Essai sur le perfectionnement des arts chimiques en France/Section 3

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SECTION III.


Des emplacemens qui conviennent aux divers genres de fabrication.


Personne n’a médité profondément sur les arts sans se convaincre que les produits de l’industrie ont un sol et des climats qui leur sont essentiellement affectés. Chaque objet a sa place marquée sur notre planète ; et c’est une grande erreur que de penser que toute terre est propre à toute culture, que tout sol convient à toute fabrique.

C’est pour n’avoir pas bien calculé la possibilité des approvisionnemens, la facilité des débouchés, la ressource des bras, le prix de la main-d’œuvre, le génie particulier de l’habitant, qu’on voit trop souvent se dessécher et s’éteindre des branches d’industrie dont on a voulu forcer l’accroissement sur un sol ou dans des climats peu favorables. On sentira combien peuvent les localités sur la prospérité des fabriques, si l’on réfléchit qu’un désavantage de 5 pour 100, par rapport à la position, doit amener tôt ou tard la ruine d’un établissement.

Le choix du sol est donc le premier objet vers lequel doit se porter l’attention de l’artiste manufacturier. Il doit d’abord présenter des facilités pour les approvisionnemens : ainsi une verrerie sera établie au milieu des bois, à côté d’une mine de charbon, ou dans le voisinage d’un canal ou d’une rivière navigable. Un atelier de poterie grossière ne sauroit prospérer que près des terres qu’on fait entrer dans sa composition.

À l’avantage des approvisionnemens doit se joindre la certitude de la consommation : quelquefois même celle-ci balance plusieurs autres inconvéniens, comme on le voit dans plusieurs établissemens qui prospèrent au milieu des grandes villes, quoique les approvisionnemens et la main-d’œuvre y soient dispendieux.

Bien d’autres considérations, qui tiennent au sol, doivent encore influer sur l’établissement des fabriques : par exemple, une terre qui présente de grandes ressources pour l’agriculture, et fournit à tous ses habitans des moyens faciles de subsistance, repousse tout autre genre d’industrie que celui qui a besoin et dépend des productions de la terre elle même ; ainsi des travaux sur le lin, le chanvre, le vin, la garance, bien loin de nuire à l’agriculture, en multiplieront les ressources, tandis que des arts étrangers à la culture y dessécheroient jusques dans leur source les canaux de la prospérité territoriale. J’ai vu trop souvent que dans des momens où les fabriques prospéroient, on en étendoit les travaux des villes jusques dans les campagnes ; l’appât d’un gain momentané et l’attrait d’un travail plus facile changeoient un peuple agriculteur en un peuple manufacturier ; mais, lorsque la stagnation du commerce entraînoit bientôt après des suppressions, ces hommes affoiblis, presque efféminés, avoient perdu l’habitude des rudes travaux des champs, et traînoient dans l’oisiveté une vie languissante et misérable.

Avant de déterminer la position de certains établissemens, il faut encore s’être assuré de la nature des eaux et de celle de l’air : on sait, par exemple, combien le premier de ces agens influe sur les opérations des teintures, papeteries, savonneries, blanchisseries ; et l’expérience nous a prouvé que les fabriques de toiles peintes ne pouvoient pas prospérer dans les climats du midi, parce que l’air sec n’humecte pas convenablement le sol, et que le soleil y brûle les couleurs.

Tous les arts qui demandent une pénible réunion d’hommes, de choses et de moyens, ne peuvent exister qu’auprès des grandes villes. Il est même des arts, tels que ceux qui ont pour objet la fabrication des étoffes, ou certains travaux sur les métaux, qui exigent le concours d’un grand nombre d’individus dont chacun fait mouvoir un des rouages de la machine. C’est ainsi, par exemple, que, depuis le marchand de soie jusqu’à l’apprêteur de l’étoffe, la soie passe par vingt mains différentes, et reçoit de chacune d’elles une préparation.

Il est encore des arts dont le succès est essentiellement lié aux lumières et au bon goût ; et ceux-ci doivent plutôt prospérer dans les villes, parce que là seulement se trouvent réunis les connoissances, les modèles et les ressources de tout genre.

Une prévoyante et sage politique devroit cependant prévenir les funestes effets qui peuvent résulter de cet encombrement d’artistes-fabricans dans une grande ville : c’est un spectacle terrible que de voir l’existence de vingt mille familles essentiellement dépendante de la prospérité d’une fabrique. Lyon, Rouen, Nîmes nous offroient naguère ce tableau déchirant. Et, lorsqu’une révolution politique, un manque forcé d’approvisionnemens, ou une suspension totale de vente, viennent paralyser l’activité de ces fabriques, on voit s’éteindre à la fois l’industrie et la vie de tous ces individus, dans les secousses et les angoisses de la misère et du désespoir.

