Mercure de France (p. 186-187).

CVIII

Il n’est jamais trop tard pour bien faire.


Hostilité de l’adverbe « trop ». Nous voilà encore embêtés. Se pourrait-il vraiment qu’il ne fût jamais trop tard ? Devons-nous croire qu’il y a une heure où il est assez tard, sans être trop tard et une autre heure où il est trop tôt et qui serait la bonne pour mal faire ? Cette dernière heure si importante, où commence-t-elle, et où finit elle ? Dois-je m’arracher des bras du vice, à 5 heures et demie du matin, pour me précipiter, à 6 heures moins un quart, dans ceux de la vertu ? Est-ce assez tôt, ou un peu tard, ou même très tard, sans être trop tard ? Ferai-je mieux d’attendre à 7 heures du soir ou à minuit ? etc.

Mais laissons tout ça. De quoi s’agit-il, en substance, et qu’est-ce que les Lieux Communs, sinon la langue du Bourgeois ? La langue du Bourgeois, songez donc ! Alors quoi de plus simple ? et qu’est-ce que bien faire, sinon faire ce que veut le Bourgeois, ce qui lui plaît, ce qui lui profite, ce qu’il ordonne en ses commandements, et rien de plus ?

Il est bien certain, par exemple, que si vous voulez vous faire casser la figure pour lui et lui donner tout ce que vous possédez, il pensera que vous faites votre devoir, un peu tard peut-être, mais pas trop tard. Inversement, s’il trouve le moyen de vous prendre votre argent, votre maison, votre femme ou même votre peau et que cela lui semble utile ou agréable, vous n’avez pas le plus petit mot à dire. Il fait très bien, absolument bien et juste à l’heure qu’il faut, puisque c’est l’heure de son bon plaisir, qui ne sonne jamais trop tard.