Mercure de France (p. 162-163).

XC

Souffrir le martyre.


Il souffre le martyre, il souffre comme un martyr. Toutes les fois qu’un bourgeois expie, avant de crever, les saletés de son existence, il est martyr, ça ne rate pas. On déshonore ainsi un mot et une idée admirables, c’est toujours ça. Autrefois martyr signifiait témoin et les martyrs enduraient, par choix et de leur plein gré, d’horribles tourments pour rendre témoignage à la Vérité crucifiée. Tout cela est considérablement changé.

Le martyre de l’Entrepreneur, très différent de celui des Vierges, consiste à souffrir, bien malgré lui, en gueulant et en blasphémant, jusqu’à sa puante mort qui sera un fier débarras pour sa famille et après laquelle il ne manquera pas d’être « bienheureux ». Il me paraît difficile de lui appliquer le Semen christianorum du terrible Père Africain. Les sérosités et les sanies de cet égrotant seraient plutôt capables d’engendrer la peste.

Cependant il y a des mots qui ne connaissent pas plus le repos que le pardon, des mots plus qu’humains qui rôdent comme des loups autour de ceux qui en abusèrent. Ils sont, ces mots, dans la nécessité invincible d’exprimer, n’importe comment et à quelque prix que ce soit, une réalité indiscutable. Si cet homme n’est pas le témoin volontaire de Celui qui est, il faut inévitablement qu’il soit l’involontaire et fantasmatique assistant de Celui qui n’est pas et qui veut aussi ses martyrs.