Pour fixer nos idées d’une manière plus précise, sur le pouvoir des localités par rapport aux fabriques, je crois que nous pouvons, pour le moment, les diviser en trois classes.

1.o Celles qui ont pour objet les travaux sur les substances animales et végétales.

2.o Celles qui travaillent les métaux ou les terres.

3.o Celles qui ont pour but la fabrication des sels.

Les teintures et la confection des tissus d’étoffes tiennent, sans contredit, le premier rang dans la première classe. Et il y a un rapport si naturel entre ces deux parties, qu’elles ne peuvent prospérer qu’à côté l’une de l’autre : le fabricant a sans cesse des ordres à transmettre au teinturier, des nuances à lui demander ; et ces rapports ne peuvent s’établir entr’eux d’une manière convenable, que par des rapprochemens faciles : ces deux artistes ont besoin de se consulter, de comparer, de juger l’effet de leurs produits, de suivre pas à pas le goût du consommateur. Mais supposons, pour un moment, la fabrique de Lyon séparée de la teinture, nous ne tarderons pas à voir que les étoffes qui en proviendront ne présenteront plus, dans l’emploi des couleurs, ce goût exquis, ce choix de nuances, ce contraste de teintes qui n’ont pas peu contribué à donner de la célébrité à cette fabrique. Le teinturier éloigné du fabricant pourra former de belles couleurs ; mais, quelque nombreux qu’en soit l’assortiment, l’artiste ne parviendra pas à les marier avantageusement. D’ailleurs comme les goûts sont très-inconstans, et qu’en fait de couleur, le caprice du consommateur est la loi du fabricant, il seroit ruineux de teindre au hasard pour faire des provisions.

Ce que je dis de la nécessité de rapprocher la teinture de la fabrication, est applicable à toutes les grandes fabriques de drap, soie, coton, &c. ; nous voyons même cette réunion, presque par-tout, consacrée par l’usage, ce qui seul en fait sentir la nécessité.

Si nous jettions un coup-d’œil sur les fabriques d’étoffes qui ont prospéré, nous trouverions par-tout une parfaite réunion des causes qui ont dû en préparer l’établissement et en assurer le succès. À Lyon, une population, trop nombreuse pour s’occuper exclusivement d’agriculture, y appeloit un genre d’industrie quelconque : assise au confluent de deux rivières, dont l’une roule avec rapidité des eaux vives et pures, tandis que l’autre présente une eau tranquille dans un canal profond ; placée entre l’Italie et les Cévennes, où se préparent presque toutes les qualités de soie, la ville de Lyon n’étoit plus libre sur son choix : sa population, sa position, ses eaux lui assuroient la double prospérité de la fabrique et de la teinture des soies. Et si par-tout ailleurs on n’a obtenu qu’une partie des succès de la fabrique de Lyon, c’est qu’on n’a pu en réunir qu’une partie des avantages.

Si nous portions le même examen sur les fabriques d’étoffe, de laine, ou de fil, nous trouverions par-tout la confirmation des mêmes principes : nous verrions la fabrication des étoffes grossières généralement établie dans les lieux même où en croissent les premiers matériaux, tandis que la confection des tissus fins qui demande du choix et de la variété dans les matières, qui exige beaucoup de main-d’œuvre et plus d’habileté dans les divers travaux, a pu s’établir presqu’indistinctement sur tous les points. Dans le premier cas, la matière première fait presque tout : dans le second, la façon forme elle seule la presque totalité de la valeur de la marchandise : ici le transport de la matière première n’est rien eu égard au prix de l’objet fabriqué ; là, elle est tout. Ainsi, les fabriques de toiles et draps grossiers se sont établies et prospèrent dans les campagnes, tandis que celles des toiles et draps fins existent loin du pays natal des matières qui les alimentent. D’ailleurs, nos draperies fines se sont fabriquées jusqu’ici avec des laines étrangères ; et, dès-lors, le transport des matières premières peut se faire presque indistinctement sur tous les points de la République, sans que le prix de l’étoffe s’en ressente.

