Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/07

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CHAPITRE VII.


Réflexions sur la constitution physique du peuple Juif.


Clénard parle dans ses lettres des beautés juives de Fez & de Maroc. On vante aussi celles d’Avignon, & le voyageur Roques nous peint les Hébreux de Moka en Arabie comme assez bien faits(1). Peut-être même dans nos contrées trouve-t-on chez eux moins que chez nous des défauts de conformation. Mais cependant, s’il faut en croire Michaëlis(2) & nos yeux, la plupart des physionomies juives sont rarement ornées du coloris de la santé & des traits de la beauté. Elles s’annoncent en outre par des nuances différentielles, aussi marquées qu’inexplicables. Le philosophe Lavarer, qu’on peut considérer comme législateur quand il sera question de prononcer sur les physionomies, m’a dit avoir observé qu’en général ils ont le visage blafard, le nez crochu, les yeux enfoncés, le menton prominent, & les muscles constricteurs de la bouche fortement prononcés. Je me félicite de voir les conséquences morales qu’il en déduit, coïncider avec ce que j’ai développé dans le chapitre précédent.

Misson remarque que les Juifs portugais sont basanés ; mais ceux de Prague, dit-il, pas plus que les autres habitans de la Bohême(3) : effectivement ils sont moins foncés de couleur que les Juifs portugais. Cependant il est faux qu’ils ayent la blancheur des Indigènes. J’en appelle à l’inspection & au témoignage d’un bon observateur qui vient d’écrire (M. Mallet) ; après avoir remarqué que le soleil noircit plus aisément les hommes blonds, que le froid ne blanchit les bruns, supposé même que le froid ait ce pouvoir, il cite en preuve les Juifs du Nord, qui depuis long-temps y demeurent sans ressembler aux habitans(4). Rien de plus rare que des Juifs au teint clair. Quelques-uns sont roux, presque tous bruns, avec des cheveux crépus qui rappellent leur origine des contrées méridionales. Quant à la stature, ils ne passent gueres la moyenne. Presque tous ont la barbe rare, marque ordinaire des tempéramens efféminés ; & communément leurs femmes sans corpulence sont, dit-on, sujettes aux fleurs blanches & ont la vue foible : ce qui pourroit provenir de leur peu de communication au-dehors.

On ajoute que les Juifs sont cacochymes & très-sujets aux maladies qui indiquent corruption dans la masse du sang, comme autrefois la lepre & aujourd’hui le scorbut, qui a tant d’affinité avec elle(5), les scrophules, le flux de sang, &c. Si à leur témoignage on joint l’aveu d’Abrabanel(6), on fera fort tenté de croire que les hémorrhoïdes sont endémiques chez eux. Et comme cette maladie a quelquefois des retours périodiques, divers écrivains ont conclu très-sérieusement que les Juifs étoient soumis aux révolutions menstruelles(7). Cardoso cite & réfute divers Auteurs qui ont débité les mêmes sottises(8).

On prétend aussi que les Juifs exhalent constamment une mauvaise odeur. Cette opinion n’est pas nouvelle : on la trouve fréquemment dans les Auteurs anciens ; & les mêmes accusations, répétées dans tous les âges, ont perpétué le même préjugé(9). Ramazzini, dans son traité des maladies des Artisans, a inséré un chapitre sur celles des Juifs. Il ne doute pas qu’ils ne répandissent une très-bonne odeur, lorsqu’ils vivoient dans la splendeur à Jérusalem, & il assure pour cause de leur fétidité prétendue, & de leur pâleur plus réelle, leurs occupations, comme la fripperie & la pauvreté, quia sint illis angustæ domus & res angusta domi. D’autres attribuent ces effets à l’usage fréquent des légumes dont l’odeur est pénétrante, comme l’oignon & l’ail : quelques-uns à la viande de bouc ; & d’autres enfin prétendent que la chair d’oye, pour laquelle ils ont un goût décidé, les rend atrabilaires & livides, attendu que cette nourriture abonde en sucs grossiers & visqueux(10).

