Et moi aussi, j’ai eu vingt ans !Oeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 2 (p. 25-35).

Sinistres présages


Les esprits malins rôdent dans la nuit noire et l’Arrée se peuple d’intersignes.

Je suis revenu dans l’antique chaumière paisible où, sur le large foyer noirci, les âmes des disparus viennent parfois rechercher l’ambiance des choses chères. Face à mon petit lit de fer, contre le mur vaguement blanchi à la chaux, il y a un Christ brumeux qui roule des yeux blancs. Et, par la fenêtre minuscule que le givre constelle, je vois le ciel froid et le balancement étrange de maigres cerisiers roussis. La cheminée qui hurle appelle autour de la flamme violette de la tourbe qui brûle, les longs récits imagés que l’on écoute avec des frissons, et des légendes surnaturelles où la Mort et le vieux Paolik, prévôt d’Enfer, se concertent pour détruire les amoureux gentillets, chantant leurs « gwerziou » au tard des assemblées…

J’ai retrouvé l’atmosphère du pays natal, toujours pareille avec son parfum complexe des traditions et des mœurs séculaires. J’ai retrouvé les mêmes habitudes, les mêmes préjugés indéracinables, la même mentalité faite de largesse et de mesquinerie. La nuit distille toujours la terreur lancinante des superstitions. Vieille terre de mes pères, terre sacrée des miracles et des fées merveilleuses, inspiratrice de la lumière et de l’enchanteresse musique, terre des vieux saints naïfs aux élans d’apôtres, sol indomptable du granit, berceau des races fortes, défends-moi ! reprends-moi dans ta sécurité immuable…

Ah ! que j’aurais voulu vivre, jadis, à l’époque puissante des Celtes aux longs cheveux bouclés, époque du «  bragou-braz » symbolique, époque fruste pleine d’ardeurs et de santé où tous ceux qui respiraient, choisis par une rigoureuse sélection, étaient gens sans tares et combien heureux ! mais à quoi bon revenir sur le passé. Fi des regrets intempestifs ! Le passé n’est-il pas toujours le bon vieux temps ? plein de loups, de fièvres malignes, de famines, d’épidémies ?… Brrr ! ! ! Aujourd’hui, tuberculose, cancer, syphilis. Alors, écrouelles, lèpre, peste. L’humanité aura toujours ses maux, loi éternelle. D’une calamité à l’autre. Ce qui est, est bien. Rien n’y fera.

Et je tousse, je tousse, à fendre l’âme. Je ne puis guère manger. La seule vue de quelqu’un qui s’alimente me dégoûte. Je trouve aux gens un air de jouisseurs.

Mon retour dans l’Arrée a surpris les montagnards et mon immense parenté et, comme l’on m’y tenait en quelque estime, c’est un perpétuel défilé dans mon humble chaumière, du matin jusqu’au soir et du crépuscule à minuit. J’en ai entendu de belles ! Renan ! Renan ! avez-vous enfin mesuré la bêtise humaine ? Oui, de belles, sous formes d’encouragements candides et maladroits, d’exhortations grotesques et pathétiques, de conseils fleurant les sorcières et l’incantation. Je me réjouis. Je ne suis pas encore rassasié de l’hypocrisie et de la sottise des gens. Le malheur d’autrui ne touche pas, mais il est des convenances qu’on respecte, des habitudes singulièrement fausses qui dans les mœurs de toujours, voileront à jamais sous un masque décent d’une traîtrise inouïe l’égoïsme incurable inné au cœur des hommes.

Avec une curiosité malsaine on m’interroge. Et je réponds de mon mieux. Je n’ai pas encore appris à me méfier des gens et je prends pour sincère la fausse commisération des commères que l’arôme du café rend d’une sensibilité extrême. On me croit déprimé par l’école, fatigué par une croissance rapide mais on ne me juge pas bien malade. Les appréciations de mes visiteurs sont rassurantes. Des amis d’enfance, rivés à la glèbe qui leur insuffle force et santé, viennent souvent faire la causette. Je détaille leur vigueur tranquille, avec une secrète envie.

