Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/16

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CHAPITRE XVI.


Continuation du même sujet.


Mais les Juifs, nous dit-on, sont incapables d’être régénérés, parce qu’ils sont absolument pervers. J’ajoute qu’on en voit peu commettre des assassinats ou autres grands crimes qui provoquent la vindicte publique ; mais leur lâcheté vile enfante des bassesses. M. Michaélis assure qu’en Allemagne, de vingt-cinq frippons écroués ou jugés, vingt-quatre font Juifs. Michaélis assure ? 1 °. Assurer n’est pas prouver ; le moyen cependant étoit facile en compulsant & produisant les écrous. 2°. Le fait fût-il aussi vrai qu’il est douteux, cela ne prouveroit encore que contre les Juifs allemands. 3°. Il resteroit ensuite à établir que cette perversité dérive immédiatement de leur religion ou de leur nature. Elle n’est point inspirée par la loi, cette vérité est portée à l’évidence : croira-t-on qu’elle soit innée ? quelques philosophes chagrins ont prétendu que l’homme naissoit méchant. Heureusement pour l’honneur & la consolation de l’humanité, on a relégué ce système dans la classe des hypotheses absurdes & désolantes. Tant de loix portées contre les Juifs, leur supposent toujours une méchanceté native & indélébile ; mais ces loix qui sont le fruit de la haine ou de la prévention, n’ont d’autre fondement que le motif qui les inspire. Cette perversité n’est pas tellement inhérante à leur caractere, qu’elle en affecte tous les individus. On voit éclore en eux des vertus, des talens par-tout où l’on commence à les traiter en hommes, sur-tout dans les États du Pape, qui sont depuis si long-temps leur paradis terrestre, dans la Hollande, la Prusse, & parmi nous. MM. Hertz, Block & Marz, illustrent actuellement la nation juive & l’Allemagne, & Pinto est à la Haye. Nous croirons ce peuple susceptible de moralité jusqu’à ce qu’on nous montre des obstacles invincibles dans son organisation physique, dans sa constitution religieuse & morale. Chérissons les vertus ; mais ne soyons pas assez inconséquens pour en demander à ceux que nous avons contraints à devenir vicieux. Rectifions leur éducation, pour rectifier leurs cœurs ; il y a long-temps qu’on répete qu’ils sont hommes comme nous, ils le sont avant d’être juifs.

M. Michaélis objecte encore que cette nation étant en opposition constante avec les mœurs générales, ne deviendra jamais patriote ; nous convenons qu’il est difficile de l’amalgamer à la société universelle ; mais entre l’impossible & le difficile, il y a même distance qu’entre l’impossible & le possible. J’ai remarqué, & prouvé moi-même, que jusqu’ici le Juif est invariable dans ses mœurs & ses usages ; mais la plupart de ses usages ne contrarient pas les fonctions civiles, & quant à celles qui paroîtroient en collision avec les obligations du citoyen, elles ne se sont maintenues que par l’invariabilité de conduite des nations à leur égard. Si nous ne disons pas avec Helvétius que l’homme en total est le produit de son éducation, nous conviendrons au moins qu’il est en grande partie le résultat des circonstances. Le Juif peut-il jamais devenir patriote ? c’est la question de ceux qui lui reprochent de n’avoir pas aimé une patrie qui le repoussoit de son sein, & de n’avoir pas chéri des peuples acharnés contre lui, c’est-à-dire, ses bourreaux.

Dans chaque pays les adulateurs exaltent l’attachement des peuples à leurs Souverains, à leur patrie, & l’on encense le maître aux dépens de la vérité. Étudiez le caractere des hommes de diverses contrées, vous verrez que le plaisir ou l’intérêt sont les grands mobiles de leurs affections, pourvu que le peuple dorme avec sécurité dans ses foyers, & qu’il y mange en paix les fruits du champ qu’il a cultivé sans trouble, pourvu qu’il ne soit pas frappé du fléau de la fiscalité, ni écrasé par la massue du despotisme, il est satisfait ; mais hors de là, le gouvernement lui est plus qu’indifférent, ainsi que le Souverain ; il fait même des vœux secrets pour des mutations, parce qu’il imagine qu’un nouvel ordre de choses ameneroit le bonheur, & du patriotisme il ne connoît que le mot, excepté peut-être dans les lieux où il participe, même de loin, à l’autorité législative ou exécutrice. Aussi peut-on poser en fait que depuis deux ans le caractere françois a acquis plus d’énergie, & développé plus de patriotisme que depuis deux siecles.

