Et moi aussi, j’ai eu vingt ans !Oeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 2 (p. 48-58).


À l’entour des chaises longues


Bientôt, demain peut-être, je m’en irai de ce sanatorium où je languis depuis un an. Oui, je m’en irai. L’air m’étouffe ici. J’y flaire des odeurs de cadavre.

En entrant dans ce dortoir au sanatorium de Cozbourg, je n’avais qu’un poumon malade. Maintenant, j’en ai deux. Je l’ai compris aux réticences des docteurs, à leurs petits airs entendus lorsqu’ils m’auscultent, à leur charabia technique dans l’obscurité complète de la salle de radio. Chaque soir, une rougeur inexplicable me brûle l’oreille gauche. Inexplicable ? Oh ! non, si j’avais le courage d’approfondir le symptôme car je sais bien que mon poumon gauche, sain ou presque jusqu’ici, prend aussi. Alors, il va falloir décamper ! Il est de notoriété publique qu’au sanatorium de Cozbourg on ne meurt pas. Si l’on n’y guérit pas, on doit, pour le moins, y améliorer son cas. Au sanatorium de Cozbourg, on ne doit pas mourir. On y apprend à mourir proprement, sans bruit et sans pleurs. Presque l’école stoïcienne. C’est déjà quelque chose. Dans la méditation des longues heures de cure, s’enseigne la résignation et la soumission presque absolues aux lois inéluctables du destin.

… Sur la montagne que pavoisent les bruyères roses, dans les taillis rutilants, juin s’étire sous la caresse du soleil…

Un ordre préfectoral est venu. De la révolte a passé, soulevant sur les chaises longues des colères terribles contre les médecins, contre les infirmières, contre tout le personnel, contre le ciel et la terre… Il y a eu des mutineries au réfectoire, des pétitions signées d’enthousiasme, des chahuts fantastiques où chacun ayant repris sa personnalité, hurle, dans un grand besoin de faire du bruit, de s’étourdir.

Les malades ayant plus d’un an de séjour au sana sont priés sans politesse de vider les lieux par échelon d’ancienneté. D’abord, les doyens, ceux qui sont là depuis trois ou quatre ans et qui n’ont pas le courage (triste courage) de délaisser un abri sûr, un gîte confortable pour la misère d’un foyer pauvre.

Et ils sont partis ! alors ce fut la débandade. On devance son tour, on revendique la vie « civile » d’où nous sommes rayés depuis des mois.

Une panique s’empare de nous, un sentiment obscur, une terreur vague, la crainte de fermer là pour toujours ses paupières meurtries, d’être surpris par des événements inattendus et qui nous mèneraient droit à la froide petite morgue qui se terre sous les pommiers lourds du verger. Mourir, oui ! mais sous l’œil affectueux et consolateur d’êtres chers…

Repris par l’existence des luttes et le tourbillon des passions humaines les « anciens » ont fui au plus vite. Le cœur brisé, j’ai serré des mains cordiales et fraternelles. Dans notre commune misère, sous les mêmes souffrances, dans les mêmes espoirs, dans des craintes identiques, nous vivions, disciples martyrs, dans la grande franchise des « tubards ». J’aurais voulu pleurer, mais je ne puis. Je suis à l’âge où l’on n’a pas de larmes, à l’âge où l’on se mord les poings en silence.

Demain, je m’en irai…

Ils sont bien partis, les autres ! bravement, presque tous sacrifiés ! J’ouïs Le Bris de sa voix traînante qui me parle de sa famille dont la moitié est contaminée par le père mort poitrinaire. « Il faut que je bûche, tu sais ! »

Il faudra qu’il bûche ! — Face au sort ricanant, il va, manches retroussées, en lutteur d’avance vaincu, mais farouche dans la rude besogne des piqueurs de pierre… Et toi, joyeux Le Gars, mon copain le « lieut’nant » aviateur dont la culotte rapiécée mille fois était populaire parmi nous. Il la gardait cette culotte, disait-il, parce qu’elle recelait un parfum d’essence et d’huile, parce qu’elle cachait dans ses replis décolorés l’indicible souvenir des longs envols, la griserie délicieuse des essors matinaux, un coin de ciel bleu.

