Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre troisième entier

Livre deuxième Essai sur l’inégalité des races humaines Livre quatrième


LIVRE TROISIÈME.

CIVILISATION RAYONNANT DE L’ASIE CENTRALE VERS LE SUD ET LE SUD-EST.

Séparateur



CHAPITRE PREMIER.

Les Arians ; les brahmanes et leur système social.

Je suis parvenu à l’époque où Babylone fut prise d’assaut par les Mèdes. L’empire assyrien va changer tout à la fois de forme et de valeur. Les fils de Cham et de Sem cesseront à jamais d’être au premier rang des nations. Au lieu de diriger et de conduire les États, ils en formeront désormais le fond corrupteur. Un peuple arian paraît sur la scène, et, se laissant mieux apercevoir et juger que le rameau de même race enveloppé dans les alliages égyptiens, il nous invite à considérer de près, et avec l’attention qu’elle mérite, cette illustre famille humaine, la plus noble, sans contredit, de l’extraction blanche.

Ce serait s’exposer à mettre cette vérité dans un jour incomplet, que de présenter les Mèdes, sans avoir préalablement étudié et connu tout le groupe dont ils ne sont qu’une faible fraction. Je ne puis donc commencer par eux. Je m’attacherai d’abord aux branches les plus puissantes de leur parenté. À cet effet, je vais m’enfoncer dans les régions situées à l’orient de l’Indus, où se sont développés d’abord les plus considérables essaims des peuples arians.

Mais ces premiers pas, détournés de la partie de l’histoire que j’ai d’abord examinée, m’entraîneront au delà des régions hindoues ; car la civilisation brahmanique, à peu près étrangère à l’occident du monde, a puissamment vivifié la région orientale, et, rencontrant là des races que l’Assyrie et l’Égypte n’ont qu’entrevues, elle s’est trouvée en contact intime avec les hordes jaunes. L’étude de ces rapports et de leurs résultats est de première importance. Nous verrons, avec ce secours, si la supériorité de la race blanche pourra s’établir vis-à-vis des Mongols comme vis-à-vis des noirs, dans quelle mesure l’histoire la démontre, et par suite l’état respectif des deux races inférieures et de leurs dérivées.

Il est difficile de trouver des synchronismes entre les émigrations primordiales des Chamites et celles des Arians ; il ne l’est pas moins de se soustraire au besoin d’en chercher. La descente des Hindous dans le Pendjab est un fait si reculé au delà de toutes les limites de l’histoire positive, la philologie lui assigne une date si ancienne, que cet événement paraît toucher aux époques antérieures à l’an 4000 avant J.-C. Chamites et Arians auraient ainsi quitté, à peu près à la même heure et sous le coup des mêmes nécessités, les demeures primordiales de la famille blanche, pour descendre dans le sud, les uns vers l’ouest, les autres vers l’orient.

Les Arians, plus heureux que les Chamites, ont gardé, pendant une longue série de siècles, avec leur langue nationale, annexe sacrée de l’idiome blanc primitif, un type physique qui ne les exposa pas, tant il resta particulier, à être confondus parmi les populations noires. Pour expliquer ce double phénomène, il faut admettre que, devant leurs pas, les races aborigènes se retiraient, dispersées ou détruites par des incursions d’avant-garde, ou bien qu’elles étaient très clairsemées dans les vallées hautes du Kachemyr, premier pays hindou envahi par les conquérants. Du reste, il n’y a pas à douter que la population première de ces contrées n’appartînt au type noir (1)[1]. Les tribus mélaniennes que l’on rencontre encore aujourd’hui dans le Kamaoun en portent témoignage. Elles sont formées des descendants des fugitifs qui, n’ayant pas suivi leurs congénères lors du grand reflux vers les monts Vyndhia et le Dekkhan (1)[2], se sont jetés au milieu des gorges alpestres, asile sûr, puisqu’ils y conservent leur individualité depuis des séries d’années incalculables.

Avant de mettre le pied plus avant sur le sol de l’Inde, saisissons tout l’ensemble de la famille ariane primitive, à ce moment où son mouvement de marche vers le sud est déjà prononcé, mais où, toutefois, si elle a commencé à envahir la vallée de Kachemyr par ses têtes de colonnes, le gros de ses nations n’a pas encore dépassé la Sogdiane.

Déjà les Arians sont détachés des nations celtiques, acheminées vers le nord-ouest et contournant la mer Caspienne par le haut ; tandis que les Slaves, très peu différents de ce dernier et vaste amas de peuples, suivent vers l’Europe une route plus septentrionale encore.

Les Arians donc, longtemps avant d’arriver dans l’Inde, n’avaient plus rien de commun avec les nations qui allaient devenir européennes. Ils formaient une immense multitude tout à fait distincte du reste de l’espèce blanche, et qui a besoin d’être désignée, ainsi que je le fais, par un nom spécial. Par malheur, des savants de premier ordre n’ont pas apprécié cette nécessité. Absorbés par la philologie, ils ont donné un peu légèrement, à l’ensemble des langues de la race, le nom fort inexact d’indo-germanique, sans s’arrêter à cette considération, pourtant très sérieuse, que, de tous les peuples qui possèdent ces idiomes, un seul est allé dans l’Inde, tandis que les autres n’en ont jamais approché. Le besoin, d’ailleurs impérieux, des classifications a été de tout temps la source principale des erreurs scientifiques. Les langues de la race blanche ne sont pas plus hindoues que celtiques (2)[3], et je les vois beaucoup moins germaniques que grecques. Le plus tôt on renoncera à ces dénominations géographiques sera le mieux.

Le nom d’Arian possède cet avantage précieux d’avoir été choisi par les tribus mêmes auxquelles il s’applique, et de les suivre partout indépendamment des lieux qu’elles habitent ou ont pu habiter. Ce nom est le plus beau qu’une race puisse adopter : il signifie honorable (1)[4] ; ainsi, les nations arianes étaient des nations d’hommes honorables, d’hommes dignes d’estime et de respect, et probablement, par extension, d’hommes qui, lorsqu’on ne leur rendait pas ce qui leur était dû, savaient le prendre. Si cette interprétation n’est pas strictement dans le mot, on verra qu’elle se trouve dans les faits.

Les peuples blancs qui s’appliquèrent cette dénomination en comprenaient la portée hautaine et pompeuse. Ils s’y attachèrent avec force, et ne la laissèrent que tardivement disparaître sous les qualifications particulières que chacun d’eux se donna par la suite. Les Hindous appelèrent le pays sacré, l’Inde légale, Arya-varta, la terre des hommes honorables (2)[5]. Plus tard, quand ils furent divisés en castes, le nom d’Arya resta au gros de la nation, aux Vaycias, la dernière catégorie des vrais Hindous, deux fois nés, lecteurs des Védas.

Le nom primitif, réclamé par les Arians Iraniens, auxquels appartenaient les Mèdes, fut ’Aριοί. Une autre branche de cette famille, les Perses, avaient également commencé par s’appeler ’Aρταιοί, et quand ils y renoncèrent pour l’ensemble de la nation, ils conservèrent la racine de ce mot dans la plupart de leurs noms d’hommes, tels qu’Arta-xerxès, Ario-barzane, Arta-baze, et les prêtèrent ainsi faits aux Scythes-Mongols convertis à leur langage, et qui trouvèrent plus tard à en renouveler l’usage dans l’emploi qu’en faisaient de leur côté les Arians Sarmates (1)[6].

Dans leurs idées cosmogoniques, les Iraniens regardaient comme le pays le premier créé une région qu’ils appelaient Airyanem-Vaëgo, et ils la plaçaient bien loin dans le nord-est, vers les sources de l’Oxus et du Yaxartes (2)[7]. Ils se rappelaient que là l’été ne durait que deux mois de l’année, et que, pendant dix autres mois, l’hiver y sévissait avec une rigueur extrême. Ainsi, pour eux, le pays des hommes honorables était resté l’ancienne patrie ; tandis que les Hindous des temps postérieurs, attachés au nom et oubliant la chose, transportèrent la désignation et en firent don à leur patrie nouvelle.

Cette racine ar suivit partout les rameaux divers de la race et les préoccupa constamment. Les Grecs la montrent, bien conservée et en bon lieu, dans le mot ῎Aρης, qui personnifie l’être honorable par excellence, le dieu des batailles, le héros parfait ; dans cet autre mot, ἀρετή, qui indique d’abord la réunion des qualités nécessaires à un homme véritable, la bravoure, la fermeté, la sagesse, et qui, plus tard, voulut dire la vertu. On le trouve encore dans cette expression de d’ἀράομαι, qui se rapporte à l’action d’honorer les puissances surhumaines ; enfin, il ne serait pas trop hardi, peut-être, ni contraire à toute bonne étymologie de voir l’appellation générique de la famille ariane attachée à une de ses plus glorieuses descendances, en rapprochant les mots arya, ayrianem, de Ἀρχαιοί, et d’Ἀργεῖοι. Les Grecs, en se séparant à une époque antique du faisceau commun, n’auraient point abjuré son nom ni dans leurs habitudes de pensée, le fait est incontestable, ni même dans leur dénomination nationale.

On pourrait pousser beaucoup plus loin cette recherche, et l’on trouverait cette racine ar, ir ou er, conservée jusque dans le mot allemand moderne Ehre, qui semble prouver qu’un sentiment d’orgueil fondé sur le mérite moral a toujours occupé une grande place dans les pensées de la plus belle des races humaines[8].

D’après des témoignages aussi nombreux, on trouvera peut-être à propos de rendre un jour, au réseau de peuples dont il s’agit, le nom général et très mérité qu’il s’était appliqué à lui-même et de renoncer à ces appellations de Japhétides, de Caucasiens et d’Indo-Germains, dont on ne saurait trop signaler les inconvénients. En attendant cette restitution bien désirable pour la clarté des généalogies humaines, je me permettrai de la devancer, et je formerai une classe particulière de tous les peuples blancs qui, ayant inscrit cette qualification soit sur des monuments de pierre, soit dans leurs lois, soit dans leurs livres, ne permettent pas qu’on la leur enlève. Partant de ce principe, je crois pouvoir dénommer cette race spéciale d’après les parties qui la constituent au moment où, déjà séparée du reste de l’espèce, elle s’avance vers le sud.

On y compte les multitudes qui vont envahir l’Inde et celles qui, s’engageant sur la route où ont marché les Sémites, gagneront les rivages inférieurs de la mer Caspienne, et de là, passant dans l’Asie Mineure et dans la Grèce, en différentes émissions s’y nommeront les Hellènes. On y reconnaît encore ces colonnes nombreuses dont quelques-unes, descendant au sud-ouest, pénétreront jusqu’au golfe Persique, tandis que les autres, demeurant pendant des siècles aux environs de l’Imaüs, réservent les Sarmates au monde européen. Hindous, Grecs, Iraniens, Sarmates, ne forment ainsi qu’une seule race distincte des autres branches de l’espèce et supérieure à toutes (1)[9].

Pour la conformation physique, il n’y a pas de doute : c’était la plus belle dont on ait jamais entendu parler (2)[10]. La noblesse de ses traits, la vigueur et la majesté de sa stature élancée, sa force musculaire, nous sont attestées par des témoignages qui, pour être postérieurs à l’époque où elle était réunie, n’en ont pas moins un poids irrésistible (3)[11]. Ils établissent tous, sur les points différents où on les recueille, une grande identité de traits généraux, et ne laissent apercevoir les déviations locales que comme des conséquences d’alliages postérieurs (4)[12]. Dans l’Inde, les croisements eurent lieu avec des races noires ; dans l’Iran, avec des Chamites, des Sémites et des noirs ; en Grèce, avec des peuples blancs qu’il ne s’agit pas de déterminer ici et des Sémites. Mais le fond du type demeura partout le même, et il est peu contestable que la souche qui, même dégénérée de sa beauté primordiale, fournissait des types comme ceux des Kachemyriens actuels et comme la plupart des Brahmanes du nord, comme ceux dont la représentation a été figurée sous les premiers successeurs de Cyrus, dans les constructions de Nakschi-Roustam et de Persépolis ; enfin, que les hommes dont l’aspect physique a inspiré les sculpteurs de l’Apollon Pythien, du Jupiter d’Athènes, de la Vénus de Milo, formaient la plus belle espèce d’hommes dont la vue ait pu réjouir les astres et la terre.

La carnation des Arians était blanche et rosée : tels apparurent les plus anciens Grecs et les Perses ; tels se montrèrent aussi les Hindous primitifs. Parmi les couleurs des cheveux et de la barbe, le blond dominait, et l’on ne peut oublier la prédilection que lui portaient les Hellènes : ils ne se figuraient pas autrement leurs plus nobles divinités. Tous les critiques ont vu, dans ce caprice d’une époque où les cheveux blonds étaient devenus bien rares à Athènes et sur les quais de l’Eurotas, un ressouvenir des âges primitifs de la race hellénique. Aujourd’hui encore, cette nuance n’est pas absolument perdue dans l’Inde, et notamment au nord, c’est-à-dire dans la partie où la race ariane a le mieux conservé et renouvelé sa pureté. Dans le Kattiwar, on trouve fréquemment des cheveux rougeâtres et des yeux bleus.

L’idée de la beauté est restée pour les Hindous attachée à celle de la blancheur, et rien ne le prouve mieux que les descriptions d’enfants prédestinés, si fréquentes dans les légendes bouddhiques (1)[13]. Ces pieux récits montrent la divine créature, aux premiers jours de son berceau, avec le teint blanc, la peau de couleur d’or. Sa tête doit avoir la forme d’un parasol (c’est-à-dire, être ronde et éloignée de la configuration pyramidale chez les noirs). Ses bras sont longs, son front large, ses sourcils réunis, son nez proéminent.

Comme cette description, postérieure au VIIe siècle av. J.-C., s’applique à une race dont les meilleures branches étaient assez mélangées, on ne peut se montrer surpris d’y voir des exigences un peu anormales, telles que la couleur d’or souhaitée pour la peau du corps et les sourcils réunis. Quant au teint blanc, aux bras longs, au front large, à la tête ronde, au nez proéminent, ce sont autant de traits qui révèlent la présence de l’espèce blanche et qui, ayant continué à être caractéristiques des hautes castes, autorisent à penser que la race ariane, dans son ensemble, les possédait également.

Cette variété humaine, ainsi entourée d’une suprême beauté de corps, n’était pas moins supérieure d’esprit (1)[14]. Elle avait à dépenser une somme inépuisable de vivacité et d’énergie, et la nature du gouvernement qu’elle s’était donné coïncide parfaitement avec les besoins d’un naturel si actif.

Les Arians, divisés en tribus ou petits peuples concentrés dans de grands villages (2)[15], mettaient, à leur tête, des chefs dont le pouvoir très limité n’avait rien de commun avec l’omnipotence absolue exercée par les souverains chez les peuples noirs ou chez les nations jaunes (3)[16]. Le nom sanscrit le plus ancien pour rendre l’idée d’un roi, d’un directeur de la communauté politique, c’est viç pati ; le zend viç païtis l’a parfaitement conservé, et le lithuanien wiespati indique aujourd’hui encore un seigneur terrien (4)[17]. La signification en est tout entière dans le Ποιμὴν λαῶν si fréquent chez Homère et Hésiode, et, comme la monarchie grecque de l’époque héroïque, tout à fait conforme à celle des Iraniens avant Cyrus, ne montre, dans les souverains, qu’une autorité des plus limitées ; comme les épopées du Ramayana et du Mahabharata ne connaissent également que la royauté élective, conférée par les habitants des villes, les brahmanes et même les rois alliés, tout nous porte à conclure qu’un pouvoir émanant, d’une façon si complète, de la volonté générale, ne devait être qu’une délégation assez faible, peut-être même précaire, tout à fait dans le goût de l’organisation germanique antérieure à l’espèce de réforme qu’en fit chez nous Khlodowig (1)[18].

Ces rois des Arians, siégeant dans leurs villages, parmi des troupeaux de bœufs, de vaches et de chevaux, juges nécessaires des contestations violentes qui accidentent, à tout moment, la vie des nations pastorales, étaient entourés d’hommes plus belliqueux encore que bergers.

Lorsque j’ai parlé, lorsque je parle de la nation ariane, de la famille ariane, je n’entends pas dire que les différents peuples qui la formaient vécussent entre eux dans des sentiments d’affectueuse parenté (1)[19]. Le contraire est incontestable : leur état le plus ordinaire paraît avoir été l’hostilité flagrante et approuvée, et ces hommes honorables ne voyaient rien de si digne d’admiration qu’un guerrier monté sur un chariot, courant, aidé de son écuyer, épuiser ses flèches contre une tribu voisine (2)[20]. Cet écuyer, toujours présent dans les sculptures égyptiennes, assyriennes, perses, dans les poèmes grecs ou sanscrits, dans le Schah-nameh, dans les chants scandinaves et les épopées chevaleresques du moyen âge, fut aussi dans l’Inde une figure militaire d’une grande importance.

Les Arians guerroyaient donc entre eux (3)[21], et comme ils n’étaient pas nomades (4)[22], comme ils restaient le plus longtemps possible dans la patrie qu’ils avaient adoptée, et que leur vaillante audace en avait partout fini promptement avec la résistance des indigènes, leurs expéditions les plus fréquentes, leurs campagnes les plus longues, leurs désastres les plus complets, comme aussi leurs plus beaux triomphes, n’avaient qu’eux-mêmes pour acteurs. La vertu, c’était donc l’héroïsme du combattant, et, avant toute autre considération, la bonté, c’était la bravoure, notion que l’on retrouve, bien loin de ces temps, dans les poésies italiennes où le buon Rinaldo est aussi il gran virtuoso de l’Arioste. Les récompenses les plus éclatantes étaient assurées aux plus énergiques champions. On les nommait çoura, les célestes (5)[23], parce que, s’ils tombaient dans la bataille, ils allaient habiter le Svarga, palais splendide où les recevait Indra, le roi des dieux, et cet honneur était si grand, si au-dessus de tout ce que pouvait réserver l’autre vie, que, ni par les riches sacrifices, ni par l’étendue et la profondeur du savoir, ni par aucun moyen humain, il n’était donné à personne d’occuper au ciel la même place que les çouras. La mort reçue en combattant, tout mérite s’éclipsait devant celui-là. Mais la prérogative des guerroyeurs intrépides ne s’arrêtait même pas à ce point suprême. Il pouvait leur arriver, non pas seulement d’aller habiter, hôtes vénérés, la demeure éthérée des dieux : ils étaient en passe de détrôner les dieux mêmes, et, au sein de sa puissance, Indra, menacé sans cesse de se voir arracher le sceptre par un mortel indomptable, tremblait toujours (1)[24].

On trouvera entre ces idées et celles de la mythologie scandinave des rapports frappants. Ce ne sont pas des rapports, c’est une identité parfaite qu’il faut constater ici entre les opinions de ces deux tribus de la famille blanche, si éloignées par les siècles et par les lieux. D’ailleurs, cette orgueilleuse conception des relations de l’homme avec les êtres surnaturels se rencontre dans les mêmes proportions grandioses chez les Grecs de l’époque héroïque. Prométhée, enlevant le feu divin, se montre plus rusé et plus prévoyant que Jupiter ; Hercule arrache par la force Cerbère à l’Érèbe ; Thésée fait trembler Pluton sur son trône ; Ajax blesse Vénus ; et Mercure, tout dieu qu’il est, n’ose se commettre avec l’indomptable courage des compagnons de Ménélas.

Le Schah-nameh montre également ses champions aux prises avec les personnages infernaux, qui succombent sous la vigueur de leurs adversaires.

