Essais philosophiques sur l’entendement humain/Préface


PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


Les Philosophes, & sur-tout ceux qui aiment mieux à paraître tels qu’à l’être en effet, se sont trouvés dans deux conjonctures bien embarrassantes pour eux, & qui, bien que diamétralement opposées l’une à l’autre, ne laissent pas d’avoir une très-grande conformité, & de produire à-peu-près les mêmes effets. La premiere de ces conjonctures, c’est l’origine même de la Philosophie, ce sont ces tems antérieurs à toutes les Sciences, à toutes les observations, à toutes les découvertes, où l’homme, placé au milieu de cet Univers, environné des merveilles innombrables qu’offre le spectacle de la nature, étoit dans l’ignorance des causes qu’on regarde aujourd’hui comme les plus simples & les plus manifestes, & ne pouvoir espérer de s’instruire qu’à la longue, & par des siecles entiers consacrés à l’examen des objets qu’il vouloit connoître. Mais les premiers Philosophes ne prirent point un parti aussi sage ; ils voulurent expliquer, décider, rendre raison des phénomènes ; ils oserent même percer le voile de la nature, pour parvenir jusqu’aux premiers éiémens, ou pour remonter jusqu’à la formation primitive de ce grand Tout dont nous faisons partie. Ces efforts prématurés ne produisent que des chimères. Toute l’histoire de la Philosophie ancienne n’est guère qu’un tissu d’erreurs, un amas d’absurdités. Quelques lueurs se faisoient jour de tems en tems à travers ces ténèbres, mais elles ne suffisoient pas pour les dissiper, & pour montrer à l’Homme une route sûre qui le conduisît à la vérité. On seroit étonné de l’audace de Dogmatisme, si l’on ne connoissoit jusqu’où peut aller l’orgueil humain, lorsque l’ignorance & la crédulité lui laissent le champ libre. Les tems auxquels nous sommes parvenus, offrent la seconde conjoncture dont je veux parler. Ces siecles favorables aux observations, aux expériences, à l’intuition, si je puis m’exprimer ainsi, de la nature même, sont arrivés. Les Philosophes ont vu de nouvelles régions s’offrir à leurs regards ; ils ont mesuré l’étendue des deux, sondé les abîmes de la terre & de la mer ; ils ont apperçu des objets que leur extrême petitesse sembloit devoir leur dérober pour jamais, & bien qu’ils soient encore fort éloignés de pouvoir former un systême complet, où tous les phénomènes soient liés entr’eux, & ramenés à leurs premières causes, cependant, ils en savent assez pour se féliciter & de l’étendue & de la certitude de leurs connoissances, pour s’occuper à les perfectionner de plus en plus par des voies qui demeurent constamment ouvertes, en un mot, pour poser des limites assez exactes, non seulement entre ce que nous connoissons & ce que nous ignorons, mais même entre ce qui est encore accessible aux efforts de l’esprit humain, & ce qui surpasse sa portée. En voilà, sans contredit plus qu’il n’en faut pour contenter des hommes sages, des esprits judicieux ; ils peuvent & doivent s’estimer infiniment redevables à la bonne providence de ce qu’elle les a placés dans cette époque, si lumineuse au prix de celle que nous lui avons comparée.