Nous admettons l’influence de ces causes particulieres sur le tempérament ; mais les inductions qu’on en tire ne sont pas satisfaisantes. Qui croira, par exemple, que la fripperie suffit pour plomber le teint ? Les habitans de la rue Tire-chape, à Paris, ou du Marché aux guenilles de Strasbourg sont-ils moins colorés que ceux des rues voisines ? D’ailleurs les Juifs ne sont pas tous pauvres & frippiers, & l’usage de Metz qu’on vient de mentionner n’est pas général. M. Venel, après avoir remarqué que l’épilepsie est commune chez eux, que la plupart paroissent vieux de bonne heure, & parviennent rarement à un âge avancé, prétend que leurs ablutions contribuent beaucoup à leur énerver le tempérament(11). On peut lui répondre que l’usage journalier des bains n’avoit point amolli les Romains ; que les Turcs, soumis dans ce genre à plus de cérémonies légales que les Juifs, ne sont pas si efféminés, & que d’ailleurs les ablutions froides, telles qu’elles sont usitées chez ces mêmes Juifs, loin d’efféminer le tempérament, devroient le fortifier & donner aux muscles plus d’élasticité.

Peut-être rencontrerons-nous mieux, en assignant diverses causes dont l’action réunie peut abbâtardir la figure, & lui imprimer le sceau de la dégradation. Telles sont,

1°. La mal-propreté, qui, à certains égards, est légale en temps de deuil, & qui est une source constante de maladies cutanées, si communes chez les Juifs(12). Cependant leurs ablutions devroient, nous dit-on, produire un effet contraire. D’accord : mais observez que ces ablutions, moins fréquentes qu’on ne les suppose, sont un joug auquel le Juif est soumis, & non une précaution de santé : rarement sont-elles administrées d’une maniere utile, & leur effet est nul tant qu’on n’y fait pas concourir la propreté des meubles, des linges, des alimens, le renouvellement de l’air, &c.

2°. Leur genre de nourriture, plus convenable au climat de la Palestine qu’au nôtre ; car, indépendamment des raisons religieuses & morales, l’abstinence de certains alimens, telle que la prescrit Moyse, est souvent justifiée par la connoissance du climat, comme le prouve, après tant d’autres, M. Bagard(13).

3°. L’usage d’alimens mal choisis, mal préparés. Il est d’expérience que cette cause fait promptement dégénérer l’espece humaine, & l’autorité de M. de Buffon donne à cette assertion un nouveau poids(14) : or il est certain que par crainte de manger du sang, les Juifs l’expriment presqu’entièrement des viandes, & leur enlevent par-là beaucoup de suc nourricier. On assure qu’en certains pays ils salent peu, leurs mets doivent avoir alors une qualité mal-saine, & rendre les digestions laborieuses ; car on sait combien l’usage du sel a d’heureuses influences sur l’économie animale.

4°. Le défaut de croisement dans l’espece qui abâtardit les races, & dégrade la beauté des individus : mais s’il est vrai, comme l’assure Vaudermande(15), que la défense de s’épouser entre frere & sœur ait été chez les anciens législateurs le sel de la plus haute politique, je croirois cette politique fondée sur l’idée de multiplier les rapports moraux entre les hommes, & d’étendre leur bienveillance, plutôt que sur des expériences physiques. Quoi qu’il en soit, les alliances entre consanguins ne perfectionnent pas l’espece ; c’est une vérité sur laquelle on ne peut que répéter : c’est ce qui a opéré la dégradation physique des Parsis en Orient, & des Juifs par-tout. Répandus, souvent en petit nombre, dans un même lieu, ils se dispensent de courir au loin pour former des alliances ; ils s’épousent au second degré, & c’est presque toujours le même sang qui circule dans des familles différentes. J’ajoute, en confirmation de cette these, un fait que l’on vient de me donner pour sûr : c’est qu’à Salenci l’habitude de ne pas chercher des épouses hors de cet asyle de la vertu, a fait dégénérer les races.

5°. Une cinquieme cause, c’est l’usage général de se marier fort jeune. Cet usage nuisible aux deux sexes qu’il énerve, procure des grossesses prématurées, qui, selon le même M. Venel, n’étant pas dans l’ordre de la nature, affoiblissent la mere & son fruit. Cette vérité, renouvellée constamment sous nos yeux, réfute ceux qui croyent que l’époque de la nubilité & celle de la puberté sont identiques, & que les mariages hâtifs sont dans l’ordre naturel. Joignons nos réflexions à celles de l’auteur qu’on vient de citer, & portons les choses à l’évidence.