Le sentiment sur lequel se base, chez tous les peuples blancs, cette exagération fanfaronne est incontestablement une idée très franche de l’excellence de la race, de sa puissance et de sa dignité. Je ne suis pas étonné de voir les nègres reconnaître si aisément la divinité des conquérants venus du nord, quand ceux-ci supposent, de bonne foi, la puissance surnaturelle communicable à leur égard, et croient pouvoir, en certains cas, et au prix de certains exploits guerriers ou moraux, s’élever aux lieu et place d’où les dieux les contemplent, les encouragent et les redoutent. C’est une observation qui peut se faire aisément, dans l’existence commune, que les gens sincères sont pris aisément pour ce qu’ils se donnent. À plus forte raison devait-il en être ainsi quand l’homme noir d’Assyrie et d’Égypte, dépouillé et tremblant, entendait son souverain affirmer que, s’il n’était pas encore dieu, il ne tarderait pas à le devenir. Le voyant gouverner, régir, instituer des lois, défricher des forêts, dessécher des marais, fonder des villes, en un mot, accomplir cette œuvre civilisatrice dont lui-même se reconnaissait incapable, l’homme noir disait aux siens : « Il se trompe : il ne va pas devenir dieu, il l’est déjà. » Et ils l’adoraient.

À ce sentiment exagéré de sa dignité on pourrait croire que le cœur de l’homme blanc associait quelque penchant à l’impiété. On serait dans l’erreur ; car précisément le blanc est religieux par excellence (1)[25]. Les idées théologiques le préoccupent à un très haut degré. Déjà on a vu avec quel soin il conservait les anciens souvenirs cosmogoniques, dont la tribu sémite des Hébreux abrahamides posséda, moitié par son propre fonds, moitié par transmission chamitique, les fragments les plus nombreux. La nation ariane, de son côté, prêtait son témoignage à quelques-unes des vérités de la Genèse (2)[26]. D’ailleurs, ce qu’elle cherchait surtout dans la religion, c’étaient les idées métaphysiques, les prescriptions morales. Le culte en lui-même était des plus simples.

Également simple se montrait, à cette époque reculée, l’organisation du Panthéon. Quelque peu de dieux présidés par Indra dirigeaient plutôt qu’ils ne dominaient le monde (1)[27]. Les fiers Arians avaient mis le ciel en république.

Cependant ces dieux qui avaient l’honneur de dominer sur des hommes si hautains leur devaient certainement d’être dignes d’hommages. Contrairement à ce qui arriva plus tard dans l’Inde, et tout à fait en accord avec ce qu’on vit dans la Perse, et surtout dans la Grèce, ces dieux furent d’une irréprochable beauté (2)[28]. Le peuple arian voulut les avoir à son image. Comme il ne connaissait rien de supérieur à lui sur la terre, il prétendit que rien ne fût autrement parfait que lui dans le ciel ; mais il fallait aux êtres surhumains qui conduisaient le monde une prérogative distincte. L’Arian la choisit dans ce qui est encore plus beau que la forme humaine à sa perfection, dans la source de la beauté et qui semble aussi l’être de la vie : il la choisit dans la lumière et dériva le nom des êtres suprêmes de la racine dou, qui veut dire éclairer ; il leur créa donc une nature lumineuse (3)[29]. L’idée parut bonne à toute la race, et la racine choisie porta partout une majestueuse unité dans les idées religieuses des peuples blancs. Ce fut le Dévas des Hindous ; le Ζεύς, le Θεός des Hellènes ; le Diewas des Lithuaniens, le Duz gallique (4)[30] ; le Dia des Celtes d’Irlande ; le Tyr de l’Edda ; le Zio du haut-allemand ; la Dewana slave ; la Diana latine. Partout enfin où pénétra la race blanche, et où elle domina, se retrouve ce vocable sacré, au moins à l’origine des tribus. Il s’oppose, dans les régions où existent des points de contact avec les éléments noirs, à l’Al des aborigènes mélaniens (1)[31]. Ce dernier représente la superstition, l’autre la pensée ; l’un est l’œuvre de l’imagination en délire et courant à l’absurde, l’autre sort de la raison. Quand le Deus et l’Al se sont mêlés, ce qui a eu lieu par malheur trop souvent, il est arrivé, dans la doctrine religieuse, des confusions analogues à celles qui résultaient, pour l’organisation sociale, des mélanges de la race noire avec la blanche. L’erreur a été d’autant plus monstrueuse et dégradante, qu’Al l’emportait davantage dans cette union. Au contraire, le Deus a-t-il eu le dessus ? L’erreur s’est montrée moins vile, et, dans le charme que lui prêtèrent des arts admirables et une philosophie savante, l’esprit de l’homme, s’il ne s’endormit pas sans danger, le put du moins sans honte. Le Deus est donc l’expression et l’objet de la plus haute vénération chez la race ariane. Exceptons-en la famille iranienne pour des causes tout à fait particulières, dont l’exposition viendra en son temps (2)[32].

Ce fut à l’époque où les peuples arians touchaient déjà à la Sogdiane que le départ des nations helléniques rendit la confédération moins nombreuse. Les Hellènes se trouvaient en face de la route qui devait les mener à leurs destinées ; s’ils avaient accompagné plus bas la descente des autres tribus, ils n’auraient pas eu l’idée de remonter ensuite vers le nord-ouest. Marchant directement à l’ouest, ils auraient pris le rôle que remplirent plus tard les Iraniens. Ils n’auraient créé ni Sicyone, ni Argos, ni Athènes, ni Sparte, ni Corinthe. Ainsi je conclus qu’ils partirent à ce moment.

Je doute que cet événement soit résulté des causes qui avaient décidé l’émigration primitive des populations blanches. Le contre-coup en était déjà épuisé, car si les envahisseurs jaunes avaient poursuivi les fugitifs, on aurait vu tous les peuples blancs, arians, celtes et slaves, pour échapper à leurs atteintes, se précipiter également vers le sud et inonder cette partie du monde. Il n’en fut pas ainsi. À la même époque, à peu près, où les Arians descendaient vers la Sogdiane, les Celtes et les Slaves gravitaient dans le nord-ouest et trouvaient des routes, sinon libres, du moins assez faiblement défendues pour que le passage restât praticable. Il faut donc reconnaître que la pression qui déterminait les Hellènes à gagner vers l’ouest ne venait pas des régions supérieures : elle était causée par les congénères arians.

Ces nations, toutes également braves, étaient en froissement continuel. Les conséquences de cette situation violente amenaient la destruction des villages, le bouleversement des États et l’obligation pour les peuplades vaincues de subir le joug ou de s’enfuir. Les Hellènes, s’étant trouvés les plus faibles, prirent ce dernier parti, et, faisant leurs adieux à la contrée qu’ils ne pouvaient plus défendre contre des frères turbulents, ils montèrent sur leurs chariots, et, l’arc à la main, s’engagèrent dans les montagnes de l’ouest. Ces montagnes étaient occupées par les Sémites, qui en avaient chassé ou, du moins, asservi les Chamites, auxquels avait plus anciennement appartenu l’honneur d’en dompter les aborigènes noirs. Les Sémites, battus par les Hellènes, ne résistèrent pas à ces vaillants exilés et se renversèrent sur la Mésopotamie, et plus les Hellènes avançaient, poussés par les nations iraniennes, plus ils forçaient de populations sémitiques à se déplacer pour leur donner passage, et plus ils augmentaient l’inondation de l’ancien monde assyrien par cette race mêlée. Nous avons déjà assisté à ce spectacle. Laissons les émigrants continuer leur voyage. On sait dans quels illustres lieux ce récit les retrouvera.

Après cette séparation, deux groupes considérables forment encore la famille ariane, les nations hindoues et les Zoroastriens. Gagnant du terrain et se considérant comme un seul peuple, ces tribus arrivèrent à la contrée du Pendjab. Elles s’y établirent dans les pâturages arrosés par le Sindh, ses cinq affluents et un septième cours d’eau difficile à reconnaître, mais qui est ou la Yamouna ou la Sarasvati (1)[33]. Ce vaste paysage et ses beautés étaient restés profondément gravés dans la mémoire des Zoroastriens Iraniens longtemps après qu’ils l’avaient quitté pour ne plus le revoir. Le Pendjab était, à leur sens, l’Inde entière : ils n’en avaient pas vu davantage. Leurs connaissances sur ce point dirigèrent celles de toutes les nations occidentales, et le Zend-Avesta, se réglant plus tard sur ce que les ancêtres avaient raconté, donnait à l’Inde la qualification de septuple.

Cette région, objet de tant de souvenirs, fut ainsi témoin du nouveau dédoublement de la famille ariane, et les clartés déjà plus vives de l’histoire (2)[34] permettent de démêler assez bien les circonstances du débat qui en fut l’origine. Je vais raconter la plus ancienne des guerres de religion.

Le genre de piété particulier à la race blanche se révèle d’autant mieux dans sa portée raisonnante, qu’on est en situation de le mieux examiner. Après en avoir constaté des lueurs pâles, mais bien reconnaissables, chez les descendants métis des Chamites, après en avoir retrouvé de précieux fragments chez les familles sémitiques, on a vu plus à plein l’antique simplicité des croyances et l’importance souveraine qui leur était attribuée chez les Arians réunis dans leur première station avant l’exode des Hellènes. À ce moment le culte était simple. Il semblerait que tout, dans l’organisation sociale, fût tourné vers le côté pratique et jugé de ce point de vue. Ainsi, de même que le chef de la communauté, le juge du grand village, le viç-pati n’était qu’un magistrat électif entouré, pour tout prestige, du renom que lui donnaient sa bravoure, sa sagesse et le nombre de ses serviteurs et de ses troupeaux ; de même que les guerriers, pères de famille, ne voyaient dans leurs filles que des aides utiles au labeur pastoral, chargées du soin de traire les chamelles, les vaches et les chèvres, et ne leur donnaient pas d’autre nom que celui de leur emploi ; ainsi, encore, s’ils honoraient les nécessités du culte, ils n’imaginaient pas que les fonctions dussent en être remplies par des personnages spéciaux, et chacun était son propre pontife, et se jugeait les mains assez pures, le front assez haut, le cœur assez noble, l’intelligence assez éclairée, pour s’adresser sans intermédiaire à la majesté des dieux immortels (1)[35].

Mais soit que, dans la période qui s’écoula entre le départ des Grecs et l’occupation du Pendjab, la famille ariane, s’étant trouvée en long contact avec les nations aborigènes, eût déjà perdu de sa pureté et compliqué son essence physique et morale de l’adjonction d’une pensée et d’un sang étrangers ; soit que les modifications survenues ne fussent que le développement naturel du génie progressif des Arians, toujours est-il que les anciennes notions sur la nature du pontificat se modifièrent insensiblement, et qu’un moment vint où les guerriers ne se crurent plus le droit ni la science de vaquer aux fonctions sacerdotales : des prêtres furent institués.

Ces nouveaux guides des consciences devinrent sur-le-champ les conseillers des rois et les modérateurs des peuples. On les appelait purohitas. La simplicité du culte s’altéra entre leurs mains ; elle se compliqua, et l’art des sacrifices devint une science pleine d’obscurités dangereuses pour les profanes. On redouta dès lors de commettre, dans l’acte de l’adoration, des erreurs de forme qui pouvaient offenser les dieux, et, afin d’éviter ce danger, on ne se risqua plus à agir soi-même : on eut recours au seul purohita. Il est probable qu’à la pratique de la théologie et des fonctions liturgiques cet homme spécial joignit, de bonne heure, des connaissances en médecine et en chirurgie ; qu’il se livra à la composition des hymnes sacrés, et qu’il se rendit triplement vénérable aux yeux des rois, des guerriers, des populations tout entières par les mérites qui éclataient en sa personne au point de vue de la religion, de la morale et de la science (1)[36].

Tandis que le pontife se créait ainsi des fonctions sublimes et bien propres à lui concilier l’admiration et les sympathies, les hommes libres n’étaient pas sans gagner quelque chose à la perte de plusieurs de leurs anciens droits, et, tout ainsi que le purohita, en s’emparant exclusivement d’une partie de l’activité sociale, en savait extraire des merveilles que les générations antérieures n’avaient pas soupçonnées, de même le chef de famille, vacant tout entier aux soins terrestres, se perfectionnait dans les arts matériels de la vie, dans la science du gouvernement, dans celle de la guerre et dans l’aptitude aux conquêtes.

L’ambition la plus inquiète n’avait pas le temps de réfléchir à la valeur de ce qu’elle avait cédé, et d’ailleurs les conseils du purohita, non moins que ses secours, lorsque le guerrier était vaincu, ou blessé, ou malade, non moins que ses chants et ses récits, quand il était de loisir, contribuaient à l’impressionner en faveur de l’influence qu’il avait laissé naître, qu’il laissait croître à ses côtés, et à l’étourdir sur les dangers dont, pour l’avenir, elle pouvait menacer sa puissance et sa liberté.

D’ailleurs, le purohita n’était pas un être qui pût sembler redoutable. Il vivait isolé auprès des chefs assez riches ou généreux pour entretenir sa vie simple et pacifique. Il ne portait pas les armes ; il n’était pas d’une race ennemie. Sorti de la famille même du viç-pati ou de sa tribu, il était le fils, le frère, le cousin des guerriers (1)[37]. Il communiquait sa science à des disciples qui pouvaient le quitter à leur gré et reprendre l’arc et la flèche. C’était donc insensiblement et par des voies inconnues, même à ceux qui les suivaient, que le brahmanisme jetait ainsi les fondements d’une autorité qui allait devenir exorbitante.

Un des premiers pas que fit le sacerdoce dans le maniement direct des affaires temporelles, témoigne d’un grand perfectionnement politique et moral chez ces contemporains d’une époque que les érudits allemands appellent, avec une poétique justesse, la grise antériorité des temps (2)[38]. Les viç-pati comprirent qu’il serait bon de ne plus être pour leurs administrés, qui, insensiblement, devenaient leurs sujets, les produits irréguliers de la ruse ou de la violence heureuse. On voulut qu’une consécration supérieure à l’élection populaire investît les pasteurs des peuples de droits particuliers au respect, et on imagina de faire dépendre la légitimité de leur caractère d’une espèce de sacre administré par les purohitas (3)[39]. Dès lors l’importance des rois s’accrut sans doute, car ils étaient devenus participants à la nature des choses saintes, même sans avoir encore détrôné un dieu. Mais le pouvoir mondain du sacerdoce fut également fondé, et l’on devine maintenant ce qu’il va devenir entre les mains d’hommes éclairés, pacifiques, d’une redoutable énergie dans le bien, et qui, sachant que, pour une nation dévouée, corps et âme, à l’admiration de la bravoure, aucun prétexte, si sacré fût-il, ne pouvait couvrir le soupçon d’être lâche, commençaient déjà à pratiquer des doctrines austères d’abstinences intrépides et de renoncements obstinés. Cet esprit de pénitence devait aboutir, un jour, à des mutilations effrénées, à des supplices absurdes, également révoltants pour le cœur et pour la raison. Les purohitas n’en étaient pas là encore. Prêtres d’une nation blanche, ils ne songeaient même pas à de pareilles énormités.

La puissance sacerdotale était désormais assise sur des bases solides. Le pouvoir séculier, fier d’en obtenir sa consécration et de s’appuyer sur elle, servait volontiers ses développements. Bientôt il put s’apercevoir que ce qui se demande se refuse aussi. Tous les rois ne furent pas également bien reçus des maîtres des sacrifices, et il suffit de quelques rencontres où la fermeté de ceux-ci se trouva d’accord avec les sentiments des peuples, il suffit que certains d’entre eux périssent martyrs de leur résistance aux vœux d’un usurpateur, pour que l’opinion publique, frappée de reconnaissance et d’admiration, fit aux purohitas réunis un pont vers les plus hautes entreprises.

Ils acceptèrent le rôle éminent qui leur était attribué. Cependant je ne crois ni à la prédominance des calculs égoïstes dans la politique d’une classe entière, ni aux grands résultats amenés par de petites causes. Quand une révolution durable se produit au sein des sociétés, c’est que les passions des triomphateurs ont pour rebondir un sol plus ferme que des intérêts personnels, sans quoi elles rasent la terre et ne montent à rien. Le fait d’où le sacerdoce arian s’avisa de faire jaillir ses destinées, loin d’être misérable ou ridicule, devait, au contraire, lui gagner les sympathies intimes du génie de la race, et l’observation qu’en firent les prêtres de cette époque antique accuse, chez eux, une rare aptitude à la science du gouvernement, en même temps qu’un esprit subtil, savant, combinateur et logique jusqu’à la rage.

Voici ce dont s’aperçurent ces philosophes, et ce qu’ensuite imagina leur prévoyance. Ils considérèrent que les nations arianes se trouvaient entourées de peuplades noires dont les multitudes s’étendaient à tous les coins de l’horizon et dépassaient de beaucoup par le nombre les tribus de race blanche établies sur le territoire des Sept-Fleuves, et déjà descendues jusqu’à l’embouchure de l’Indus. Ils virent, en outre, qu’au milieu des Arians vivaient, soumises et paisibles, d’autres populations aborigènes qui ne laissaient pas que de former encore une masse considérable, et qui avaient déjà commencé à se mêler à certaines familles, probablement les plus pauvres, les moins illustres, les moins fières de la nation conquérante. Ils remarquèrent sans peine combien les mulâtres étaient inférieurs en beauté, en intelligence, en courage à leurs parents blancs ; et surtout ils eurent à réfléchir aux conséquences que pouvait amener, pour la domination des Arians, une influence exercée par les individualités métisses sur les populations noires soumises ou indépendantes. Peut-être avaient-ils sous les yeux l’expérience de quelques accessions fortuites de sang mêlé à la dignité royale.

Guidés par le désir de conserver le souverain pouvoir à la race blanche, ils imaginèrent un état social hiérarchisé suivant le degré d’élévation d’intelligence. Ils prétendirent confier aux plus sages et aux plus habiles la conduite suprême du gouvernement. À ceux dont l’esprit était moins élevé, mais le bras vigoureux, le cœur avide d’émotions guerrières, l’imagination sensible aux excitations de l’honneur, ils remirent le soin de défendre la chose publique. Aux hommes d’humeur douce, curieux de travaux paisibles, peu disposés aux fatigues de la guerre, ils se piquèrent de trouver un emploi convenable en les conviant à nourrir l’État par l’agriculture, à l’enrichir par le commerce et l’industrie. Puis, du grand nombre de ceux dont le cerveau n’était éclairé que de lueurs incomplètes, de tous ceux qui n’avaient pas l’âme prête à subir, sans faiblesse, le choc du danger, des gens trop pauvres pour vivre libres, ils composèrent un amalgame sur lequel ils jetèrent le niveau d’une égale infériorité, et décidèrent que cette classe humble gagnerait sa subsistance en remplissant ces fonctions pénibles ou même humiliantes qui sont cependant nécessaires dans les sociétés établies.

Le problème avait trouvé sa solution idéale, et personne ne peut refuser son approbation à un corps social ainsi organisé qu’il est gouverné par la raison et servi par l’inintelligence. La grande difficulté, c’est de faire passer un projet abstrait de cette espèce dans le moule d’une réalisation pratique. Tous les théoriciens du monde occidental y ont échoué : les purohitas crurent avoir trouvé le sûr moyen d’y réussir.

