Mercure de France (p. 210-211).

CXXII

Le bon Dieu.


Faut-il avoir la conscience en mauvais état pour dire le bon Dieu ! J’ai beau faire, je ne me représente pas un martyr faisant usage de cet exemple de la règle des adjectifs. Zola lui-même, quand il paît ses vaches, s’écrie quelquefois : « Grand Dieu ! » si l’une d’elles vient à clocher ou à ballonner. Mais, de la part de ce juste, c’est une exclamation pieuse, un élan du cœur, tandis que le bon Dieu du commun des gens n’implique pas un atome de dévotion.

Le bon Dieu du Bourgeois est une espèce de commis dont il n’est pas sûr et qu’il se garde bien d’honorer de sa confiance. Il le paie mal et se montre habituellement disposé à le congédier, quitte à le reprendre le jour même, s’il en a besoin. Car, il n’y a pas à dire, le bon Dieu est extrêmement décoratif dans les boutiques. On sait cela quand on est dans le commerce ou même dans n’importe quelle manigance qui, sans être précisément le commerce, exige néanmoins ces aptitudes flibustières dont s’honore la Bourgeoisie. Je ne serais pas étonné si, quelque jour, un huissier de grande banlieue me faisait présenter un commandement par le bon Dieu parlant à ma personne.

Enfin, et pour tout dire, le bon Dieu, si rarement, si difficilement avalé par le Bourgeois, est tout de même encore assez demandé par la clientèle et cela vaut qu’on sacrifie bien des répugnances. Entrez n’importe où, vous n’entendez parler que de lui : « Le bon Dieu vous viendra en aide… le bon Dieu s’occupe de vous… le bon Dieu pour tous… le bon Dieu sans confession… la bête à bon Dieu… il n’y a pas de bon Dieu, etc. » Il est vrai qu’on s’en tire à bon marché. Le bon Dieu est tellement dans la misère qu’il se contente volontiers d’une croûte de pain et d’un verre d’eau et qu’il se résigne aux plus bas emplois, sans même obtenir le repos du septième jour. Avec cela, combien de fois ne s’entend-il pas reprocher par les plus intimes du Démon de ne pas valoir le diable !

Et si c’est ce bon Dieu-là qui doit juger toute la terre, le Bourgeois a raison, je pense, de le mépriser et de l’outrager. Le malin qu’il est se prépare ainsi de belles surprises et une émotion éternelle !