Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre X. Les trois premières et les quatre dernières demandes.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 298-299).
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CHAPITRE X. LES TROIS PREMIÈRES ET LES QUATRE DERNIÈRES DEMANDES. modifier

36. Mais il faut étudier et maintenir soigneusement la différence entre ces sept demande. Car, comme notre vie actuelle s’écoule dans le temps, que nous en espérons une éternelle, et que les choses éternelles l’emportent en dignité, bien qu’on n’y parvienne qu’en passant par les choses du temps : l’objet des trois premières demandes subsistera pendant toute l’éternité, quoi qu’elles aient leur commencement dans cette vie passagère, puisque la sanctification du nom de Dieu a commencé à l’humble avènement du Seigneur ; que l’avènement de son règne, quand il descendra au sein de la gloire, aura lieu, non après les temps, mais à la fin des temps ; que l’accomplissement de sa volonté, sur la terre comme au ciel, soit que par ciel et terre vous entendiez les justes et les pécheurs, ou l’esprit et la chair, ou le Christ et l’Église, ou tout cela à la fois, se complétera par la perfection de notre bonheur, et conséquemment par la fin des temps. En effet la sanctification du nom de Dieu sera éternelle, son règne n’aura point de fin et on nous promet une vie éternelle au sein de la parfaite félicité. Donc ces trois objets subsisteront, parfaits et réunis, dans la vie qui nous est promise.

37. Quant aux quatre autres demandes, elles me semblent se rapporter à la vie du temps. La première est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Par le fait même qu’on dit pain quotidien, que ce soit la nourriture spirituelle, ou la subsistance matérielle, cela concerne le temps, que le Sauveur appelle aujourd’hui. » Non que la nourriture spirituelle ne soit pas éternelle ; mais celle qu’on nomme ici quotidienne, se donne à l’âme ou par les Écritures ou par la parole ou par d’autres signes sensibles : toutes choses qui n’existeront plus quand tous seront instruits de Dieu[1], et participeront, non plus par le mouvement du corps, mais par le pur intellect, à l’ineffable lumière de la vérité puisée à sa source. Et peut-être emploie-t-on le mot de pain et non de boisson, parce que le pain se brise, se mâche et s’assimile comme aliment, de même que les Écritures s’ouvrent et se méditent pour nourrir l’âme ; tandis que le breuvage préparé d’avance, passe dans le corps en conservant sa nature ; en sorte que la vérité soit ici-bas le pain qu’on appelle quotidien, mais que, dans l’autre vie ; il n’y ait plus qu’un breuvage, puisé dans la vérité pure et visible, sans discussion pénible, sans bruit de paroles, sans qu’il soit besoin de briser et de mâcher. C’est ici-bas que nos offenses nous sont remises et que nous remettons celles qu’on nous a faites ; ce qui est l’objet de la seconde des quatre dernières demandes ; car dans l’autre monde il n’y a plus de pardon à demander, parce qu’il n’y a plus d’offenses. Les tentations tourmentent aussi cette vie passagère ; mais il n’y en aura plus, quand cette parole sera accomplie : « Vous les cacherez dans le secret de votre face[2]. » Enfin le mal dont nous demandons à être délivrés et cette délivrance même, sont encore le partage de cette vie, que la divine justice a rendue mortelle par notre faute, et dont sa miséricorde nous délivre.

  1. Isa. 54, 13 ; Jn. 6, 46
  2. Psa. 30, 21