Je suis loin d’aller vers la guérison, mais la surexcitation nerveuse, l’auto-suggestion m’entretiennent gaîment dans l’insouciance et les bavardages. On ne meurt pas, à mon âge, voyons !… La jeunesse est une merveilleuse source de vie. Elle a des réserves de forces indicibles, un ressort invisible et magique qui remonte les organismes fatigués et qui ranime une flamme qu’on croyait éteinte…

Mais, les jours coulent, ternes et peu à peu l’angoisse m’étreint. J’ai des quintes interminables que je m’étrangle à juguler et qui me font honte devant les voisins. Je vomis souvent. Alors, des tremblements inexplicables, des réflexes inattendus me crispent soudain.

La nuit, j’ai des cauchemars terribles. Tous les racontars, toutes les histoires abracadabrantes de revenants me travaillent l’esprit. Mon cœur se dérègle. Mon cerveau crie à la folie. Parfois, je me réveille, hurlant, transi d’un froid mortel, trempé de sueur.

— Maman, je vais devenir fou ! Maman !

Vraiment, j’ai cru le devenir. Et ma mère attentive à mon chevet me disputait âprement à la maladie. Dans mes rêves, j’avais aux oreilles le tintement disgracieux des cloches fêlées du Collège. Maintenant que j’ai quitté cette boîte, elle ne me lâche plus ! Son souvenir me hante, m’exaspère. Malédiction ! oh ! ma pauvre tête qui éclate !

Fox, mon compagnon de chasse qui a flairé ma rentrée, vient de sa patte rugueuse râper la porte moisie. Puis il aboie à la nuit, à la lune, à la Mort aussi sans doute… Il hurle à la Mort et c’est moi qui vais mourir. J’en suis sûr.

— Maman, je vais mourir ! Mon cœur s’affole. Ma respiration s’arrête. Elle est là, la Camarde. Je la sens qui s’approche, qui ricane. Un trou béant où l’on descend un cercueil jaune. De la terre qui tombe lourdement. L’éternité qui se ferme et les larmes d’une mère crucifiée !

Mon Dieu, ne me laissez pas mourir !

La clarté du jour chasse mes affres, mais chaque nuit, je couche avec Elle.

J’ai décidé que ce serait un docteur de Huelgoat qui me soignerait. Le médecin du Collège lui a envoyé les résultats de l’examen radiologique. Un jeudi, maman est allée aux nouvelles… Tendrement, doucement, elle m’a bercé. Et cette ombre que j’ai sur le poumon droit se dissipe… Je suis sûr qu’elle s’en ira comme le nuage frondeur s’en va rapidement du ciel radieux, un lendemain d’orage.

Sur les conseils du docteur, j’ai demandé les soins gratuits de l’Assistance Publique. Il y a là, dans l’armoire robuste aux clous luisants, une lettre du praticien pour le maire de ma commune. Je suis seul au coin du feu qui flambe. Seul, avec mes idées noires, à suivre l’envol capricieux de l’épaisse fumée âcre comme l’odeur du soufre qui brûle.

Cette ombre sur le poumon droit… et cette lettre qui traîne là. Voisinage insolite. J’ai couru à la missive et vivement d’un doigt hargneux j’ai déchiré l’enveloppe. Je ne suis pas sûr d’avoir bien lu. Je recommence. Je m’efforce au calme.

« Je soussigné, docteur en médecin… élève de… atteint de tuberculose pulmonaire… »

Tuberculose pulmonaire ! je tremble de tous mes membres, tout mon être saisi de désarroi, ma personnalité abolie, devant l’implacable verdict et la détresse infinie du diagnostic. Tuberculeux ! poitrinaire… Le médecin, charitable, a fait entre les mots, un renvoi, et il a ajouté « début ». Mais je ne suis pas dupe. Ça fait mieux, concluai-je sarcastique.

Je relis la lettre accusatrice et je me sens redevenu calme, d’un calme effrayant. Il me semble que j’ai subitement vieilli. Froidement, je replace le papier froissé dans l’enveloppe déchirée.

— Pourquoi, maman, ne m’as-tu pas dit carrément toute la vérité ? fis-je amer. Une ombre au sommet du poumon droit, la belle affaire !

Elle se tait. Je lis la torture sur sa franche figure de paysanne et la douleur muette qui ne veut pas jaillir en larmes de ses yeux bleus aimants.

