Essais/édition Michaud, 1907/Texte modernisé/Livre II/Chapitre 9

Traduction par Michaud.
Firmin Didot (Livre IIp. 55-59).

CHAPITRE IX.

Des armes des Parthes.

Mauvaise habitude de la noblesse de nos jours de ne s’armer, aux armées, qu’au dernier moment. — C’est un tort de la noblesse de notre époque qui dénote de la mollesse, qu’au contact de l’ennemi, elle ne prenne les armes qu’au dernier moment, alors qu’il y a urgence, et de s’en défaire aussitôt, à la moindre apparence que le danger s’est éloigné ; il en résulte bien de la confusion : chacun va criant, courant après ses armes, alors qu’il faudrait charger l’ennemi, et il en est qui en sont encore à lacer leurs cuirasses que déjà leurs compagnons sont en déroute. Nos pères donnaient à porter leur casque, leur lance et leurs gantelets, et conservaient le reste de leur équipement tant que l’expédition durait. Actuellement nos troupes sont en grand trouble et en grand désordre par le pêle-mêle des bagages et des valets, qui ne peuvent marcher à part de leurs maîtres dont ils portent les armes. Parlant de nos ancêtres, Tite-Live disait déjà : « Incapables de souffrir la fatigue, ils avaient peine à porter leurs armes. »

Nos armes actuelles sont plus incommodes par leur poids qu’elles ne sont propres à la défense. — Il est au contraire des nations qui, dans l’antiquité et encore de nos jours, vont à la guerre sans se couvrir ou n’usent que d’armes défensives dont ils ne tirent aucune protection efficace : « N’ayant pour se couvrir la tête que des casques de liège (Virgile). » Alexandre, celui de tous les hommes de guerre qui se confiait le plus au hasard, ne revêtait que rarement son armure. Ceux d’entre nous qui n’en font pas cas, n’augmentent pas beaucoup pour cela les risques qu’ils courent ; s’il arrive qu’il y en ait qui soient tués faute de ne pas l’avoir, le nombre n’est pas moindre de ceux qui ont été perdus parce que leurs armes gênaient leurs mouvements, que dans une chute leur poids les immobilisait, ou qu’ils avaient quelques membres froissés ou fracturés, soit par le contre-coup, soit autrement. — À voir le poids et l’épaisseur de celles dont nous faisons usage, on dirait en vérité que nous ne cherchons qu’à nous défendre ; elles nous chargent plus qu’elles ne nous garantissent. Nous avons un tel effort à faire pour les porter, elles nous entravent et nous gênent à tel point, qu’il semble que combattre consiste uniquement dans le choc des unes contre les autres et que nous n’avons pas l’obligation de les défendre tout autant qu’elles celle de nous protéger. Tacite peint assez plaisamment les gens de guerre de l’ancienne Gaule, armés de telle sorte qu’ils avaient déjà grand’peine à se tenir debout et étaient dans l’impossibilité aussi bien d’attaquer que d’être attaqués, et qui, une fois à terre, ne pouvaient se relever. — Lucullus, voyant sur un point de la ligne de bataille de l’armée de Tigrane des guerriers mèdes pesamment et fort incommodément armés, semblant comme dans une prison de fer, pensa qu’il en aurait facilement raison et commença par eux son attaque, ce qui fut le prélude de sa victoire. À présent que les mousquetaires ont pris place dans nos armées, on va peut-être inventer quelque muraille derrière laquelle nous serons à l’abri de leurs coups, et nous irons à la guerre, enfermés dans des bastions mobiles dans lesquels on nous traînera comme ceux que les anciens faisaient porter à leurs éléphants.