Cependant, il demeure vrai que, par rapport aux effets, ces deux époques se ressemblent beaucoup : & voici comment. Les anciens Philosophes, ne sachant encore que dire, & ne voulant pas confesser leur ignorance, débitoient toutes les extravagances qui naissoient dans leur cerveau ; & leurs systêmes, qu’ils bâtissoient aussi aisément que les enfans font des châteaux de cartes, avoient la même consistance & la même durée. Les Philosophes modernes, au contraire, ne savent plus que dire ; ils arrivent trop tard : depuis Descartes jusqu’à eux, on a enlevé tout ce qu’ils auroient pu espérer de s’approprier ; on a combiné de toutes les façons tout ce qui s’offre à l’esprit de raisonnable, ou même de spécieux, sur Dieu, sur le monde, sur l’ame, sur le corps, &c.; il ne leur resteroit qu’à répéter les mêmes choses, ce qui répugne à leur orgueil, ou à prendre la route pénible de l’observation, donc leur paresse ne s’accommode pas. Dans cette situation désespérante pour eux, ils conservent une double ressource. La premiere, c’est de dogmatiser de nouveau, de faire des hypothèses arbitraires, à la faveur d’un style éblouissant, ou d’un ton imposant, de chercher à se faire des partisans, ou de moins, ce qui est le principal objet de la plupart, à s’acquérir de la réputation. Mais le degré de lumière qui regne dans la République des Lettres ne permet pas d’aller fort loin dans cette route : Descartes lui-même, qui rendoit cette lumière au genre humain, & qui rompoit la glace, échoua dans l’entreprise de construire le monde, & de former l’Homme à son gré. Qu’on juge si nos Architectes modernes trouveront un terrain plus assuré sur lequel ils puissent bâtir; s’ils rencontreront les esprits mieux disposés à prêter à leurs édifices la réalité dont ils sont si visiblement destitués. Il n’y a donc plus qu’une ressource; & l’on s’y jette à corps perdu: c’est de prendre occasion des écarts & des excès de Dogmatisme, tant ancien que moderne, pour ramener les écarts & les excès de Pyrrhonisme; c’est de conclure, de l’ignorance ou nous sommes demeurés à certains égards, à l’ignorance universelle, des erreurs qu’admettent & que proposent même tous les jours avec confiance des gens qui se donnent pour les premiers Philosophes de siecle, à l’impuissance absolue où nous nous trouvons de produire autre chose que des erreurs, ou de moins d’assigner les caracteres qui distinguent l’erreur de la vérité. Voilà la carriere dans laquelle sont entrés plusieurs Écrivains distingués de nos cours ; voilà la gloire à laquelle ils aspirent. Ils entassent objections sur objections contre les vérités les plus généralement reconnues ; ils sement par tout le doute & l’incertitude, & mourroient contens si, comme d’autres Samson, ils pouvoient s’ensevelir, eux & leurs concitoyens, sous les ruines de cet Univers, Ordre, beauté, régularité, enchaînement, proportions, fins, plan, sagesse ; sont autant d’idées pour lesquelles ils ont une aversion décidée, & dont ils voudroient effacer jusqu’à la moindre trace. Les Dieux d’Epicure leur suffisent : ils ne veulent point d’un Etre qui tienne les rênes de Gouvernement de Monde, parce que son Empire les gêneroit ; ils cherchent à détruire la Providence & la Religion, le respect & le culte, l’amour & la confiance, tous ces sentimens qui font le bonheur & la gloire de la Créature raisonnable. Que penser de semblables attentats ! Est-ce donc-là le fruit des sciences ? Est-ce à cette précieuse découverte qu’elles devoient nous conduire ? Nos yeux n’ont-ils paru s’ouvrir que pour se fermer sans retour ? Ah ! plutôt fussions-nous pour jamais demeurés dans le gouffre de néant ! Grâces à Dieu, les choses n’en sont pas à ce terme. La vérité a des défenseurs & des vengeurs. À force de donner dans des extrémités insensées & odieuses, les ennemis de la bonne cause ont gâté la leur ; ils se sont fait connoître sous un point de vue qui est la meilleure réfutation de leur doctrine, le plus excellent préservatif contre leur séduction. Ils ne peuvent plus ni réveiller l’attention, ni piquer la curiosité. Ils ont à leur tour tout dit ; le mot de Cicéron, sur les Philosophes qui l’avoient précédé, se retrouve vrai des prétendus Philosophes de nos jours ; c’est qu’il n’y a aucune absurdité qui ne leur soit venue dans l’esprit, & dont ils n’aient enrichi leurs productions. Ainsi, l’on peut dire qu’il n’y a plus de livre dangereux. Celui qui pourroit passer pour l’être le plus, le fera certainement le moins, parce qu’étant sans doute celui où l’on outre à l’excès les paradoxes, il devient d’autant plus facile de découvrir la témérité des assertions & la turpitude des principes qui y régnent. On pourroit, je crois, en augurer que le retour de bon sens & de la décence n’est pas éloigné ; car, les hommes ont un fonds naturel de raison qui peut être altéré par quelques illusions, mais qui se révolte quand on le heurte trop de front. De-là sont venues, dans tous les tems, les restaurations & les réformations qui ont renouvellé la face des sciences & des mœurs. Nos esprits-forts triomphent d’avoir rompu toute barrière, de s’être acquis la douce prérogative de la licence, le merveilleux droit de l’impunité ; mais ce triomphe est l’avant coureur le plus assuré de leur ruine.

Ces considérations ont surmonté la répugnance qu’on avoit d’abord eue à faire paroître en françois les Essais Philosophiques de M. Hume. Le fonds général de Pyrrhonisme qui y regne, & le peu de ménagement avec lequel les vérités fondamentales de la Religion, tant naturelle que révélée, y sont attaquées, sembloient engager à dérober plutôt qu’à répandre la connoissance de cet ouvrage, Mais on s’est apperçu depuis long tems que les livres de ce genre n’ont fait tant de fortune, & n’ont même causé tant de dommage, que par cet air de réserve & ces précautions dont on use pour empêcher qu’ils ne tombent entre les mains de tout le monde. La curiosité, cette passion si naturelle & si forte, est piquée, irritée on lit avec empressement, avec attention, un livre qu’on a eu de la peine à se procurer : imbu de l’idée qu’il est dangereux, c’est-à-dire, que les raisonnemens en sont forts & concluans, on se prête à cette supposition ; on admire, on adopte, on retient des choses qui, mises au grand jour, & examinées sans prévention, ne pourraient que faire pitié. D’ailleurs, le livre de M. Hume existe déjà dans sa langue originale, langue vulgaire, & qu’une infinité de personnes entendent ; de sorte que cette traduction n’ajoute pas beaucoup à la facilité qu’on avoit à s’instruire de ses opinions, que plusieurs Journaux ont aussi fait connoître par des extraits fort étendus.

M. Hume est un Philosophe vivant que, nous ne nous attacherons point à caractériser ici, tout Lecteur intelligent pouvant aisément le faire lui-même d’après la lecture de ses ouvrages. Il a écrit en divers genres, & s’est acquis de la célébrité dans tous. Ses essais sur des matières politiques ont eu un grand succès; & la belle traduction qu’en a donné M. l’Abbé le Blanc, y a beaucoup contribué. Il publie actuellement une Histoire d’Angleterre, où paroit régner une prévention & une partialité que les loix de ce genre d’écrire interdisent. Quant à ses Essais Philosophiques, ils ont fait, comme ils le dévoient, beaucoup de bruit en Angleterre, quoique cette Isle soit un terroir fécond en semblables fruits. Il n’y a qu’à parcourir tous les volumes de l’excellent Journal de M. Maty, pour se mettre au fait de la plupart des réponses & des réfutations qu’on y a oppofées. Les Melanges Littéraires, imprimés à Berlin en 1756, donnèrent des extraits étendus, & fort bien faits, de ces Essais. Il en a paru depuis une traduction allemande, à laquelle M. lei Professeur Sulzer a joint des remarques à la fin de chaque Essai, où il discute les principes de M. Hume, & en porte son jugement avec beaucoup de solidité. L’Auteur de la Bibliothèque Germanique a donné cinq longs extraits de cette édition allemande, où il a fait entrer ce qu’il y avoit d’essentiel dans les Extraits des Mélanges Littéraires, & dans les Remarques de M. Sulzer. Ceux qui voudront recourir à ces sources y trouveront d’avance de quoi se prémunir contre les sophismes de Philosophe Anglois.