— Maman ! maman !

Et c’est moi qui me ressaisis en m’armant pour la lutte. L’école de la douleur. Je devine mon énergie qui se retrempe et la rancune coléreuse qui me dresse pour le combat.

— N’aie pas peur, maman. Un homme averti en vaut deux. Je me soignerai bien. Je ne suis pas encore mort, va !

Le sang actif que m’ont transmis des lignées de solides montagnards réagit. L’enfant disparaît. Un homme va surgir qui trempera dans la souffrance et chaque ride ténue qui s’ajoute à son front vieillissant dit l’effort continuel, surhumain, pour résister. Rassénéré, je hume dans l’air vif, des parfums violents de batailles angoissantes d’où je sortirai, j’en suis sûr, parce que je crois !… Et puis, après tout, on ne meurt pas si vite de tuberculose !

Je citai des noms, des phtisiques invétérés, accrochés pantelants à la vie, narguant le sort, d’autres victorieux du mal, guéris… Ce qui était certain, c’est que l’échéance fatale m’apparaissait lointaine, reculée. Inconsciemment, mon insouciance et ma légèreté reprenaient le dessus. Ce n’est que longtemps après qu’on mesure de telles choses !

Mais il faut manger pour vivre, et trimer pour manger. Si j’avais été riche, bien sûr, me disais-je, je me serais guéri ! Maintenant il fallait subir mon destin. Je l’acceptais sans plaintes ni jérémiades mais au fond de mon cœur, la haine et la révolte couvaient.

Il faudrait que maman retourne dans ce Paris diabolique, refuge de tous les parias de ce monde. Il faudrait qu’elle se remette à la besogne quotidienne, besogne harassante et déprimante. Ce qu’elle ferait en bonne mère, en Bretonne austère et courageuse, vaillamment, sans murmure et sans marchander. Oui, elle le ferait pour moi. Et d’être une charge pour elle me torturait. Ô l’abomination de l’humiliante existence ! Je grinçais des dents et parfois il me venait avec des bouffées de vengeance, des idées de meurtre et de suicide.

Que ceux qui n’ont jamais connu de telles heures, me lancent hardiment la pierre !

Pourquoi Dieu, si juste et si bon, tolère-t-il de telles misères ? Dis-le donc, toi, Christ pacificateur, frère dans la douleur, homme dans les malheurs, dans l’injustice et la souffrance et qui roule des yeux blancs au-dessus de mon petit lit de fer ?

Et mes poings crispés broient dans un rêve fou de suprême justice et de chambardement universel, la société exécrable et pourrie où, dans l’avilissement fangeux du monde égoïste et charnel, traînent toutes les misères et toutes les saletés humaines.

Sur l’ultime barricade que dressent au Soir Rouge tous les révoltés de la terre, tous les forçats d’ici-bas, je vois un collégien pâle et sévère qui trône, accusateur, sur le cataclysme. Et je vois des figures terribles parce que justes, farouches dans le feu et le sang, purificateurs des crimes et des souillures monstrueuses.

Mais dans l’Arrée goguenard, les chouettes qui hululent disent dans leur lamentable mélopée que les feux follets rient de l’injustice et que les lutins, fous ou sages, gambadent irrévérencieux dans les marais immenses et recueillis. À quoi bon s’insurger ? eux, ne se révoltent pas. Connaissent-ils donc le grand secret ?

Dieu ne fut pas trop cruel dans son anathème puisqu’il nous laissa sans partage, la tendre infinie et le sourire ineffable d’une mère…

Dans une camionnette où règne l’odeur étouffante de l’essence brûlée, ma mère m’accompagne encore, vers un autre dispensaire.

Il a neigé, les jours passés. Aujourd’hui, le soleil étincelle et sous le manteau féerique, il y a dans la nature qui s’étire, des tressaillements. La vie déborde du sol enfoui dans la neige complice et les premières sèves engendreront dans l’air de mars prochain, le renouveau. Tout s’égaye, prend un aspect merveilleux. Les rochers bleus dans leur ceinture de lys voient les ébats sautillants des pies qui jacassent. La rivière aux eaux de cristal coule avec des couplets ravis et les arbres que mouille la caresse du soleil fondant leur parure, pimpants ou fantastiques, sont des personnages légendaires de beaux contes norvégiens. Le ciel limpide sourit aux corbeaux qui coassent, surpris par cet éclat inattendu et qui proteste contre cette neige infâme où gîte la charogne.