Cette dernière considération nous explique pourquoi les fabriques de coton se sont établies avec succès aux deux extrémités de la France, à Rouen et à Montpellier. Mais il nous reste encore à rechercher comment il est possible que les premières de ces fabriques aient pu prospérer à l’égal de celles du midi, lorsqu’il est prouvé que la position en renchérissoit extraordinairement la teinture : en effet, la garance, la soude, l’huile d’olive, le savon, qui forment les matériaux de cette teinture, se récoltent ou se fabriquent dans le midi, et il est bien plus dispendieux de les transporter à Rouen, que d’y transporter les cotons déjà teints, puisque le coton consomme, pour la teinture, quatre fois son poids de ces matières premières. La cause qui dans le nord me paroît avoir balancé les désavantages de la localité, c’est sur-tout l’économie introduite dans ces fabriques par l’adoption des mécaniques pour la filature. Cette économie a été constamment de 10 à 15 pour 100. Une seconde cause qui se lie naturellement à la première, c’est la qualité même de la filature qui, formant des fils bien plus unis, a créé une fabrication plus parfaite.

Il est un principe dont nous trouvons par-tout l’application : c’est que les arts de fabrique doivent compenser par la main-d’œuvre, l’industrie, ou la supériorité des produits, la défaveur des localités. Il faut pour qu’ils prospèrent là où les approvisionnemens sont dispendieux, effacer, pour ainsi dire, le prix de la matière première de la liste des élémens sur lesquels s’établit le calcul du prix d’un produit manufacturé : or, cela n’est possible que pour les objets susceptibles d’acquérir une grande valeur par une fabrication très-soignée. Par exemple, la terre de Limoges servant à la confection d’une poterie grossière, ne peut être employée que sur les lieux ; mais, devenant la base de la porcelaine, il peut être avantageux de la travailler à une grande distance. Ici les frais du transport disparoissent devant cette foule de travaux délicats par lesquels doit passer cette terre ; et il est possible que ces travaux ne puissent être convenablement exécutés que loin du sol qui la fournit.

L’influence des localités est sentie jusques dans les opérations préparatoires des étoffes : les blanchisseries demandent un sol humide et une atmosphère chargée de vapeurs.

Les fabriques de toiles peintes ne prospèrent point dans les climats trop chauds et sur des terreins arides : les couleurs y sont sèches et ternes.

Les papeteries exigent des eaux vives et pures. Les couleurs ne reçoivent ni la même teinte, ni le même éclat dans des eaux différemment chargées.

Je pourrois multiplier les applications, mais il suffit d’avoir posé les principes.

Les fabriques qui ont le travail des métaux pour objet, ont aussi leurs localités marquées : nous pouvons diviser celles-ci en ateliers de fonte et travaux de perfectionnement.

Les ateliers de fonte, dont les produits présentent une valeur peu élevée au-dessus de celle de la matière première, doivent être établis de manière à rendre faciles les approvisionnemens du combustible et du métal.

Si nous voyons prospérer au milieu de Paris quelques ateliers de fonte, malgré le vice apparent de la localité, c’est que cette immense commune réunit en elle-même des avantages qui font disparoître l’inconvénient des localités : 1.o les approvisionnemens en vieux métal s’y font à bas prix ; 2.o la consommation du produit sur les lieux est presqu’assurée ; 3.o les artistes peuvent faire exécuter sous leurs yeux les ouvrages dont ils ont besoin. Nous voyons, par la même raison, s’y maintenir avec succès des verreries en verre noir, parce que les débris de verre et la charrée y sont si abondans, que leur prix mérite à peine d’entrer en compte dans les frais d’approvisionnement. Ces avantages permettent aux entrepreneurs d’acheter le combustible à des prix bien plus élevés que par-tout ailleurs.

On peut encore considérer les établissemens de ce genre formés au milieu d’une grande commune et dans le foyer des sciences et des arts, comme une école extrêmement utile, non-seulement pour s’y former dans les travaux du même genre, mais pour y exécuter des modèles sous les yeux des artistes eux-mêmes. Que de machines ingénieuses seroient restées en simples projets, si l’inventeur n’avoit pas trouvé à côté de lui les moyens de les exécuter ?