On est plus vigilant quand on se sent moins protégé. — Cette manière de voir est bien éloignée de celle de Scipion Emilien, qui reprochait amèrement à ses soldats d’avoir semé de chausse-trapes le fond du fossé garni d’eau d’une ville dont il faisait le siège, en un endroit où les assiégés pouvaient exécuter des sorties, disant que lorsqu’on assaillait une place, il fallait songer à attaquer et non à se défendre ; il craignait avec raison que cette mesure de précaution ne les portât à se garder avec moins de vigilance. C’est aussi lui qui disait à un jeune homme qui lui montrait un beau bouclier : « Il est, en effet, bien beau ; mais, mon fils, un soldat romain doit plus se confier à sa main droite qu’à sa main gauche. »

C’est le défaut d’habitude qui nous fait paraître nos armes si pesantes. — Seul le défaut d’habitude nous rend pénible le port de nos armes : « Deux des guerriers que je chante ici, avaient la cuirasse sur le dos et le casque en téte ; ni jour, ni nuit, depuis qu’ils étaient entrés dans ce château, ils n’avaient quitté cette armure qu’ils portaient aussi aisément que leurs habits, tant ils y étaient accoutumés (Arioste). » — L’empereur Caracalla marchait à pied, armé de toutes pièces, à la tête de ses troupes. — Les fantassins romains portaient non seulement le morion, l’épée et le bouclier, et leur habitude d’avoir constamment leurs armes sur le dos était telle, qu’ils ne s’en trouvaient pas plus gênés que de leurs propres membres, écrit Cicéron : « Ils disent que les armes du soldat sont comme ses membres » ; ils avaient en outre les vivres nécessaires pour quinze jours, plus un certain nombre de pieux pour palissader leur camp, le tout représentant un poids qui atteignait jusqu’à soixante livres. Avec ce chargement, les soldats de Marius, allant au combat, faisaient d’habitude cinq lieues en cinq heures, et même six quand il y avait urgence. — Leur discipline était beaucoup plus stricte que la nôtre, aussi en obtenait-on bien d’autres résultats ; Scipion Emilien, ayant à la rétablir dans son armée, en Espagne, défendit à ses soldats de manger autrement que debout et de faire cuire leurs aliments. — À ce propos, voici un trait vraiment étonnant, c’est le reproche adressé à un soldat lacédémonien, se trouvant en expédition, de s’être abrité dans une maison ; ils étaient si endurcis aux privations, que c’était une honte d’être vu sous un autre abri que la voûte céleste, quelque temps qu’il fit : à ce compte, nous n’irions guère loin aujourd’hui avec nos gens.

Ressemblance des armes des Parthes avec celles dont nous faisons nous-mêmes usage aujourd’hui. — Sur ce même chapitre, Ammien Marcellin, si au fait des guerres des Romains, donne des détails intéressants sur la manière dont les Parthes étaient armés ; il y insiste d’autant plus qu’elle diffère notablement de celle des Romains « Ils avaient, dit-il, des armures qu’on eût dit formées d’un tissu de petites plumes (probablement d’écailles métalliques s’imbriquant les unes dans les autres, qui étaient si fort en usage chez nos ancêtres), qui ne gênaient pas les mouvements du corps et étaient si résistantes que nos traits ne les pénétraient pas et rebondissaient quand ils venaient à les frapper. » Dans un autre passage, on lit : « Ils avaient des chevaux vigoureux et calmes, caparaçonnés de cuir épais ; eux-mêmes étaient armés des pieds à la tête de grosses lamelles de fer agencées de telle façon, qu’aux jointures des membres, elles prêtaient aux mouvements. Ils semblaient des hommes de fer. La partie afférente à la tête, affectait la forme des divers contours du visage et était si bien ajustée, qu’il n’y avait pas possibilité d’atteindre la figure autrement que par de petits trous ronds qui correspondaient aux yeux et laissaient passer un peu de lumière, ou par des fentes correspondant aux narines et permettant à grand peine de respirer. « Le métal flexible semble animé par les membres qu’il recouvre. C’est horrible à voir ; on dirait des statues de fer qui marchent, le métal incorporé au guerrier qui le porte. De même des coursiers, leur front est bardé de fer ; sous le fer, leurs flancs sont à l’abri des blessures (Claudien). » Cette description ne rappelle-t-elle pas l’équipement d’un de nos hommes d’armes, avec son armure complète ? — Plutarque rapporte que Démétrius fit fabriquer pour lui et pour Alcinus, celui de ses guerriers appelé à marcher constamment à ses côtés, deux armures pesant chacune cent vingt livres, alors que celles dont on faisait d’ordinaire usage n’en pesaient que soixante.