Excursion aux Antilles françaises/Saint-Barthélemy

H. Lecène et H. Oudin (p. 229-236).

SAINT-BARTHÉLEMY



En 1648, une troupe de 50 à 60 Français, conduits par le sire de Gentès, envoyé par Louvilliers de Poincy, capitaine général des îles pour le roi et la compagnie, prit possession de Saint-Barthélemy. L’Ordre de Malte l’acheta en 1651, et y fonda un premier établissement qui entrait en bonne voie de prospérité, lorsque, en 1656, une irruption de Caraïbes, venus de la Dominique et de Saint-Vincent, détruisit ce commencement de colonisation. Après de nouveaux essais qui ne furent guère plus heureux, les colons découragés se réfugièrent à Saint-Martin. En 1664, l’île devint la propriété de la seconde compagnie française. En 1674, elle fut réunie au gouvernement de la Guadeloupe. Il a été constaté qu’en 1775 sa population consistait en 427 blancs et 345 esclaves. Les Anglais s’en sont emparés à deux reprises différentes, en 1689, puis en 1763, et l’ont rendue chaque fois dans un état de complète dévastation. En 1784, la France, pour obtenir un droit d’entrepôt à Gothembourg, céda Saint-Barthélemy à la Suède, qui l’a conservé jusqu’en ces derniers temps. Au mois de janvier 1877, des négociations furent entamées avec cette puissance, pour répondre au vif désir exprimé par les colons de rentrer dans le sein de la première patrie. Un traité fut conclu à Paris le 10 août suivant, qui réunissait Saint-Barthélemy à la France ; on le soumit à l’approbation des habitants, et ils votèrent leur annexion à l’unanimité moins une voix. Ce traité a été ratifié par le parlement le 14 janvier 1878, promulgué le 1er mars suivant, et M. Couturier, gouverneur de la Guadeloupe à cette époque, a pris solennellement possession de Saint-Barthélemy le 16 du même mois.

Nous devions verser à la Suède : 1° 80.000 francs pour prix des édifices publics et de leur mobilier ; 2° 320.000 francs pour indemniser les fonctionnaires de l’île de la perte de leur emploi. Nous avons été dispensés du paiement de la première somme, à charge pour nous de fonder un hospice à Gustavia. Nous avons fait distribuer aux pauvres un secours de 4.000 francs le jour de notre prise en possession.

Saint-Barthélemy est situé à 170 kilomètres au nord-ouest de la Guadeloupe, par 65° 10′ 30″ de longitude ouest et 17° 55′ 35″ de latitude nord, dans le cercle formé par Saint-Eustache, Saint-Christophe, la Barbade et Saint-Martin. Elle s’étend de l’est à l’ouest sur une longueur de 9 kilomètres ; elle a 25 kilomètres de tour et une superficie d’environ 2.114 hectares.

Saint-Barthélemy n’est autre chose qu’un sommet montagneux émergé. Aussi ses contours sont-ils très accidentés et d’une grande irrégularité. Des îlots sans importance, appartenant au même système, en rendent l’accès difficile ; ce sont le Goat, la Frégate, le Toc-Vert, la Fourche, les Boulangers (le grand et le petit), le Grenadier, Surgatoa, etc.

D’après ce que nous venons de dire, il ne faut pas s’attendre à rencontrer dans cette île de forts accidents de terrain ; quelque smornes irrégulièrement reliés entre eux, s’élèvent à peine jusqu’à 300 mètres.

Les deux seuls établissements de l’île sont Gustavia et Lorient.

Gustavia, le chef-lieu, se trouve à l’est de l’île. Son port se creuse en forme de fer à cheval, et son entrée est gardée par deux forteresses placées à ses extrémités : le fort Oscar et le fort Gustave. Le premier est élevé de 41 mètres, et le second de 78 mètres au-dessus du niveau de la mer.

C’est à ce port que Gustavia doit toute son importance. Le Père Dutertre le décrivait ainsi : « C’est un havre qui pénètre de plus d’un quart de lieue dans la terre par une entrée large de cinquante pas ; il en a plus de 300 de longueur en quelques endroits, et aux plus étroits 200 ; il est accessible en toute saison, même pour les plus grands navires. » C’est à cette appréciation, déjà bien lointaine et assez peu claire, que s’en étaient tenus jusqu’à ce jour les différents auteurs.

À vrai dire, la seule partie de la baie qui puisse être considérée comme un port est un petit bras de mer, nommé le Carénage, mesurant 700 mètres de long sur 200 de large. Il ne peut admettre que les navires tirant de 1m50 à 1m80 d’eau[1]. Il est alimenté par le petit cabotage qui se fait avec toutes les îles voisines. La partie la plus extérieure de la baie offre, il est vrai, un mouillage commode, mais ouvert et peu sûr à certaines époques de l’année, avec un fond de 5m20 au maximum. Les côtes du nord et de l’est sont bordées de récifs de corail toujours à sec, qui constituent des écueils dangereux.

Les habitants de Gustavia avaient adressé une pétition à la Diète suédoise pour obtenir l’établissement de docks de réparation ; il n’y a pas été fait droit ; cette création a paru inutile, quand il existe déjà d’excellents docks de cette nature dans les autres Antilles, notamment à la Martinique et à Saint-Thomas, qui ont des communications plus fréquentes avec l’Europe.

On leur a également refusé une avance de fonds pour l’exploitation de leurs salines, parce que celles de Saint-Martin et de Saint-Christophe, qui se trouvent à proximité, fournissent du sel en abondance et à très bon marché.

« La ville de Lorient[2], située au vent de l’île sur le bord de la mer, est abritée par un bois de cocotiers, au milieu duquel s’éparpillent des maisons de bois, entourées de murs en pierres sèches. Ses habitants, qui descendent des anciens Normands, et qui n’ont conservé de leurs ancêtres que le goût des travaux agricoles et quelques vieux mots usités au dix-septième siècle, parlent tous le français, à l’encontre des habitants de Gustavia, qui parlent généralement l’anglais. Ils sont au nombre de quatre ou cinq cents.

On trouve encore au nord la vaste baie de Saint-Jean. »

La population totale de l’île s’élève de deux mille cinq cents à trois mille habitants, parmi lesquels trois à quatre cents protestants. Ils n’ont, comme ceux de Saint-Martin, aucun impôt à payer.

Il y a à Saint-Barthélemy un tribunal de première instance, comprenant un juge président, un commissaire du gouvernement et un greffier. Les principaux produits de l’île sont des légumes, des fruits, notamment des ananas ; le tabac, l’indigo, la casse et le bois de sassafras. Le commerce jusqu’ici n’a pris que peu d’extension.

Saint-Barthélemy, cependant, est susceptible de développement à ce point de vue, et l’île a joui pendant un temps d’une certaine richesse. Si, dans la dernière période, elle coûtait annuellement 68.000 fr. à la Suède, en revanche, de 1812 à 1816, elle a payé à la métropole un tribut de 486.575 rixdalers, et de 1819 à 1830, elle lui en a encore envoyé 291.294. Grâce aux avantages qu’offre la proximité de la Guadeloupe et de la Martinique, il serait possible de faire renaître cette ère de prospérité. Il faudrait pour cela : 1° encourager vigoureusement la culture du tabac d’une part, et d’autre part la pêche, notamment celle de la tortue ; il faudrait aussi avancer des capitaux qui permissent l’exploitation des mines de zinc et de plomb, car on a récemment découvert de riches filons de ces deux métaux.



  1. Rapport adressé au Sénat par M. le vicomte de la Jaille.
  2. A. Bouinais, p. 53 et 54.