Exposition de la doctrine de l’Église catholique orthodoxe/1884/Première Partie/II


Fischbacher / Félix Callewaert père (p. 43-61).


II

LE MONDE


« Je crois en Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, des choses visibles et des choses invisibles. »


L’action extérieure du principe éternel s’est produite par le Fils, et a eu pour résultat la création du monde, c’est-à-dire, de l’ensemble de tous les êtres contingents, qui n’ont pas en eux-mêmes la raison de leur existence.

Il y a un double monde, l’un est composé des êtres spirituels et l’autre des êtres matériels. Tout ce qui ne peut tomber sous nos sens est l’invisible ; ce qui peut tomber sous nos sens est le visible.

Parmi les êtres spirituels, nous connaissons les anges et les âmes humaines. Les premiers sont des esprits purs, c’est-à-dire, qui ne sont pas unis à des corps. Les anges, après leur création, furent soumis à une épreuve dans l’exercice de leur liberté. Les uns restèrent fidèles : ce sont les bons anges ; les autres succombèrent à l’orgueil et perdirent plusieurs de leurs prérogatives : ce sont les mauvais anges ou démons dont le chef est Satan.

Les uns et les autres ont une action directe dans le monde terrestre : les premiers pour le bien, les seconds pour le mal. L’action des uns et des autres est subordonnée à la volonté souveraine de Dieu[1].

Il y a donc des relations continues entre le monde spirituel et le monde matériel.

Le monde invisible, sans être circonscrit par un espace analogue à celui qui détermine le mode d’existence du monde visible, est cependant dans un état qui le distingue de ce qui n’est pas lui. Dieu y manifeste sa gloire d’une manière particulière pour les bons anges et pour les âmes des justes : c’est le ciel[2] ; les mauvais anges au contraire, ont été constitués dans un état de condamnation qui est désigné sous le nom d’enfer. Les âmes des réprouvés, parmi les hommes, seront dans le même état après la sentence dernière qui sera rendue contre eux, et leur état, comme celui des mauvais anges, sera définitif.

La mort ne rompt pas les liens de communion qui existaient sur la terre entre les fidèles. Cette communion consiste principalement dans les prières qu’ils adressent à Dieu les uns pour les autres. Les élus prient pour leurs frères, comme lorsqu’ils étaient sur la terre, et si nous pouvions leur demander leurs prières lorsqu’ils étaient dans ce monde terrestre, à plus forte raison pouvons-nous les leur demander maintenant qu’ils sont dans un état plus parfait. C’est en cela que consiste l’invocation des saints.

En attendant la dernière sentence qui sera prononcée à la fin du monde terrestre, les âmes humaines restent dans un état provisoire où nous pouvons, non seulement les invoquer, mais aussi leur venir en aide par nos prières, nos bonnes œuvres et par la célébration du sacrifice eucharistique. Par ces moyens, nous implorons en leur faveur la miséricorde de Dieu, en Jésus-Christ.

Jusqu’à la sentence définitive, les âmes humaines sont dans un état plus ou moins heureux ou malheureux, selon la vie qu’elles ont menée sur la terre ; mais l’état de béatitude comme l’état de damnation ne seront complets et définitifs qu’après la résurrection des corps, c’est-à-dire, après le jugement dernier (Apocalypse, vi, 9, 10, 11 ; xix et pass.) L’homme est en effet composé de l’âme et du corps. Détruit par la séparation de ses deux natures, il sera reconstitué après la résurrection des corps, et se trouvera ainsi dans un état où il pourra être heureux ou malheureux dans sa nature complète. Le corps ressuscité participera au bonheur ou à la peine de l’âme et dans les conditions nouvelles qui lui seront faites. (I Corinth., xv, 42 et seq. ; Philipp., iii, 21 ; Math., xxii, 30.)

Le monde matériel est composé de créatures diverses que l’on peut partager en trois groupes : 1° celles qui ont simplement l’être ; 2° celles qui ont l’être et la vie ; 3° celles qui ont l’être, la vie et l’intelligence. Ce troisième groupe compose l’humanité.

Dieu est l’unique créateur de tous ces êtres ; il les a créés par un acte de sa toute-puissance, et il a mesuré leur existence par des instants successifs que l’on appelle le temps. Lui seul est éternel, possédant l’être par lui-même, par nécessité de nature ; il est Celui qui est, et son existence ne peut être mesurée par le temps. Les créatures, qui sont toutes des êtres contingents, ne sont ni des émanations, ni des manifestations de son être infini et éternel ; elles ne sont que des effets de sa puissance créatrice qui les a appelés à l’être, lorsqu’elles n’étaient pas.

Dieu ne créa qu’un homme, nommé Adam, et une femme, nommée Ève. Tous les hommes sont sortis de ce couple et forment ainsi une seule famille.

Nos premiers parents, soumis à l’épreuve et à l’influence de Satan, succombèrent au mal. Plusieurs des prérogatives de leur nature primitive disparurent avec l’innocence dans laquelle ils avaient été créés, et ils n’eurent plus qu’une nature dégénérée. N’ayant eu d’enfants qu’après leur chute, ils ne purent leur transmettre que cette nature dégénérée et viciée. C’est ce vice naturel de l’humanité que l’on appelle péché originel.

Les suites de la chute primitive furent l’ignorance, la concupiscence, la mort ; suites qui déformèrent l’œuvre divine et qui établirent l’humanité dans un état de contradiction avec lui, car il est, par essence, lumière ou vérité, bien, immortalité.

Dieu voulut réformer, dans l’ordre spirituel, l’humanité déchue. C’est pourquoi, dans la personne du Fils ou de son Verbe, il communiqua à l’humanité : 1° la vérité ; 2° la grâce ou un secours surnaturel pour faire le bien ; 3° un principe de résurrection et d’immortalité pour le corps soumis à la mort[3].