Mes narines frémissent. Comme mon pays est beau ! et que la vie est belle ! Et il me faudrait la quitter à mon âge ? allons donc ! Tout mon être s’insurge contre cette idée absurde. Ils sont idiots, ces docteurs négateurs de merveilles et de miracles ! Réjouissons-nous, vive Dieu ! au diable les mauvais augures ! Si mes bronches sifflantes ne me retenaient j’aurais tenté d’ébaucher dans la camionnette pleine de puanteur, un petit air de jabadao !

Dieu que la vie est belle au cœur des souffrants !

… Ce dispensaire d’hygiène sociale de Plouergat, est comme tous les dispensaires, hygiénique et réfrigérant. Aujourd’hui il est vide. Dans un coin s’empilent des chaises longues à bon marché et des boîtes de crachoirs en carton. L’infirmière s’enquiert du but de ma visite, but écrit apparemment clair sur mon visage amaigri où mes lèvres seules sont restées rouges. Elle est discrète, effacée. Elle doit être dévouée et brave. Une vraie petite sœur des pauvres.

Le docteur m’attendait, cheveux à la brosse, et nez busqué. Il m’a examiné en silence. Puis brusquement il a dit :

— Assieds-toi. Pour qu’un malade se soigne, il faut qu’il connaisse sa maladie… Connais-tu la tienne ?

— Non !

Ma mère debout près de la fenêtre avait pâli.

— Eh bien ! tu es atteint de tuberculose pulmonaire, à forme évolutive.

— Ah ! m’exclamai-je, sans trop de surprise. Alerté cependant, je le regardais sans douceur.

— Pourrai-je entrer au sanatorium ?

Et comme il se taisait, impassible, j’ajoutais bravement :

— … En payant ?

— Non, répliqua-t-il sèchement.

Si mal ! Je le toisais insolemment et rudement je demandais :

— Alors, pour combien de temps croyez-vous que j’en aie ? six mois ?…

Il haussa les épaules.

— Trois mois.

Nouveau haussement d’épaules.

— Un mois ?

Même geste.

— Quinze jours alors ? m’écriai-je.

Il ne répondit pas. J’écoutais dans le silence lourd de pensées et de menaces, mon cœur qui battait.

— Quinze jours ?

Le morticole baissa un peu la tête. Acquiescement ? Je ne sais. Suffoqué d’indignation je me levai.

— Maman, allons-nous-en, vite.

Et nous quittâmes ce prophète de malheur qui dévoile le mal sans pouvoir y remédier.

Hippocrates et guérisseurs, laissez au cœur de vos clients l’ultime espérance. La foi seule sauve.

Dans la rue, je marchais mieux, d’un pas plus assuré.

— N’aie pas peur, maman, il a menti pour me frapper l’esprit. Tu verras. Je ne suis pas si bas que ça.

Cramponné à l’existence, de toute mon énergie juvénile, je lançais à l’oubli, avec dédain, le sinistre présage de Diafoirus.

Et puis, ce furent les ressources qui s’épuisent, l’aveu pénible, et la rageuse exigence du pain quotidien, inexorable antienne des gueux ! Ceux qui ont de l’argent à volonté, n’en connaissent pas la valeur, ne la sauront jamais et c’est tant mieux pour eux ! mais il a dit : « Malheur aux rassasiés car ceux-là auront faim. » En attendant, chaque jour, à la famine aux dents longues, des milliers de pauvres hères sacrifient.

Je me souviens qu’un matin, maman partit. Il le fallait. Crispé je ne pleurais pas, mais je compris, ce jour-là, bien des souffrances et bien des crimes.