Et le héros paisible, dont les yeux nostalgiques s’irradiaient de la magie d’un rêve continuel, allait trépasser d’une mort sans gloire, dans les bras d’une vieille mère, au sein des bois de Cornouaille…

Et tant d’autres ! que je ne veux pas nommer, que je ne peux pas nommer ! parce qu’à me remémorer leurs visages cireux, figés dans une dernière grimace, mon cœur se fend. Pauvres et chers compagnons d’infortune, puissiez-vous au moins, dans la sérénité immuable du grand sommeil, avoir trouvé l’ultime consolation des espoirs purs satisfaits et la douceur édénique de l’absolu idéal.

Depuis un an que je suis au lit no 2, j’ai deviné chez mes camarades d’isolement, des drames poignants dans leur simplicité banale. Ému et révolté, j’ai vu bien des tragédies, bien des combats, bien des défaites. Nous savons à peu près de tout, les uns des autres. Tout ce qu’on peut savoir, tout ce qu’on peut avouer et qui ne soit pas une trop grande charge, une trop lourde accusation contre la société, contre les maîtres, contre ce Dieu qui régit le monde et auquel nous croyons !

Car si nous disions tout, que de leurres dissous ! que d’ailes brisées, que de crimes dévoilés et clamant vengeance ! et la société entière sapée dans ses fondements, croulante sous le poids des injustices et des vilenies, les règles et les lois de l’existence à jamais anéantis, la morale en déroute, les faux dieux à terre et les religions en pièces, dans le réquisitoire acharné qu’élèverait l’humanité souffrante !

Si nous disions tout, quelle insulte à la Beauté !

Oh ! la laideur de la plus féroce des réalités et l’atroce plainte des réprouvés !

Bien sûr, détachés des choses d’ici-bas, des plaisirs matériels, des jouissances ordurières, nous autres tuberculeux, nous devrions, le sourire aux lèvres, quitter cette vie crapuleuse… Mais non ! à toute parcelle de vie, parce qu’elle détient du rêve et de la force, de tout notre individualité rebellée, nous nous cramponnons, parce que depuis sa naissance, tout homme porte en soi des larmes, des regrets et des espérances…

J’ai dit au directeur que je pars demain.

Je m’en irai sans regrets. Il me faut le grand air, les horizons libres aux rêves fous. Au no 2 du dortoir no 4, j’ai passé un an de ma jeunesse mutilée. Là j’ai souffert sans gémir. J’ai ri aussi parce que j’avais souvent envie de pleurer. J’évoque comme dans une hallucination, les jours écoulés…

Au bout de trois mois de présence ici, réconforté, je criais déjà victoire, lorsqu’un épanchement pleural consécutif au pneumothorax me terrassa. Un mois de fièvre intense avec la hantise continuelle de la fin prochaine ; une longue convalescence. Et puis ce fut la cruauté des ponctions et la douloureuse tentative de l’oléo-thorax. Tous les huit ou dix jours, étouffant, n’en pouvant plus, le cœur affolé, on me retirait du liquide par litres qu’on remplaçait par de l’huile goménolée. On y ajouta même (je ne m’en doutais pas) quelques sérums à l’essai dont on attendait des résultats probants. Je faillis y laisser ma peau, mais que diable ! il faut bien employer les nouveaux remèdes.

Depuis six mois, ce régime de ponctions m’exténue. Je vais de mal en pis.

Je ne mange plus. À peine un dessert de temps à autre. Vraiment, ce médecin-chef a du bon sens. Il faut que je m’en aille… N’est-ce pas, Margot ?

Margot, la nouvelle infirmière, si jeune et si jolie, me sourit.

— C’est vrai, Rosmor, que vous partez demain ?

— Mais oui, ma belle !

Son regard s’assombrit. Au tremblement de sa lèvre inférieure, je devine son trouble et son petit cœur qui se pince. Depuis le jour de son arrivée, elle est mon amie, ma seule et bonne amie.

