Essais de psychologie sportive/Chapitre VIII

Payot & Cie (p. 80-86).

La psychologie

du costume sportif

Février 1909.

Un homme se bat-il mieux en uniforme qu’en civil ?… Entendons-nous. Dans l’ardeur du combat, ou s’il se bat pour un motif personnel ou sous l’empire d’un sentiment particulièrement violent, le vêtement qui le couvre peut ne plus agir sur lui. Mais, dans les circonstances ordinaires, il est hors de doute que l’uniforme incite à la vaillance et — hors du combat — inspire et facilite les attitudes viriles et les allures martiales. Pourquoi voulez-vous qu’il en soit autrement de l’uniforme sportif ? Qui oserait dire que lorsque nous avons changé notre veston ou notre jaquette pour une tenue d’escrime, notre mentalité demeure exactement la même qu’auparavant et qu’il ne s’opère pas en nous une sorte de « redressement » interne dont tout notre être subit le contre-coup ? L’effet est imperceptible, soit — mais non pas insignifiant ; et, d’ailleurs, imperceptible est bien vite dit. Il est probable qu’une analyse un peu minutieuse et consciencieuse la rendrait parfaitement perceptible.

Et qu’on ne vienne pas dire que ce sont là des préciosités décadentes, du latinisme — pire que cela : du byzantinisme. Les Anglais apparaissent fort sensibles à cette influence du costume sportif. En plus d’un roman, l’aveu en est fait et la chose n’est nullement présentée sous un angle exceptionnel ou extraordinaire. Les auteurs semblent la trouver toute simple et, sans doute, les lecteurs font de même. Le jeune Anglais est heureux dans sa tenue de rameur ou de joueur de cricket, non pas seulement parce qu’elle est agréable à porter, mais parce qu’elle lui donne un avant-goût du plaisir musculaire qui l’attend. La notion de cet avant-goût est indispensable évidemment pour que le phénomène dont nous parlons reste sain. Le vêtement de sport — sans le sport — ne pourrait charmer que des déliquescents, des chercheurs de sensations à vide. Un homme qui n’aimerait à porter une culotte, des bottes et des éperons que pour se regarder dans la glace, serait un malade, et voilà tout. Ce costume ne doit agir sur lui que parce qu’il évoque le cheval et l’enivrement du galop prochain. C’est pour la même raison que la vue d’un étalage de vêtements sportifs provoque dans l’organisme un léger « remue-ménage » que n’engendrera point un étalage de vêtements quelconques, si élégants et désirables soient-ils. Là encore, il n’y a rien que de normal, et les auteurs anglais ont souvent indiqué que leurs compatriotes subissaient cet attrait sans témoigner qu’eux-mêmes y trouvassent rien à redire.

La question importante est de savoir si cet « émoi sportif » (peut-être l’expression n’est-elle pas très exacte, mais nous n’en trouvons pas de meilleure) est utilisable techniquement.

Pour cela, il faut qu’il constitue une préparation directe à ce qui va suivre, qu’il mette l’homme dans un état d’ensemble favorable aux mouvements auxquels celui-ci va se livrer et à l’effort qu’il va donner. L’émoi préalable peut être plus ou moins intense, mais, si faible soit-il, on peut lui distinguer deux caractères. Ou bien il est joyeux et confiant, ou bien il est inquiet et craintif. La confiance et l’appréhension, tels sont ses deux pôles obligatoires : il s’orientera forcément vers l’un ou vers l’autre. Si minime que nous admettions l’effet produit, il suffit à engendrer ici de l’aide et là de l’entrave. Il est des amateurs de sport qui sont peu maîtres de leurs nerfs et auxquels on devrait attribuer le qualificatif de neurasthéniques, si ce terme n’avait été dévié de son sens propre, en sorte qu’on ne peut plus en faire usage que pour désigner de véritables névrosés. Chez ceux-là, l’idée de la promenade à cheval ou en bateau évoque infailliblement la notion du cheval emballé ou du bateau qui chavire. Et cela ne les arrête pas ; ils se forcent. Leur désir est plus puissant que leur inquiétude. Ils n’en éprouvent pas moins un sentiment de malaise, une légère angoisse. Cette angoisse, ils ne la ressentiraient pas s’ils n’avaient pas eu « le temps d’y penser ». Supposez-les pris de court et passant instantanément du repos total au geste sportif, leur joie sera sans mélange. Mais tel n’est pas le cas habituel. Or, en général, on s’habille pour se livrer à un exercice violent ; ainsi, le contact des vêtements appropriés donne à l’émoi que nous venons d’analyser tout le loisir de s’exprimer.

Sur le sportsman exempt — par nature ou par accoutumance — de toute appréhension, le contact du vêtement de sport agira tout autrement. Il n’éveillera qu’une idée de plaisir, d’ivresse, de désir bientôt satisfait. Nul doute qu’un tel état d’esprit ne soit de nature à faciliter l’exercice, en « assouplissant » l’organisme. À une condition toutefois, c’est que cette joie confiante demeure calme et ne provoque pas l’explosion d’une fougue intérieure. Il y a des tempéraments ainsi faits que — dans la pleine jeunesse surtout — la passion y détermine de petites révolutions générales. Ces révolutions, dans le cas qui nous occupe, risquent d’engendrer un trop-plein de force en même temps que de diminuer l’adresse ; les deux phénomènes sont d’ailleurs connexes ; qui se montre trop fort pour ce qu’il a à faire, n’est pas, d’ordinaire, adroit.

Voilà, nous semble-t-il, ce qu’on peut dire du vêtement sportif au point de vue de sa psychologie. Il est susceptible de créer une sorte de « préface » au sport lui-même et, dans les conditions que nous venons de fixer, cette préface est utile, car elle met l’homme en bonnes dispositions par rapport à l’activité musculaire qu’il va déployer. Celui-ci peut-il à son tour utiliser cette action par le renfort de sa propre pensée, de son imagination et de sa volonté — autrement dit : penser avec intensité, avec vouloir à un mouvement et s’en imaginer l’exécution le facilitent-ils ?… C’est là une question qui sort du cadre de cette brève étude. Nous n’avons cherché qu’à rappeler ici l’évolution du costume sportif, les limites dans lesquelles la mode peut influer sur lui, son caractère très particulier[1] et, enfin, l’effet qu’il produit sur celui qui le porte.



  1. La première partie de cette étude, parue dans la Revue Olympique, n’est pas reproduite ici. Elle nous a semblé sortir du cadre de ce volume. (r. d.)