Partant de cette observation établie, pour eux, sur des preuves irréfragables, que toute supériorité était du côté des Arians, toute faiblesse, toute incapacité du côté des noirs, ils admirent, comme conséquence logique, que la proportion de valeur intrinsèque chez tous les hommes était en raison directe de la pureté du sang, et ils fondèrent leurs catégories sur ce principe.

Ces catégories, ils les appelèrent varna, qui signifiait couleur, et qui, depuis lors, a pris la signification de caste (1)[40].

Pour former la première caste, ils réunirent les familles des purohitas en qui éclatait quelque mérite, telles que celles des Gautama, des Bhrigou, des Atri (2)[41], célèbres par leurs chants liturgiques, transmis héréditairement comme une propriété précieuse. Ils supposèrent que le sang de ces familles recommandables était plus arian, plus pur que celui de toutes les autres.

À cette classe, à cette varna, à cette couleur blanche par excellence, ils attribuèrent non pas d’abord le droit de gouverner, résultat définitif qui ne pouvait être que l’œuvre du temps, mais du moins le principe de ce droit et tout ce qui pouvait y conduire, c’est-à-dire le monopole des fonctions sacerdotales, la consécration royale qu’ils possédaient déjà, la propriété des chants religieux, le pouvoir de les composer, de les interpréter et d’en communiquer la science ; enfin ils se déclarèrent, eux-mêmes, personnages sacrés, inviolables ; ils se refusèrent aux emplois militaires, s’entourèrent d’un loisir nécessaire, et se vouèrent à la méditation, à l’étude, à toutes les sciences de l’esprit, ce qui n’excluait ni l’aptitude ni la science politique (3)[42].

Immédiatement au-dessous d’eux, ils placèrent la catégorie des rois alors existants avec leurs familles. En exclure aucun, c’eût été donner un démenti à la valeur de la consécration, et, en même temps, créer à l’organisation naissante des hostilités trop redoutables. À côté des rois, ils placèrent les guerriers les plus éminents, tous les hommes distingués par leur influence et leurs richesses, et ils supposèrent, plus ou moins justement, que cette classe, cette varna, cette couleur, était déjà moins franchement blanche que la leur, avait déjà contracté un certain mélange avec le sang aborigène, ou bien que, égale en pureté, tout aussi fidèle à la souche ariane, elle ne méritait néanmoins que le second rang, par la supériorité de la vocation intellectuelle et religieuse sur la vigueur physique. C’était une race grande, noble, illustre, que celle qui pouvait accepter une telle doctrine. Aux membres de la caste militaire, les purohitas donnèrent le nom de kschattryas ou hommes forts. Ils leur firent un devoir religieux de l’exercice des armes, de la science stratégique, et, tout en leur concédant le gouvernement des peuples, sous la réserve de la consécration religieuse, ils s’appuyèrent sur le sentiment public, imbu des doctrines libres de la race, pour leur refuser la puissance absolue (1)[43].

Ils déclarèrent que chaque varna conférait à ses membres des privilèges inaliénables, devant lesquels la volonté royale expirait. Il était défendu au souverain d’empiéter sur les droits des prêtres. Il ne lui était pas moins interdit d’attenter à ceux des kschattryas ou des castes inférieures (1)[44]. Le monarque fut entouré d’un certain nombre de ministres ou de conseillers, sans le concours desquels il ne pouvait agir et qui appartenaient aussi bien à la classe des purohitas qu’à celle des guerriers (2)[45].

Les constituants firent plus. Au nom des lois religieuses, ils prescrivirent aux rois une certaine conduite dans la vie intérieure. Ils réglèrent jusqu’à la nourriture et proscrivirent, de la manière la plus énergique, et sous des peines temporelles et spirituelles, toute infraction à leurs mandements. Leur chef-d’œuvre, à mon avis, à l’encontre des kschattryas et de la caste qui va suivre, est d’avoir su se départir de la rigueur des classifications pour ne pas monopoliser absolument les choses de l’intelligence dans le sein de leur confrérie. Ils comprirent, sans doute, que l’instruction ne peut être refusée à qui est capable de l’acquérir, de même qu’on la permet sans résultat aux intelligences mal créées pour la recevoir ; puis, que si le savoir est une force et exerce un prestige, c’est à la condition d’avoir des spectateurs qui se peuvent faire, par eux-mêmes, une idée juste de son mérite, et qui, pour être en état d’en apprécier la valeur, doivent au moins avoir approché les lèvres de sa coupe.

Loin donc de défendre l’instruction aux kschattryas, les purohitas la leur recommandèrent, leur permirent la lecture des livres sacrés, les engagèrent à se les faire expliquer, et les virent avec complaisance s’adonner aux connaissances laïques, telles que la poésie, l’histoire et l’astronomie. Ils formaient ainsi, autour d’eux, une classe militaire intelligente autant que brave, et qui, si elle pouvait un jour trouver, dans l’éveil de ses idées, des excitations à combattre les progrès du sacerdoce, n’y rencontrait pas moins de motifs d’en être séduite, d’y sourire et de les favoriser au nom de cette sympathie instinctive que l’esprit inspire à l’esprit et le talent au talent. Toutefois, il ne faut pas se le dissimuler : quelles que fussent les dispositions intimes des kschattryas, l’intérêt général de leur caste et la nature des choses en faisaient pour les novateurs religieux une terrible pierre d’achoppement, et un danger devait tôt ou tard se montrer de ce côté-là.

Il n’en était pas de même de la varna qui venait après la caste guerrière. Ce fut celle des vayçias, supposés moins blancs que les deux catégories sociales supérieures, et qui, probablement aussi, étaient moins riches et moins influents dans la société. Toutefois, leur parenté avec les deux hautes castes étant encore évidente et indiscutable, le nouveau système les considéra comme des hommes d’élite, des hommes deux fois nés (dvidja), expression consacrée pour représenter l’excellence de la race vis-à-vis des populations aborigènes (1)[46], et on en forma le peuple, le gros de la nation proprement dite, au-dessus duquel étaient les prêtres et les soldats, et ce fut pour cette raison que le nom d’Arians, abandonné par les kschattryas, comme par les purohitas, plus fiers, les uns de leur titre de forts, les autres de la qualification nouvellement prise de brahmanes, resta le partage de la troisième caste.

La loi de Manou, postérieure, du reste, dans sa forme actuelle, à l’époque en question, établit, d’après des autorités plus anciennes qu’elle-même, le cercle d’action où devait s’écouler l’existence des vayçias. On leur confia le soin du bétail. Le raffinement déjà considérable des mœurs ne permettait plus aux hautes classes de s’en occuper, comme avaient fait les ancêtres. Les vayçias firent le négoce, prêtèrent de l’argent à intérêt et cultivèrent la terre (1)[47]. Appelés à concentrer ainsi dans leurs mains les plus grandes richesses, on leur commanda l’aumône et les sacrifices aux dieux. À eux aussi on permit de lire ou de se faire lire les Védas (2)[48], et, afin d’assurer à leur caractère pacifique la tranquille jouissance des humbles, prosaïques mais fructueux avantages qui leur étaient concédés, il fut sévèrement interdit aux brahmanes, comme aux kschattryas d’empiéter sur leurs attributions, de se mêler à leurs travaux et d’obtenir soit un épi de blé, soit un objet fabriqué, autrement que par leur intermédiaire. Ainsi, dès l’antiquité la plus haute, la civilisation ariane de l’Inde asseyait ses travaux sur l’existence d’une nombreuse bourgeoisie, fortement organisée et défendue, dans l’exercice de droits considérables, par toute la puissance des prescriptions religieuses (3)[49]. On remarquera encore que, non moins que les kschattryas, cette classe était admise aux études intellectuelles, et que ses habitudes, plus paisibles, plus casanières que celles des guerriers, tendaient à l’en faire profiter davantage.

Avec ces trois hautes castes, la société hindoue, dans son idéal, était complète. En dehors de leur cercle, plus d’Arians, plus d’hommes deux fois nés. Cependant, il fallait tenir compte des aborigènes, qui, soumis depuis plus ou moins longtemps et peut-être un peu apparentés au sang des vainqueurs, vivaient obscurément au bas de l’échelle sociale. On ne pouvait repousser absolument ces hommes attachés à leurs vainqueurs et ne recevant que d’eux leur subsistance, sans se jeter, avec une barbare imprudence, dans des périls inutiles. D’ailleurs, par ce qui se passa ensuite, il est fort probable que les brahmanes avaient déjà senti combien il serait contraire à leurs véritables intérêts de rompre avec ces multitudes noires qui, si elles ne leur rendaient pas les honneurs délicats et raisonnés des autres castes, les entouraient d’une admiration plus aveugle et les servaient avec un fanatisme plus dévoué. L’esprit mélanien se retrouvait là bien entier. Le brahmane, prêtre pour les kschattryas et les vayçias, était dieu pour la foule noire. On ne se brouille pas de gaieté de cœur avec de si chauds amis, et surtout quand il n’est pas besoin de faire beaucoup pour se les conserver.

Les brahmanes composèrent une quatrième caste de toute cette population de manœuvres, d’ouvriers, de paysans et de vagabonds. Ce fut celle des çoudras ou des dazas, des serviteurs, qui reçut le monopole de tous les emplois serviles. Il fut rigoureusement défendu de les maltraiter, et on les soumit à un état de tutelle éternelle, mais avec l’obligation, pour les hautes classes, de les régir doucement et de les garder de la famine et des autres effets de la misère. La lecture des livres sacrés leur fut interdite ; ils ne furent pas considérés comme purs, et rien de plus juste, car ils n’étaient pas Arians (1)[50].

Après avoir ainsi distribué leurs catégories, les inventeurs du système des castes en fondèrent la perpétuité, en décrétant que chaque situation serait héréditaire, qu’on ne ferait partie d’une varna qu’à la condition d’être né de père et de mère y appartenant l’un et l’autre (1)[51]. Ce ne fut pas encore assez. De même que les rois ne pouvaient gouverner sans avoir obtenu la consécration brahmanique, de même nul ne fut admis à la jouissance des privilèges de sa caste avant d’avoir accompli, avec l’assentiment sacerdotal, les cérémonies particulières de l’accession (2)[52].

Les gens oublieux de ces formalités obligées étaient exclus de la société hindoue (3)[53]. Impurs, fussent-ils nés brahmanes de père et de mère, on les appelait vratyas (4)[54] : brigands, pillards, assassins, et il est bien probable que, pour vivre, ces rebuts de la loi étaient souvent contraints de s’armer contre elle. Ils formèrent la base de tribus nombreuses qui devinrent étrangères à la nationalité hindoue.

Telle est la classification sur laquelle les successeurs des purohitas imaginèrent de construire leur état social. Avant d’en juger les conséquences et le succès, avant, surtout, de nous arrêter devant la subtilité, les ressources inouïes, l’énergie soutenue, l’irrésistible patience employées par les brahmanes pour défendre leur ouvrage, il est indispensable de l’envisager à un point de vue général.

Au point de vue ethnographique, le système avait pour premier et grand tort de reposer sur une fiction. Les brahmanes n’étaient pas et ne pouvaient être les plus authentiques Arians, à l’exclusion de telles familles de kschattryas et de vayçias dont la pureté n’était peut-être pas contestable, mais qui, par la position qu’elles occupaient dans la société, la mesure de leurs ressources, se voyaient forcément désignées pour tenir tel rang et non tel autre. Je suppose, d’autre part, que les illustres races des Gautama et des Atri aient compté dans leur arbre généalogique plusieurs aïeules issues de pères guerriers à une époque où ces alliances étaient légales, et que, de plus, ces aïeules aient eu, dans leur sang, une quantité plus ou moins grande d’alliage mélanien : voilà les Gautama, voilà les Atri reconnus métis. En sont-ils moins possesseurs des hymnes sacrés composés par leurs ancêtres ? Ne remplissent-ils pas auprès de rois puissants les fonctions de sacerdoces révérés ? Puissants ! ne le sont-ils pas eux-mêmes ? Ils comptent parmi les coryphées du nouveau parti, et il ne faut pas s’attendre à ce que, faisant un retour sur leur propre extraction, dont peut-être, d’ailleurs, ils ignorent le vice, ils s’excluent volontairement de la caste suprême.

Toutefois, s’il s’agissait de n’examiner les choses qu’à travers les notions hindoues, on pourrait répondre qu’aussitôt que, par des mariages exclusifs, les races spéciales des brahmanes, des kschattryas, des vayçias eurent été fixées, la gradation, d’abord supposée, quant à la pureté relative, devint bientôt réelle ; que les brahmanes se trouvèrent être plus blancs que les kschattryas, ceux-ci que les hommes de la troisième classe, qui, à leur tour, dominèrent, en ce point, ceux de la quatrième, presque entièrement noirs. En admettant cette façon de raisonner, il n’en est pas moins vrai que les brahmanes eux-mêmes n’étaient plus des blancs parfaits et sans mélange. En face du reste de l’espèce, vis-à-vis des Celtes, vis-à-vis des Slaves, et plus encore des autres membres de la famille ariane, les Iraniens et les Sarmates, ils avaient adopté, dès lors, une nationalité spéciale et étaient devenus distincts de la souche commune. Supérieurs en illustration au reste des tribus blanches contemporaines, ils étaient inférieurs au type primitif et n’en possédaient plus l’énergie ancienne.

Plusieurs des facultés de la race noire avaient commencé à déteindre sur eux. On ne leur reconnaît plus cette rectitude de jugement, cette froideur de raison, patrimoine de l’espèce blanche, dans sa pureté, et l’on s’aperçoit, à la grandeur même des plans de leur société, que l’imagination tenait désormais une grande place dans leurs calculs et exerçait une influence dominante sur la combinaison de leurs idées. Comme élan d’intelligence, ouverture de vue, envergure de génie, ils avaient gagné. Ils avaient gagné par l’adoucissement de leurs premiers instincts, devenus moins rêches et plus souples. Mais en tant que métis, je ne leur trouve plus qu’un diminutif des vertus souveraines, et si les brahmanes se présentent ainsi déchus, à plus forte raison les kschattryas et, à un degré plus grand encore, les vayçias étaient ce qu’on peut appeler dégénérés des mérites fondamentaux. Nous avons observé en Égypte que le premier effet, et le plus général, de l’immixtion du sang noir est d’efféminer le naturel. Cette mollesse ne fait pas des êtres dénués de courage ; cependant elle altère et passionne la vigueur calme, et on pourrait dire compacte, apanage du plus excellent des types. Les Chamites ne tombent sous l’observation qu’à un moment où ils ont trop perdu les caractères spéciaux de leur origine paternelle, et l’on ne saurait baser sur eux une démonstration exacte. Néanmoins, dans la langueur mêlée de férocité où nous les avons vus plongés, on reconnaît un point où sont arrivées aujourd’hui les classes ethniquement correspondantes de la nation hindoue. On est donc en droit de supposer que, dans leurs commencements, les Chamites ont eu aussi une période comparable à celle de la caste brahmanique à ses débuts. Pour les Sémites, dont on découvre mieux le principe, un tel rapprochement ne laisse rien à désirer. Ainsi toutes les expériences envisagées jusqu’ici donnent ce résultat identique : le mélange avec l’espèce noire, lorsqu’il est léger, développe l’intelligence chez la race blanche, en tant qu’il la tourne vers l’imagination, la rend plus artiste, lui prête des ailes plus vastes ; en même temps, il désarme sa raison, diminue l’intensité de ses facultés pratiques, porte un coup irrémédiable à son activité et à sa force physique, et enlève aussi, presque toujours, au groupe issu de cet hymen le pouvoir et le droit, sinon de briller beaucoup plus que l’espèce blanche et de penser plus profondément, du moins de lutter avec elle de patience, de fermeté et de sagacité. Je conclus que les brahmanes, s’étant engagés, avant la formation des castes, dans quelques mélanges mélaniens, étaient ainsi préparés pour la défaite, quand viendrait le jour de lutter avec des races demeurées plus blanches.

Ces réserves faites, si l’on consent à ne plus envisager les nations hindoues qu’en elles-mêmes, l’admiration pour les législateurs doit être sans réserve. En face des castes normales et des populations décastées qui les entourent, ils paraissent vraiment sublimes. Il ne sera que trop facile de reconnaître plus tard combien, avec le cours des temps et la perversion inévitable des types sans cesse grandissant malgré tous les efforts, les brahmanes ont dégénéré ; mais jamais les voyageurs, les administrateurs anglais, les érudits qui ont consacré leurs veilles à l’étude de la grande péninsule asiatique, n’ont hésité à reconnaître que, au sein de la société hindoue, la caste des brahmanes conserve une supériorité imperturbable sur tout ce qui vit autour d’elle. Aujourd’hui, souillée par les alliages qui faisaient tant d’horreur à ses premiers pères, elle montre cependant, au milieu de son peuple, un degré de pureté physique dont rien n’approche. C’est chez elle que l’on retrouve encore le goût de l’étude, la vénération des monuments écrits, la science de la langue sacrée ; et le mérite de ses membres comme théologiens et grammairiens est assez véritable pour que les Colebrooke, les Wilson et d’autres indianistes justement admirés aient à se féliciter d’avoir recouru à leurs lumières. Le gouvernement britannique leur a même confié une partie importante de l’enseignement au collège de Fort-William. Ce reflet de l’ancienne gloire est bien terne, sans doute. Ce n’est qu’un écho, et cet écho va de plus en plus s’affaiblissant, à mesure qu’augmente la désorganisation sociale dans l’Inde. Pourtant le système hiérarchique inventé par les antiques purohitas est resté debout tout entier. On peut l’étudier bien complet dans toutes ses parties, et pour être amené à lui rendre, sans nul regret, l’honneur qui lui est dû, il suffit de calculer à peu près depuis combien de temps il dure.

L’ère de Kali remonte à l’an 3102 avant J.-C., et on ne la fait commencer pourtant qu’après les grandes guerres héroïques des Kouravas et des Pandavas (1)[55]. Or, à cette époque, si le brahmanisme n’avait pas encore atteint tous ses développements, il existait dans ses points principaux. Le plan des castes était, sinon rigoureusement fermé, du moins tracé, et la période des purohitas dépassée depuis longtemps. Malheureusement le chiffre de 3102 ans a quelque chose de si énorme (2)[56] que je ne veux pas trop presser la conviction sur ce point, et je me tourne d’un autre côté.

L’ère kachemyrienne commence un peu plus modestement, 2,448 ans avant J.-C. On la dit également postérieure à la grande guerre héroïque ; par conséquent, elle laisse un intervalle de 654 ans entre son début et l’ère de Kali.

Tout incertaines que soient ces deux dates, si l’on en veut chercher de plus récentes, on n’en trouve pas, et à mesure que l’on avance, la clarté historique, devenant plus intense, ne permet pas de douter qu’on ne s’éloigne de l’objet cherché. Ainsi, après une lacune, à la vérité assez longue, au XIVe siècle avant J.-C., on trouve le brahmanisme parfaitement assis et organisé, les écrits liturgiques fixés et le calendrier védique établi ; il est donc impossible de descendre plus bas.

