Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre XXII. Faire à autrui ce qu’on désire pour soi.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 312-313).
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CHAPITRE XXII. FAIRE A AUTRUI CE QU’ON DÉSIRE POUR SOI. modifier


74. Or la fermeté et la force nécessaire pour marcher dans la voie de la sagesse se trouve dans les bonnes mœurs : et celles-ci vont jusqu’à la pureté et à la simplicité dont le Seigneur a si longtemps parlé ; après quoi il tire cette conclusion : « Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent de bien, faites-le-leur aussi : car c’est la loi et les prophètes. » On lit dans les exemplaires grecs : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi » Je pense que les latins ont ajouté de bien » pour mieux expliquer la pensée. En effet, le cas peut se présenter que quelqu’un, s’autorisant de ce texte, demande qu’on fasse pour lui une chose criminelle, comme par exemple de le provoquer à boire outre mesure et à se plonger dans l’ivresse, et qu’il fasse le premier ce qu’il désire d’un autre ; il serait ridicule alors de s’imaginer qu’il a rempli ce précepte. C’est, je pense, pour éviter cette fausse interprétation, et pour mieux préciser le sens, qu’après ces mots : « Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent » on a ajouté « de bien. » Si ce mot manque dans les exemplaires grecs, il faut les corriger : mais qui l’oserait ? Il faut donc admettre que la pensée est complète même sans cette addition. Car c’est dans le sens propre, et non d’après la signification ordinaire qu’il faut entendre ces expressions : « tout ce que vous voulez. » En effet il n’y a proprement de volonté que pour le bien ; car pour les actions mauvaises et criminelles, c’est de la passion et non de la volonté. Non que les Écritures emploient toujours le mot dans son sens propre ; mais, quand il faut, elles y tiennent tellement qu’il n’est pas possible d’en donner un autre.
75. Or ce commandement paraît se rattacher à l’amour du prochain, mais non également à l’amour de Dieu : le Seigneur nous disant ailleurs qu’il y a deux commandements auxquels se rattachent toute la loi et les prophètes. » En effet si l’on eût dit : tout ce que vous voulez qu’on vous fasse, faites-le vous-mêmes, les deux commandements se fussent trouvés renfermés en une seule formule, puisqu’on se serait empressé de dire que chacun désirant être aimé de Dieu et des hommes, et l’ordre étant donné de faire ce qu’on désire se voir fait à soi-même, on est obligé d’aimer Dieu et le prochain. Mais comme le Seigneur dit expressément : « Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi » il semble que cela signifie simplement : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. » Toutefois il faut bien remarquer ce que le Christ ajoute ici : « Car c’est la loi et les prophètes » tandis qu’en parlant des deux commandements il n’a pas dit simplement : à eux se rattachent la loi et les prophètes, mais : « Toute la loi et les prophètes[1] » c’est-à-dire toutes les prophéties. Et comme il n’emploie pas ici cette expression, « toute » il réserve évidemment la place de l’autre commandement, du commandement de l’amour de Dieu. Pour le moment il s’agit de ce qui regarde ceux qui ont le cœur simple ; et comme il est à craindre que l’on n’ait un cœur double à l’égard de ceux à qui le cœur peut être caché, c’est-à-dire à l’égard des hommes, voilà pourquoi il a fallu donner ce commandement. Car il n’est à peu près personne qui veuille avoir à faire à un cœur double. Or il ne peut se faire qu’un homme accorde quelque chose à un homme avec un cœur simple, s’il n’exclut pas toute vue de profit temporel et n’agit pas avec cette intention désintéressée que nous avons assez longtemps expliquée plus haut, quand nous parlions de l’œil simple.
76. L’œil purifié et rendu simple sera donc capable de voir et de contempler sa lumière intérieure. Car c’est l’œil du cœur. Or celui-là a cet œil, qui pour rendre ses actions vraiment bonnes, ne se propose point pour but de plaire aux hommes, mais, dans le cas où il lui arrive de plaire, y cherche le salut de ses frères et la gloire de Dieu, et non une vaine jactance ; qui ne travaille pas au salut du prochain dans l’intention de se procurer les choses nécessaires à la vie ; qui ne condamne pas témérairement l’intention et la volonté dans un acte où l’intention et la volonté ne sont pas manifestes ; qui rend à l’homme tous les services possibles dans l’intention où il voudrait qu’on les lui rendît, c’est-à-dire sans en attendre aucun profit temporel. Voilà le cœur simple et pur qui cherche Dieu : « Bienheureux donc ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. »

  1. Mt. 22, 37-40