Ainsi, l’on s’est cru dispensé d’accompagner cette traduction d’un antidote aussi complet qu’il auroit été aisé de le fournir. L’Editeur[1]s’est contenté seulement de mettre, sous divers endroits des derniers Essais qui sont les plus scabreux, quelques notés abrégées où l’on trouvera plutôt des ouvertures & des principes de réponses, que des réponses proprement dites. Cependant, pour n’avoir rien à se reprocher, dans une affaire où il s’agit du bien public, le Traducteur a pris la peine d’extraire du docte ouvrage de M. Leland sur les Déïstes Anglois, ce qui concerne les Essais de M. Hume ; & l’on va se servir de ces remarques pour achever cette Préface.

Les premières réflexions de M. Leland concernent la doctrine de la causalité, telle que M. Hume l’enseigne. Ce Philosophe, après avoir exalté l’expérience, après l’avoir nommée notre seul guide, & l’unique fondement de toutes nos connoissances, sur-tout de celles qui regardent les choses de fait, lui enleve d’une main ce qu’il lui avoit accordé de l’autre, & la dépouille de toutes ces prérogatives. Non-seulement il nie qu’on puisse tirer de l’expérience une induction qui ne soit fondée sur le rapport de la causalité ; mais il fait tous ses efforts pour détruire ce rapport. Ce qui revient à dire, de son propre aveu, que l’expérience ne nous sert de rien, & que nous ne sommes bien assurés d’aucun fait. Par malheur pour M. Hume, tout ce qu’il dit contre la causalité, repose sur un principe dont la fausseté est palpable. C’est qu’on ne peut jamais savoir qu’une chose existe, si l’on ne sait en même-tems, & si l’on ne peut distinctement expliquer sa maniere d’exister, ou comment elle existe. Cependant, il avoue lui-même (Essai VII.), que nous ne connoissons point la nature de l’ame, & que nous ne savons ce que c’est qu’une idée. Voudroit-il en conclure que nous n’avons point d’ame, ou que nous sommes destitués d’idées ?

Ce n’est pas-là le seul écart de M. Hume dans cette doctrine ; plusieurs autres de ses assertions répugnent au sens commun. Selon lui, par exemple, l’expérience ne nous fournit pas même des argumens dont la probabilité suffise pour nous persuader que les mêmes causes produisent les mêmes effets, ou, pour s’exprimer dans ses termes, que les événemens que nous avons toujours vû réunis, le seront encore dans la suite ; maniere de raisonner qu’il attribue toute entiere à l’habitude & à l’instinct. Mais, on peut lui demander d’abord, si celui qui, ayant observé le cours ordinaire de la nature, fait que, depuis que l’Univers subsiste, le feu a brûlé les matières combustibles, n’est pas en droit, suivant toutes les loix de la probabilité, établies par M. Hume lui-même, de conclure qu’il brûlera encore aujourd’hui celles qui seront exposées à son action ? Ou bien seroit-il plus probable de penser que depuis hier le cours de la nature ait changé ?

En second lieu, M. Hume ne suppose-t-il pas lui-même qu’on peut raisonner d’après la probabilité, lorsqu’il nous propoe ses raisonnemens contre la liberté, contre les miracles, & sur l’intelligence des animaux ? L’habitude, loin d’exclure le raisonnement, n’est autre chose elle-même qu’un principe sur lequel on peut fonder plusieurs conséquences très-justes, & qui, si elles n’ont pas une entière certitude, sont au moins d’une très-grande probabilité. Ajoutons, ajoutons, troisiémement, que M. Hume affectie en vain ne voir aucune différence entre la conjondion ou la contiguité, & la liaison. Où est l’homme de bon-sens qui pourrait croire que les choses, dont on dit qu’elles sont produites les unes par les autres, ne tiennent pas plus ensemble, que les différens grains qui composent un monceau de sable ?

Enfin, quand il dit que la liaison n’est que dans notre esprit, n’est-ce pas toujours une liaison ? Et les idées des choses ne sont d’ailleurs liées entr’elles que parce que les, choses elles-mêmes le sont.

On peut encore reprocher à M. Hume plusieurs contradictions. Dans le tems, par exemple, qu’il affirme que la liaison des choses n’est que dans, notre esprit, il ne laisse pas d’avancer ( Essai V. 2 Part.) qu’il y a une harmonie préétablie entre le cours de la nature & la suite de nos idées ; que le hasard est un mot vuide de sens, & que nos pensées ne suivent jamais d’autre ordre & d’autre chemin que ceux qui leur sont tracés par les objets extérieurs, &c. Tout son Essai sur la liberté suppose une liaison nécessaire. Dans la seconde partie de cet Essai, il se fait à lui-même cette objection ; c’est que, si les actes de la volonté sont assujettis aux mêmes loix que les opérations méchaniques de la matière, il y a une chaîne de causes nécessaires, &c.

