Mercure de France (p. 179-181).

CIII

De la discussion jaillit la lumière.


Chez le peuple il jaillit surtout des claques et la lumière, en ce cas, ne pourrait être qu’une allusion, un peu lourde, aux trente-six chandelles mentionnées plus haut. Chez le Bourgeois, ça se passe autrement. Pénétrez dans un café d’habitués, un de ces bons vieux cafés d’employés ou de boutiquiers où tout le monde se connaît, où le patron toujours affable serre la main à tous ses clients, où l’apparition d’un étranger donne lieu à des réflexions moisies sur l’alliance franco-russe. Il ne se passera pas certainement vingt minutes avant que vous assistiez à une discussion à propos d’une péripétie de la manille, d’un point contesté au jeu de billard ou de tout autre objet d’un intérêt palpitant.

Vous verrez alors se produire tout doucement la lumière, lumen rectis, comme dit le Prophète Roi. Ce ne sera peut-être pas la lumière sur le point en litige, rigoureusement, mais ce sera du moins la lumière ou une quasi-lumière sur les contendants eux-mêmes.

Vous apprendrez que le patron de l’hôtel meublé a fait faillite sous la présidence de Mac-Mahon ; que le gros marchand de fourrages, grains et issues, est le fournisseur attitré du panier de son de la guillotine ; que le boulanger a passé au bagne « les plus belles années de sa vie » ; enfin que le vérificateur de l’enregistrement, homme profondément corrompu et qui sait parfaitement à quoi s’en tenir sur la conduite de sa belle-mère, passe pour être, en même temps, quelque chose comme l’oncle ou le neveu, par alliance, de sa propre femme ; etc., etc.

Tout vous sera dévoilé, à l’exception d’un unique point. Vous ne comprendrez pas que ces honnêtes gens, loin de se casser la figure, reprennent tranquillement leurs cartes ou leur jacquet, aussitôt après la discussion. C’est qu’alors la jaillissante lumière est obtenue et qu’il serait déraisonnable de continuer des engueulades qui n’ont plus d’objet.