Essai sur les mœurs/Chapitre 170

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CHAPITRE CLXX.

De la France vers la fin du xvie siècle, sous François II.

Tandis que l’Espagne intimidait l’Europe par sa vaste puissance, et que l’Angleterre jouait le second rôle en lui résistant, la France était déchirée, faible, et prête d’être démembrée ; elle était loin d’avoir en Europe de l’influence et du crédit. Les guerres civiles la rendirent dépendante de tous ses voisins. Ces temps de fureur, d’avilissement, et de calamités, ont fourni plus de volumes que n’en contient toute l’histoire romaine. Quelles furent les causes de tant de malheurs ? la religion, l’ambition, le défaut de bonnes lois, un mauvais gouvernement.

Henri II, par ses rigueurs contre les sectaires, et surtout par la condamnation du conseiller Anne du Bourg, exécuté après la mort du roi, par l’ordre des Guises, fit beaucoup plus de calvinistes en France qu’il n’y en avait en Suisse et à Genève. S’ils avaient paru dans un temps comme celui de Louis XII, où l’on faisait la guerre à la cour de Rome, on eût pu les favoriser ; mais ils venaient précisément dans le temps que Henri II avait besoin du pape Paul IV pour disputer Naples et Sicile à l’Espagne, et lorsque ces deux puissances s’unissaient avec le Turc contre la maison d’Autriche. On crut donc devoir sacrifier les ennemis de l’Église aux intérêts de Rome. Le clergé, puissant à la cour, craignant pour ses biens temporels et pour son autorité, les poursuivit ; la politique, l’intérêt, le zèle, concoururent à les exterminer. On pouvait les tolérer, comme Élisabeth en Angleterre toléra les catholiques ; on pouvait conserver de bons sujets, en leur laissant la liberté de conscience. Il eût importé peu à l’État qu’ils chantassent à leur manière, pourvu qu’ils eussent été soumis aux lois de l’État : on les persécuta, et on en fit des rebelles.

La mort funeste de Henri II fut le signal de trente ans de guerres civiles. Un roi enfant gouverné par des étrangers, des princes du sang et de grands officiers de la couronne jaloux du crédit des Guises, commencèrent la subversion de la France.

La fameuse conspiration d’Amboise est la première qu’on connaisse en ce pays. Les ligues faites et rompues, les mouvements passagers, les emportements et le repentir, semblaient avoir fait jusqu’alors le caractère des Gaulois, qui, pour avoir pris le nom de Francs, et ensuite celui de Français, n’avaient pas changé de mœurs. Mais il y eut dans cette conspiration une audace qui tenait de celle de Catilina, un manège, une profondeur, et un secret qui la rendait semblable à celle des vêpres siciliennes et des Pazzi de Florence : le prince Louis de Condé en fut l’âme invisible, et conduisit cette entreprise avec tant de dextérité que, quand toute la France sut qu’il en était le chef, personne ne put l’en convaincre.

Cette conspiration avait cela de particulier qu’elle pouvait paraître excusable, en ce qu’il s’agissait d’ôter le gouvernement à François duc de Guise, et au cardinal de Lorraine, son frère, tous deux étrangers, qui tenaient le roi en tutelle, la nation en esclavage, et les princes du sang et les officiers de la couronne éloignés : elle était très-criminelle, en ce qu’elle attaquait les droits d’un roi majeur, maître par les lois de choisir les dépositaires de son autorité. Il n’a jamais été prouvé que dans ce complot on eût résolu de tuer les Guises ; mais, comme ils auraient résisté, leur mort était infaillible. Cinq cents gentilshommes, tous bien accompagnés, et mille soldats déterminés, conduits par trente capitaines choisis, devaient se rendre au jour marqué du fond des provinces du royaume dans Amboise, où était la cour. Les rois n’avaient point encore la nombreuse garde qui les entoure aujourd’hui : le régiment des gardes ne fut formé que par Charles IX. Deux cents archers tout au plus accompagnaient François II. Les autres rois de l’Europe n’en avaient pas davantage. Le connétable de Montmorency, revenant depuis dans Orléans, où les Guises avaient mis une garde nouvelle à la mort de François II, chassa ces nouveaux soldats, et les menaça de les faire pendre comme des ennemis qui mettaient une barrière entre le roi et son peuple.