Suivant ses principes, il devoit répondre qu’il n’y a point de cause, point de nécessité, point de force, &c., & rejeter en conséquence l’objection comme frivole. Mais, au lieu de cela, il n’imagine d’autre solution que de recourir au mystere. Mylord Bolingbrocke a dit fort judicieusement, (tome III de ses Œuvres, p. 541) « que les Philosophes se rendoient ridicules, lorsqu’ils rejetoient la réalité d’une cause découverte par les phénomenes, sous le simple prétexte qu’ils ne pouvoient se faire une idée de la causalité, ni concevoir une raison suffisante & qui leur explique pourquoi & comment cette causalité existe. » Passons aux idées de M. Hume sur la Religion Naturelle, telles qu’il les expose dans son Essai XI. Cet Essai paroît avoir un double but : premièrement, de fapper les preuves de l’existence de Dieu ; & ensuite de détruire la croyance d’un état de récompense & de peines après cette vie.

Au premier égard, ce Philosophe prétend que nous ne pouvons concevoir dans la divinité que les attributs, & le degré précis de ces attributs, que nous découvrons dans ses ouvrages ; que nous ne devons point supposer d’autres ouvrages de Dieu que ceux qui nous sont connus ; & que nous ne pouvons tirer de ceux-ci aucune conclusion sur ce que l’Être supreme a fait par le passé, ou sur ce qu’il doit faire dans l’avenir. Il prétend prouver ces assertions, en disant que, pour conclure de l’effet à la cause, il faut que la cause soit exactement proportionnée à l’effet conformément à cet axiome philosophique : l’effet est toujours la mesure de la force. Cela donne lieu à diverses obsérvations de M. Leland. Il remarque d’abord que cet axiome ne peut regarder que les causes méchaniques & nécessaires ; & qu’appliqué aux causes intelligentes & libres, bien-loin de demeurer axiome, il devient la plus fausse de toutes les propositions.

De plus, M. Hume avoue, par la bouche de l’Epicurien qu’il introduit, que cette maniere de conclure a lieu par rapport aux hommes, parce que, connoissant plusieurs de leurs ouvrages, nous sommes par-là en état & en droit de juger de quoi ils sont capables. Mais, ne sommes-nous pas dans le même cas à l’égard de Dieu ? Cette partie de la nature, dont le spectacle frappe nos yeux, ne nous fournit-elle pas le même genre de connoissances ?

N’y appercevons-nous pas assez d’indices de sagesse, de puissance & de bonté, pour conclure qu’un Être, qui fait actuellement tant de choses belles & bonnes, en a fait autrefois, en fait ailleurs, & en fera dans la suite, qui ont eu, ont, & auront les mêmes caracteres. Si nous remarions ou croyons remarquer des défauts dans ceux de ses ouvrages qui sont à notre portée, n’est-il pas raisonnable de penser que ce ne sont que des défauts apparens, & que nous jugeons mal, parce que nous ne jugeons du tout d’après une partie, & une très-petite partie ? Seroit-il donc plus probable que nous soyions plus sage que l’Être qui a donné tant de preuves d’une sagesse, que nous sommes obligés de reconnoître infiniment supérieure à la nôtre ?

Nous sentons tous l’excellence de la vertu & la difformité du vice. Dès ici-bas, comme M. Hume en convient lui-même, la premiere a de grands avantages sur l’autre ; & généralement parlant, les gens de bien sont plus heureux que les méchans. Mais, il arrive aussi des cas où le vice triomphe, & la vertu gémit sous l’oppression. Faut-il en conclure qu’un Être, qui a mis dans nos âmes les notions de la justice & de la rectitude, & qui a donné tant de marques éclatantes de son amour pour l’ordre, cesse tout-à-coup d’en être le protecteur, change en quelque forte de sentiment & de caractere ? N’est-il pas plus naturel de croire, qu’il viendra un tems où toutes ces choses seront redressées, & où ce qui nous paroît actuellement un désordre, se trouvera lié au plan le plus parfait ?

M. Hume reproche aux hommes qu’ils attribuent à Dieu leurs façons d’agir, & qu’ils se le représentent comme devant toujours tenir la même conduite qu’ils tiendraient à sa place : & il condamne tous ces raisonnemens, en se fondant sur ce qu’il n’y a aucune ressemblance entre Dieu & nous. Mais quoi ! ne sommes-nous donc pas l’ouvrage de Dieu aussi-bien que le reste de l’Univers ? Et si nous devons conclure de l’effet à la cause, n’en résulte-t-il pas nécessairement que les perfections que nous trouvons en nous, doivent être attribuées, mais dans un plus haut degré, à celui de qui nous les tenons ? Il y auroit sans doute de l’absurdité à le mettre de niveau avec nous, à l’assujettir aux imperfections & aux foiblesses qui sont une suite des bornes de notre nature ; mais il n’y auroit pas moins d’absurdité à lui refuser des perfections, & des degrés même de perfection, qui se trouvent en nous.

Si toutes les considérations précédentes prouvent un état de rétribution, ou, du moins le rendent extrêmement probable, cela forme une puissante présomption en faveur d’une doctrine révélée, où Dieu nous assureroit lui-même qu’il rendra à chacun selon ses œuvres, & où il détermineroit la nature des biens & des maux qui nous attendent. Une pareille révélation seroit bien digne de cet Être, tel qu’il se manifeste dans la nature : elle serviroit infiniment à nous tranquilliser sur un sujet de la derniere importance.

Concluons ; M. Hume dit à l’Épicurien son ami, que la Religion, fournissant plusieurs motifs à la vertu, & opposant de nouvelles barrières au vice, ceux qui veulent en désabuser les hommes, quand ils seroient fondés sur les meilleures raisons du monde, sont de mauvais citoyens. Voilà sa propre condamnation ; il en a dressé l’arrêt, de nous n’en appelons point.

