Essais/édition Musart, 1847/06

Texte établi par M. l’abbé MusartPérisse Frères (p. 40-42).
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CHAPITRE VI.

que l’intention juge nos actions.


La mort, dit-on, nous acquitte de toutes nos obligations. J’en sais qui l’ont pris en diverse façon. Henri septième, roi d’Angleterre, fit composition avec don Philippe, fils de l’empereur Maximilien, ou, pour le confronter plus honorablement, père de l’empereur Charles cinquième, que ledit Philippe remettrait entre ses mains le duc de Suffolk de la Rose blanche, son ennemi, lequel s’en était fui et retiré au Pays-Bas ; moyennant qu’il promettait de n’attenter rien sur la vie dudit duc ; toutefois, venant à mourir, il commanda par son testament à son fils de le faire mourir soudain, après qu’il serait décédé. Dernièrement, en cette tragédie que le duc d’Albe nous fit voir à Bruxelles, aux comtes de Horn et d’Egmond, il y eut tout plein de choses remarquables ; et, entre autres, que le comte d’Egmond, sous la foi et assurance duquel le comte de Horn s’était venu rendre au duc d’Albe, requit avec grande instance qu’on le fît mourir le premier, afin que sa mort l’affranchît de l’obligation qu’il avait audit comte de Horn. Il semble que la mort n’ait point déchargé le premier de sa foi donnée, et que le second en était quitte, même sans mourir. Nous ne pouvons être tenus au-delà de nos forces et de nos moyens ; à cette cause, parce que les effets et exécutions ne sont aucunement en notre puissance, et qu’il n’y a rien à bon escient en notre puissance, que la volonté. En celle-là se fondent par nécessité et s’établissent toutes les règles du devoir de l’homme. Par ainsi, le comte d’Egmond, tenant son âme et volonté endettée à sa promesse, bien que la puissance de l’effectuer ne fût pas en ses mains, était sans doute absous de son devoir, quand il eût survécu le comte de Horn. Mais le roi d’Angleterre, faillant à sa parole par son intention, ne se peut excuser pour avoir retardé jusqu’après sa mort l’exécution de sa déloyauté ; non plus que le maçon d’Hérodote, lequel, ayant loyalement conservé durant sa vie le secret des trésors du roi d’Égypte son maître, mourant, le découvrit à ses enfants.

J’ai vu plusieurs de mon temps, convaincus par leur conscience retenir de l’autrui, se disposer à y satisfaire par leur testament et après leur décès. Ils ne font rien qui vaille, ni de prendre terme à chose si pressante, ni de vouloir rétablir une injure avec si peu de leur ressentiment et intérêt. Ils doivent du plus leur ; et d’autant qu’ils paient plus pesamment et incommodément, d’autant en est leur satisfaction plus juste et méritoire : la pénitence demande à charger. Ceux-là font encore pis, qui réservent la déclaration de quelque haineuse volonté envers le proche, à leur dernière volonté, l’ayant cachée pendant la vie ; et montrent avoir peu de soin du propre honneur, irritant l’offensé à l’encontre de leur mémoire ; et moins de leur conscience, n’ayant, pour le respect de la mort même, su faire mourir leur maltalent, et en étendant la vie outre la leur. Iniques juges, qui remettent à juger alors qu’ils n’ont plus connaissance de cause. Je me garderai, si je puis, que ma mort dise chose que ma vie n’ait premièrement dite, et apertement.