Je restais seul avec moi-même, au long des jours qui prenaient de l’ampleur, au long des nuits pleines de terreur. Ma grand’mère m’aime. Mais elle préfère la religion, croit au curé, à l’évêque, au Pape, à Satan et à la damnation éternelle. C’est une hantise chez elle. Elle ne cesse de me tarabuster. « Fais tes Pâques. Va te confesser. » Avec cela, d’abominables sornettes et toute la litanie des mauvais esprits qui rôdent autour de nous. Avec cela, elle prêche aussi les bons services des « guérisseuses » et les remèdes « ensorceleurs ». Exaspéré, je suis entré dans une colère terrible. Hors de moi, j’ai fulminé. Elle s’en bouchait les oreilles, la pauvre ! devant mes imprécations sardoniques et pour sûr, elle ne doute point que Paolik, le vieux Lucifer biscornu ne vienne quelque sombre nuit, m’enlever vivant du trident de sa fourche… et l’on sait, chez nous, que par ces ténèbres, les méprises sont faciles !…

Je reçois régulièrement beaucoup de lettres de camarades et d’amis qui s’informent de ma santé. J’en ai reçu une bonne. Lui, fut mon meilleur ami de collège, mon défenseur aussi car il était plus âgé que moi et ancien quand je n’étais que bleu. Nous avions l’un pour l’autre une solide affection. Nous partagions nos jeux et nos colis, fraternellement, avec de temps à autre une courte bouderie agrémentée d’un échange de torgnoles et de ruades. Mais jamais nous nous insultâmes. Pourquoi ? je n’en sais rien… Je ne fus pas gentil pour lui. Je l’avais abandonné un an, pour un autre commensal plus tendre.

On s’égare. On fait un faux pas. Mais qui n’a jamais trébuché ? Je revins à son amitié. Il ne me reprocha rien. Ayant pris la « boîte » en horreur, il avait le cafard. Il voulait s’en aller. Alors, comme ses parents ne voulaient rien entendre, il fit la grève de la faim. Il s’anémia, tomba malade. On l’examina aux rayons X. On lui conseilla le sanatorium. Il rentra chez lui, mal en point. Les soins maternels furent plus efficaces que la médecine. Un an de régime sévère le remit sur pied… Il me disait tout cela, m’exhortait à la patience, me consolait de ce ton énergique et affectueux qui était le sien. Son épître me fit du bien. Je le remerciai avec effusion.

Mars ramena le chant des alouettes.

Chaque jour je me levais, sans pourtant aller mieux. J’étais sujet à de longues rêveries nostalgiques tournant au marasme.

Pour la deuxième fois je suis allé au dispensaire toujours aussi hygiénique et aussi réfrigérant. Un mien oncle m’accompagne, et cet homme de bien ne cesse de me répéter que je ne suis point poitrinaire.

En effet, j’ai bien besoin qu’on me le redise. Pour convaincre il faut répéter, obséder, mais le mensonge n’est plus possible. Mon poumon gauche sans rime ni raison s’est éclairci et le mal tend à se localiser au sommet du poumon droit. Décidément la nature est une grande coquine, ennemie de la science et des verdicts trop absolus. N’aurai-je donc point une phtisie galopante ?

Un docteur du Huelgoat me soignera. Il est là, prévenant, doux. L’Assistance Publique le dédommagera. Lui, au moins, m’inspire confiance et volontiers, je croirais qu’il fait des miracles.

Le pneumothorax essaiera ses jeunes mérites sur le cobaye que je commence à devenir. Comprimer un poumon par insufflations d’azote et d’air pendant une période de temps variant suivant que le malade résiste ou ne résiste pas. Traitement déroutant, je l’ai su depuis. Cela mérite réflexion. La science me renvoie dans « mes foyers » pour quinze jours d’examen de conscience. En quinze jours il se passe quelquefois bien des choses !…

Mon oncle voulait avoir le cœur net. Original et très intelligent il se fiait en ses méthodes personnelles. Ça lui a toujours réussi.

Il s’en fut aux médecins. Il revint souriant, me déclarant avec superbe que j’étais sauvé.

— Vrai ? fis-je.

— Tu es sauvé ! répéta-t-il avec non moins d’assurance.

Ah ! traître ! je t’avais cru et Hippocrate t’avait dit que j’étais fichu ! que c’était une affaire de quelques jours et qu’on ne tentait l’opération qu’en dernier ressort !

— Mais enfin, avait-il ajouté, moins catégorique cette fois, on ne sait jamais !

Non, on ne sait jamais !

L’oracle était optimiste. Il avait fait un bon dîner !