Il nous reste à considérer, avec M. Leland, l’Essai sur les miracles. L’Auteur de cet Essai y a déployé toutes ses ressources contre la Religion ; il y a répandu tout son venin contre des objets infiniment respectables. Nous serons donc obligés de proportionner l’étendue de nos remarques à l’importance du danger qu’elles sont destiqées à prévenir.

Dans la première partie de l’Essai sur les miracles, M. Hume se propose, de prouver, qu’il n’y a point de témoignage assez valable, point d’évidence assez forte pour rendre un miracle digne de foi. Toute sa preuve dépend de ce principe que l’expérience seule est propre à attester la vérité des événements & des faits. Or, continue-t-il les miracles sont contraires aux loix de la nature, que nous ne connoissons que par l’expérience. Donc, (c’est sa conclusion) il y a toujours une expérience uniforme opposée à chaque fait miraculeux. Donc, il n’y a aucun miracle qui puisse être prouvé.

Il y a bien des choses à remarquer ici. La première, c’est que M. Hume ne fait que jouer sur le mot d’expérience ; ce qui rend son principe tout-à-fait vague.

Quand il dit, par exemple, que c’est à l’expérience à nous faire croire les événemens passés, entend-il par là notre propre expérience ? Cela seroit trop ridicule.

Mais, s’il a en vue l’expérience d’autrui, en tant que le témoignage la fait connoître, s’agit-il de l’expéxience de tous les hommes, ou seulement de celle de quelques-uns d’entr’eux ? Si la premiere étoit requise, nous ne pourrions jamais être surs d’aucun fait, & toute l’Histoire seroit incertaine. Sur-tout que deviendroit l’Histoire Naturelle, où il faut souvent s’en rapporter au témoignage d’une seule personne ? D’ailleurs, il falloit le témoignage complet de genre humain, cela s’étendrait également à tous les tems & à tous les lieux ; ce qui rendrait ce critérium de la derniere absurdité. Au contraire, si M. Hume veut se borner à l’expérience de quelques-uns d’entre les hommes, & au témoignage qu’ils rendent, il sera aisé de le satisfaire sur le chapitre des miracles de la Religion Chrétienne. Mais, comme cela ne lui suffit pas, il en résulte que son principe est non-seulement vague, comme nous l’avons déjà dit, mais qu’il est absolument faux.

Après cela, quelle que soit cette expérience, à quelle décision doit elle conduire ? Décide-t-elle de la possibilité, ou de la probabilité, ou de la vérité d’un événement. Il n’y a point d’expérience qui puisse prouver qu’un fait soit impossible puisque, de l’aveu même de M. Hume, il n’y a aucun fait dont le contraire implique contradiction. Tout ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver ; comme réciproquement, tout ce qui n’est pas arrivé aurait pu arriver. Le cours de la nature pourroit changer à tout moment. Jamais donc l’expérience ne prouvera que les miracles soient impossibles.

On convient qu’une suite d’événemens semblables, connues par l’expérience, peut être un principe de probabilité pour le passé, ou pour l’avenir, & avoir quelque poids dans les cas douteux. Mais, ni l’expérience de faits semblables, ni celle de faits contraires, ne prouveront cependant jamais qu’un fait soit arrivé, ou qu’il ne soit pas arrivé. M. Hume pose donc une regle tout-à-fait erronée, lorsqu’il prétend qu’on doit balancer les expériences qui se trouvent des deux côtés, déduire les unes des autres, & fonder sa créance sur ce qui relie après cette soustraction. Il peut y avoir tel fait qui n’a jamais eu de semblable, & qui est revêtu néanmoins de tels caracteres de vérité qu’aucun homme raisonnable ne sauroit refuser de le croire.

C’est donc de la validité des témoignages que dépend la crédibilité des événemens ; & c’est cette même validité d’où procede l’évidence morale, que M. Hume reconnoît (Essai VIII), pouvoir devenir équivalente à l’évidence physique. En effet un témoignage peut être accompagné de telles cirçonstances, que, quoiqu’il fût unique, il ne laissât pourtant aucun doute sur l’événement qu’il atteste, quand même on supposeroit cet événement d’un genre extraordinaire & merveilleux, Tel seroit un phénomène nouveau & singulier, apperçu & annoncé par un seul observateur.

Un habile Théologien Anglois, nommé M. Adams, qui a réfuté l’Essai sur les miracles, remarque fort bien que ce que M. Hume nomme une expérience uniforme, peut souvent être détruit par un seul témoignage, parce que l’expérience ne donne qu’une preuve négative, tandis que le témoignage en fournit une positive, qui, dans ce cas, doit toujours faire pancher la balance.

Les miracles les mieux attestés sont, suivant M. Hume, toujours combattus par l’expérience uniforme de tous les hommes ; de sorte qu’il y a toujours tout au plus preuve contre preuve. Mais nous venons de voir que son expérience uniforme ne fait qu’une preuve négative. De ce que la plus grande partie des hommes n’ont pas vu un fait qu’ils n’étoient pas à portée de voir, ou de ce qu’ils n’ont rien vu de semblable, il ne s’enfuit absolument rien, ni pour, ni contre la vérité de ce fait. Tout gît dans la force de témoignage qui le confirme.

M. Hume définit une preuve(Essai VI), un argument déduit de l’expérience, qui exclut tout doute & toute opposition. Il n’est donc jamais possible, selon sa propre définition, qu’il y ait preuve contre preuve. L’ame se trouverait assurément dans une situation bien étrange, si elle ne pouvoit douter, ni de la vérité, ni de la fausseté du même événement.