Nous avons trouvé l’ère de Kali trop exagérée : n’en parlons pas. Diminuons le nombre des années qu’elle réclame et rabattons-nous à l’ère kachemyrienne. On ne peut descendre davantage sans rendre toute chronologie égyptienne impossible. À mon sens même, c’est beaucoup trop concéder au doute. Mais, pour ce dont il est question ici, je m’en contente. Ne considérons même pas que le brahmanisme existait visiblement longtemps avant cette époque et concluons que, de l’an 2448 avant J.-C. à l’an du Seigneur 1852, il s’est écoulé 4300 ans, que l’organisation brahmanique vit toujours, qu’elle est aujourd’hui dans un état comparable à la situation des Égyptiens sous les Ptolémées du IIIe siècle avant notre ère, et à celle de la première civilisation assyrienne à différentes époques, entre autres au VIIe siècle. Ainsi, en se montrant généreux envers la civilisation égyptienne, en lui accordant, ce que je ne fais pas pour celle des brahmanes, toute la période antérieure à la migration et toute celle de ses débuts avant Ménès, elle aura duré depuis l’an 2448 jusqu’à l’an 300 avant J.-C., c’est-à-dire 2148 ans. Quant à la civilisation assyrienne, en reculant son point de départ aussi haut que l’on voudra, comme on ne peut le faire antérieur de beaucoup de siècles à l’ère kachemyrienne, il s’ensuit qu’il n’en faut pas même parler : elle s’arrête trop loin du but.

L’organisation égyptienne reste le seul terme de comparaison, et elle est en arrière, sur le type d’où elle a tiré sa vie, de 2152 ans. Je n’ai pas besoin de confesser tout ce qu’il y a d’arbitraire dans ce calcul : on s’en aperçoit de reste. Seulement, il ne faut pas oublier que cet arbitraire a pour effet de rabaisser d’une manière énorme le chiffre des années de l’existence brahmanique ; que j’y suppose bien bénévolement l’organisation des castes contemporaines de l’ère de Kachemyr ; qu’avec une facilité non moins exagérée j’admets, contre toute vraisemblance, un synchronisme parfait entre les premiers développements du brahmanisme et la naissance de la civilisation dans la vallée du Nil, et enfin que je reporte au IIIe siècle avant J.-C., époque où les véritables Égyptiens ne comptaient, pour ainsi dire, plus, la comparaison que j’en fais avec les brahmanes actuels, ce qui procure peu d’honneur à ces derniers. J’ai cru, toutefois, devoir cet hommage au siècle où naquit Manéthon. Ainsi, il est bien entendu qu’en ne faisant vivre la société hindoue que 2500 ans de plus que celle d’Assyrie, et 2000 ans de plus que celle d’Égypte, je la calomnie, je rabaisse sa longévité d’un bon nombre de siècles. Toutefois je persiste, parce que les chiffres incomplets qui me sont là entre les mains me permettent encore d’établir le raisonnement qui suit :

Trois sociétés étant données, elles se perpétuent dans la mesure où se maintient le principe blanc qui fait également leur base.

La société assyrienne, incessamment renouvelée au moyen d’affluents médiocrement purs, a déployé une extrême intensité de vie, a témoigné d’une activité en quelque sorte convulsive. Puis, assaillie par trop d’éléments mélaniens et livrée à des luttes ethniques perpétuelles, la lumière qu’elle projetait a été perpétuellement syncopée, a sans cesse changé de direction, de formes et de couleurs, jusqu’au jour où la race ariane-médique est venue lui donner une nouvelle nature. Voilà le sort d’une société très mélangée : c’est d’abord l’agitation extrême, ensuite la torpeur morbide, enfin la mort.

L’Égypte offre un terme moyen, parce que l’organisation de ce pays se tenait dans les demi-mesures. Le système des castes n’y exerçait qu’une influence ethnique très restreinte, car il était incomplètement appliqué, les alliances hétérogènes étant restées possibles. Probablement, le noyau arian s’était senti trop faible pour commander absolument et il s’était rabattu à des transactions avec l’espèce noire. Il reçut le juste loyer de cette modération. Plus vivace que l’organisation assyrienne, surtout plus logique, plus compact, moins fragile et moins variable, il eut une existence effacée, mêlée à moins d’affaires, moins influente sur l’histoire générale, mais plus honorable et plus longue de beaucoup.

Voici maintenant le troisième terme de l’observation : c’est l’Inde. Point de compromis avoué avec la race étrangère, une pureté supérieure ; les brahmanes en jouissent d’abord, les kschattryas ensuite. Les vayçias et même les çoudras conservent la nationalité première d’une manière relative. Chaque caste équilibre, vis-à-vis de l’autre, sa valeur ethnique particulière. Les degrés se consolident et se maintiennent. La société élargit ses bases, et, pareille aux végétaux de ce climat torride, pousse, de toutes parts, la plus luxuriante végétation. Quand la science européenne ne connaissait que la lisière du monde oriental, son admiration pour la civilisation antique faisait des Phéniciens et des hommes de l’Égypte et de l’Assyrie autant de personnages d’une nature titanique. Elle leur attribuait la possession de toutes les gloires du passé. En considérant les pyramides, on s’étonnait qu’il eût pu exister des créatures capables de si vastes travaux. Mais depuis que nos pas se sont risqués plus loin et que, sur les rives du Gange, nous voyons ce que l’Inde a été dans les temps antiques, pendant des séries infinies de siècles, notre enthousiasme se déplace, passe le Nil, passe l’Euphrate, et va se prendre aux merveilles accomplies entre l’Indus et le cours inférieur du Brahmapoutra. C’est là que le génie humain a vraiment créé, dans tous les genres, des prodiges qui étonnent l’esprit. C’est là que la philosophie et la poésie ont leur apogée, et que la vigoureuse et intelligente bourgeoisie des vayçias a longtemps attiré et absorbé tout ce que le monde ancien possédait de richesses en or, en argent, en matières précieuses. Le résultat général de l’organisation brahmanique fut supérieur encore aux détails de l’œuvre. Il en sortit une société presque immortelle par rapport à la durée de toutes les autres. Elle avait deux périls à redouter, et seulement deux : l’attaque d’une nation plus purement blanche qu’elle-même, la difficulté de maintenir ses lois contre les mélanges ethniques.

Le premier péril a éclaté plusieurs fois, et jusqu’à présent, si l’étranger s’est trouvé constamment assez fort pour subjuguer la société hindoue, il s’est, non moins constamment, reconnu impuissant à la dissoudre. Aussitôt que la cause de sa supériorité momentanée a cessé, c’est-à-dire qu’il a laissé entamer la pureté de son sang, il n’a pas tardé à disparaître et à laisser libre sa majestueuse esclave.

Le second danger s’est réalisé aussi. Il était, d’ailleurs, en germe dans l’organisation primitive. Le secret ne s’est pas trouvé de l’étouffer ni même d’arrêter sa croissance, causée par des alliages qui, pour être rares et souvent inaperçus, n’en sont pas moins certains et ne se montrent que trop dans l’abâtardissement graduel des hautes castes de l’Inde. Toutefois, si le régime des castes n’est pas parvenu à paralyser entièrement les exigences de la nature, il les a beaucoup réduites. Les progrès du mal ne se sont accomplis qu’avec une extrême lenteur, et comme la supériorité des brahmanes et des kschattryas sur les populations hindoues n’a pas cessé, jusqu’à nos jours, d’être un fait incontestable, on ne saurait prévoir, avant un avenir très nébuleux, la fin définitive de cette société. C’est une grande démonstration de plus acquise à la supériorité du type blanc et aux effets vivifiants de la séparation des races.


CHAPITRE II.

Développements du brahmanisme.

Dans le tableau du régime inventé par les purohitas, et qui devint le brahmanisme, je n’ai encore indiqué que le système en lui-même, sans l’avoir montré aux prises avec les difficultés d’application, et j’ai choisi pour le dépeindre, non pas le moment où il commença à se former, se développant petit à petit, se complétant par des actes additionnels, mais l’époque de son apogée. Si j’ai voulu le représenter ainsi, dans sa plus haute taille, et des pieds à la tête, c’est afin qu’après avoir décrit l’enfance, je n’eusse pas à expliquer la maturité. Maintenant, pour voir le système à l’œuvre, rentrons dans le domaine de l’histoire.

La puissance des purohitas s’était établie sur deux fortes colonnes : la piété intelligente de la race ariane, d’une part ; de l’autre, le dévouement, moins noble mais plus fanatique, des métis et des aborigènes soumis. Cette puissance reposait sur les vayçias, toujours enclins à chercher un appui contre la prépondérance des guerriers, et sur les çoudras, pénétrés d’un sentiment nègre de terreur et d’admiration superstitieuse pour des hommes honorés de communications journalières avec la Divinité. Sans ce double appui, les purohitas n’auraient pu raisonnablement songer à attaquer l’esprit d’indépendance si cher à leur race, ou, l’ayant osé, n’auraient pas réussi. Se sachant soutenus, ils furent audacieux. Tout aussitôt, comme ils devaient s’y attendre, une vive résistance éclata dans une fraction nombreuse des Arians. Ce fut certainement à la suite des combats et des grands désastres amenés par cette nouveauté religieuse que les nations zoroastriennes, faisant scission avec la famille hindoue, sortirent du Pendjab et des contrées avoisinantes, et s’éloignèrent vers l’ouest, rompant à jamais avec des frères dont l’organisation politique ne leur convenait plus. Si l’on s’enquiert des causes de cette scission, si l’on demande pourquoi ce qui agréait aux uns écartait les autres, la réponse sans doute est difficile. Cependant je doute peu que les Zoroastriens, étant restés plus au nord et à l’arrière-garde des Arians hindous, n’aient conservé, avec une plus grande pureté ethnique, de bonnes raisons de se refuser à l’établissement d’une hiérarchie de naissance, factice à leur point de vue, et, donc, sans utilité, sans popularité chez eux. S’ils n’avaient pas dans leurs rangs des çoudras noirs, ni de vayçias câpres, ni de kschattryas mulâtres ; s’ils étaient tous blancs, tous forts, tous égaux, aucun motif raisonnable n’existait pour qu’ils acceptassent, à la tête du corps social, des brahmanes moralement souverains. Il est, dans tous les cas, certain que le nouveau système leur inspira une aversion qui ne se dissimulait point. On trouve les traces de cette haine dans la réforme dont un très ancien Zoroastre, Zerduscht ou Zeretoschtro, fut le promoteur ; car les dissidents ne conservèrent pas plus que les Hindous l’ancien culte arian. Ils prétendaient peut-être le ramener à une formule plus exacte. Tout porte, en effet, dans le magisme un caractère protestant, et c’est là que se voit la colère contre le brahmanisme (1)[57]. Dans le langage sacré des nations zoroastriennes, le Dieu des Hindous, le Deva, devint le Diw, le mauvais esprit (2)[58], et le mot maaniou reçut la signification de céleste quand sa racine, pour les nations brahmaniques, conservait celle de fureur et de haine (3)[59]. Ce serait ici le cas d’appliquer le 101e vers du premier livre de Lucrèce.

La séparation eut donc lieu, et les deux peuples, poursuivant leur vie à part, n’eurent plus de rapports que l’arc à la main. Néanmoins, tout en se rendant, sans mesure, aversion pour aversion, insulte pour insulte, ils se souvinrent toujours de leur origine commune et ne renièrent pas leur parenté.

Je noterai ici, en passant, que ce fut, selon toute vraisemblance, à peu de temps de cette séparation, que commença à se former le dialecte prâcrit et que la langue ariane proprement dite, si jamais elle exista sous une forme plus concrète qu’un faisceau de dialectes, acheva de disparaître. Le sanscrit domina longtemps encore à l’état d’idiome parlé et préexcellent, ce qui n’empêcha pas les dérivations de se multiplier et de tendre à refouler, à la longue, la langue sainte dans le mutisme éloquent des livres.

Heureux les brahmanes, si le départ des nations zoroastriennes avait pu les délivrer de toute opposition ! Mais ils n’avaient encore lutté qu’avec un seul ennemi, et beaucoup d’opposants devaient s’efforcer de briser leur œuvre. Ils n’avaient expérimenté qu’une seule forme de protestation : d’autres plus redoutables allaient se révéler.

Les Arians n’avaient pas cessé de graviter vers le sud et vers l’est, et ce mouvement, qui a duré jusqu’au XVIIIe siècle de notre ère, et qui, peut-être même, se poursuit encore obscurément tant le brahmanisme est vivace, était suivi et, en partie, causé par la pression septentrionale d’autres populations qui arrivaient de l’ancienne patrie. Le Mahabharata raconte la grande histoire de cette tardive migration (1)[60]. Ces nouveaux venus, sous la conduite des fils de Pandou, paraissent avoir suivi la route de leurs prédécesseurs et être venus dans l’Inde par la Sogdiane, où ils fondèrent une ville qui, du nom de leur patriarche, s’appelait Panda (2)[61], Quant à la race à laquelle appartenaient ces envahisseurs, le doute n’est pas permis. Le mot qui les désigne veut dire un homme blanc (3)[62]. Les brahmanes reconnaissent, sans difficulté, ces ennemis pour des rejetons de la famille humaine, source de la nation hindoue. Ils avouent même la parenté de ces intrus avec la race royale orthodoxe des Kouravas. Leurs femmes étaient grandes et blondes, et jouissaient de cette liberté qui, chez les Teutons, bizarrerie à demi condamnée des Romains, n’était que la continuation des primitives coutumes de la famille blanche (4)[63].

Ces Pandavas mangeaient toutes sortes de viandes, c’est-à-dire, se nourrissaient de bœufs et de vaches, suprême abomination pour les Arians hindous. Sur ce point, les réformés zoroastriens conservaient l’ancienne doctrine, et c’est une nouvelle et forte preuve rétrospective qu’un mode particulier de civilisation et une déviation commune dans les idées religieuses, avaient réuni longtemps les deux rameaux en dehors des idées primordiales de la race. Les Pandavas, irrespectueux pour les animaux sacrés, ne connaissaient pas davantage la hiérarchie des castes. Leurs prêtres n’étaient pas des brahmanes, pas même les purohitas de l’ancien temps. À ces différents titres, ils paraissaient, aux yeux des Hindous, frappés d’impureté et leur contact compromettait gravement la civilisation brahmanique.

Comme on les reçut fort mal (ils ne s’attendaient pas, sans doute, à un autre accueil), une guerre s’engagea, qui eut pour théâtre tout le nord, le sud, l’est de la péninsule jusqu’à Videha et Viçala, et pour acteurs toutes les populations, tant arianes qu’aborigènes (1)[64]. La querelle fut d’autant plus longue que les envahisseurs avaient des alliés naturels dans beaucoup de nations arianes de l’Himalaya, hostiles au régime brahmanique. Ils en trouvaient dans plusieurs peuples métis, plus intéressés encore à le repousser, et, s’il était possible, à l’abattre : conquérants et pillards, les pillards de toute couleur devenaient leurs amis (2)[65].

L’intérêt incline évidemment du côté des Kouravas, qui défendaient la civilisation. Pourtant, après bien du temps et des peines, après avoir longtemps repoussé leurs antagonistes, les Kouravas finirent par succomber. Le Pendjab et de vastes contrées aux alentours restèrent acquis aux envahisseurs plus blancs, et, par conséquent, plus énergiques que les nations brahmaniques, et la civilisation hindoue, forcée de céder, s’enfonça davantage dans le sud-est. Mais elle était tenace en raison de l’immobilité de ses races. Elle n’eut qu’à attendre, et sa revanche sur les descendants des Pandavas fut éclatante. Ceux-ci, vivant libres de toute restriction sacrée, se mêlèrent rapidement aux indigènes. Leur mérite ethnique se dégrada. Les brahmanes reprirent le dessus. Ils enlacèrent les fils dégénérés de Pandou dans leur sphère d’action, leur imposèrent idées et dogmes, et, les forçant de s’organiser sur les modèles donnés par eux, couronnèrent la victoire en leur fournissant une caste sacerdotale qui ne fut pas triée parmi ce qu’il y avait de mieux. Aussi remarque-t-on, dans le Kachemyr, que les hommes de la classe suprême sont plus bruns aujourd’hui que le reste de la population. C’est que leurs ancêtres viennent du sud (1)[66].

Les rapports entre les castes ne furent pas, dans le nord, pareils à ce qu’ils étaient dans le sud. Les brahmanes ne s’y montrèrent pas intellectuellement supérieurs au reste des nationaux, ceux-ci n’obéirent jamais aisément à leur sacerdoce (2)[67], et le mépris profond des vrais Hindous, des qualifications injurieuses, et, mieux que tout, une infériorité morale très marquée punirent à jamais les descendants des Pandavas de la perturbation qu’ils avaient apportée un moment dans l’œuvre brahmanique. On peut donc observer ici ce phénomène, que ce fut moins de la pureté de la race que de l’homogénéité des éléments ethniques que résulta la victoire des brahmanes sur les descendants des Pandavas. Chez les premiers, tous les instincts étaient classes et agissaient, sans se nuire, dans des sphères spéciales ; chez les seconds, le mélange illimité du sang les brouillait à l’infini. Nous avons déjà vu l’analogue de cette situation dans la dernière période de l’histoire tyrienne.

À dater de ce moment, de nombreuses nations arianes se trouvèrent encore à peu près retranchées de la nationalité hindoue, et réduites à un degré inférieur de dignité et d’estime. Il faut placer, dans cette catégorie, les tribus blanches, vivant entre la Sarasvati et l’Hindou-koh, et plusieurs des riverains de l’Indus, c’est-à-dire celles-là mêmes qui, aux yeux de l’antiquité grecque ou romaine, représentaient les populations de l’Inde (1)[68]. Au-dessous de ces peuplades dédaignées, il y en avait un très grand nombre d’impures, puis venaient les aborigènes (2)[69].

Ainsi, pour les brahmanes, terribles logiciens, l’humanité politique se divisait en trois grandes fractions : la nation hindoue proprement dite, avec ses trois castes sacrées et sa caste supplémentaire, que l’on pourrait appeler de tolérance, sacrifice que la conviction faisait à la nécessité; puis les nations arianes, nommées vratyas, trop ouvertement mêlées au sang indigène, qui avaient adopté tard la règle sacrée, et ne la suivaient pas rigoureusement, ou bien, qui, pires encore, s’étaient obstinées à la repousser. Dans ce cas, l’appellation de vratya, voleur, pillard, ne suffisait pas à l’aversion indignée du véritable Hindou, et de pareilles gens étaient qualifiés de dasyou, terme qui emporte un sens à peu près semblable avec le superlatif. Cette injure agréait d’autant mieux à la rancune acrimonieuse de ceux qui l’employaient, qu’elle se rapproche étymologiquement du zend dandyou, dakyou, dakhou (1)[70], dont usaient les Zoroastriens du sud pour désigner les provinces de leurs États. Rien de plus semblable (charité à part) au rebut du genre humain qu’un hérétique, et réciproquement.

Enfin, en troisième lieu et même au-dessous de ces dasyous si détestés, venaient les nations aborigènes. Nulle part on n’imaginera de plus complets sauvages, et, par malheur, c’est que leur nombre était exorbitant. Pour juger de leur valeur morale, il faut voir aujourd’hui ce que sont leurs descendants les plus purs, soit dans le Dekkhan, soit dans les monts Vyndhias et dans les forêts centrales de la péninsule, où ils vont errant par bandes. Regardons-les vivant, après tant de siècles, comme faisaient leurs aïeux au temps où Rama vint combattre les insulaires de Ceylan, alors leurs congénères. Je ne prétends pas les énumérer tous, ce n’est pas mon affaire ; j’indiquerai seulement quelques noms.

Les Kad-Erili-Garou, parlent le tamoul. Ils vont entièrement nus, dorment sous des grottes et des buissons, vivent de racines, de fruits et d’animaux qu’ils attrapent.

Ne sont-ce pas là les fils d’Anak, les Chorréens de l’Écriture (2)[71] ?

Les Katodis campent sous les arbres, mangent les reptiles crus, et, quand ils l’osent, se couchent sur les fumiers des villages hindous.