Oui, demain je m’en vais.

Il y a juste un an que j’entrais dans ce pavillon. C’était en juin aussi. Un soleil radieux et les pavillons coquets noyés dans la verdure. Des ramiers dans les bosquets, des fleurs et des papillons sur la pelouse… L’infirmière vive et menue m’accueille sur le palier. Mon air lui déplut. Mes paroles aussi. Elle a dit que j’étais un goujat. J’ai dit qu’elle était une pimbêche. Chaque soir, elle m’entreprend : mon lit n’est pas bien fait, je trouble les cures. Elle m’épie sans cesse, me tance. Il m’arrive de répondre. Alors elle me signale au médecin traitant qui s’en moque. Peut-être avait-elle des remords, des projets de réconciliation. Lorsque j’eus cet épanchement pleural, elle voulut me bichonner. Il est vrai que c’est une brave petite bonne femme et qu’elle ne boude pas à la besogne. Mais j’adore être seul et tranquille et puis, ma tête qui me fait si mal…

— Mademoiselle, je vous prie de vous occuper un peu plus des autres, un peu moins de moi.

Depuis, j’ai vécu dans l’hostilité sourde des infirmières. Malade insupportable parce qu’indépendant, mauvaise tête, on m’accuse d’ameuter les camarades à chaque incident. Un rien me fera « sauter ». L’air m’est insalubre. Ces demoiselles, par solidarité professionnelle, ne manqueraient pas à la moindre incartade. Bah ! laissons faire le temps et l’oubli…

L’infirmière-major surtout, ne m’aime pas. Je la respecte beaucoup, le respect dû aux choses périmées. C’est une vieille fille du Midi. Une ancienne cocotte déhuppée qui a « fait » la guerre, de façon toute particulière il est vrai. Elle se faisait trousser par les officiers des armées interalliées. En levant les jambes, elle relevait le moral de nos guerriers. Elle fit œuvre patriotique. À elle, les palmes et les lauriers !

Mademoiselle l’infirmière-major a beaucoup d’esprit, trop d’esprit, à tort et à travers. Au réfectoire certain jour elle contait une histoire où il était question d’un Breton, se promenant en plein jour avec une lanterne allumée pour chercher je ne sais quoi… sans doute la beauté défunte de la spirituelle major. Des camarades n’ayant pas compris ont ri avec éclat. Moi, je n’avais pas assimilé toute la saveur du récit. Je fis des restrictions à haute voix. La major fut conspuée avec entrain. Le Breton possède à l’état latent, un vieux fonds de nationalisme qui se réveille parfois !

La major ne m’a pas dans son cœur. Cela se comprend. Elle s’ingénie pour m’accorder un régime de faveur qui soit compatible avec le règlement. Il va sans dire qu’il y a aussi un règlement au sana… Singulière manie de tout réglementer ici-bas alors qu’aucun de nos échafaudages ne résiste à l’ironique fortune ! On veut tout canaliser, tout dompter, se jeter aux yeux la perpétuelle poudre de l’illusion par laquelle nous voulons nous persuader que nous sommes quelque chose, des maîtres, alors que nous ne serons jamais que des esclaves et des vermines…

Avec une attention touchante, j’ai été recommandé aux soins vigilants du garde de jour qui me talonne, en frisant ses moustaches rousses, par les allées et par les champs. Au fond, il me sera indulgent. Le veilleur de nuit, le brave Abraham, régulier et cadencé comme le réveil Jazz dont il a usurpé le nom, m’attrape chaque soir, avec entrain.

— Toujours le nouveau du no 2 !

Il y a un an que je suis là et pour lui je suis toujours le nouveau du no 2. Il est vrai qu’il ne m’a peut-être pas vu sous le même jour ! Chaque soleil couchant diffère les nuances et les couleurs. Dès que la jambe de bois du père Jazz résonne sur le linoléum, il se trame dans l’ombre des complots hilares.

— Je parie qu’il ira à Rosmor !

— Je parie que non !