Mais, insiste notre Philosophe, tout miracle est une infraction des loix de la nature qui nous sont connues par une expérience constante & uniforme. Fort bien : mais ceux qui croient les miracles, admettent aussi un Être capable de changer le cours de la nature : ils supposent de plus qu’il ne le change que par des raisons dignes de sa sagesse ; enfin, ils ne reçoivent ces miracles qu’autant qu’ils leur paroissent duement & suffisamment attestés. Toutes ces circonstances se réunifient dans le miracle de la Résurrection de J. C., comme M. Leland le prouve après d’habiles Auteurs, qui ont poussé cette matière jusqu’à la démonstration.

La seconde partie de l’Essai sur les miracles va plus loin que la première. L’Auteur s’efforce d’y établir que, supposé que les miracles pussent être suffisamment prouvés, il n’y a pourtant dans l’Histoire aucun exemple d’un miracle fondé sur des preuves qui puissent être censées suffisantes Et d’abord, jamais, à ce qu’il prétend, il n’a existé de miracle attesté par des témoins qui aient eu toutes les qualités requises pour donner du poids à leur témoignage. M. Leland soutient au contraire, que les témoins des miracles opérés en faveur du Christianisme, ont eu toutes les qualités que M. Hume est en droit d’exiger. En voici l’énumération.

1. Ils ont été en nombre suffisant. Tous les Apôtres furent témoins des miracles du Sauveur, de même que les septante Disciples, & les cent vingt dont il est fait mention, Act. I, 15, 21, 22. L’histoire de ces faits fut publiée peu après qu’ils s’étoient passés ; les Apôtres en appellent à des milliers de personnes, dans la Judée, dans la Galilée, & à Jérusalem ; & ils font eux-mêmes des miracles pour confirmer ceux de leur Maître.

2. Le bon sens, l’éducation, & le savoir, sont mis par M. Hume au nombre des qualités dont les témoins croyables doivent être pourvus. Mais les deux dernières sont de trop : aucune Cour de Judicature ne les exige. Si les premiers Hérauts de l’Evangile avoient reçu une éducation distinguée, & qu’ils eussent été initiés dans les Sciences, on auroit pu les soupçonner d’avoir tramé un complot. Au-lieu qu’étant des gens simples, mais remplis de probité, ils ont eu assez de bon sens pour ne pouvoir être trompés sur des faits qui se passoient sous leurs yeux ; & en même tems ils n’ont pas eu la finnesse qui auroit été nécessaire pour tromper les autres.

3. On ne contestera point à M. Hume, que des témoins recevables doivent-être à l’abri de tout soupçon d’imposture. Mais personne ne sauroit refuser cette qualité aux témoins qui déposent en faveur de la Religion Chrétienne. L’Auteur des Essais dit lui-même, dans le VIII, que pour prouver que quelqu’un n’a point fait telle ou telle action, il n’y a qu’à faire voir qu’elle est contraire au cours de la nature, ou (ce qui est la même chose dans les idées de ce Philosophe), qu’aucun motif humain n’a pu l’y porter. Or, quel est le motif humain qui auroit pu induire des hommes simples, sans éducation, sans prétentions, prétentions, à ourdir une fraude aussi subtile, une fraude qui n’alloit qu’à les exposer aux persécutions, aux supplices, à la mort ? Ce seroit certainement une imposture bien singuliere & d’une espece toute nouvelle.

4. M. Hume veut encore dans un témoin, de la réputation & de crédit; en sorte qu’il y ait beaucoup à perdre pour lui, si l’on vient à le convaincre de mensonge. S’il pousse cette supposition jufqu’à n’accorder les conditions requises dans les témoins, qu’aux grands, aux riches aux sages du siecle, il donne assurément dans une véritable absurdité ; car, tout au contraire, dans le cas dont il s'agit, la deposition de pareils témoins eût été suspecte, à cause des vues mondaines ou politiques, qu’on auroit pu leur attribuer. On n’auroit pas manqué de dire que leur nom & leur crédit en avoient imposé à la crédule populace. Ce n’est pourtant pas que des témoins tels que les Apôtres n’aient rien eu à perdre. La réputation vaut autant pour d’honnêtes gens que tous les biens & tous les titres ; sa perte est même infiniment plus grande pour eux, lorsqu’ils sont dans un état pauvre & abject, parce que c’est alors l’unique bien qu’il leur relie à conserver.

5. Enfin, M. Hume veut que des miracles authentiques se fassent publiquement. Mais, c’est ce qui a eu lieu à l’égard des miracles de J. C. & de ses Apôtres. Saint Paul en appelle hardiment au Roi Agrippa, & au Gouverneur Festus; il ne craint point de dire, devant une assemblée auguste & nombreuse, qu’aucune de ces choses ne leur étoit cachée, & qu’elles n’avoient point été opérées dans un coin. Act. XXVI, 26. Y a-t-il rien de comparable à l’éclat & à la pompe qui accompagnèrent le miracle de l’envoi de S. Esprit ? Les Villes les plus fameuses de l’Asie, de la Grece, & de l’Italie, n’ont-elles pas entendu la prédication des Apôtres, & vu les œuvres Surnaturelles que ces saints hommes y joignoient ? Il sied fort mal à M. Hume d’insinuer, qu’au commencement des nouvelles Sectes, les grands & les gens d’esprit n’y font pas attention ; & qu’en-suite, lorsque l’imposture a fait des progrès, il n’y a plus moyen de la confondre, faute de documens. Ce n’est pas-là certainement le cas de la Religion Chrétienne : ce fut sur-tout dans ses commencemens qu’elle essuya le plus de contradictions. Les grands, les prêtres, les prétendus sages de la terre, se liguèrent tous contr’elle ; le fer & le feu furent employés pour la détruire : tout concourut à sa perte. Il n’y a qu’une puissance plus qu’humaine qui ait été capable de triompher de tant d’obstacles.

