Mercure de France (p. 96-97).

XLVII

Il faut que tout le monde vive.


Il serait puéril de demander ce que le Bourgeois entend par vivre. Les romanciers qu’il honore de sa confiance, naturalistes ou psychologues, ont suffisamment démontré que cela consiste à s’acquitter de toutes les fonctions digestives, dormitives ou génératives attribuées aux différentes espèces d’animaux, mais, par-dessus tout, à gagner beaucoup d’argent, — ce qui délimite essentiellement la nature humaine, en la séparant de celle des brutes. Longtemps même avant ces docteurs, il était admis qu’un homme qui fait habituellement de copieux repas est un bon vivant.

Cependant, tout le monde, c’est beaucoup. Ne suffit-il pas que le Bourgeois vive, le Bourgeois tout seul ?

Dans la langue religieuse, très différente de la sienne, le mot vivre a un autre sens, il le sait fort bien. Que peut lui faire cette anomalie ? Que des toqués ou des hystériques entreprennent de donner la joie à ce qu’ils nomment leurs âmes, en choisissant de crever de faim, cela les regarde ; mais qu’ils nous considèrent, nous autres Bourgeois, comme des charognes au dernier degré de putréfaction, c’est par trop comique. Sachez-le, une bonne fois, calotins et sacristains, nous sommes plus religieux que vous, et la preuve c’est que nous nous foutons du Royaume des Cieux et de la Vie éternelle !