On s’évertue à créer du brouhaha. Se hâtant, Abraham arrive sur moi.

— Toujours le nouveau du no 2 !

Ce qui n’empêche pas le bonhomme de me faire bonne figure sous le soleil de Dieu.

Mes amis je vais vous quitter.

Le Gall essuie ses lunettes. Est-ce vraiment ses lunettes qui s’embuent ? Il n’enragera plus quand je l’appelle Charlot, ce qui outrage sa dignité. Il fut comptable. Il incarnait à mes yeux l’esprit petit bourgeois, pondéré, débordant de cette pusillanimité étroite qu’on dénomme vulgairement le bon sens. Je dois l’effrayer par mes turbulences et mes fantaisies. Il a des pressentiments, ayant déclaré à Loyer, le lieutenant au long cours, intelligent et volubile, avec lequel j’ai eu de fréquentes discussions :

— Je ne sais pas, mais ce sacré Rosmor m’intimide. J’ai l’impression qu’il écrira tout ça, plus tard…

Non Le Gall, que tes mânes se rassurent, dans les limbes où elles s’en sont allées ! je n’écrirai pas « tout ça »! Ça me ferait trop mal. À quoi bon s’infliger des cruautés inutiles, imposer à d’autres des tortures vaines ?

Ce jour-là, Le Gall était ému… J’avais piteuse mine. Manifestement je « m’en allais » et pour de bon ! On ne doit pas mourir au sanatorium. Je partais à propos…

Gombot, mon voisin de lit, serviable et cordial, qui a « une sacrée garce de douleur à l’épaule », réfléchit. Mon ami Sabol que je ne ferai plus rire entre deux vigoureuses parties de jacquet, écarquille ses bons yeux bleus. Et le no 3, l’ineffable lycéen, d’« esprit supérieur », un doigt sur l’occiput, s’abîme en des contemplations éthérées…

Finies les longues causeries, les disputes animées ! Je ne serai plus des controverses bruyantes, du concert improvisé où chacun y va de son petit tour de chant. Ah ! les douces hilarités où nous plongeait la vieille infirmière anglaise, cocasse et stupide ! et les ébats ébouriffants de Marzin, le citoyen de Douarnenez qui, en chemise et bonnet de coton, la gaffe sur l’épaule, exécutait sur la terrasse, un pas inédit qu’il intitulait avec quelque ambition : Les Archers du Roy !

Ce qu’elle nous amusa, cette fameuse marche dont je ne donne pas les rimes par décence !

Un type, ce Marzin ! Communiste et mutin de la Mer Noire. Il prétendait que la marine « bretonne » était la première du monde ! Tirez les premiers, Messieurs les Anglais !… Marzin avait l’heur de résumer l’opinion générale et sur le départ de la major il conclut :

— Va te faire foutre, vieille vache !

… Tous les soirs, mes pommettes sont en feu. Ma vue se trouble, et, selon l’expression de Théo, le préparateur en pharmacie, je suis « pâle des genoux ». Théo, lui, était livide. Aujourd’hui il est sans doute incolore, sous six pieds de terre, dans quelque cimetière des environs de Pont-l’Abbé…

Des foins qui mûrissent exhalent un parfum de chairs inquiètes. Sur les pelouses, des fleurs éclatent de fraîcheur. Mille insectes égarés bourdonnent dans le pavillon et viennent s’écraser contre le mur blanc. Le « Mene » là-bas à l’horizon, danse dans la lumière crue qui avive le rose des bruyères. Dans les chênes barbouillés de lierre dont les branches en guirlandes descendent presque sur la balustrade, une tourterelle romance. La cloche de trois heures vient d’appeler au thé. Je suis resté seul, dans la blancheur écœurante d’une salle trop claire, trop lumineuse.