Telle est la première batterie de M. Hume contre les miracles ; en voici d’autres qui ne lui paroissent pas moins redoutables.

De ce que l’esprit humain est enclin à croire tout ce qui est merveilleux, & tient du prodige, quelque absurde que soit d’ailleurs ce qu’on offre à sa crédulité, notre Auteur conclut qu’il n’y a jamais eu de vrais miracles. Mais, cette conclusion même est plus absurde que toutes les absurdités que les hommes ont jamais cru. C’est comme si l’on disoit, que parce qu’il existe quantité de fables & de romans, il n’y a jamais eu d’histoire. La seule conclusion légitime qu’on puisse tirer ; c’est qu’il ne faut rien admettre sans examen, rien croire à la légère. Or, la Religion Chrétienne ne peut que gagner à être examinée.

Les miracles, continue leur adversaire, n’ont jamais eu cours que parmi des nations ignorantes & barbares ; & si l’on fait profession d’en croire chez des nations civilisées, c’est parce qu’elles les ont reçus de leurs ancêtres, plongés dans l’ignorance & la barbarie. Mais quoi ! le Christianisme est-il donc ne dans un siecle grossier, & au milieu des peuples stupides & sauvages ? N’a-t-il pas au contraire été tout d’abord enseigné aux Grecs & aux Romains, qui étoient les nations les plus éclairées, & les mieux policées de l’Univers ?

Nouvelle instance. Toutes les Religions ont leurs miracles. Par conséquent, chaque miracle, & chaque témoignage rendu en faveur de ce miracle, est combattu par une infinité d’autres miracles, & par une infinité d’autres témoignages. Vaine subtilité ! pour la confondre, il n’y a qu’à distinguer d’abord entre prodige, ou plutôt prestige, & miracle. À proprement parler, il n’y a que la Religion Judaïque & la Religion Chrétienne qui soient fondées sur des miracles ; & ces deux Religions ne se contredisent point. Ajoutons que mille faussetés contre une vérité ne rendent point celle-ci moins vraie. Enfin, la derniere ressource de M. Hume. est un parallèle entre les miracles de l’Évangile, & quelques exemples de faits prétendus miraculeux, tirés de l’histoire profane, qu’il soutient être aussi-bien, & peut-être mieux, attestés que ceux sur lesquels repose la Foi Chrétienne.

Le premier qu’il met en avant, est le miracle attribué à Vespasien. Mais il est aisé de sentir tout ce qu’il renferme de suspect. Cet Empereur, nouvellement élu par l’armée, avoit besoin, de donner de poids à son autorité, en faisant croire que le ciel l’approuvoit d’une façon toute particulière, Quand les Rois & les Empereurs s’avisent de faire des miracles, personne ne pense à faire des recherches trop exactes ; les uns croient par respect, les autres se taisent par prudence. Ceux qui, depuis la mort de Vespasien, continuoient à certifier le miracle d’Alexandrie, n’étoient peut-être pas du secret ; ou, s’ils en étoient, ce fut précisément ce qui les empêcha de publier une fraude où ils avoient trempé. Personne, d’ailleurs, ne les forçoit à parler ; ils n’étoient point fournis à des interrogatoires formels, & à des poursuites juridiques. Quant au miracle de Sarragosse, M. Hume devroit assurément rougir d’avoir osé le mettre sur le tapis. Quel est le lieu de la scene ? C’est un pays où la superstition la plus crasse aveugle les hommes ; où il est dangereux de contredire les plus grandes absurdités, de paroître même en douter ; où, pour tout dire en un mot, le redoutable Tribunal de l’Inquisition exerce ses fureurs contre la moindre ombre d’incrédulité. Le Cardinal, qui rapporte ce miracle, témoigne qu’il ne le croyoit pas ; & sans doute il en avoir de bonnes raisons.

Il paroît que M. Hume s’étend avec complaisance sur le troisieme exemple qu’il oppose aux miracles de l’Évangile ; ce sont ceux de l’Abbé Paris ; mais, le récit qu’il en fait contient plusieurs faussetés, & diverses circonstances s’y trouvent altérées, ou déguisées d’une maniere artificieuse. Donnons-en les preuves.

1. Il dit que jamais les Jésuites n’ont pu nier la vérité de ces faits. Or, il est constant qu’ils se sont inscrits en faux contre la plupart, & en ont manifesté la supercherie.

2. Il insiste sur les attestations des Curés de Paris ; mais il n’ajoute pas qu’on a prouvé depuis, que les mêmes faits qu’ils attestoient, avoient été forgés.

3. Il dit que le parti Moliniste n’a tenté de décréditer qu’un seul de ces miracles, savoir celui qui avoit été opéré sur la personne de la Dlle. le Franc, & qu’encore toute la procédure avoit été irrégulière. Cela est faux. On a fait à la vérité des recherches particulières au sujet de ce miracle, parce que c’étoit le premier ; mais sa fausseté a été évidemment prouvée par la déposition de quarante témoins, qui l’ont confirmée de leur serment.