Les Kauhirs ne savent même pas se défendre contre les attaques des bêtes féroces. Ils fuient ou sont dévorés, et se laissent faire (1)[72].

Les Kandas, très adonnés aux sacrifices humains, égorgent les enfants hindous qu’ils volent, ou même en achètent des plus misérables parias, leurs semblables à beaucoup d’égards. En voilà assez (2)[73].

Les brahmanes donnaient à tous les peuples de cette triste catégorie le nom général de Mlekkhas (3)[74], sauvages, ou de Barbaras. Ce dernier nom est incrusté dans toutes les langues de l’espèce blanche. Il témoigne assez de la supériorité que cette famille s’adjuge sur le reste de l’espèce humaine (4)[75].

À considérer le nombre immense des aborigènes, les politiques de l’Inde comprenaient cependant que les renier ne les paralysait pas, et qu’il fallait, mettant de côté toute répugnance, les rallier par un appât quelconque à la civilisation ariane. Mais le moyen ? Que restait-il à leur offrir qui pût les tenter ? Tous les bonheurs de ce monde étaient distribués. Les brahmanes imaginèrent pourtant de les leur proposer, même les plus hauts, même ceux que les premiers Arians se faisaient fort de conquérir par la vigueur de leurs bras, j’entends le caractère divin, avec cette seule réserve, que tant de magnifiques perspectives ne devaient s’ouvrir qu’après la mort, que dis-je ? après une longue série d’existences. Le dogme de la métempsycose une fois admis, rien de plus plausible, et comme le Mlekkha voyait, sous ses yeux, toutes les classes de la société hindoue agir en vertu de cette croyance, il avait déjà, dans la bonne foi de ses convertisseurs, une forte raison de se laisser convaincre.

Le brahmane véritablement pénitent, mortifié, vertueux, se flattait hautement de prendre place, après sa mort, dans une catégorie d’êtres supérieurs à l’humanité. Le kschattrya renaissait brahmane avec la même espérance au deuxième degré, le vayçia reparaissait kschattrya, le çoudra, vayçia (1)[76]. Pourquoi l’indigène ne serait-il pas devenu çoudra, et ainsi de suite ? D’ailleurs, il arriva que ce dernier rang lui fut conféré même de son vivant. Quand une nation se soumettait en masse, et qu’il fallait l’incorporer à un État hindou, on était contraint, malgré le dogme, de l’organiser, et le moins qu’on pût faire pour elle, c’était encore de l’admettre immédiatement dans la dernière des castes régulières (2)[77].

Des ressources politiques comme ce système de promesses réalisables moyennant résurrection ne peuvent s’improviser. Elles n’ont de valeur que lorsque la bonne foi de ceux qui les emploient est intacte. Dans ce cas, elles deviennent irrésistibles, et l’exemple de l’Inde le prouve.

Il y eut ainsi, vis-à-vis des Aborigènes, deux sortes de conquêtes. L’une, la moins fructueuse, fut opérée par les kschattryas. Ces guerriers, formant une armée régulière quadruple, disent les poèmes, c’est-à-dire composée d’infanterie, de cavalerie, de chars armés et d’éléphants, et généralement appuyée d’un corps auxiliaire d’indigènes, se mettaient en campagne et allaient attaquer l’ennemi. Après la victoire, la loi civile et religieuse interdisait aux militaires de procéder à l’incorporation des populations impures. Les kschattyras se contentaient d’enlever le pouvoir au chef promoteur de la querelle, et lui substituaient un de ses parents ; après quoi ils se retiraient en emportant le butin et des promesses précaires de soumission et d’alliance (1)[78]. Les brahmanes procédaient tout autrement, et leur manière constitue seule la véritable prise de possession du pays et les conquêtes sérieuses (2)[79].

Ils s’avançaient par petits groupes au delà du territoire sacré de l’Aryavarta ou Brahmavarta. Une fois dans ces forêts épaisses, dans ces marécages incultes où la nature des tropiques fait croître en abondance les arbres, les fruits, les fleurs, place les oiseaux aux riches plumages et aux chants variés, les gazelles par troupeaux, mais aussi les tigres et les reptiles les plus redoutables, ils construisaient des ermitages isolés où les aborigènes les voyaient s’appliquant incessamment à la prière, à la méditation, à l’enseignement. Le sauvage pouvait les tuer sans peine. À demi nus, assis à la porte de leurs cabanes de branchages, seuls le plus souvent, tout au plus assistés de quelques disciples aussi désarmés qu’eux-mêmes, le massacre ne présentait ni les difficultés ni les enivrements de la lutte. Cependant des milliers de victimes tombèrent (1)[80]. Mais, pour un ermite égorgé dix accouraient, se disputant le sanctuaire désormais sanctifié, et les vénérables colonies, étendant de plus en plus leurs ramifications, conquéraient irrésistiblement le sol. Leurs fondateurs ne s’emparaient pas moins de l’imagination de leurs farouches meurtriers. Ceux-ci, frappés de surprise ou d’une superstitieuse épouvante, voulaient enfin savoir ce qu’étaient ces mystérieux personnages si indifférents à la souffrance et à la mort, et quelle tâche étrange ils accomplissaient. Et voilà alors ce que les anachorètes leur apprenaient. « Nous sommes les plus augustes des hommes, et nul ici-bas ne nous est comparable. Ce n’est pas sans l’avoir mérité que nous possédons cette dignité suprême. Dans nos existences antérieures, on nous vit aussi misérables que vous-mêmes. À force de vertus et de degrés en degrés, nous voici au point où les rois même rampent à nos pieds. Toujours poussés d’une unique ambition, aspirant à des grandeurs sans limites, nous travaillons à devenir dieux. Nos pénitences, nos austérités, notre présence ici, n’ont pas d’autre but. Tuez-nous : nous aurons réussi. Écoutez-nous, croyez, humiliez-vous, servez, et vous deviendrez ce que nous sommes (2)[81]. »

Les sauvages écoutaient, croyaient et servaient. L’Aryavarta gagnait une province. Les anachorètes devenaient la souche d’un rameau brahmanique local. Une colonie de kschattryas accourait pour gouverner et garder le nouveau territoire. Bien souvent, presque toujours, une tolérance nécessaire souffrit que les rois du pays prissent rang dans la caste militaire. Des vayçias se formèrent également, et, je le crois, sans un trop grand respect pour la pureté du sang. D’un district de l’Inde à l’autre, le reproche de manquer de pureté n’a jamais cessé de courir et d’atteindre même les brahmanes (1)[82]. Il est incontestable que ce reproche est fondé, et l’on en peut donner des preuves éclatantes. Ainsi, dans les temps épiques, Lomâpâda, le roi indigène des Angas convertis, épouse Çanta, fille du roi arian d’Ayodhya (2)[83]. Ainsi encore, au XVIIIe siècle, lors des colonisations hindoues opérées chez les peuples jaunes, à l’est de la Kali, dans le Népaul et le Boutan, on a vu les brahmanes se mêler aux filles du pays et installer leur progéniture métisse comme caste militaire (3)[84].

Procédant de cette manière, au nom de leur principe ; rendant ce principe indispensable à l’organisation sociale, cependant le faisant plier, malheureusement pour l’avenir, très judicieusement pour le présent, devant les difficultés trop grandes, les ascètes brahmaniques formaient une corporation d’autant plus nombreuse que la vie de ses membres était généralement sobre et toujours éloignée des travaux de la guerre. Leur système s’implantait profondément dans la société qui leur devait la vie. Tout se présentait bien : seulement, si grands que fussent les obstacles déjà surmontés, il en allait surgir de plus redoutables encore.

Les kschattryas s’apercevaient que si, dans cette organisation sociale, le rôle le plus brillant leur était assigné, la puissance que leur laissait le sacerdoce avait plus de fleurs que de fruits. À peu près réduits à la situation de satellites effacés, il leur devenait difficile d’avoir une idée, une volonté, un plan différent de celui qu’avaient arrêté, sans eux, les brahmanes, et, tout rois qu’on les disait, ils se sentaient tellement enlacés par les prêtres, que leur prestige, vis-à-vis des peuples, devenait secondaire. Ce n’était pas non plus, pour leur avenir, un symptôme peu menaçant que de voir les brahmanes se poser, dans l’État, en médiateurs éternels entre les souverains et leurs bourgeois, leurs peuples, peut-être même leurs guerriers, tandis qu’au moyen d’une énergique patience, d’un indomptable détachement des joies humaines, ces mêmes brahmanes se faisaient les pères, les augmentateurs de l’Aryavarta, par les conversions en masse que leurs courageux missionnaires opéraient dans les nations aborigènes. Un tel tableau devait cesser, tôt ou tard, d’être considéré d’un œil placide par les princes, et les brahmanes paraissent ne pas avoir assez ménagé, même d’après les données de leur propre système, les méfiances et l’ambition des hommes qu’ils avaient le plus à craindre.

Ce n’est pas qu’ils n’aient usé de quelques ménagements. De même qu’ils avaient fait plier la rigueur de leur système jusqu’au point d’admettre des chefs aborigènes à la dignité de kschattryas, ils avaient fait preuve d’une tolérance plus difficile encore à l’égard des Arians de cette caste, en permettant à plusieurs, que signalaient la sainteté, la science et des pénitences extraordinaires, de s’élever au rang de brahmane. L’épisode de Visvamitra, dans le Ramayana, n’a pas d’autre signification (1)[85]. On citerait encore la consécration d’un autre guerrier de la race des Kouravas. Mais de telles concessions ne pouvaient être que rares, et il faut avouer qu’en échange ils se réservaient la faculté d’épouser des filles de kschattryas et de devenir rois à leur tour. Gendres des souverains, ils admettaient encore que les rejetons de leurs alliances suivaient une loi de décroissance, et se trouvaient exclus de la caste sacerdotale. Mais, du chef de leur mère, les prérogatives de la tribu militaire leur revenaient pleinement, et la dignité royale du même coup. Il y a, sur ce sujet, une anecdote que j’intercalerai ici, bien qu’elle interrompe, ou peut-être parce qu’elle interrompt des considérations un peu longues et assez arides.

Il existait, dans des temps très anciens, à Tchampa, un brahmane. Ce brahmane eut une fille, et il demanda aux astrologues quel avenir était réservé à l’objet de son inquiète tendresse. Ceux-ci, ayant consulté les astres, reconnurent, à l’unanimité, que la petite brahmani serait un jour mère de deux enfants, dont l’un deviendrait un saint illustre et l’autre un grand souverain. Le père fut transporté de joie à cette nouvelle, et aussitôt que la jeune fille se trouva nubile, remarquant avec orgueil comme elle était douée d’une beauté parfaite, il voulut concourir à l’accomplissement du destin, peut-être le hâter, et il s’en alla offrir son enfant à Bandusara, roi de Pataliputhra, monarque renommé pour ses richesses et sa puissance.

Le don fut accepté, et la nouvelle épouse conduite dans le gynécée royal. Ses grâces y firent trop de sensation. Les autres épouses du kschattrya la jugèrent tellement dangereuse, qu’elles appréhendèrent d’être remplacées dans le cœur du roi, et se mirent à chercher une ruse qui, tout aussi bien qu’une violence impossible, les pût débarrasser de leurs craintes, en écartant leur rivale. La belle brahmani était, comme je l’ai dit, fort jeune, et, probablement, sans beaucoup de malice. Les conjurées surent lui persuader que, pour plaire à son mari, il lui fallait apprendre à le raser, à le parfumer et à lui couper les cheveux. Elle avait tout le désir imaginable d’être une épouse soumise : elle obéit donc promptement à ces perfides conseils, de sorte que la première fois que Bandusara la fit appeler, elle se présenta devant lui une aiguière d’une main et portant, dans l’autre, tout l’appareil de la profession qu’elle venait d’apprendre.

Le monarque, qui, sans doute, se perdait un peu dans le nombre de ses femmes et avait en tête des préoccupations de toute nature, oublia les tendres mouvements dont il était agité un moment auparavant, tendit le cou et se laissa parer. Il fut ravi de l’adresse et de la grâce de sa servante, et tellement que le lendemain il la demanda encore. Nouvelle cérémonie, nouvel enchantement, et, cette fois, voulant, en prince généreux, reconnaître le plaisir qu’il recevait, il demanda à la jeune fille comment il pourrait la récompenser.

La belle brahmani indiqua naïvement un moyen sans lequel les promesses des astrologues ne pouvaient, en effet, s’accomplir. Mais le roi se récria bien fort. Il remontra cependant avec bonté, à la belle postulante, que, puisqu’elle était de la caste des barbiers, sa prétention était insoutenable, et qu’il ne commettrait certainement pas une action aussi énorme que celle dont elle le sollicitait. Aussitôt, explication ; l’épouse méconnue revendique, avec le juste sentiment de la dignité blessée, sa qualité de brahmani, raconte pourquoi et dans quelle louable intention elle remplit les fonctions serviles qui scandalisent le roi tout en lui agréant. La vérité se fait jour, la beauté triomphe, l’intrigue s’évanouit, et l’astrologie s’honore d’un succès de plus, à la grande satisfaction du vieux brahmane (1)[86].

Ainsi, dans l’organisation antique de l’Inde, l’union de deux castes était, pour le moins, tolérée, et, en mille circonstances, les brahmanes devaient se trouver en concurrence directe avec les kschattryas pour l’exercice matériel de la souveraine puissance (2)[87]. Comment faire ? Appliquer le principe de séparation dans sa rigueur entière, n’était-ce pas blesser tout le monde ? Il y fallait des ménagements. D’autre part, si l’on en gardait trop, le système même était en péril. On essaya de recourir, pour éviter le double écueil, à la logique et à la subtilité si admirables de la politique brahmanique.

Il fut établi que, dans la règle, le fils d’un kschattrya et d’une brahmani ne pourrait être ni roi ni prêtre. Participant, tout à la fois, des deux natures, il serait le barde et l’écuyer des rois. En tant que brahmane dégénéré, il pourrait être savant dans l’histoire, connaître les poésies profanes, en composer lui-même, les réciter à son maître et aux kschattryas rassemblés. Pourtant il n’aurait pas le caractère sacerdotal, il ne connaîtrait pas les hymnes liturgiques, et l’étude directe des sciences sacrées serait interdite à son intelligence. Comme kschattrya incomplet, il aurait le droit de porter les armes, de monter à cheval, de diriger un char, de combattre, mais en sous-ordre, et sans espoir de commander jamais lui-même à des guerriers. Une grande vertu lui fut réservée : ce fut l’abnégation. Accomplir des exploits pour son prince et s’oublier en chantant les traits de valeur des plus braves, tel fut son lot ; on l’appelait le soûta. Aucune figure héroïque des épopées hindoues n’a plus de douceur, de grâce, de tendresse et de mélancolie. C’est le dévouement d’une femme dans le cœur indomptable d’un héros (1)[88].

Une fois le principe admis, les applications en devenaient constantes, et, en dehors des quatre castes légales, le nombre des associations parasites allait devenir incommensurable (2)[89]. Il le devint tellement, les combinaisons se croisant formèrent un réseau si inextricable, que l’on peut considérer aujourd’hui, dans l’Inde, les castes primitives comme presque étouffées sous les ramifications prodigieuses auxquelles elles ont donné naissance, et sous les greffes perpétuelles que ces ramifications supplémentaires ont causées à leur tour. D’une brahmani et d’un kschattrya nous avons vu naître les bardes-écuyers ; d’une brahmani et d’un vayçia sortirent les ambastas, qui prirent le monopole de la médecine, et ainsi de suite. Quant aux noms imposés à ces subdivisions, les uns indiquent les fonctions spéciales qu’on leur attribuait, les autres sont simplement des dénominations de peuples indigènes étendues à des catégories qui, sans doute, avaient mérité de les prendre, en se mêlant à leurs véritables propriétaires (1)[90].

Cet ordre apparent, tout ingénieux qu’il fût, devenait, en définitive, du désordre, et bien que les compromis dont il résultait eussent été inséparables des débuts du système, il n’était pas douteux que, si l’on voulait empêcher le système lui-même de périr sous l’exubérance de ces concessions néfastes, il ne fallait pas louvoyer plus longtemps, et qu’un remède vigoureux devait, quoi qu’il pût arriver, cautériser au plus vite la plaie ouverte aux flancs de l’état social. Ce fut d’après ce principe que le brahmanisme inventa la catégorie des tchandalas, qui vint compléter d’une manière terrible la hiérarchie des castes impures.

Les dénominations insultantes et les rigueurs n’avaient pas été ménagées aux Arians réfractaires ni aux aborigènes insoumis. Mais on peut dire que l’expulsion, et même la mort, furent peu de chose auprès de la condition immonde à laquelle les quatre castes légales eurent à savoir que seraient désormais condamnés les malheureux issus de leurs mélanges par des hymens défendus. L’approche de ces tristes êtres fut à elle seule une honte, une souillure dont le kschattrya pouvait, à son gré, se laver en immolant ceux qui s’en rendaient coupables. On leur refusait l’entrée des villes et des villages. Qui les apercevait pouvait lancer les chiens sur eux. Une fontaine où on les avait vus boire était condamnée. S’établissaient-ils en un lieu quelconque, on avait le droit de détruire leur asile. Enfin, il ne s’est jamais trouvé sur la terre de monstres détestés contre lesquels une théorie sociale, une abstraction politique, se soit plu à imaginer de si épouvantables effets d’anathème. Ce n’étaient pas les malheureux tchandalas que l’on considérait au moment où l’on fulminait des menaces si atroces : c’étaient leurs futurs parents qu’il s’agissait d’effrayer. Aussi faut-il le reconnaître, si la caste éprouvée a senti, en quelques occasions, s’appesantir sur elle le bras sanguinaire de la loi, ces occasions ont été rares. La théorie lutta ici vainement contre la douceur des mœurs hindoues. Les tchandalas furent méprisés, détestés ; pourtant ils vécurent. Ils possédèrent des villages qu’on aurait eu le droit d’incendier, et qu’on n’incendia point. On ne prit même pas tant de soin de fuir leur contact, qu’on ne tolérât leur présence dans les villes. On les laissa s’emparer de plusieurs branches d’industrie, et nous avons vu tout à l’heure la brahmani de Tchampa prise pour une tchandala par le roi son mari, parce qu’elle remplissait un office concédé à cette tribu, et cependant favorablement accueillie chez un monarque même. Dans l’Inde moderne, des fonctions réputées impures, comme celles de boucher par exemple, rapportent de gros bénéfices aux tchandalas qui s’en mêlent. Plusieurs se sont enrichis par le commerce des blés. D’autres jouent un rôle important dans les fonctions d’interprètes. En montant au plus haut de l’échelle sociale, on trouve des tchandalas riches, heureux et, indépendamment de l’idée de caste, considérés et respectés. Telle dynastie hindoue est bien connue pour appartenir à la caste impure, ce qui ne l’empêche pas d’avoir pour conseillers des brahmanes qui se prosternent devant elle. Il est vrai qu’un pareil état de choses n’a pu être amené que par les bouleversements survenus depuis les invasions étrangères. Quant à la tolérance pratique et à la douceur des mœurs opposées à la fureur théorique de la loi, elle est de tous les temps (1)[91].

J’ajouterai seulement que, de tous les temps aussi, les tchandalas, s’ils eurent quelque chose d’arian dans leur origine, comme on ne peut en douter, n’ont rien eu de plus pressé que de le perdre. Ils ont usé de la vaste latitude de déshonneur où on les abandonnait, pour s’allier et se croiser, sans fin, avec les indigènes. Aussi sont-ils, en général, les plus noirs des Hindous, et quant à leur dégradation morale, à leur lâche perversité, elle n’a pas de limites (2)[92].

