Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/04

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CHAPITRE IV


Cause de la haine respective des Juifs & des autres nations


La résistance des Juifs dans la derniere guerre contre les Romains, avoit aigri le caractere de ceux-ci, qui ne manquerent pas d’inspirer leurs préventions à tous les peuples de l’empire. Les Juifs, chassés de leur patrie, mais exaltés sans cesse par les impostures de faux Messies qui alimentoient leur fanatisme, ne souffroient qu’avec peine une domination étrangere, & ils conserverent jusqu’au septieme siecle un esprit séditieux qui réveilloit la haine(1).

La religion est d’ailleurs l’article sur lequel on pardonne le moins aux autres de penser différemment ; &, s’il est une religion capable de choquer l’amour propre de ceux qui n’en sont point sectateurs, c’est assurément la religion juive : ainsi l’avoit fait à dessein son divin auteur, pour élever une barriere entre son peuple & la corruption des peuples idolâtres qui de toute part l’avoisinoient. Le judaïsme offre un culte exclusif ; & quoiqu’il impose l’obligation d’une philanthropie universelle, sa singularité paroît tendre à faire envisager les autres hommes comme d’odieux profanes(2). Il professe l’unité de Dieu, & les Gentils se révoltoient contre Un dogme qui sappoit les fondemens du paganisme : d’ailleurs ils ne parloient qu’avec un sourire dérisoire de la Circoncision, le plus antique de tous les rites ; & du ridicule au mépris le passage est immédiat. Il est de principe en morale qu’on ne hait gueres ce qu’on dédaigne ; mais le malheur des Juifs les a soumis à l’exception. Le mépris les destinoit à la flétrissure, & la rage aux tourmens. Les Chrétiens voyant en eux les auteurs d’un déicide, oublioient quelquefois l’exemple de leur fondateur, qui a prié sur la croix pour ses bourreaux. Mahomet commença par marquer aux Juifs beaucoup de considération, mais bientôt ce sentiment fit place à la fureur. Son alcoran retentit d’exclamations violentes contre des hommes opposés à sa doctrine ; & les Musulmans qui argumentoient avec le sabre, renfermerent les Juifs dans la proscription de toutes les religions différentes de l’islamisme. Le laps des siecles fortifia cette animosité, qui devint héréditaire, parce que les peres la nourrissoient dans leurs enfans. Bientôt on supposa que les Juifs, aigris, mais trop foibles pour opposer des vengeances éclatantes à des vexations barbares, provoquoient sourdement des malheurs ; & les peuples, adoptant cette idée sans examen, les massacroient sans pitié. Nous verrons plus bas comment les Juifs, forcés de se livrer à l’usure, & parvenus à l’opulence, irriterent l’envie par leurs richesses, qui les rendirent plus odieux encore. Telles sont les sources de la haine que toute la terre a vouée au peuple Juif, & de la persécution qui les a suivis par-tout.

Le résultat de ces événemens offre action & réaction. Les Juifs de la même secte ont toujours été assez unis entr’eux, parce qu’il y avoit chez eux peu de disproportion dans les rangs, les fortunes, & très-peu de luxe ; leurs années jubilaires les rapprochoient de l’égalité primitive que les institutions sociales combattent sans cesse ; leurs malheurs ont fortifié cette union & resserré leurs nœuds. Nous avons tracé le tableau des cruautés exercées contre eux. Honnis, proscrits, outragés par-tout, pouvoient-ils aimer leurs tyrans ? Ils ont dû concevoir de l’aversion pour tous les peuples ligués contre eux, sur-tout pour les Chrétiens, qu’ils regardoient comme des intrus coupables d’avoir éclipsé leur splendeur religieuse(3).



(1) On trouve à ce sujet un passage curieux dans Ammien Marcellin, l. 2. « Marc-Aurele, dit-il, traversant la Palestine pour arriver en Égypte, excédé d’ennuis et de douleurs par les Juifs, nation puante et séditieuse, s’écria avec indignation : ô Marcomans ! ô Quades ! ô Sarmates ! enfin j’ai trouvé un peuple plus remuant que vous ».

(2) Maimonides, dans son Moré nevochim, part. 3, chap. XLVI, remarque très-sensément que si Moyse prescrit aux Juifs d’immoler des beliers, des bœufs et des boucs, c’étoit pour leur rendre abominable le culte que les Thébains, les Memphites et les Mendesiens rendoient à ces animaux.

(3) Tacite, hist. l. 5, les accusoit de détester toutes les nations. Boulanger, après beaucoup d’autres, leur fait les mêmes reproches. On assure qu’en Afrique ils sont plus animés que les Maures même, contre les Chrétiens. V. la relation de Fez et de Maroc, traduite de l’Anglois, et publiée par Ockley, Amsterd. 1726.