On a donné dans l’erreur pour avoir confondu la nubilité avec la fécondité : celle-ci n’est que la faculté de produire un être de son espece. On sait qu’elle s’annonce communément chez les personnes du sexe, par l’établissement de l’évacuation périodique, qui, peut-être, n’est pas une institution de la nature, car ce problême n’est point encore résolu(16), & par des phénomenes communs aux deux sexes. Mais la nubilité établit de plus des rapports moraux entre l’homme & la femme ; elle exige donc l’assemblage des qualités propres à remplir dans toute leur étendue les devoirs paternels & maternels ; elle suppose donc que les qualités morales sont développées à l’égal des facultés physiques, & que, pour faire éclore celles-ci, on n’a pas forcé la marche progressive du tempérament, sans quoi l’ouvrage avorté ressembleroit à ces fruits dont la maturité contrainte n’offre jamais cette saveur exquise que leur donne la nature. Si la fécondité attestoit qu’une personne est nubile, il faudroit en conclure que les Indiennes souvent fécondes dès l’âge de huit à neuf ans ont dès-lors toute l’aptitude requise aux fonctions de la maternité. L’existence du tribut périodique ne fixe pas l’époque de la fécondité : il s’établit quelquefois à un an, & des meres en sont exemptes toute leur vie. Par la même raison, les filles valétudinaires des villes seroient plus propres au mariage que les robustes campagnardes, attendu que chez celles-ci l’éruption des phénomenes de la puberté est plus tardive que chez les premieres.

Mais, dira-t-on, si la fécondité précede la nubilité, comment justifier la nature ? Auroit-elle doué l’homme d’une faculté qui pourroit quelquefois en devenir le tyran, parce qu’elle existeroit antérieurement au temps où il doit en faire usage ? N’outrageons pas la nature, c’est-à-dire, son auteur, en la chargeant de nos torts ; l’empreinte de sa main est encore gravée sur son plus bel ouvrage : mais nos conventions sociales en ont bien altéré les traits. Nulle part on n’a réglé les principes de l’éducation & le développement des connoissances sur celui des deux substances dont l’homme est composé. Et delà qu’arrive-t-il ? que souvent l’esprit a déja trente ans, tandis que le corps n’en a que dix, en sorte qu’une imagination précoce souffle dans un cœur enfantin le feu des passions, & l’embrase. Les progrès du mal sont encore plus marqués chez les jeunes gens qui usent d’alimens très-substantiels & recherchés. Le suc nourricier, trop abondant, s’ouvre de nouvelles routes, & accélere une puberté factice qui est le fruit des abus, différente de la puberté naturelle que cette qualification même dit être l’ouvrage de la nature. Voilà pourquoi les deux sexes atteignent plutôt cette époque dans les villes où le luxe établit son empire, que dans les campagnes où regne plus de frugalité, où l’on est plus voisin de la nature.

Il paroît bien évident que dans l’ordre établi par le Créateur, ces deux époques n’étant qu’une ne doivent jamais précéder l’entier développement de la stature des organes & de la raison ; parce que (suivant la remarque judicieuse d’un auteur) la nature ne s’occupe de l’espece qu’après avoir formé l’individu. Mais ne nous lassons pas de répéter que cet ordre est présentement interverti, parce que l’homme dénature tout, & si la puberté se déclare prématurément, ne consommons pas le dépérissement de la race humaine par des mariages trop hâtifs.

Cette digression n’est point étrangere à notre sujet. Il étoit essentiel d’attaquer un préjugé dont les funestes effets ne se sont que trop sentir chez les Juifs. Ajoutons que leurs femmes sont constamment énervées par une vie sédentaire ; que la plupart des hommes sont dans le même cas ; que les autres, livrés à un sort errant qui n’exerce que les jambes, n’ont jamais les bras nerveux de nos cultivateurs. Cette dégradation physique, jointe à la misere d’une partie de ce peuple s’opposeroit à sa population, si des causes infiniment supérieures ne la favorisoient.



(1) Voyage de Roques. Paris, 1716. T. 1, pag. 107. Le savant abbé Vinkelman (hist. de l’art chez les anciens, T. 2), assure qu’autrefois les figures juives pouvoient fournir de très-beaux modeles, et il remarque, avec Jos. Scaliger, qu’on ne trouve pas de nez écrasés parmi leurs descendans. Il pouvoit ajouter que la ressemblance des enfans aux parens est plus commune chez les Juifs que chez nous.

Deux beautés juives ont fait sensation dans nos temps modernes : l’une est la belle Esther, qui fut aimée de Casimir le grand, Roi de Pologne. À un mille de Casimir, qui est le fauxbourg de Cracovie, est un monticule nommé la tombe d’Esther.