4. Il parle de livre de M. de Montgeron; mais il passe sous silence la solide réfutation qui s’en trouve dans l’ouvrage de M. Des Vœux. Il ne dit pas non plus que M. de Montgeron lui-même n’a essayé de justifier que cinq des vingt-deux miracles que l’Archevêque de Sens avoit compris dans sa censure. Pour mettre dans tout son jour l’extrême différence qui se trouve entre les vrais miracles de l’Évangile, & les miracles supposés des Jansénistes, M. Leland emploie les cinq observations suivantes.

1. Les miracles de la fameuse Tombe ont été opérés en faveur d’un parti puissant dans l’Église Romaine, & ils ont pris naissance sous l’Archiépiscopat du Cardinal de Noailles, qui favorisoit ce parti. Jésus-Christ, au contraire, avoit contre lui toutes les Sectes de Judaïsme ; sa doctrine choquoit également les Pharisiens & les Sadducéens, elle heurtoit de front les préjugés de toute la nation, qui attendoit un Messie triomphant & un Royaume temporel. Ainsi, aucun des soupçons qui tombent à cet égard sur les miracles du Jansénisme, ne sauroient convenir à ceux de l’Évangile.

2. Le Sauveur ne bornoit pas ses miracles, comme l’Abbé Paris, à la guérison des maladies. Il commandoit à la nature & aux élémens. Il lisoit dans le cœur de l’homme, & prédisoit les futurs les plus contingens. Il ressuscitoit les morts. Il communiqua le don des miracles à ses Disciples. D’ailleurs, les guérisons miraculeuses qu’il opéroit, étoient en elles-mêmes d’une toute autre nature. Instantanées elles se faisoient sans aucun préparatif ; universelles, elles s’étendoient aux maladies les plus désespérées, & leur efficace avoit pour objet toutes sortes de personnes sans distinction. Celles du cimetière de Saint Médard sont destituées de tous ces caracteres ; il n’y en a aucune qui ne soit équivoque ; & leur avocat, le plus zélé, M. le Gros, les place lui-même à une distance infinie des miracles évangéliques.

3. Ceux-ci furent opérés avec simplicité, mais en même tems avec dignité ; au lieu que les prodiges, qu’on ose leur comparer, portent tous l’empreinte d’une basse superstition, & même de ridicule. On y employait souvent de la terre de sépulchre du Bienheureux Paris; on se servoit de l’eau de la fontaine de sa maison ; il falloir des neuvaines, des convulsions, des contorsions, des gambades, &c. d’où naquirent des aliénations d’esprit, & de vraies frénésies. En un mot, tout cela respiroit un fanatisme si scandaleux, que plusieurs personnes sensées de parti Janséniste furent obligées de condamner elles-mêmes ces indignes superstitions, comme étant blasphématoires envers la Divinité, & tournant à l’opprobre de la Religion.

4. Plusieurs de ces miracles ont été évidemment convaincus d’imposture & de fourberie. On a découvert qu’une partie des prétendus malades ne l’étoient point, & que c’était pour s’attirer des aumônes qu’ils avoient feint de l’être. A-t-on jamais pu convaincre N. S. & ses Apôtres de rien de semblable ? On somme les incrédules d’en venir à la preuve. 5. Enfin, ces derniers miracles ont été opérés pour une fin digne de la Majesté divine, pour la gloire de Dieu, & pour le salut de genre humain, pour établir dans le monde la doctrine la plus parfaite, pour conduire les hommes par la vraie sagesse au souverain bonheur. Où sont au contraire les avantages réels des miracles modernes ? Ils n’ont jamais produit que des brouilleries, des séditions, des scandales. Croira-t-on que Dieu ait voulu troubler le cours de la nature, pour l’amour des subtilités frivoles qui divisent les Jansénistes. & les Molinistes ? Qu’on juge, après cela, de la bonne foi de M. Hume, qui ose mettre de pareilles extravagances vis-à-vis des objets les plus respectables, & même leur donner la préférence.

Ce précis des sages & solides réflexions de M. Leland nous paroît un préparatif convenable à la lecture des Essais Philosophiques, & un préservatif suffisant contre ce qu’ils peuvent renfermer de dangereux. Après tout, le danger de ces sortes de lectures n’est ordinairement que pour ceux qui le cherchent, & qu’une pente secrete rend plus favorables aux sophismes qu’aux démonstrations.

On a mis, à la fin de ces Essais, quatre discours du même Auteur, intitulés, les quatre Philosophes. Ils sont tout-à-fait à leur place, soit par la liaison des matières, soit pour achever de faire connoître les principes & le tour d’esprit de M. Hume.


  1. Le Traducteur & l’Éditeur de ces Essais sont deux personnes différentes. Le premier, qui joint à des connoissances philosophiques très-profondes une intelligence parfaite de la langue angloise, avoit traduit fidèlement l’ouvrage de M. Hume sur l’original ; travail dont fort peu de personnes seroient capables. Mais, comme le françois n’étoit pas sa langue maternelle, il a confié son manuscrit, plus cependant par une modeste défiance que par un besoin essentiel, à un de ses amis, assez exercé dans l’art d’écrire, qui en a fait une révision suivie, & qui a pris occasion delà de mettre quelques remarques sous le texte. On espere, qu’à la faveur de ces soins réunis, & de ces précautions scrupuleuses, l’ouvrage ne fera effectivement pas indigne de l’attention des Lecteurs, à qui ces matières conviennent. Au reste, cette traduction n’étoit pas originairement destinée au Public : on y avoit travaillé uniquement pour faire connoître la Philosophie singuliere de M. Hume à un Homme illustre, avec lequel on avoit souvent eu l’honneur de s’en entretenir ; &, par cette raison, on s’étoit uniquement attaché à la clarté & à l’exactitude.