Exégèse des Lieux Communs/023
XXIII
Prêcher dans le désert comme saint Jean.
Encore l’Évangile ! Quelle monographie on pourrait écrire des résidus évangéliques aperçus dans les entrailles du Bourgeois ! Ici la difficulté n’est pas petite et je me plains derechef.
Mon Dieu ! je sais bien ce que veulent dire ce professeur de mathématiques, ce marchand de marrons, cet académicien François Coppée, si on veut, ou cet Hanotaux, quand ils affirment qu’un tel prêche dans le désert… comme saint Jean. Oui, sans doute, je sais ce qu’ils veulent dire, un enfant de trois ans le saurait. Mais j’ignore ce qu’ils disent en réalité. Je l’ignore presque autant qu’eux-mêmes.
Situation étrange ! Que signifie, pour de tels juges, le mot « prêcher » et qu’entendent-ils par le « désert » ? Quant à saint Jean, n’en parlons pas, cela vaut mieux. Lorsque je lis dans l’Évangile que « Jean-Baptiste prêchait dans le désert de Judée », il me suffit de continuer le chapitre pour savoir immédiatement qu’une énorme foule d’auditeurs venus de partout l’écoutait dans ce désert, qu’un grand nombre se faisaient baptiser par lui et devenaient ses disciples, et que, par conséquent, il ne prêchait pas en vain. Or c’est justement le contraire qui paraît être compris par François Coppée ou tel autre académicien bourgeois précité.
Alors quoi ? Cette apparente confusion du datif et de l’ablatif — l’ânerie pure et simple n’étant pas supposable un seul instant — ne cacherait-elle pas quelque secret prodigieux ? Ces hommes auraient-ils reçu je ne sais quelle révélation inouïe invalidant le Texte sacré ?… Une telle pensée me donne le trac, je l’avoue, et, du fond de ma bassesse d’écrivain, de mon ignominie d’artiste pauvre, je bénis Dieu de ne m’avoir pas fait naître bourgeois pour la gloire d’un si lourd fardeau.