Mercure de France (p. 280-281).

CLXXIV

Les enfants sont ce qu’on les fait.


Consolante maxime, et quel avenir elle nous entr’ouvre ! C’est, sans aucun doute, l’intention de la nature que les petits des bourgeois soient des bourgeois. Quelquefois, pourtant, cela rate. Alors le malheureux boutiquier endure l’opprobre d’avoir un enfant poète. Le cas, heureusement, est trop rare pour être pris en considération. La nature, généralement, est obéie. Il y aura donc toujours des bourgeois.

Mais les fait-on, aujourd’hui, comme on les faisait il y a trente ans ? De la réponse à cette question tout dépend. Eh bien ! l’oserai-je dire ? Il me semble que le Bourgeois se gâte. Certes, il n’oublie pas les grands principes. On peut même affirmer qu’il adore, plus qu’autrefois, l’argent et qu’il écarte Dieu d’une main plus ferme. À ces égards, il ne mérite que la louange et même l’apothéose. Seulement la Bourgeoisie, comme tout ce qui est grand, doit s’allaiter de la tradition et il me semble qu’elle déraille, depuis quelque temps, vers les nouveautés.

La bicyclette et l’automobile sont furieusement artistes, savez-vous ? et on ignore où cela s’arrêtera. Le courant est si impétueux qu’on peut craindre que, dans une ou deux générations, les fils des bourgeois ne soient tous des Albert Dürer, des Shakespeare ou des Beethoven et que la Bourgeoisie ne périsse étouffée par l’Art. Je signale patriotiquement le danger.