L’autre est la belle Rachel, maîtresse d’Alfonse VIII, Roi de Castille ; il avoit promulgué une loi qui défendoit aux Juifs d’exercer leur culte. Les Rabbins conseillerent d’envoyer au Monarque une jeune fille vierge. On choisit Rachel ; Alfonse, épris de ses charmes, révoqua l’arrêt ; mais les Castillans, indignés, tuerent la Reine. Ce fait, sur lequel les historiens sont partagés, a fourni le sujet d’une piece au théâtre espagnol.

(2) M. Michaélis Beurtheilung üeber die bürgerliche verbesserung der Juden von Ch. W. Dohm.

(3) Voyage de Misson.

(4) Voyage de Norwege. Par M. Mallet, pag. 255. Benjamin de Tudele observa que les Juifs, transplantés en Afrique, et sur-tout dans l’Abyssinie, depuis six siecles, y étoient devenus noirs. On a disserté sur les Juifs blancs et noirs de Cochin, qui se haïssent cordialement. Quand un Rabbin blanc entre dans une synagogue où un Rabbin noir pérore, celui-ci est obligé de céder sa place, et de sortir vite. Nous n’avons encore sur leur compte que des détails vagues et fort incertains ; mais probablement cette distinction de blancs et de noirs n’indique qu’une couleur plus ou moins foncée. Les européens blancs et bruns sont tous nommés blancs dans les contrées où le teint a une différence tranchante de la nôtre.

(5) Buchan. Médecine domestique. T. 3. Hasselquist nous apprend que les juives du Caire sont très-sujettes au tenia ; ce qu’il attribue spécialement à l’usage de manger beaucoup de confitures.

(6) Le passage d’Abrabanel se trouve dans Reusselius. Dissert. de pestilent. à Deo, &c. ad Deuteron., chapit. XXVIII, et dans Carpzovius. Dissert. de filio hominis ad antiquum dierum delato, &c. Marc-Zimara attribua les hémorrhoïdes des Juifs à leur mélancolie.

(7) Tostat. in 1°. Reg., chap. V. Bonfinius rerum hung. decas. 4°. Liv. 5, &c. Alexander ab Alexandro genialium dierum. L. 4, chap. XXVI.

(8) Cardoso. V. le chap. : non cola y sangré.

(9) Martial épigr. liv. 4. Rutilii numant. itinerarium. Fortunat pœm. liv. 5. Ammien Marcel. liv. XXII. L’auteur de la Roma santa dit qu’ils perdent leur puanteur par le baptême. Les Juifs nous ont rendu ces imputations ; car des Rabbins ont assuré que le serpent avoit répandu sur Ève une puanteur transmise à toute sa postérité, et dont les seuls Juifs sont exempts. Tous les peuples ont un répertoire d’injures plus ou moins enflé : mais, les dénominations de Juifs, de puants, y occupent presque toujours une des premieres places. Quand la prévention et la méchanceté ont voulu avilir les Gahets de Gascogne et les Caqueux de Bretagne, on leur a imputé une mauvaise odeur et une origine juive. V. les dissert. de l’abbé Venuti.

(10) Hecquet et Saury attribuent leur mauvaise odeur à la trop grande quantité d’ails qu’ils consomment. Voy. Dispenses de carême, par Hecquet, part. prem., chapit. XXVIII. Géographie physique, par Saury, T. 2, p. 95. Lemery le fils (Traité des alimens, chapit. XXI), et Beckrens (selecta diætetica, sect. 2), l’attribuent à l’usage de manger beaucoup d’oyes.

(11) Traité sur la santé et l’éducation médicinale des filles destinées au mariage. Par M. Venel. Yverdun 1776.

(12) M. Vicat, auteur d’un traité sur la Plique polonoise, assigne diverses causes à cette maladie, entr’autres la malpropreté. Voilà pourquoi les Juifs de Pologne y sont encore plus sujets que le reste du bas peuple.

(13) Traité sur la longévité. Mercurialis de morbis cutaneis, chap. II. Aldrovande de quadrup. bisulcis. T. 5. Gesner de sue, liv. I.

(14) Hist. natur. T. 5, variétés de l’espece humaine.

(15) Vandermonde. Essai sur la maniere de perfectionner l’espece humaine. Paris 1756. T. 1, premiere partie.

(16) Système physique et moral de la femme. Par M. Roussel.