Nous pourrions ranger dans la même classe, eu égard à notre objet, plusieurs genres de fabrication, tels que l’aciération, la cloutaison, le laminage, &c. Ici le pouvoir des localités est encore très-marqué : l’aciération, par exemple, trouvera des avantages à côté des bonnes mines de fer ; attendu que l’artiste, à qui l’habitude a appris à distinguer le fer le plus propre à son objet, pourra plus aisément obtenir et faire préparer la qualité qu’il desire. On voit avec peine qu’un des premiers établissemens qu’on ait fait en France pour convertir le fer en acier, ait été placé, à Amboise, qui ne présente aucune ressource locale. Les ci-devant provinces du Berry et du comté de Foix nous paroissent offrir des avantages, par la nature de leurs fers et l’abondance du charbon, qu’aucune autre partie de la République ne paroît pouvoir leur disputer. On m’objectera, sans doute, que les Anglais, pour qui ces sortes d’établissemens forment une ressource si puissante, acièrent des fers étrangers : mais c’est à la supériorité de ces fers provenant de la province de Roslagie en Suède, que nous devons rapporter cette prépondérance dont leurs aciers jouissent sur toutes les places de l’Europe ; et il suffit de savoir que si la France, ou une autre nation, devenoit adjudicataire de ces fers, les Anglais verroient échapper de leurs mains la principale branche de leur industrie.

Les travaux ultérieurs qu’on exécute sur les métaux, me paroissent un peu moins dépendans des localités, à mesure que la main-d’œuvre devient plus considérable : le prix d’achat primitif et l’article du combustible méritent moins d’attention ; et dès-lors la réussite d’un établissement doit être calculée sur de nouvelles bases : ici c’est la facilité dans les travaux, l’économie dans la main-d’œuvre et la certitude d’une consommation assurée, qui doivent former les élémens de notre calcul. Ces trois avantages peuvent se présenter réunis dans une grande ville : les premiers n’existent généralement que dans les campagnes.

Dans toutes ces sortes de travaux, il faut toujours distinguer avec soin ce qui tient à la mode d’avec ce qui appartient à des qualités de perfection qui ne sont pas sujettes à la versatilité du caprice du consommateur. La bijouterie, la clincaillerie appartiennent de droit au premier genre ; la serrurerie est du second ; et l’horlogerie participe de celui-ci par la base de son travail, tandis que pour les formes elle est assujettie à la mobilité du premier.

Tous les arts dont les produits reçoivent l’influence des modes passagères, doivent être établis dans le foyer même où siègent les individus qui les provoquent, les dirigent, ou les changent. Comme, dans sa marche rapide, la mode n’a généralement d’autre guide que le caprice, l’artiste doit être sans cesse à côté d’elle pour en épier tous les mouvemens ; il doit être léger comme elle, et ne pas porter dans ses travaux cette suite, cette confiance, ces combinaisons dont elle se joue.

Il est un autre genre de fabriques qui n’a été introduit chez nous avec quelque fruit que depuis fort peu de temps, c’est celui des préparations salines. Les Anglais et les Hollandais étoient en possession de nous fournir tous les objets de ce genre ; mais aujourd’hui ces sortes d’ateliers se sont multipliés chez nous avec profusion ; et nous ne doutons pas qu’à mesure que les connoissances chimiques deviendront plus générales, ces établissemens ne se perfectionnent et ne fournissent à tous nos besoins.

Toutes ces fabriques ont pour objet l’extraction des acides et des alcalis, et leur combinaison avec diverses bases.

Les acides les plus employés dans les arts sont le sulfurique, le nitrique, le muriatique et l’acéteux.

Le sulfurique ne se fabrique en France que depuis quelques années. La base de cette fabrication est le soufre ; il vient presque tout de la Sicile ; ce qui fixeroit dans le midi la véritable position des établissemens de cet acide, si la grande consommation qui s’en fait dans les fabriques de toiles peintes établies dans le nord, et la difficulté de le transporter, n’en rendoient la fabrication plus avantageuse à côté même de l’atelier qui l’emploie.

C’est peut-être pour cette dernière raison, que la distillation des eaux fortes a été répandue sur divers points de la France : mais tous ces établissemens ont été contrariés jusqu’ici par les dispositions d’une loi qui feroit la honte de la France, si elle n’étoit rapportée. Cette loi, du 13 fructidor an 5, prohibe l’importation et la vente du salpêtre dans l’intérieur, et oblige le commerce de s’adresser à la régie nationale des salpêtres pour en obtenir ce sel si nécessaire dans un grand nombre d’ateliers. La régie nationale le délivre à un prix quadruple de celui de l’Inde, dont les fabricans étrangers s’approvisionnent ; de sorte que, par le fait, cette loi ruine les établissemens nationaux en leur interdisant tout moyen de concourir avec les étrangers. Je sais bien que les partisans de ce despotisme en masquent toute l’horreur, sous le prétexte magique de la sûreté publique : mais la sûreté publique est-elle donc menacée en Angleterre, parce qu’on permet au fabricant d’acides d’acheter le salpêtre de l’Inde ? Que le Gouvernement français s’assure de ses approvisionnemens en salpêtre, et de sa fabrication de poudre dans des ateliers qui lui appartiennent, je ne vois là que sagesse et prévoyance ; mais, qu’il mette l’existence et la fortune de tous les ouvriers d’une profession à la disposition de la régie et de ses délégués ; qu’il interdise leur libre approvisionnement à cinq à six branches d’industrie qui s’alimentent de salpêtre ; qu’il force le commerçant de l’Inde à fuir nos ports pour aller vendre son lest de salpêtre à Londres ou à Lisbonne ; qu’il marque sur le vaste sol de la république les seuls points sur lesquels on pourra exploiter du salpêtre : je ne vois là que déraison, tyrannie, ineptie. Et, si le Gouvernement français ne se hâtoit de rapporter une loi également contraire à la liberté et à l’intérêt du commerce, je le proclamerois le plus tyrannique de tous les gouvernemens.

