Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/Observations


OBSERVATIONS


Sur l’Établissement et la Population des Juifs, à Metz.


L’établissement des Juifs en cette Ville, remonte au moins à l’an 888, puisqu’à cette époque le Primicier Gombert forma des plaintes contr’eux. Sigebert de Gemblours y enseignoit au douzieme siecle avec un tel succès que les Juifs même courroient entendre ses leçons. En 1565 et 1566, on les avoit expulsés ; l’année suivante, quatre familles y obtinrent droit d’indigenat par le crédit du Maréchal de Vieilleville, Gouverneur de la Cité. Dans le tableau suivant, tiré en partie des affiches de la Province, on pourra suivre leur accroissement progressif.

  En 1567, 4 ménages.
Sur la fin du regne de Henri III, 8 ménages.
En 1603, 24 ménages.
formant 120 individus.

  En 1614, 58 ménages.
En 1624, 76
En 1657, 96
En 1684, Metz contenoit 20710 habitans, dont 4381 Protestans et 795 Juifs.
En 1715, 300 et tant de familles.
En 1718, 480 ménages,
et alors leur droit d’habitation fut restreint à ce nombre qui a diminué.
  En 1788 410 ou 420 ménages,
y compris les étrangers, formant 1865 individus, suivant un dénombrement du 26 Février 1788.
Les Juifs de Metz payent annuellement à la famille de Brancas, 20000 liv. s. d.
De capitation, 9688 1
Pour l’industrie, 7706 7 6
Pour le vingtieme de leurs maisons. Ils en occupent environ 170. 3455
À l’hôpital, 50
Pour la pension du Vicaire de Ste. Ségolene, 200
Pour le logement des gens de guerre, 500

Total 41599 8 6

Ils perçoivent environ 8000 liv. sur 1500 Juifs répandus dans la généralité, pour la pension due aux Brancas ; mais si l’on considere que les présens de la nouvelle année, &c. peuvent s’élever à 8000 liv., la somme totale de l’imposition reste entiere. Viennent ensuite les dépenses intérieures de la Communauté et de la Synagogue, les rentes considérables à payer pour des capitaux à fonds perdu, &c. &c. &c. On ne demande pas si le Juif doit vivre, se nourir, se vêtir avec sà nombreuse famille ; le fardeau des charges pese sur sa misere, et la crainte étouffe sa douleur.

Les Juifs de Metz ont depuis environ soixante-dix ans des registres de naissances, sépultures et mariages ; je me réjouissois d’en faire le dépouillé total, de dresser des tables de mortalité et d’obtenir des points de comparaison avec les tables faites par M. Wargentin, en Suede, M. Marcorelle à Toulouse, le P. Cotte à Montmorenci, &c. J’aurois même voulu supputer le nombre des jumeaux et trijumeaux, des morts violentes et subites, et calculer la durée de la vie, en faisant des rélevés par dixaines d’années. Je suis bien aise de dire en passant que les Syndics de la Communauté juive se sont obligeamment prêtés à ma curiosité.

Mais les registres sont très-informes, il y a des lacunes, rarement ils énoncent l’âge des décédés ; en sorte qu’on ne peut distinguer souvent les impuberes des adultes ; et si l’on vouloit fonder une généalogie sur ces registres, il seroit impossible de suivre les degrés de filiation. Des actes de cette importance méritent que l’autorité civile s’en occupe ; il est très-intéressant, pour les Juifs sur-tout, qu’on leur donne un protocole et des formules de rédaction analogues à celles que nous suivons, et qu’en outre on les astreigne à dresser des actes de divorce.

Ne voulant présenter au public que des certitudes, je me suis borné à faire une ventilation des naissances et des morts masculines et féminines, dont j’offre ici un relevé pour un laps de trente-deux ans, et des mariages pour vingt-quatre ans. Ces années ne sont pas consécutives, mais elles courent depuis 1740 jusqu’à ce jour. Je ne donne pas ma table des colonnes correspondantes aux années, mais seulement une table avec trois colonnes qui correspondent aux mois.

