la solde de colonel.

Jusqu’à ce que la colonie ait donné des bénéfices, tous les ouvriers seront logés dans des baraques construites comme celles de nos camps militaires. Ces baraques, vastes et saines,[5] contiennent ordinairement douze hommes. Nous ne voudrions y mettre qu’une escouade de dix hommes avec leur prud’homme lorsqu’ils ne seraient pas mariés. Dans le cas contraire il y aurait une famille par baraque, et ces baraques seraient construites sur une plus petite échelle.

Dans plusieurs départemens il y a des baraques semblables près des fabriques de sucre.

En faisant les calculs que nous avons mis à la fin de la brochure, on trouve qu’avec une avance de 311 millions, les recettes et dépenses des colonies seraient, au bout de vingt-trois ans, de :

Recettes annuelles 
 1,194,694,800 fr.
Dépenses 
 378,622,278 fr.

Le profit pour l’association, serait de 
 816,072,522 fr.

206,400 familles, 153,166 ouvriers de la classe pauvre seraient entretenus. La France serait enrichie de 12 millions de nouveaux bestiaux. Enfin le gouvernement prélèverait sur le revenu brut, d’après le taux actuel, près de 37 millions de francs.

  1. Nous dirons plus tard pourquoi nous ne comprenons pas dans le produit brut des bestiaux, la valeur de la viande consommée.
  2. D’après les renseignemens qu’on nous a fourni, un homme défriche 2 hectares de bois par an, ou bien 4 hectares de bruyères. La moyenne est donc de 3 hectares en supposant un nombre égal de bois ou de bruyères, ce qui est évidemment bien au-delà de la réalité puisque les terres incultes qui sont à défricher ne sont pas comprises dans le sol forestier. On pourrait donc prendre comme moyenne 4 hectares au lieu de 3.
  3. Un grand propriétaire très versé dans ce qui a rapport à l’agriculture a eu la bonté de nous fournir le renseignement suivant :

    Pour cultiver une ferme de 150 hectares suivant l’ancien système, blé, avoine, jachères, il faut :

    7 domestiques et une servante toute l’année.
    6 batteurs employés pendant six mois.
    4 parcours employés pendant trois mois.
    20 moissonneurs occupés pendant six semaines.

    Avec le nouveau système où l’on remplace la jachère par des plantes sarclées il faut avoir un homme de plus par an.

    Dans nos calculs nous avons donc mis un nombre de bras bien suffisant.

  4. dépenses d’un soldat d’infanterie par an.
    Solde à 30 centimes par jour 
     109 50 80
    Masses personnelles 
     86 15 80
    Valeur des rations 
     64 67 80
    Habillement 
     34 40 80
    Dépenses d’hôpital 
     24 13 80

    Francs 
     318 85 80
  5. dimension des baraques.
    Profondeur 
     3m,90
    Longueur 
     4,60
    Hauteur aux pieds droits 
     1,00
    Hauteur sous les arbalétiers aux faites 
     3,30
    Les murs en torchis et en clayonnage ont d’épaisseur 
     0,10

    Pour camper une division d’infanterie de 10,904 hommes, il faut 1,160 baraques du modèle dont il s’agit. On peut évaluer à 150,000 fr. la dépense de construction, et à 12,000 fr. les dépenses nécessaires pour leur entretien pendant huit années qu’elles pourront durer. (Aide-mémoire du génie, par le capitaine Laisné, p. 516.)