L’invention de cette terrible caste eut certainement de grands résultats, et je ne doute pas qu’elle n’ait été assez puissante pour maintenir dans la société hindoue la classification qui en formait la base, et mettre un grand obstacle à la naissance de nouvelles castes, au moins au sein des provinces déjà réunies à l’Aryavarta. Quant à celles qui le furent ensuite, les sources des catégories ne doivent pas non plus être recherchées trop strictement.

Là comme ailleurs, alors comme auparavant, les brahmanes firent ce qu’ils purent. Il leur suffit d’avoir une apparence pour commencer, et de n’établir leurs règles qu’une fois l’organisation assise. Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit pour le Boutan et le Népaul. Ce qui arriva dans ces contrées se produisit dans bien d’autres. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, quel que fût le degré dans lequel la pureté du sang arian se compromit en tel ou tel lieu, cette pureté restait toujours plus grande dans les veines des brahmanes d’abord, des kschattryas ensuite, que dans celles des autres castes locales, et de là cette supériorité incontestable qui, même aujourd’hui, après tant de bouleversements, n’a pas encore fait défaut à la tête de la société brahmanique. Puis, si la valeur ethnique de l’ensemble perdait de son élévation, le désordre des éléments n’y était que passager. L’amalgame des races se faisait plus promptement au sein de chaque caste en se trouvant limité à un petit nombre de principes, et la civilisation haussait ou baissait, mais ne se transformait pas, car la confusion des instincts faisait assez promptement place dans chaque catégorie à une unité véritable, bien que de mérite souvent très pâle. En d’autres termes, autant de castes, autant de races métisses, mais closes et facilement équilibrées.

La catégorie des tchandalas répondait à une nécessité implacable de l’institution, qui devait surtout paraître odieuse aux familles militaires. Tant de lois, tant de restrictions arrêtaient les kschattryas dans l’exercice de leurs droits guerriers et royaux, les humiliaient dans leur indépendance personnelle, les gênaient dans l’effervescence de leurs passions, en leur défendant l’abord des filles et des femmes de leurs sujets. Après de longues hésitations, ils voulurent secouer le joug, et, portant la main à leurs armes, déclarèrent la guerre aux prêtres, aux ermites, aux ascètes, aux philosophes dont l’œuvre avait épuisé leur patience. C’est ainsi qu’après avoir triomphé des hérétiques zoroastriens et autres, après avoir vaincu la féroce inintelligence des indigènes, après avoir surmonté des difficultés de toute nature pour creuser au courant de chaque caste un lit contenu entre les digues de la loi et le contraindre à n’empiéter pas sur le lit des voisins, les brahmanes voyaient venir maintenant la guerre civile, et la guerre de l’espèce la plus dangereuse, puisqu’elle avait lieu entre l’homme armé et celui qui ne l’était pas (1)[93].

L’histoire du Malabar nous a conservé la date, sinon de la lutte en elle-même, du moins d’un de ses épisodes qui fut certainement parmi les principaux. Les annales de ce pays racontent qu’une grande querelle s’émut entre les kschattryas et les sages dans le nord de l’Inde, que tous les guerriers furent exterminés, et que les vainqueurs, conduits par Paraçou Rama, célèbre brahmane qu’il ne faut pas confondre avec le héros du Ramayana, vinrent, après leurs triomphes, s’établir sur la côte méridionale, et y constituèrent un État républicain. La date de cet événement, qui fournit le commencement de l’ère malabare, est l’an 1176 av. J.-C. (1)[94].

Dans ce récit, il entre un peu de forfanterie. Généralement l’usage des plus forts n’est pas d’abandonner le champ de bataille, et surtout quand le vaincu est anéanti. Il est donc vraisemblable que, tout au rebours de ce que prétend leur chronique, les brahmanes furent battus et forcés de s’expatrier, et qu’en haine de la caste royale dont ils avaient dû subir l’insulte, ils adoptèrent la forme gouvernementale qui ne reconnaît pas l’unité du souverain.

Cette défaite ne fut, d’ailleurs, qu’un épisode de la guerre, et il y eut plus d’une rencontre où les brahmanes n’obtinrent pas l’avantage. Tout indique aussi que leurs adversaires, Arians presque autant qu’eux, ne se montrèrent pas dénués d’habileté, et qu’ils ne mirent pas dans la puissance de leurs épées une confiance tellement absolue, qu’ils n’aient cru nécessaire d’aiguiser encore des armes moins matérielles. Les kschattryas se placèrent très adroitement au sein même des ressources de l’ennemi, dans la citadelle théologique, soit afin d’émousser l’influence des brahmanes sur les vayçias, les çoudras et les indigènes, soit pour calmer leur propre conscience et éviter à leur entreprise un caractère d’impiété qui l’aurait rendue promptement odieuse à l’esprit profondément religieux de la nation.

On a vu que, pendant le séjour dans la Sogdiane et plus tard, l’ensemble des tribus zoroastriennes et hindoues professait un culte assez simple. S’il était plus chargé d’erreurs que celui des époques tout à fait primordiales de la race blanche, il était moins compliqué cependant que les notions religieuses des purohitas qui commencèrent le travail du brahmanisme. À mesure que la société hindoue gagnait de l’âge et qu’en conséquence le sang noir des aborigènes de l’ouest et du sud et le type jaune de l’est et du nord s’infiltraient davantage dans son sein, les besoins religieux auxquels il fallait répondre variaient et devenaient exigeants. Pour satisfaire l’élément noir, Ninive et l’Égypte nous ont appris déjà les concessions indispensables. C’était le commencement de la mort des nations arianes. Celles-ci avaient continué à être purement abstraites et morales, et bien que l’anthropomorphisme fût peut-être au fond des idées, il ne s’était pas encore manifesté. On disait que les dieux étaient beaux, beaux à la manière des héros arians. On n’avait pas songé à les portraire.

Quand les deux éléments noir et jaune eurent la parole, il fallut changer de système, il fallut que les dieux eux-mêmes sortissent du monde idéal dans lequel les Arians avaient trouvé du plaisir à laisser planer leurs sublimes essences. Quelles que pussent être les différences capitales existant, d’ailleurs, entre le type noir et le type jaune, sans avoir besoin de tenir compte, non plus, de ce fait que ce fut le premier qui parla d’abord et fut toujours écouté, tout ce qui était aborigène se réunit, non seulement pour vouloir voir et toucher les dieux qu’on lui vantait tant, mais aussi pour qu’ils lui apparussent plutôt terribles, farouches, bizarres et différents de l’homme, que beaux, doux, bénins, et ne se plaçant au-dessus de la créature humaine que par la perfection plus grande des formes de celle-ci. Cette doctrine eût été trop métaphysique au sens de la tourbe. Il est bien permis de croire aussi que l’inexpérience primitive des artistes la rendait plus difficile à réaliser. On voulut donc des idoles très laides et d’un aspect épouvantable. Voilà le côté de dépravation.

On a dit quelquefois, pour trouver une explication à ces bizarreries repoussantes des images païennes de l’Inde, de l’Assyrie et de l’Égypte, à ces obscénités hideuses où les imaginations des peuples orientaux se sont toujours complu, que la faute en revenait à une métaphysique abstruse, qui ne regardait pas tant à présenter aux yeux des monstruosités qu’à leur proposer des symboles propres à donner pâture aux considérations transcendantales. L’explication me paraît plus spécieuse que solide. Je trouve même qu’elle prête, bien gratuitement, un goût pervers aux esprits élevés qui, pour vouloir pénétrer les plus subtils mystères, ne sont cependant pas, ipso facto, dans la nécessité absolue de rudoyer et d’avilir leurs sensations physiques. N’est-il pas moyen de recourir à des symboles qui ne soient pas répugnants ? Les puissances de la nature, les forces variées de la Divinité, ses attributs nombreux ne sauraient-ils être exprimés que par des comparaisons révoltantes ? Lorsque l’hellénisme a voulu produire la statue mystique de la triple Hécate, lui a-t-il donné trois têtes, six bras, six jambes, a-t-il contourné ses visages dans d’abominables contractions ? L’a-t-il assise sur un Cerbère immonde ? Lui a-t-il disposé sur la poitrine un collier de têtes et dans les mains des instruments de supplice souillés des marques d’un emploi récent ? Quand, à son tour, la foi chrétienne a représenté la Divinité triple et une, s’est-elle jetée dans les horreurs ? Pour montrer un saint Pierre, ouvrant à la fois le monde d’en haut et celui d’en bas, a-t-elle pris son recours à la caricature ? Nullement. L’hellénisme et la pensée catholique ont su parfaitement se dispenser d’en appeler à la laideur dans des sujets qui cependant n’étaient pas moins métaphysiques que les dogmes hindous, assyriens, égyptiens, les plus compliqués. Ainsi, ce n’est pas à la nature de l’idée abstraite en elle-même qu’il faut s’en prendre quand les images sont odieuses : c’est à la disposition des yeux, des esprits, des imaginations auxquelles doivent s’adresser les représentations figurées. Or, l’homme noir et l’homme jaune ne pouvaient bien comprendre que le laid : c’est pour eux que le laid fut inventé et resta toujours rigoureusement nécessaire.

En même temps que chez les Hindous il fallait produire ainsi les personnifications théologiques, il était de même nécessaire de les multiplier, afin, en les dédoublant, de leur faire présenter un sens plus clair et plus facile à saisir. Les dieux peu nombreux des âges primordiaux, Indra et ses compagnons, ne suffirent plus à rendre les séries d’idées qu’une civilisation de plus en plus vaste enfantait à profusion. Pour en citer un exemple, la notion de la richesse étant devenue plus familière à des masses qui avaient appris à en apprécier les causes et les effets, on mit ce puissant mobile social sous la garde d’un maître céleste, et on inventa Kouvéra, déesse faite de manière à satisfaire pleinement le goût des noirs (1)[95].

Dans cette multiplication des dieux il n’y avait cependant pas que de la grossièreté. À mesure que l’esprit brahmanique lui-même se raffinait, il faisait effort et cherchait à ressaisir l’antique vérité échappée jadis à la race ariane, et, en même temps qu’il créait des dieux inférieurs pour satisfaire les aborigènes ralliés, ou encore qu’il tolérait d’abord et acceptait ensuite des cultes autochtones, il montait de son côté. Il cherchait par en haut, et, imaginant des puissances, des entités célestes supérieures à Indra, à Agni, il découvrait Brahma, lui donnait le caractère le plus sublime que jamais philosophie humaine ait pu combiner, et, dans le monde de création sur-éthérée où son instinct des belles choses concevait un si grand être, il ne laissait pénétrer que peu d’idées qui en fussent indignes.

Brahma resta longtemps pour la foule un dieu inconnu. On ne le figura que très tard. Négligé des castes inférieures, qui ne le comprenaient ni ne s’en souciaient, il était par excellence le dieu particulier des ascètes, celui dont ils se réclamaient, qui faisait l’objet de leurs plus hautes études, et qu’ils n’avaient nulle pensée de détrôner jamais. Après avoir passé par toute la série des existences supérieures, après avoir été dieux eux-mêmes, tout ce qu’ils espéraient, c’était d’aller se confondre dans son sein et se reposer, un temps, des fatigues de la vie, lourde à porter pour eux, même dans les délices de l’existence céleste.

Si le dieu supérieur des brahmanes planait trop au-dessus de la compréhension étroite des classes inférieures et peut-être des vayçias eux-mêmes, il était cependant accessible au sens élevé des kschattryas, qui, restés participants de la science védique, avaient, sans doute, une piété moins active que leurs contemplatifs adversaires, mais possédaient assez de science avec assez de netteté d’esprit, pour ne pas heurter de front une notion dont ils appréciaient très bien la valeur. Ils prirent un biais, et, les théologiens militaires aidant, ou quelque brahmane déserteur, ils transformèrent la nature subalterne d’un dieu kschattrya jusque-là peu remarqué, Vischnou (1)[96], et, lui dressant un trône métaphysique, l’élevèrent aussi haut que le maître céleste de leurs ennemis. Placé alors en face et sur le même plan que Brahma, l’autel guerrier valut celui du rival et les guerriers n’eurent pas à s’humilier sous une supériorité de doctrine.

Un tel coup, bien médité sans doute, et longtemps réfléchi, car il accuse par les développements qui lui furent nécessaires la longueur et l’acharnement d’une lutte obstinée, menaçait le pouvoir des brahmanes, et, avec lui, la société hindoue, d’une ruine complète. D’un côté, aurait été Vischnou avec ses kschattryas libres et armés ; de l’autre, Brahma, égalé par un dieu nouveau, avec ses prêtres pacifiques, et les classes impuissantes des vayçias et des çoudras. Les aborigènes auraient été mis en demeure de choisir entre deux systèmes, dont le premier leur eût offert, avec une religion tout aussi complète que l’ancienne, une délivrance absolue de la tyrannie des castes et la perspective, pour le dernier des hommes, de parvenir à tout, pendant le cours même de la vie actuelle, sans avoir à attendre une seconde naissance. L’autre régime n’avait rien de nouveau à dire ; situation toujours défavorable quand il s’agit de plaider devant les masses ; et, de même qu’il ne pouvait pas accuser ses rivaux d’impiété, puisqu’ils reconnaissaient le même panthéon que lui, sauf un dieu supérieur différent, il ne pouvait non plus se poser, comme il l’avait fait jusqu’alors, en défenseur des droits des faibles, en libéral, comme on dirait aujourd’hui ; car le libéralisme était évidemment du côté de ceux qui promettaient tout aux plus humbles, et voulaient même leur accorder le rang suprême à l’occasion. Or, si les brahmanes perdaient la fidélité de leur monde noir, quels soldats auraient-ils à opposer au tranchant des épées royales, eux qui ne pouvaient payer de leur personne ?

Comment la difficulté fut traitée, c’est ce qu’il est impossible de saisir. Ce sont choses si vieilles, qu’on les devine plutôt qu’on ne les aperçoit au milieu des décombres mutilés de l’histoire. Il est toutefois évident que, dans les deux sommes de fautes que deux partis politiques belligérants ne manquent jamais de commettre, le chiffre le plus petit revient aux brahmanes. Ils eurent aussi le mérite de ne pas s’obstiner sur des détails, et de sauver le fond en sacrifiant beaucoup du reste. À la suite de longues discussions, prêtres et guerriers se raccommodèrent, et, s’il faut en juger sur l’événement, voici quels furent les termes du traité.

Brahma partagea le rang suprême avec Vischnou. De longues années après, d’autres révolutions dont je n’ai pas à parler, car elles n’ont pas un caractère directement ethnique, leur adjoignirent Siva (1)[97], et, plus tard encore, une certaine doctrine philosophique, ayant fondu ces trois individualités divines en une trinité pourvue du caractère de la création, de la conservation et de la destruction, ramena, par ce détour, la théologie brahmanique à la primitive conception d’un dieu unique enveloppant l’univers (2)[98].

Les brahmanes renoncèrent à occuper jamais le rang suprême, et les kschattryas le conservèrent comme un droit imprescriptible de leur naissance.

Moyennant quoi, le régime des castes fut maintenu dans sa rigueur entière, et toute infraction conduisit résolument le fruit du crime à l’impureté des basses castes.

La société hindoue, scellée sur les bases choisies par les brahmanes, venait encore de passer heureusement une des crises les plus périlleuses, qu’elle pût subir. Elle avait acquis bien des forces, elle était homogène et n’avait qu’à poursuivre sa route : c’est ce qu’elle fit avec autant de suite que de succès. Elle colonisa, vers le sud, la plus grande partie des territoires fertiles, elle refoula les récalcitrants dans les déserts et les marais, sur les cimes glacées de l’Himalaya, au fond des monts Vyndhias. Elle occupa le Dekkhan, elle s’empara de Ceylan, et y porta sa culture avec ses colonies. Tout porte à croire qu’elle s’avança, dès lors, jusqu’aux îles lointaines de Java et de Bali (1)[99] ; elle s’instilla aux bords inférieurs du Gange, et osa pénétrer le long du cours malsain du Brahmapoutra, au milieu des populations jaunes que, dès longtemps, elle avait connues sur quelques points du nord, de l’est, et dans les îles du sud (2)[100].

Pendant que s’accomplissaient de tels travaux, d’autant plus difficiles que les régions étaient plus vastes, les distances plus longues, les difficultés naturelles bien autrement accumulées qu’en Égypte, un immense commerce maritime allait de toutes parts, en Chine, entre autres, et cela, d’après un calcul très vraisemblable, 1,400 ans avant J.-C., porter les magnifiques produits du sol, des mines et des manufactures, et rapporter ce que le Céleste Empire et les autres lieux civilisés du monde possédaient de plus excellent. Les marchands hindous fréquentaient de même Babylone (1)[101]. Sur la côte de l’Yémen, leur séjour était, pour ainsi dire, permanent. Aussi les brillants États de leur péninsule regorgeaient de trésors, de magnificences et de plaisirs, résultats d’une civilisation développée sous des règles strictes à la vérité, mais que le caractère national rendait douces et paternelles. C’est, du moins, le sentiment qu’on éprouve à la lecture des grandes épopées historiques et des légendes religieuses fournies par le bouddhisme.

La civilisation ne se bornait pas à ces brillants effets externes. Fille de la science théologique, elle avait puisé à cette source le génie des plus grandes choses, et on peut dire d’elle ce que les alchimistes du moyen âge pensaient du grand œuvre, dont le moindre mérite était de faire de l’or. Avec tous ses prodiges, avec tous ses travaux, avec ses revers si noblement supportés, ses victoires si sagement mises à profit, la civilisation hindoue considérait comme la moindre partie d’elle-même ce qu’elle accomplissait de positif et de visible, et, à ses yeux, ses seuls triomphes dignes d’estime commençaient au delà du tombeau.

Là était le grand point de l’institution brahmanique. En établissant les catégories dans lesquelles elle divisait l’humanité, elle se faisait fort de se servir de chacune pour perfectionner l’homme, et l’envoyer, à travers le redoutable passage dont l’agonie est la porte, soit à une destinée supérieure, s’il avait bien vécu, soit, dans le cas contraire, à un état dont l’infériorité donnait du temps au repentir. Et quelle n’est pas la puissance de cette conception sur l’esprit du croyant, puisque aujourd’hui même l’Hindou des castes les plus viles, soutenu, presque enorgueilli par l’espérance de renaître à un rang meilleur, méprise le maître européen qui le paye, ou le musulman qui le frappe, avec autant d’amertume et de sincérité que peut le faire un kschattrya ?

La mort et le jugement d’outre-tombe sont donc les grands points de la vie d’un Hindou, et on peut dire, à l’indifférence avec laquelle il porte communément l’existence présente, qu’il n’existe que pour mourir. Il y a là des similitudes évidentes avec cet esprit sépulcral de l’Égypte, tout porté vers la vie future, la devinant et, en quelque façon, l’arrangeant à l’avance. Le parallèle est facile, ou mieux, les deux ordres d’idées se coupent à angle droit et partent d’un sommet commun. Ce dédain de l’existence, cette foi solide et délibérée dans les promesses religieuses, donnent à l’histoire d’une nation une logique, une fermeté, une indépendance, une sublimité que rien n’égale. Quand l’homme vit à la fois, par la pensée, dans les deux mondes, et, en embrassant de l’œil et de l’esprit ce que les horizons du tombeau ont de plus sombre pour l’incrédule, les illumine d’éclatantes espérances, il est peu retenu par les craintes ordinaires aux sociétés rationalistes, et, dans la poursuite des affaires d’ici-bas, il ne compte plus parmi les obstacles la crainte d’un trépas qui n’est qu’un passage d’habitude. Le plus illustre moment des civilisations humaines est celui où la vie n’est pas encore cotée si haut qu’on ne place, avant le besoin de la conserver, bien d’autres soucis plus utiles aux individus. D’où dépend cette disposition heureuse ? Nous la verrons toujours et partout corrélative à la plus ou moins grande abondance de sang arian dans les veines d’un peuple.