— Tiens, te voilà, Margot !… Approche donc ici mon petit, mon amour de jolie infirmière. Mets-toi là, sur ton lit, ce lit qui n’est à personne et sans parfum puisque personne n’y couche… Viens, plus près ! ce sera pour la dernière fois. Demain, je m’en vais. Le grand voyage, ma belle ! Ah ! vivre… mon petit, mon tout petit. Laisse ma main caresser ta divine jambe. J’aime l’odeur de tes aisselles, odeur des chairs… Ne te débats pas. Ça n’a aucune importance, va ! Ne crains rien, nous sommes seuls, si l’on peut être seul à deux ! Margot, dis-moi que tu ne garderas pas un trop mauvais souvenir du garnement que je suis ! Que tu n’oublieras jamais ton fougueux camarade, hein ? Mais oui, répète-le-moi encore, j’ai besoin de l’entendre. Ça me réconforte, tu sais ! Margot, Margot ma jolie ! Sens comme mon cœur bat. Un jour prochain il aura cessé de battre… Non ! laisse ma main savourer toute la grâce de ton corps sain, la beauté éperdue de tes formes de déesse… Allons, ne gronde pas. Puisque ça n’a plus aucune importance !…

… Ah ! Margot, que la vie est belle ! Regarde comme tout clame, comme tout chante. Et je vais la perdre, mon petit. Margot, Margot, ma gentille amie, vis ! Use et abuse de ta santé juvénile, de toutes tes forces, de tout ton être. Courte, soit ! mais bonne… Vois-tu, il faut rire, sauter, courir, aimer, s’ébattre dans l’insouciance et la folie des jeunesses fortes ! Ne laisse pas mourir tes vingt ans ! Va-t-en ! Quitte au plus vite, cet antre de malheur et de souffrances ! N’abîme pas tes jours, dans ce lieu maudit où couve la mort, où languissent les corps et où se désespèrent les âmes. Petit oiseau né pour l’azur, quitte ce sana terrible aux menaces sournoises toi qui, faite pour vibrer, viens t’enterrer ici. Ne te plie pas au joug des abnégations stériles, des dévouements inutiles, des sacrifices trop prompts…

Laisse-nous à notre triste sort et que tes sœurs, à ta suite, s’envolent. Nous n’avons pas le droit de vous retenir, de vous accaparer, de jouir de votre fraîcheur, nous, les tarés, les dangereux dont l’humanité souffre et dont les races se meurent… Fuyez cet air empesté, l’ambiance morbide des poitrinaires… Fuyez avec une sainte horreur les dangers que nous représentons, par nos pauvres corps déchus et vindicatifs. Laissez-nous face à Elle dont le rire implacable nous pourchasse. À quoi bon l’ample geste de la pitié ? la main secourable des consolations et le sourire faux des encouragements fallacieux ?…

Tu dis que je mens ! Mais bien sûr je mens !…

Margot, il ne faut pas pleurer. Pardonne-moi car je t’aime… Je suis un égoïste. Demain je serai parti. Tu m’écriras. Et moi, de tout mon cœur avide de poésie et de cette ivresse qu’il n’aura plus, je te dirai des choses gaies. Je tâcherai de te faire rire, petite Margot qui pleure sur mon visage et dont les larmes lourdes de pitié, roulent silencieusement, merveilleuses oboles…

… Margot, ne pleure pas. Je ne veux pas que tu pleures. Écoute, je voudrais que le docteur survienne et qu’il te chasse avec moi. « Oui, docteur, elle est mienne cette jolie fille. Rendez-la à la vie. Rendez-la à l’amour. Chassez-la comme une gueuse. Elle est ma maîtresse et je ne suis pas son amant !… » Pourquoi sacrifies-tu, aux déshérités, ton corps de déesse et l’éclatant printemps de ta vie ? On ne rachète pas le monde, va !… Ah, Margot ! que tu t’en ailles loin ! Aime, Margot, aime ! Fais-toi aimer aussi. Donne-toi à qui t’aime, à qui te veux. Hais les préjugés stupides et les mœurs imbéciles ! La précarité de notre existence leur est un éternel démenti. Margot ! Il n’y a que de pauvres gens et de petits esprits. Vivre, ma belle, vivre ! Oh ! les lèvres rouges de mon amie, rançon de la souffrance, baiser dans la douleur… Tes lèvres, Margot !… tes lèvres !