Le Juif répandu par-tout, & fixé nulle part, n’a gueres que l’esprit du corps qui n’est pas l’esprit national ; voilà pourquoi, comme on l’observe communément, à Londres il n’est pas anglois, ni hollandois à la Haye, ni françois à Metz ; c’est toujours un état dans l’État, parce qu’il n’est jamais traité comme fils de la patrie. Dans les républiques même, où le peuple actif dans la législation n’obéit qu’à soi-même, le Juif est toujours passif, toujours compté pour rien ; il n’a aucune propriété terrienne, le commerce qui rend ordinairement cosmopolite, lui procure des richesses portatives qui le consolent foiblement de l’opprobre & de la pesanteur des loix oppressives. Et vous exigez qu’il aime une patrie, donnez-lui en une.

Mais, dit M. Michaélis, il envisagera toujours la Palestine comme le terme de son repos, & ne verra jamais les autres pays que comme des lieux de passage, sans s’y attacher. Qui faut-il croire de lui ou de Boulanger ? Celui-ci nous assure(1) que le fanatisme des Juifs se refroidit, & qu’à la fin il pourroit s’éteindre totalement. Ils esperent un retour dans la Palestine ; mais ils esperent en même temps la conquête de l’univers, qui assurera leurs possessions en d’autres contrées. D’ailleurs ce retour est fixé à une époque incertaine ; le Talmud défend d’y songer, de faire des démarches en conséquence, avant que des prodiges éclatans ayent annoncé l’arrivée du Libérateur.

Dans le temps que le malheur pese sur le Juif, & qu’il mange en tremblant un pain de douleur, il soupire peut-être après l’avénement du Messie. Je dis peut-être, car tous ne l’envisagent pas comme une perspective bien favorable, puisque, suivant quelques Rabbins, un jugement sévere doit préalablement faire le triage de ceux qui partageront cette félicité ; on connoît l’exclamation d’un Docteur : qu’il vienne, pourvu que je ne le voye pas ! Quoi qu’il en soit, sa venue paroîtra moins desirable à notre israélite, lorsque l’humanité des peuples le laissera respirer paisiblement sous les toits paternels habités par le calme & le bonheur qui auront pour lui tous les charmes de la nouveauté. Trop souvent les avantages de la vie présente font oublier ceux que l’avenir promet ; le Juif a des sens ainsi que nous, & ses espérances ne seront pas un motif d’abandonner des jouissances actuelles, lorsqu’il pourra les obtenir. Une fois devenu membre de la nation, attaché à l’État par des liens de plaisirs, de sécurité, de liberté & d’aisance, on verra diminuer en lui l’esprit de corps ; il ne sera pas tenté de porter ailleurs ses richesses, lorsque ses terres le fixeront dans le pays où il les aura acquises(2) ; il chérira sa mere, c’est-à-dire, sa patrie, dont l’intérêt sera confondu avec le sien.



(1) Boulanger. Antiquité dévoilée.

(2) Toland insiste beaucoup sur cette raison dans son traité sur la naturalisation des Juifs en Angleterre (Reasons for naturalising the Jews. London in-8o. 1715). Dans ce petit traité il donne trois motifs principaux pour les naturaliser : 1°. les épiscopaux ni les presbytériens ne doivent pas appréhender que les Juifs fortifient le parti de leurs ennemis, en se liguant avec eux ; ils détestent également les deux partis, et auroient grand intérêt à maintenir la liberté de conscience. 2°. Leur adresse et leur ardeur infatigable pour le commerce fait croire qu’ils procureroient un grand avantage aux arts et aux sciences. Le troisieme motif est celui que nous alléguons dans le texte de ce chapitre.