Mois Naissanc. Sépultur. Mariages
Janvier 249 189 36
Février 191 169 50
Mars 225 193 47
Avril 181 204 2
Mai 217 213 18
Juin 219 196 31
Juillet 197 182 17
Août 218 200 41
Septembre 218 234 20
Octobre 242 243 28
Novembre 214 176 54
Décembre 213 178 38
Total 2584 2377 382

En calculant la durée des grossesses, on a voulu déterminer les temps les plus propres à la fécondité ; mais jusqu’ici peu de données sont acquises. En Suede le mois le plus abondant en naissances est Septembre, le moins abondant est Juin.

À Paris et à Montmorenci le plus fécond en naissances est Mars, le moins est Juin.

À Toulouse les plus féconds sont Janvier, Octobre et Novembre, les moins sont Juin et Juillet.

On voit un point de rapprochement avec Toulouse dans notre table ; les plus féconds sont Janvier et Octobre, les moins sont Février et Avril. La différence du plus fécond au plus stérile est de 68.

Le total des naissances,   2584 comprend :

1348 garçons.
1236 filles.

Partant 112 garçons de plus que de filles, ou un vingt-troisieme. Ceci s’éloigne de l’observation de M. d’Expilly, suivant lequel l’excédent en naissances masculines est d’un treizieme, d’autres disent d’un seizieme ; mais la constitution et le régime du peuple juif peuvent entraîner des différences.

2584 naissances en trente-deux ans donnent, année commune, près de 81 ; et la Communauté juive de Metz, étant composée de 1865 individus, dénombrement du 23 Février 1788, il y aura une naissance par chaque vingt-trois personnes : communément on en compte une par vingt-cinq.

Le total des morts est de 2377 individus, dont

1219 hommes et garçons.
1158 femmes et filles.

Partant, 61 hommes et garçons de plus que de femmes et de filles ; partant 207 naissances de plus que de morts : mais l’excédent des naissances paroîtra bien plus considérable, si l’on fait attention que souvent des Juifs étrangers et voyageurs sont venus mourir à l’hôpital de la Communauté, et que plus souvent encore des Juifs de la généralité, et même de Lorraine, qui nagueres n’avoient pas encore de cimetiere, ont été inhumés dans celui de Metz.

2377 morts en 32 ans, font année commune 73 morts (Nous négligeons les fractions.), et sur 1865 individus, un par 25 et demi ; mais il faut encore appliquer ici la réflexion qu’on vient de faire sur les Juifs étrangers enterrés à Metz. À Montmorenci, le mois le plus mortifere est Mars, le moins est Juin. À Toulouse, les plus… sont Août, Septembre et Octobre ; les moins, Février, Mars et Avril. On trouve encore un nouveau point de rapprochement avec Toulouse dans notre table, où les plus mortiferes sont Septembre et Octobre ; les moins Février et Novembre.

La différence du plus au moins est de 74.

En 24 ans 382 mariages donnent environ 16 par an, et sur 1865 individus un par 116.

Les mois les plus abondans en mariages sont Février et Novembre, les moins abondans sont Avril, Mai et Juillet. La différence du plus au moins est de 62. En Avril et Mai, c’est-à-dire dans l’intervalle de Pâques à Pentecôte, les nôces sont prohibées, un ou deux jours exceptés.

Nota. Depuis quatre à cinq ans, de jeunes Juifs Berlinois impriment en hébreu un journal qui circule parmi leur nation et même chez les autres ; ils ont adressé une lettre touchante à leurs freres enrôlés dans l’armée impériale. Aux yeux de la Synagogue ces littérateurs sont coupables d’un crime atroce ; car quel attentat de révoquer en doute l’infaillibilité des Rabbins, de prétendre que les études physiques, mathématiques, &c. peuvent être pour le moins aussi utiles que certaines discussions fastidieuses et absurdes du Talmud ! Déja ils peuvent s’honorer de la haine des sots et des clameurs de l’envie ; mais si la Synagogue les maudit, la raison les absout. Ils aideront à la régénération de leur peuple ; c’est peut-être l’aurore d’un beau jour.