Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre X. Laisser là son offrande.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 266-267).
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CHAPITRE X. LAISSER LÀ SON OFFRANDE. modifier

26. Le Christ continue : « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi : laisse-là ton don devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, et alors revenant, offre ton présent. » On voit clairement par ceci qu’il s’agissait plus haut d’un frère, car la conjonction qui unit la phrase qui précède à celle qui suit marque une conséquence. En effet, le Seigneur ne dit pas : Si tu présentes ton offrande à l’autel, mais : « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel. » Car s’il n’est pas permis de se fâcher sans raison contre son frère, ni de lui dire Raca ou Fou : il l’est encore bien moins de conserver la colère dans son âme, au point de la faire dégénérer en haine. À ceci se rattache ce qui est dit ailleurs : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère[1]. » On nous ordonne donc de laisser devant l’autel le présent que nous avions l’intention d’offrir, quand nous nous souvenons que notre frère a quelque chose contre nous, puis d’aller, de nous réconcilier avec lui, et de revenir ensuite pour faire notre offrande. À prendre les paroles à la lettre, on pourra penser que la démarche est praticable quand le frère est présent, car la réconciliation ne peut être différée, puisqu’on t’ordonne même de laisser ton offrande devant l’autel. Mais s’il s’agit d’un absent, et même, ce qui peut arriver, d’un homme qui se trouve au-delà des mers, et qu’un tel souvenir te vienne à la pensée, il est absurde d’imaginer qu’il te faille laisser ton don devant l’autel, parcourir les terres et les mers puis revenir présenter ton offrande à Dieu. Nous sommes donc forcés de recourir au sens spirituel pour ne pas prêter au texte un sens absurde.

27. Nous pouvons par conséquent entendre par l’autel dressé dans le temple intérieur consacré à Dieu, la foi elle-même, dont l’autel visible est le signe. En effet, quelle que soit l’offrande que nous faisons à Dieu, prophétie, doctrine, oraison, hymne, psaume, ou tout autre don spirituel qui se présente à notre esprit, Dieu ne peut l’agréer qu’autant qu’il est appuyé sur une foi sincère, qu’il en est, pour ainsi dire, le couronnement fixe et solide, en sorte que notre langage puisse être sain et pur. Car beaucoup d’hérétiques, n’ayant pas l’autel, c’est-à-dire la vraie foi, ont proféré des blasphèmes au lieu de cantiques : appesantis par des opinions tout humaines ils ont, pour ainsi dire, jeté leur prière, à terre. Mais il faut encore que l’intention de celui qui fait l’offrande, soit pure. C’est pourquoi, quand nous devons offrir quelque chose de ce genre dans notre cœur, c’est-à-dire dans le temple intérieur consacré à Dieu : « Car, dit l’Apôtre, le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[2] » et encore : « Que le Christ habite par la foi dans vos cœurs[3] » si nous nous rappelons que notre frère a quelque chose contre nous, c’est-à-dire si nous l’avons blessé (car c’est alors qu’il a quelque chose contre nous ; et s’il nous a offensés, c’est nous qui avons quelque chose contre lui mais en ce cas, il n’est pas besoin d’aller nous réconcilier avec lui ; en effet tu ne demandes pas pardon à celui qui t’a fait injure ; tu te contentes de lui pardonner, comme tu désires que le Seigneur, te pardonne tout le mal que tu as commis) : Si, dis-je, nous l’avons blessé, il faut aller, non avec les pieds du corps, mais par le mouvement de l’âme, se prosterner humblement et affectueusement devant lui, courir à lui par une pensée charitable, en présence de celui à qui nous devons faire notre offrande. De cette manière, s’il est présent, tu peux l’adoucir par la sincérité de tes sentiments, rentrer en grâce avec lui en lui demandant pardon, quand tu l’auras déjà fait sous l’œil de Dieu, en te rendant près de lui, non par la lente démarche du corps, mais par le rapide élan de l’amour. Puis revenant, c’est-à-dire ramenant ton attention à l’œuvre commencée, tu présenteras ton don.

28. Mais qui fait cela, qui s’abstient de se fâcher contre son frère sans raison, de lui dire Raca sans raison, de lui dire Fou sans raison (trois fautes inspirées par l’excès de l’orgueil ;) ou encore qui, s’étant rendu coupable de l’une de ces fautes, recourt à l’unique remède, qui est de demander pardon humblement et de cœur ; qui, dis-je, si ce n’est l’homme qui n’est point enflé de l’esprit de vaine gloire ? Bienheureux donc les pauvres d’esprit parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Maintenant voyons la suite.

  1. Eph. 4, 26
  2. 1 Cor. 3,17
  3. Eph. 3, 17