Mercure de France (p. 47-48).

XIX

La médecine est un sacerdoce.


Ah ! les sacerdoces ! qui essaiera de les dénombrer ? Le sacerdoce de l’agriculture, de la magistrature, de la pharmacie, de l’épicerie, de la bureaucratie, de la politique, de l’enseignement ; le sacerdoce de l’épée, le sacerdoce du journalisme, etc., enfin le sacerdoce antique de la Prostitution remis en honneur dans ces derniers temps. Il n’y a guère que le sacerdoce religieux qui ne soit plus un sacerdoce, ayant été formellement et si judicieusement rayé de la liste par le Bourgeois qui s’y connaît, puisque c’est lui-même qui a institué tous les sacerdoces contemporains.

J’ai nommé, sans choix, la médecine, parce que ce sacerdoce-là s’est offert le premier à ma mémoire et vous avouerez qu’il est rudement beau.

Un docteur qui flaire trente ou quarante pots de chambre de Bourgeois et qui palpe leurs viandes intimes, tous les matins, avant son déjeuner, a une autre allure, on est forcé d’en convenir, qu’un missionnaire annonçant la parole de Dieu à des idolâtres mal élevés qui le mangeront peut-être après son discours, et le libellé d’une ordonnance est bien autre chose, n’est-ce pas ? qu’un mandement épiscopal !

Auprès des gestes tâteurs, tripoteurs, auscultateurs des médecins ou en comparaison de leurs formules isochrones et stéréotypées, tombant de si haut, qu’on est toujours sûr d’entendre, que deviennent, je le demande, les canons et les liturgies ?

Quand on vous affirme que la médecine est un sacerdoce, dites-vous avec une pieuse crainte qu’il y a nécessairement un Dieu ineffable et tout-puissant derrière ce clergé et qu’il vous échoit de le démêler, comme vous pourrez, d’avec tous les autres Dieux non moins ineffables et non moins puissants situés, eux aussi, derrière d’autres clergés innombrables. Ah ! les sacerdoces !