La formation de l’acide acéteux est spontanée, et tous les soins se dirigent vers les moyens de prévenir la dégénération des vins, bien loin de la provoquer. Cependant la consommation de cet acide est telle dans les arts, qu’il importe dans beaucoup de cas de pouvoir le fabriquer : en Hollande et en Angleterre, d’où nous viennent les céruses, les blancs de plomb et les sels de Saturne, on obtient le vinaigre par la fermentation des grains : dans le nord de la France, on peut tenter de semblables moyens, et nous approprier, par-là, la fabrication de tous ces produits très-employés dans les arts.

Les sels les plus employés dans les fabriques sont la couperose, l’alun, le sel de Saturne, les muriates de mercure, &c. L’emplacement le plus convenable à la fabrication des premiers, est déterminé par le lieu où existent les mines qui fournissent ces sels : mais, lorsqu’on les forme de toutes pièces, ainsi que les derniers, c’est toujours à côté de l’atelier où se fabriquent les acides qu’on doit s’établir.




Tels sont les principes sur lesquels je crois qu’on pourroit fonder la prospérité de nos fabriques en France ; et, une fois que le Gouvernement les aura consacrés, il doit se borner à en devenir le conservateur.

La nature a tout préparé pour faire de la France la patrie adoptive des arts : d’un côté, la variété prodigieuse de ses productions territoriales lui assure des ressources dans tous les genres ; de l’autre, sa position géographique présente, dans une petite étendue, le sol et les hommes de tous les climats. Ici, l’imagination la plus brûlante crée et nourrit les arts de goût et d’agrément ; là, la froide raison applique par le calcul les précieuses découvertes de la mécanique. Avec de telles dispositions, le Gouvernement n’a qu’à vouloir pour placer les arts au premier rang, et voir bientôt toute l’Europe tributaire de l’industrie française.

Mais, ce n’est point par quelques distinctions accordées isolément à quelques artistes ; ce n’est point par des récompenses trop souvent réparties sans discernement ; ce n’est point en encourageant tel ou tel art, sous le prétexte frivole d’une plus ou moins grande utilité, qu’on parviendra à donner à tous une impulsion favorable. Toutes ces protections partielles nourrissent l’intrigue et étouffent le génie : au lieu d’exciter l’émulation, elles l’éteignent. Trop souvent l’on a vu languir le talent dans l’atelier où le retenoit cette modeste simplicité qui en est presque toujours la compagne inséparable, tandis que la présomption et la sottise se partageoient les récompenses nationales. Toutes les protections partielles courbent l’artiste sous la domination de l’homme en place ; et bientôt il perd cette fierté, cette indépendance, qui seules peuvent imprimer un grand caractère à ses productions : on le voit peu à peu partager jusqu’aux ridicules de son protecteur, et plier son ame, jadis brûlante, aux caprices de son orgueilleuse déraison. Si nous ouvrons l’Histoire, nous verrons, presque par-tout, le caractère des protecteurs empreint sur les travaux des artistes privilégiés ; nous verrons, presque par-tout, la trop complaisante médiocrité accablée d’honneurs et de fortune, tandis que le génie qui n’a pas pu s’avilir par l’intrigue, ni se vendre à la protection, languit dans la persécution ou l’oubli.

Il n’est pas de gouvernement plus favorable aux arts que le gouvernement libre : ainsi, aux ressources inépuisables de sa position, la France peut ajouter aujourd’hui les avantages de sa constitution politique. Et ce caractère national qui seul a pu, dans d’autres temps, enfanter des prodiges, va se fortifier aujourd’hui de tout le génie des chefs du Gouvernement.