La simplicité des mœurs antiques était encore dans le palais des rois ; mais aussi ils étaient moins assurés contre une entreprise déterminée. Il était aisé de se saisir, dans la maison royale, des ministres, du roi même : le succès semblait sûr. Le secret fut gardé par tous les conjurés pendant près de six mois. L’indiscrétion du chef, nommé du Barry de La Renaudie, qui s’ouvrit dans Paris à un avocat, fit découvrir la conjuration : elle n’en fut pas moins exécutée ; les conjurés n’allèrent pas moins au rendez-vous. Leur opiniâtreté désespérée venait surtout du fanatisme de la religion : ces gentilshommes étaient la plupart des calvinistes, qui se faisaient un devoir de venger leurs frères persécutés. Le prince Louis de Condé avait hautement embrassé cette secte, parce que le duc de Guise et le cardinal de Lorraine étaient catholiques. Une révolution dans l’Église et dans l’État devait être le fruit de cette entreprise.

(1560) Les Guises eurent à peine le temps de faire venir des troupes. Il n’y avait pas alors quinze mille hommes enrégimentés dans tout le royaume ; mais on en rassembla bientôt assez pour exterminer les conjurés. Comme ils venaient par troupes séparées, ils furent aisément défaits ; du Barry de La Renaudie fut tué en combattant ; plusieurs moururent comme lui les armes à la main. Ceux qui furent pris périrent dans les supplices ; et pendant un mois entier on ne vit dans Amboise que des échafauds sanglants et des potences chargées de cadavres.

La conspiration, découverte et punie, ne servit qu’à augmenter le pouvoir de ceux qu’on avait voulu détruire. François de Guise eut la puissance des anciens maires du palais, sous le nouveau titre de lieutenant général du royaume ; mais cette autorité même de François de Guise, l’ambition turbulente du cardinal en France, révoltèrent contre eux tous les ordres du royaume, et produisirent de nouveaux troubles. Les calvinistes, toujours secrètement animés par le prince Louis de Condé, prirent les armes dans plusieurs provinces. Il fallait que les Guises fussent bien puissants et bien redoutables, puisque ni Condé, ni Antoine, roi de Navarre, son frère, père de Henri IV, ni le fameux amiral de Coligny, ni son frère d’Andelot, colonel général de l’infanterie, n’osaient encore se déclarer ouvertement. Le prince de Condé fut le premier chef de parti qui parut faire la guerre civile en homme timide. Il portait les coups et retirait la main ; et, croyant toujours se ménager avec la cour, qu’il voulait perdre, il eut l’imprudence de venir à Fontainebleau en courtisan, dans le temps qu’il eût dû être en soldat à la tête de son parti. Les Guises le font arrêter dans Orléans. On lui fait son procès par le conseil privé et par des commissaires tirés du parlement, malgré les priviléges des princes du sang de n’être jugés que dans la cour des pairs, les chambres assemblées : mais qu’est un privilége contre la force ? qu’est un privilége dont il n’y avait d’exemple que dans la violation même qu’on en avait faite autrefois dans le procès criminel du duc d’Alençon ?

(1560) Le prince de Condé est condamné à perdre la tête. Le célèbre chancelier de L’Hospital, ce grand législateur dans un temps où on manquait de lois, et cet intrépide philosophe dans un temps d’enthousiasme et de fureurs, refusa de signer. Le comte de Sancerre, du conseil privé, suivit cet exemple courageux. Cependant on allait exécuter l’arrêt. Le prince de Condé allait finir par la main d’un bourreau, lorsque tout à coup le jeune François II, malade depuis longtemps, et infirme dès son enfance, meurt à l’âge de dix-sept ans, laissant à son frère Charles, qui n’en avait que dix, un royaume épuisé et en proie aux factions.

La mort de François II fut le salut du prince de Condé ; on le fit bientôt sortir de prison, après avoir ménagé entre lui et les Guises une réconciliation qui n’était et ne pouvait être que le sceau de la haine et de la vengeance. On assemble les états à Orléans. Rien ne pouvait se faire sans les états dans de pareilles circonstances. La tutelle de Charles IX et l’administration du royaume sont accordées par les états à Catherine de Médicis, mais non pas le nom de régente. Les états même ne lui donnèrent point le titre de Majesté : il était nouveau pour les rois[1]. Il y a encore beaucoup de lettres du sire de Bourdeilles, dans lesquelles on appelle Henri III Votre Altesse.

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  1. Voyez chapitres xciv, cxix, cxxi.