La théologie et les recherches métaphysiques furent donc le pivot de la société hindoue. De là sortirent, sans s’en détacher jamais, les sciences politiques, les sciences sociales. Le brahmanisme ne fit pas deux parts spéciales de la conscience du citoyen et de celle du croyant. La théorie chinoise et européenne de la séparation de l’Église et de l’État ne fut jamais admissible pour lui. Sans religion, point de société brahmanique. Pas un seul acte de la vie privée ne s’en isolait. Elle était tout, pénétrait partout, vivifiait tout et d’une manière bien puissante, puisqu’elle relevait le tchandala lui-même, tout en l’abaissant, et donnait même à ce misérable un motif d’orgueil et des inférieurs à mépriser.

Sous l’égide de la science et de la foi, la poésie des soutas avait aussi trouvé d’illustres imitateurs dans les ermitages sacrés. Les anachorètes, descendus des hauteurs inouïes de leurs méditations, protégeaient les poètes profanes, les excitaient et savaient même les devancer. Valmiki, l’auteur du Ramayana, fut un ascète vénéré. Les deux rapsodes auxquels il confia le soin d’apprendre et de répéter ses vers, étaient des kschattryas, Cuso et Lavo, fils de Rama lui-même. Les cours des rois du pays accueillaient avec feu les jouissances intellectuelles, une partie des brahmanes se consacra bientôt au seul emploi de leur en procurer (1)[102]. Les poèmes, les élégies, les récits de toute nature, vinrent se placer auprès des élucubrations volumineuses des sciences austères (2)[103]. Sur une scène illustrée par les génies les plus magnifiques, le drame et la comédie représentèrent, avec éclat, les mœurs des temps présents et les actions les plus grandioses des époques passées. Certes, le grand nom de Kalidasa mérite de briller à l’égal des plus illustres mémoires dont s’enorgueillissent les fastes littéraires (1)[104]. À côté de cet homme illustre, plusieurs encore créaient ces chefs-d’œuvre recueillis en partie par le savant Wilson, dans son Théâtre indien, et, bref, l’amour des plaisirs intellectuels, d’une part, et celui des profits qu’il rapportait, de l’autre, avaient fini par créer, dans ce monde antique, le métier d’homme de lettres, comme nous le voyons pratiquer sous nos yeux depuis trente ans environ, non pas tout à fait dans la même forme quant aux productions, mais sans la moindre différence quant à l’esprit (2)[105]. Je n’en veux pour démonstration qu’une courte anecdote que je citerai, afin d’ouvrir aussi une échappée de vue sur le côté familier de cette grande civilisation.

Un brahmane faisait le métier que je dis, et, soit qu’il y gagnât peu, ou peut-être qu’il dépensât trop, il se trouvait à court d’argent. Sa femme lui conseilla d’aller se mettre sur le passage du rajah et, aussitôt qu’il le verrait sortir de son palais, de s’avancer hardiment et de lui réciter quelque chose qui lui pût être agréable.

Le poète trouva l’idée ingénieuse, et, suivant le conseil de la brahmani, il rencontra le roi au moment où celui-ci allait faire sa promenade, assis sur le dos de son éléphant. L’auteur vénal ne se piquait pas d’un grand respect. « Qui des deux louerai-je ? se dit-il. Cet éléphant est cher et agréable au peuple ; laissons là le roi, je vais chanter l’éléphant[106]. »

Voilà le laisser-aller de ce qu’on nomme aujourd’hui la vie d’artiste ou de journaliste, avec cette différence que le danger n’en était pas grand au milieu des barrières qui encadraient tous les chemins. Je ne répondrais pas cependant que ces façons d’indépendance, séduisant quelques esprits, n’aient contribué à amener la dernière grande insurrection et une des plus dangereuses, à coup sûr, que le brahmanisme ait eu à subir. Je veux parler de la naissance des doctrines bouddhiques et de l’application politique qu’elles essayèrent.


CHAPITRE III.

Le bouddhisme, sa défaite ; l’Inde actuelle.

On était arrivé à une époque qui, suivant le comput cinghalais, concorderait avec le VIIe siècle avant J.-C.[107], et suivant d’autres calculs bouddhiques dressés pour le nord de l’Inde, descendrait jusqu’à l’an 543 avant notre ère[108]. Depuis quelque temps déjà, des idées très dangereuses s’étaient glissées dans cette branche de la science hindoue qui porte le nom de philosophie sankhya. Deux brahmanes, Patandjali et Kapila, avaient enseigné que les œuvres ordonnées par les Védas étaient inutiles de soi au perfectionnement des créatures, et que, pour arriver aux existences supérieures, il suffisait de la pratique d’un ascétisme individuel et arbitraire. Par cette doctrine, on était mis en droit, sans inconvénient pour l’avenir du tombeau, de mépriser tout ce que le brahmanisme recommandait et de faire ce qu’il prohibait (1)[109].

Une telle théorie pouvait renverser la société. Cependant, comme elle ne se présentait que sous une forme purement scientifique et ne se communiquait que dans les écoles, elle resta matière à discussion pour les érudits et ne descendit pas dans la politique. Mais, soit que les idées qui lui avaient donné naissance fussent quelque chose de plus que la découverte accidentelle d’un esprit chercheur, ou bien que des hommes très pratiques en aient eu connaissance, il se trouva qu’un jeune prince, de la plus illustre origine, appartenant à une branche de la race solaire, Sakya, fils de Çuddodhana, roi de Kapilavastu, entreprit d’initier les populations à ce que cette doctrine avait de libéral.

Il se mit à enseigner, comme Kapila, que les œuvres védiques étaient sans valeur ; il ajouta que ce n’était ni par les lectures liturgiques, ni par les austérités et les supplices, ni par le respect des classifications, qu’il était possible de s’affranchir des entraves de l’existence actuelle ; que, pour cela, il ne fallait avoir recours qu’à l’observance des lois morales, dans lesquelles on était d’autant plus parfait qu’on s’occupait moins de soi et plus d’autrui. Comme vertus supérieures et d’une efficacité incomparable, il proclama la libéralité, la continence, la science, l’énergie, la patience et la miséricorde. Il acceptait, du reste, en fait de théologie et de cosmogonie, tout ce que le brahmanisme savait, hors un dernier point, sur lequel il avait la prétention de promettre beaucoup plus que la loi régulière. Il affirmait pouvoir conduire les hommes, non seulement dans le sein de Brahma, d’où, après un temps, l’ancienne théologie enseignait que, par suite de l’épuisement des mérites, il fallait sortir pour recommencer la série des existences terrestres, mais dans l’essence du Bouddha parfait, où l’on trouvait le nirwana, c’est-à-dire le complet et éternel néant. Ainsi le brahmanisme était un panthéisme très compliqué, et le bouddhisme le compliquait encore en le faisant poursuivre sa route jusqu’à l’abîme de la négation (1)[110].

Maintenant, comment Sakya produisait-il ses idées et cherchait-il à les répandre ? Il commença par renoncer au trône ; il se couvrit d’une robe de grosse toile commune et jaune, composée de haillons qu’il avait recueillis lui-même dans les bourriers, dans les cimetières, et cousus de sa main ; il prit un bâton et une écuelle, et désormais ne mangea plus que ce que l’aumône voulut lui donner. Il s’arrêtait sur les places publiques des villes et des villages et prêchait sa doctrine morale (2)[111]. Se trouvait-il là des brahmanes, il faisait avec eux assaut de science et de subtilité, et les assistants écoutaient, pendant des heures entières, une polémique qu’enflammait la conviction égale des antagonistes. Bientôt il eut des disciples. Il en recruta beaucoup dans la caste militaire, peut-être plus encore dans celle des vayçias, alors bien puissante et bien honorée, comme fort riche. Quelques brahmanes vinrent aussi à lui. Ce fut surtout dans le bas peuple qu’il enrôla ses plus nombreux prosélytes (3)[112]. Du moment qu’il avait repoussé les prescriptions des Védas, les séparations des castes n’existaient plus pour lui, et il déclarait ne reconnaître d’autre supériorité que celle de la vertu (4)[113].

Un de ses premiers disciples et des plus dévoués, Ananda, son cousin, kschattrya d’une grande famille, revenant un jour d’une longue course dans les campagnes, accablé de fatigue et de chaleur, s’approche d’un puits où il voit une jeune fille occupée à tirer de l’eau. Il exprime le désir d’en avoir. Celle-ci s’excuse, en lui faisant observer qu’en lui rendant ce service elle le souillerait, étant de la tribu matanghi, de la caste des tchandalas. « Je ne te demande, ma sœur, lui répond Ananda, ni ta caste ni ta famille, mais seulement de l’eau, si tu peux m’en donner (1)[114]. »

Il prit la cruche et but, et, pour porter de la liberté de ses idées un témoignage plus éclatant encore, quelque temps après il épousa la tchandala. Que des novateurs de cette force exerçassent de la puissance sur l’imagination du bas peuple, on le conçoit aisément. Les prédications de Sakya convertirent un nombre infini de personnes, et, après sa mort, des disciples ardents, poursuivant son œuvre de tous côtés, en étendirent les succès bien au delà des bornes de l’Inde, où des rois se firent bouddhistes avec toute leur maison et leur cour.

Cependant l’organisation brahmanique était tellement puissante, que la réforme n’osa pas, dans la pratique, se montrer aussi hostile ni aussi téméraire que dans la théorie. On niait bien, en principe, et souvent même en action, la nécessité religieuse des castes. En politique, on n’avait pu trouver le moyen de s’y soustraire. Qu’Ananda épousât une fille impure, c’était de quoi se faire applaudir de ses amis, mais non pas empêcher ses enfants d’être impurs à leur tour. En tant que bouddhistes, ils pouvaient devenir des bouddhas parfaits et être en grande vénération dans leur secte ; en tant que citoyens, ils n’avaient que justement les droits et la position assignés à leur naissance. Aussi, malgré le grand ébranlement dogmatique, la société menacée n’était pas sérieusement entamée (2)[115].

Cette situation se prolongea d’une manière qui prouve, à elle seule, la vigueur extraordinaire de l’organisation brahmanique. Deux cents ans après la mort de Sakya, et dans un royaume gouverné par le roi bouddhiste Pyadassi, les édits ne manquaient jamais de donner le pas aux brahmanes sur leurs rivaux (1)[116], et la guerre véritable, la guerre d’intolérance, la persécution ne commença qu’avec le Ve siècle de notre ère (2)[117]. Ainsi le bouddhisme avait pu vivre pendant près de huit cents ans, à tout le moins, côte à côte avec l’antique régulateur du sol, sans parvenir à se rendre assez fort pour l’inquiéter et le faire courir aux armes.

Ce n’était pas faute de bonne volonté. Les conversions dans les basses classes avaient toujours été en augmentant. À l’appel d’une doctrine qui, prétendant ne tenir compte que de la valeur morale des hommes, leur disait : « Par ce seul fait que vous m’accueillez, je vous relève de votre abaissement en ce monde », tout ce qui ne voulait ou ne pouvait obtenir naturellement un rang social était fortement tenté d’accourir. Puis, dans les brahmanes il y avait des hommes sans science, sans considération ; dans les kschattryas, des guerriers qui ne savaient pas se battre ; dans les vayçias, des dissipateurs regrettant leur fortune, et trop paresseux ou trop nuls pour s’en refaire une autre par le travail (3)[118]. Toutes ces accessions donnaient du relief à la secte en la répandant dans les hautes classes, et il était, en somme, aussi flatteur que facile de se glorifier de vertus intimes et inaperçues, de débiter des discours de morale, et aussitôt d’être tenu pour saint et quitte du reste (1)[119].

Les couvents se multiplièrent. Des religieux et des religieuses remplirent ces asiles appelés viharas, et les arts, que l’antique civilisation avait formés et élevés, prêtèrent leur concours à la glorification de la nouvelle secte (2)[120]. Les cavernes de Magatanie, de Baug, sur la route d’Oudjeïn, les grottes d’Eléphanta sont des temples bouddhiques. Il en est d’aussi extraordinaires par la vaste étendue des proportions que par le fini précieux des détails. Tout le panthéon brahmanique, doublé de la nouvelle mythologie qui vint s’enter sur ses rameaux, de tous les bouddhas, de tous les boddhisatvas et autres inventions d’une imagination d’autant plus féconde qu’elle plongeait davantage dans les classes noires, tout ce que la pensée humaine, ivre de raffinements et complètement déroutée par l’abus de la réflexion, a jamais pu imaginer d’extravagant en fait de formes, vint trôner sous ces splendides asiles (1)[121]. Il était temps, pour peu que les brahmanes voulussent sauver leur société, de se mettre à l’œuvre. La lutte s’engagea, et, si l’on compare le temps du combat à celui de la patience, l’un fut aussi long que l’autre. La guerre commencée au Ve siècle se termine au XIVe (2)[122].

Autant qu’on peut en juger, le bouddhisme mérita d’être vaincu, parce qu’il recula devant ses conséquences. Sensible, de bonne heure, au reproche, évidemment très mérité, de démentir ses prétentions à la perfection morale en se recrutant de tous les gens perdus, il s’était laissé persuader d’admettre des motifs d’exclusion physiques et moraux. Par là, il n’était déjà plus la religion universelle, et se fermait les accessions les plus nombreuses, si elles n’étaient pas les plus honorables. En outre, comme il n’avait pas pu détruire, de prime abord, les castes, et qu’il avait été obligé de les reconnaître de fait, tout en les niant en théorie, il avait dû, dans son propre sein, compter avec elles (3)[123]. Les rois kschattryas et fiers de l’être bien que bouddhistes, les brahmanes convertis et qui n’avaient rien à gagner, les uns et les autres, à la nouvelle foi, si ce n’est la dignité de bouddha et l’anéantissement parfait, devaient, tôt ou tard, soit par eux, soit par leurs descendants, éprouver, en mille circonstances, des tentations violentes de rompre avec la tourbe qui s’égalait à eux, et de reprendre la plénitude de leurs anciens honneurs.

De cent façons le bouddhisme perdit du terrain ; au XIe siècle, il disparut tout à fait du sol de l’Inde. Il se réfugia dans des colonies, comme Ceylan ou Java, que la culture brahmanique avait sans doute formées, mais où, par l’infériorité ethnique des prêtres et des guerriers, la lutte put continuer indécise et même se terminer à l’avantage des hérétiques. Le culte dissident trouva encore un asile dans le nord-est de l’Inde, où cependant, comme au Népaul, on le voit aujourd’hui, dégénéré et sans forces, reculer devant le brahmanisme. En somme, il ne fut vraiment à l’aise que là où il ne rencontra pas de castes, en Chine, dans l’Annam, au Thibet, dans l’Asie centrale. Il s’y déploya à son aise, et, contrairement à l’avis de quelques critiques superficiels, il faut avouer que l’examen ne lui est pas favorable et montre d’une manière éclatante le peu que réussit à produire, pour les hommes et pour les sociétés, une doctrine politique et religieuse qui se pique d’être basée uniquement sur la morale et la raison.

Bientôt l’expérience démontre combien cette prétention est vaine et creuse. Comme le bouddhisme, la doctrine incomplète veut réparer sa faute en se donnant, après coup, des fondements. Il est trop tard, elle ne crée qu’absurdités. Procédant à l’inverse de ce qui se voit dans les véritables philosophies, au lieu de faire que la loi morale découle de l’ontologie, c’est, au contraire, l’ontologie qui découle de la loi morale (1)[124]. De là, encore plus de non-sens, s’il est possible, que dans le brahmanisme dégénéré, qui en contient tant. De là, une théologie sans âme, toute factice, et les niaiseries du cylindre de prières, qui, placardé de manuscrits d’oraisons et mis en rotation perpétuelle par une force hydraulique, est censé envoyer au ciel l’esprit pieux contenu sous les lettres, et en réjouir les intelligences suprêmes (2)[125]. À quel point d’avilissement tombe bientôt une théorie rationaliste qui s’aventure hors des écoles et va entreprendre la conduite des peuples ! Le bouddhisme le montre pleinement, et l’on peut dire que les multitudes immenses dont il dirige les consciences appartiennent aux classes les plus viles de la Chine et des pays circonvoisins. Telle fut sa fin, tel est son sort actuel.

Le brahmanisme ne fit pas que profiter des infirmités et des fautes de son ennemi. Il eut aussi des bénéfices d’habileté, et il suivit, en ces circonstances, la même politique dont il avait déjà usé avec succès lors de la révolte des kschattryas. Il sut pardonner et accorder les concessions indispensables. Il ne voulut pas violenter les consciences ou les humilier. Il imagina, au moyen d’un syncrétisme accommodant, de faire du bouddha Sakya-mouni une incarnation de Vischnou. De cette façon, il permettait à ceux qui voulaient revenir à lui de toujours vénérer leur idole, et leur épargnait ce que les conversions ont de plus amer, le mépris de ce que l’on a adoré. Puis, peu à peu, son panthéon accueillit beaucoup de divinités bouddhiques, avec cette seule réserve, que ces dernières venues n’occupèrent que des rangs inférieurs. Enfin il manœuvra de telle sorte qu’aujourd’hui le bouddhisme est aussi bien non avenu dans l’Inde que s’il n’y avait jamais existé. Les monuments sortis des mains de cette secte passent, dans l’opinion générale, pour l’œuvre de son rival heureux (1)[126]. L’opinion publique ne les dispute pas au vainqueur, tellement que l’adversaire est mort, sa dépouille est restée aux brahmanes, et le retour des esprits est aussi complet que possible. Que dire de la puissance, de la patience et de l’habileté d’une école qui, après une campagne de près de deux mille ans, sinon plus, remporta une victoire semblable ? Pour moi, je l’avoue, je ne vois rien d’aussi extraordinaire dans l’histoire, et je ne sache rien, non plus, qui fasse autant d’honneur à l’autorité de l’esprit humain.

Que doit-on ici admirer davantage ? Est-ce la ténacité avec laquelle le brahmanisme se conserva, pendant cet énorme laps de temps, parfaitement pareil à lui-même dans ses dogmes essentiels et dans ce que son système politique avait de plus vital, sans jamais transiger sur ces deux terrains ? Est-ce, au contraire, sa condescendance à rendre hommage à la partie honorifique des idées de son adversaire et à désintéresser l’amour-propre au moment suprême de la défaite ? Je n’oserais en décider. Le brahmanisme montra, pendant cette longue contestation, ce double genre d’habileté, loué jadis avec tant de raison dans l’aristocratie anglaise, de savoir maintenir le passé en s’accommodant aux exigences du présent. Bref, il fut animé d’un véritable esprit de gouvernement, et il en reçut la récompense par le salut de la société qui était son œuvre.