Pour opérer cette régénération de l’humanité, Dieu se fit homme dans la personne du Fils.




DIFFÉRENCES ENTRE LES ÉGLISES CHRÉTIENNES TOUCHANT LE DOGME DU MONDE


Il y a deux points sur lesquels les Églises chrétiennes sont en divergence, ce sont ceux des relations de communion qui existent entre les âmes des défunts et les fidèles qui sont encore sur la terre.

Les Églises protestantes nient d’une manière absolue l’utilité de la prière pour les morts. Par conséquent, il n’y a pour les protestants que des élus et des réprouvés qui, aussitôt après la mort, entrent dans l’état de béatitude ou dans l’état de damnation absolue, et avec lesquels toutes relations sont rompues. La mort, à leurs yeux, est une rupture complète entre les deux mondes invisible et visible. On ne peut pas plus invoquer les saints que prier pour les âmes qui auraient besoin de la miséricorde de Dieu.



L’Église anglicane, par son vingt-deuxième article de religion, rejette, d’une manière absolue, toute la doctrine romaine sur le purgatoire et l’invocation des saints, sans distinguer ce qui, dans cette doctrine, est vrai de ce qui est faux.

Cependant, elle a conservé les fêtes des saints dans son calendrier et elle les célèbre par ses offices publics. Elle honore donc et vénère les saints ; seulement, elle ne les invoque pas. On peut croire qu’elle veut protester ainsi contre l’idée d’un culte idolâtrique que l’on reproche à l’Église romaine ; mais l’invocation en elle-même ne peut être considérée comme un culte de ce genre. Si les fidèles peuvent et doivent se demander mutuellement leurs prières pendant qu’ils sont sur la terre ; si saint Paul lui-même demandait les prières des fidèles qu’il avait enfantés à la foi, pourquoi ne demanderait-on pas les prières de ceux que l’on honore, que l’on vénère, et que la mort n’a pas séparés de cette Église chrétienne dont ils ont été l’honneur et l’appui ? La mort ne rompt pas les liens entre les fidèles. Donc, ils peuvent prier les uns pour les autres et se demander mutuellement leurs prières. Ainsi considérée, l’invocation des saints n’est pas plus idolâtrique que la vénération que l’on professe pour eux. On ne les considère pas plus comme médiateurs, dans le sens strict du mot, que les fidèles dont on réclame, en ce monde, les prières.

L’Église anglicane, tout en rejetant le purgatoire, semble prier pour les morts, comme on le voit par l’office des inhumations qui se trouve dans le Livre de prières. Elle admet donc que les âmes de certains fidèles peuvent être dans un état où les prières peuvent leur être utiles. Quoique cette doctrine ne soit pas assez nettement formulée par elle, nous pensons cependant que l’on doit la déduire de sa liturgie, et qu’elle l’a laissée seulement tomber en désuétude.



L’Église romaine actuelle professe des erreurs formelles touchant l’état des âmes après la mort. Elle en place dans un lieu qu’elle appelle purgatoire et dans lequel ces âmes expient leurs fautes vénielles par la souffrance du feu ; satisfont aux peines qu’elles ont méritées par ces fautes, et obtiennent leur pardon.

Ce pardon peut leur être accordé par le pape, en tout ou en partie, au moyen des indulgences partielles ou plénières, attachées à tel ou tel acte pieux, à telle ou telle prière.

L’Église orientale ne croit pas qu’après la mort l’âme puisse mériter ou démériter, puisse expier[4] ; elle rejette, par conséquent, toute peine expiatoire, ou le purgatoire ; elle n’admet pas que les âmes puissent être dans un lieu, mais seulement dans un état provisoire. Elle ne regarde les indulgences que comme des adoucissements aux pénitences canoniques qui doivent être accomplies sur la terre, et qui ne regardent point l’autre vie ; elle n’admet pas, par conséquent, les indulgences étendues à cette autre vie, et elle ne reconnaît à l’évêque de Rome, non plus qu’à tout autre évêque, le droit de décharger, en tout ou en partie, les âmes des défunts de peines purement ecclésiastiques, imposées en ce monde et pour ce monde par l’autorité ecclésiastique.

L’Église orientale appuie sa croyance touchant l’état provisoire des âmes sur la foi de la primitive Église qui est attestée par les plus anciennes liturgies, et en particulier par la plus ancienne de toutes, connue sous le nom de Saint-Jacques de Jérusalem. Toutes contiennent des prières pour les morts. Saint Cyrille de Jérusalem exprimait donc, au quatrième siècle, la foi de l’Église primitive lorsqu’il disait : « Il est très avantageux aux âmes de ceux qui nous ont précédés, que l’on prie pour elles durant le sacrifice saint et terrible. » (Catéch., v, 9.)

La véritable doctrine, commune aux Églises d’Orient et aux anciennes Églises d’Occident, tient le milieu entre les négations des Églises protestantes, et les innovations de l’Église romaine actuelle.



  1. Apocalyp., xii, 7, 8, 9 ; Matth., iv, 1, 11 ; xii, 24 ; xiii, 39 ; xvi, 27 ; xxii, 30 ; xxv, 41 ; 2 Corinth., xi, 14 ; Hæb., i, 14 ; 1 Pet., v, 8, 9.
  2. Luc, xv, 22 ; Apocalyp., vi.
  3. Nous croyons inutile d’indiquer les passages de la Sainte-Écriture relatifs à la création du monde, à la chute de l’humanité et à sa réparation ; ils sont connus de tout le monde.
  4. C’est par une contradiction étrange et évidente que des théologiens romains admettent que les âmes ne méritent pas après la mort, et qu’ils admettent en même temps une peine satisfactoire, c’est-à-dire méritante.