Son triomphe, il le dut surtout à ce bonheur d’avoir été compact, ce qui manquait au bouddhisme. L’excellence du sang arian était aussi beaucoup plus de son côté que de celui de ses adversaires qui, recrutés principalement dans les basses castes et moins strictement attachés aux lois de séparation dont ils niaient la valeur religieuse, offraient, au point de vue ethnique, des qualités très inférieures. Le brahmanisme représentait, dans l’Inde, la juste suprématie du principe blanc, bien que très altéré, et les bouddhistes essayaient, au contraire, une protestation des rangs inférieurs. Cette révolte ne pouvait réussir tant que le type arian, malgré ses souillures, conservait encore, au moyen de son isolement, la majeure partie de ses vertus spéciales. Il ne s’ensuit pas, il est vrai, que la longue résistance des bouddhistes n’ait pas eu des résultats : loin de là. Je ne doute pas que la rentrée au sein brahmanique de nombreuses tribus de la caste sacerdotale et de kschattryas médiocrement fidèles, pendant tant de siècles, aux prescriptions ethniques, n’ait considérablement développé les germes fâcheux qui existaient déjà. Cependant la nature ariane était assez forte, et l’est encore aujourd’hui, pour maintenir debout son organisation au milieu des plus terribles épreuves que jamais peuple ait traversées.

Dès l’an 1001 de notre ère, l’Inde avait cessé d’être ce pays fermé aux nations occidentales, dont le plus grand des conquérants, Alexandre lui-même, n’avait pu que soupçonner les merveilles chez les peuples impurs, chez les nations vratyas de l’ouest qu’il avait combattues (1)[127]. Le fils de Philippe n’avait pas touché au territoire sacré. Un prince musulman de race mélangée, beaucoup plus blanche que ne l’était devenu l’alliage d’où sortent maintenant les brahmanes et les kschattryas, Mahmoud le Gnaznévide, à la tête d’armées qu’animait le fanatisme musulman, promena le fer et le feu sur la péninsule, détruisit les temples, persécuta les prêtres, massacra les guerriers, s’en prit aux livres et commença, sur une vaste échelle, une persécution qui, dès lors, n’a jamais complètement cessé. S’il est difficile à toute civilisation de se tenir debout contre les assauts intérieurs que les passions humaines lui livrent constamment, qu’est-ce donc lorsqu’elle est, non seulement attaquée, mais possédée par des étrangers qui ne l’épargnent pas et n’ont pas de plus cher souci que d’amener sa perte ? Est-il, dans l’histoire, un exemple de résistance heureuse et longue à cette terrible conspiration ? Je n’en connais qu’un seul, et c’est dans l’Inde que je le trouve, Depuis le rude sultan de Ghizni, on peut affirmer que la société brahmanique n’a pas joui d’un moment de tranquillité et, au milieu de ces attaques constantes, elle a gardé la force d’expulser le bouddhisme. Après les Persans de Mahmoud sont venus les Turcs, les Mongols, les Afghans, les Tatares, les Arabes, les Abyssins, puis de nouveau les Persans de Nadir-Schah, les Portugais, les Anglais, les Français. Au nord, à l’ouest, au sud, des routes d’invasions incessantes se sont ouvertes, des nuées disparates de populations étrangères sont venues couvrir les provinces. Contraintes par le sabre, des nations entières ont fait défection à la religion nationale. Les Kachemyriens sont devenus musulmans ; les Syndhis aussi, encore d’autres groupes du Malabar et de la côte de Coromandel. Partout les apôtres de Mahomet, favorisés par les princes de la conquête, ont prodigué, et non sans succès, des prédications redoutées. Le brahmanisme n’a pas un instant renoncé au combat, et l’on sait, au contraire, que dans l’est, dans les montagnes du nord, notamment depuis la conquête du Népaul par les Gorkhas au XVe siècle, il poursuit encore son prosélytisme, et qu’il réussit (1)[128]. L’infusion du sang demi-arian, dans le Pendjab, a produit la religion égalitaire de Nanek. Le brahmanisme s’est dédommagé de cette perte en rendant de plus en plus imparfaite la foi musulmane qui habite avec lui.

Miné depuis un siècle par l’action européenne, on sait avec quelle imperturbable confiance il a jusqu’ici résisté, et je ne crois pas qu’il existe un homme, ayant vécu dans l’Inde, qui se laisse aller à croire que ce pays puisse jamais subir une transformation et devenir civilisé à notre manière. Plusieurs des observateurs qui l’ont le plus pratiqué et le mieux connu ont témoigné que, dans leur conviction, ce moment-là n’arriverait pas.

Pourtant le brahmanisme est en décadence complète ; ses grands hommes ont disparu ; les absurdes ou féroces superstitions, les niaiseries théologiques de la partie noire de son culte, ont pris le dessus d’une manière effrayante sur ce que son antique philosophie présentait de si élevé, de si noblement ardu. Le type nègre et le principe jaune ont creusé leur chemin dans ses populations d’élite, et, sur plusieurs points, il est difficile, même impossible, de distinguer les brahmanes de telles individualités appartenant aux basses castes. En tout cas, jamais la nature pervertie de cette race dégénérée ne pourra prévaloir contre la force supérieure des nations blanches venues de l’occident de l’Europe.

Mais s’il arrivait que, par suite de circonstances étrangères aux événements de la politique locale, la domination anglaise cessât dans ces vastes contrées et que, rendues à elles-mêmes, il leur fallût se reconstituer, sans doute, après un temps plus ou moins long, le brahmanisme, seul ordre social qui offre encore, dans ce pays, quelque solidité, quelques doctrines inébranlables, finirait par prévaloir.

Dans le premier moment, la force matérielle résidant plutôt chez les Rohillas de l’ouest et chez les Sykhes du nord, l’honneur de fournir les souverains reviendrait à ces tribus. Néanmoins, la civilisation musulmane est trop dégradée, trop intimement unie aux types les plus vils de la population pour fournir une longue carrière. Quelques nations de cette croyance échappent, peut-être, à ce dur jugement ; mais il tombe en plein sur le plus grand nombre. Le brahmanisme est patient dans ses conquêtes. Il userait, par les coups même qu’il saurait supporter sans mourir, le tranchant du sabre ébréché de ses ennemis, et, d’abord relevé avec triomphe chez les Mahrattes et les Radjapoutes, il ne tarderait pas à se retrouver maître de la plus grande partie du terrain qu’il a perdu depuis tant de siècles. D’ailleurs il n’est pas inflexible aux transactions, et, s’il consentait, dans un traité définitif, à recevoir au rang de deux premières castes les belliqueux convertis des races arianisées du nord et cette classe remuante et active des métis anglo-hindous, ne contre-balancerait-il pas, dans son sein même, la longue infusion des types inférieurs, et ne pourrait-il ainsi renaître à quelque médiocre puissance ? Il se passerait probablement quelque chose de ce genre. Toutefois, je l’avoue, le désordre ethnique en serait plus compliqué, et l’unité majestueuse de la civilisation primitive ne renaîtrait pas.

Ce ne sont là que les applications rigoureuses des principes posés jusqu’ici et des expériences que j’ai relevées et indiquées. Si, quittant ces hypothèses, on veut laisser l’avenir, et se borner à résumer les enseignements qu’au point de vue des races on peut tirer de l’histoire de l’Inde, voici les faits, tout à fait incontestables, qui en ressortent.

Nous devons considérer la famille ariane comme la plus noble, la plus intelligente, la plus énergique de l’espèce blanche. En Égypte, où nous l’avons aperçue d’abord, sur la terre hindoue, où nous venons de l’observer, nous lui avons reconnu de hautes facultés philosophiques, un grand sentiment de moralité, de la douceur dans ses institutions, de l’énergie à les maintenir ; en somme, une supériorité marquée sur les aborigènes, soit de la vallée du Nil, soit des bords de l’Indus, du Gange et du Brahmapoutra.

En Égypte, pourtant, nous n’avons réussi à la considérer que déjà, et dès la plus haute antiquité, violemment combattue et paralysée par des immixtions trop considérables de sang noir, et, à mesure que les temps ont marché, cette immixtion, prenant plus de forces, a fini par absorber les énergies du principe auquel la civilisation égyptienne devait la vie. Dans l’Inde, il n’en a pas été de même. Le torrent arian, précipité du haut de la vallée de Kachemyr sur la péninsule cisgangétique, était des plus considérables. Il eut beau être dédoublé par la désertion des Zoroastriens, il resta toujours puissant, et le régime des castes fut, malgré sa décomposition lente, malgré ses déviations répétées, une cause décisive, qui conserva aux deux hautes classes de la société hindoue les vertus et les avantages de l’autorité. Puis, si des infiltrations illégales de sang étranger eurent lieu, par l’influence des révolutions, dans les veines des brahmanes et des kschattryas, toutes ne furent pas nuisibles de la même façon, toutes ne produisirent pas de mauvaises conséquences semblables. Ce qui provint des tribus arianes ou demi-arianes du nord renforça la vigueur de l’ancien principe blanc, et nous avons remarqué que l’invasion des Pandavas avait fait une trouée bien profonde dans l’Aryavarta. L’influence de cette immigration y fut donc désorganisatrice, et non pas énervante. Puis, au pourtour entier de cette même frontière montagneuse, d’autres populations blanches paraissaient incessamment sur les crêtes, et descendant jusque dans l’Inde, à différentes époques, elles ont également apporté quelque ressouvenir des mérites de l’espèce.

Quant aux mélanges nuisibles, la famille hindoue n’a pas autant à gémir des parentés jaunes qu’elle s’est données que des noires, et bien que, sans nul doute, elle n’ait pas vu sortir de ces mélanges des descendances aussi robustes que lorsqu’elle ne produisait qu’avec elle-même, elle possède cependant, de ce côté, des lignées qui ne sont pas absolument dénuées de valeur, et qui, mêlant à la culture hindoue, dont elles ont adopté les principales règles, certaines idées chinoises, prêtent, au besoin, quelque secours à la civilisation brahmanique. Tels sont les Mahrattes, tels encore, les Birmans.

En somme, la force de l’Inde contre les invasions étrangères, la force qui persiste tout en cédant reste cantonnée dans le nord-ouest, le nord et l’ouest, c’est-à-dire chez les peuples d’origine ariane plus ou moins pure : Syndhis, Rohillas, montagnards de l’Hindou-koh, Sykhes, Radjapoutes, Gorkhas du Népaul ; puis viennent les Mahrattes, enfin les Birmans que j’ai nommés plus haut. Dans ce camp de réserve, la suprématie appartient, incontestablement, aux descendances les plus arianisées du nord et du nord-ouest. Et quelle singulière persistance ethnique, quelle conscience vive et puissante toute famille alliée à la race ariane a de son mérite ! J’en trouverais une marque singulière dans l’existence curieuse d’une religion bien étrange répandue chez quelques peuplades misérables, habitantes des pics septentrionaux. Là, des tribus encore fidèles à l’ancienne histoire sont cernées de tous côtés par des jaunes qui, maîtres des vallées basses, les ont repoussées sur les hauteurs neigeuses et dans les gorges alpestres, et ces peuples, nos derniers et malheureux parents, adorent, avant tout, un ancien héros appelé Bhim-Sem. Ce dieu, fils de Pandou, est la personnification de la race blanche dans la dernière grande migration qu’elle ait opérée de ce côté du monde (1)[129].

Il reste le sud de l’Inde, la partie qui s’étend vers Calcutta, le long du Gange, les vastes provinces du centre et le Dekkhan. Dans ces régions, les tribus de sauvages noirs sont nombreuses, les forêts immenses, impénétrables, et l’usage des dialectes dérivés du sanscrit cesse presque complètement. Un amas de langues, plus ou moins ennoblies par des emprunts à l’idiome sacré, le tamoul, le malabare et cent autres se partagent les populations. Une bigarrure infinie de carnations étonne d’abord l’Européen, qui, dans l’aspect physique des hommes, ne découvre aucune trace d’unité, pas même chez les hautes castes. Ces contrées sont celles où le mélange avec les aborigènes est le plus avancé. Elles sont aussi les moins recommandables, à tous égards. Des multitudes molles, sans énergie, sans courage, plus bassement superstitieuses que partout ailleurs, semblent mortes, et ce n’est qu’être juste envers elles que de les déclarer incapables de se laisser galvaniser, un seul instant, par un désir d’indépendance. Elles n’ont jamais été que soumises et sujettes, et le brahmanisme n’en a reçu nul secours, car la proportion de sang des noirs, répandue au sein de cette masse, dépasse trop ce que l’on voit dans le nord, d’où les tribus arianes n’ont jamais poussé jusque-là, soit par terre, soit par mer, que des colonies insuffisantes (1)[130].

Cependant ces contrées méridionales de l’Inde possèdent, aujourd’hui, un nouvel élément ethnique d’une grande valeur, auquel j’ai déjà fait allusion plus haut. Ce sont les métis, nés de pères européens et de mères indigènes et croisés de nouveau avec des Européens et des natifs. Cette classe, qui va, chaque jour s’augmentant, montre des qualités si spéciales, une intelligence si vive, que l’attention des savants et des politiques s’est déjà éveillée à son sujet, et l’on a vu, dans son existence, la cause future des révolutions de l’Inde.

Il est de fait qu’elle mérite l’intérêt. Du côté des mères, l’origine n’est pas brillante : ce ne sont guère que les plus basses classes qui fournissent des sujets aux plaisirs des conquérants. Si quelques femmes appartiennent à un rang social un peu moins rabaissé, ce sont des musulmanes, et cette circonstance ne garantit aucune supériorité de sang. Toutefois, comme l’origine de ces Hindoues a cessé d’être absolument identique avec l’espèce noire et qu’elle a déjà été relevée par l’accession d’un principe blanc, si faible qu’on veuille le supposer, il y a profit, et l’on doit établir une immense distance entre le produit d’une femme bengali de basse caste et celui d’une négresse yolof ou bambara.

Du côté du père, il peut exister de grandes différences dans l’intensité du principe blanc transmis à l’enfant. Suivant que cet homme est anglais, irlandais, français, italien ou espagnol, les variations sont notables. Comme, le plus souvent, le sang anglais domine, comme il est celui qui, en Europe, a conservé le plus d’affinités avec l’essence ariane, les métis sont généralement beaux ou intelligents. Je m’unis donc à l’opinion qui attache de l’importance pour l’avenir de l’Inde au développement de cette population nouvelle, et, en m’abstenant de penser qu’elle soit jamais en état de mettre la main au collet de ses maîtres et de s’attaquer au radieux génie de la Grande-Bretagne, je ne crois pas inadmissible qu’après les dominateurs européens le sol de l’Inde ne la voie saisir le sceptre. À la vérité, cette race composite est exposée au même danger sous lequel ont succombé presque toutes les nations musulmanes, j’entends la continuité des mélanges et l’abâtardissement qui en est la conséquence. Le brahmanisme seul possède le secret de contrarier le progrès d’un tel fléau.

Après avoir ainsi classé les groupes hindous et indiqué les points d’où l’étincelle vivante, encore que très affaiblie, jaillira à l’occasion, je ne saurais m’empêcher de revenir sur la longévité si extraordinaire d’une civilisation qui fonctionnait avant les âges héroïques de la Grèce, et qui, sauf les modifications voulues par les variations ethniques, a gardé, jusqu’à nos jours, les mêmes principes, a toujours cheminé dans les mêmes voies, parce que la race dirigeante est demeurée suffisamment compacte. Ce colosse merveilleux de génie, de force, de beauté, a, depuis Hérodote, offert au monde occidental l’image d’une de ces prêtresses qui, bien que couvertes d’une robe épaisse et d’un voile discret, parvenaient cependant, par la majesté de leur attitude, à convaincre tous les regards qu’elles étaient belles. On ne la voyait pas, on n’apercevait que les grands plis de ses vêtements, on n’avait jamais dépassé la zone occupée par les peuples qu’elle-même renonçait comme siens. Plus tard, les conquêtes des musulmans, à demi connues en Europe, et leurs découvertes, dont les résultats n’arrivaient que défigurés, augmentèrent graduellement l’admiration pour ce pays mystérieux, bien que la connaissance en restât fort imparfaite.

Mais, depuis une vingtaine d’années que la philologie, la philosophie, la statistique, ont commencé l’inventaire de la société et de la nature hindoues, sans presque avoir l’espérance de le compléter de bien longtemps, tant la matière est riche et abondante, il est arrivé le contraire de ce que révèle l’expérience commune : moins une chose est connue, plus on l’admire ; ici, à mesure qu’on connaît et qu’on apprécie mieux, on admire davantage. Habitués à l’existence bornée de nos civilisations, nous répétions, imperturbablement, les paroles du psautier sur la fragilité des choses humaines, et lorsque le rideau immense qui cachait l’activité de l’existence asiatique a été soulevé, et que l’Inde et la Chine ont apparu clairement à nos regards, avec leurs constitutions inébranlables, nous n’avons su comment prendre cette découverte si humiliante pour notre sagesse et notre force.

Quelle honte, en effet, pour des systèmes qui se sont proclamés chacun à leur tour et se proclament encore sans rivaux ! Quelle leçon pour la pensée grecque, romaine, pour la nôtre, que de voir un pays qui, battu par huit cents ans de pillage et de massacres, de spoliations et de misères, compte plus de cent quarante millions d’habitants, et, probablement, avant ses malheurs, en nourrissait plus du double ; pays qui n’a jamais cessé d’entourer de son affection sans bornes et de sa conviction dévouée les idées religieuses, sociales et politiques auxquelles il doit la vie, et qui, dans leur abaissement, lui conservent le caractère indélébile de sa nationalité ! Quelle leçon, dis-je, pour les États de l’Occident, condamnés par l’instabilité de leurs croyances à changer incessamment de formes et de direction, pareils aux dunes mobiles de certains rivages de la mer du Nord !

Il y aurait pourtant injustice à blâmer trop les uns comme à trop louer les autres. La longévité de l’Inde n’est que le bénéfice d’une loi naturelle qui n’a pu trouver que rarement à s’appliquer en bien. Avec une race dominante éternellement la même, ce pays a possédé des principes éternellement semblables ; tandis que, partout ailleurs, les groupes, se mêlant sans frein et sans choix, se succédant avec rapidité, n’ont pas réussi à faire vivre leurs institutions, parce qu’ils disparaissaient eux-mêmes rapidement devant des successeurs pourvus d’instincts nouveaux.

Mais je viens de le dire : l’Inde n’a pas été le seul pays où se soit réalisé le phénomène que j’admire : il faut citer encore la Chine. Recherchons si les mêmes causes y ont amené les mêmes effets. Cette étude se lie d’autant mieux à celle qui finit ici, qu’entre le Céleste Empire et les pays hindous s’étendent de vastes régions, comme le Thibet, où des institutions mixtes portent le caractère des deux sociétés d’où elles émanent. Mais, avant de nous informer si cette dualité est vraiment le résultat d’un double principe ethnique, il faut, de toute nécessité, connaître la source de la culture sociale en Chine, et nous rendre compte du rang que cette contrée a droit d’occuper parmi les nations civilisées du monde.


CHAPITRE IV.

La race jaune.

À mesure que les tribus hindoues se sont plus avancées vers l’est, et qu’après avoir longé les monts Vyndhias, elles ont dépassé le Gange et le Brahmapoutra pour pénétrer dans le pays des Birmans, nous les avons vues se mettre en contact avec des variétés humaines que l’occident de l’Asie ne nous avait pas encore fait connaître. Ces variétés, non moins multipliées dans leurs nuances physiques et morales que les différences déjà constatées chez l’espèce nègre, nous sont une nouvelle raison d’admettre, par analogie, que la race blanche eut aussi, comme les deux autres, ses séparations propres, et que non seulement il exista des inégalités entre elle et les hommes noirs et ceux de la nouvelle catégorie que j’aborde, mais encore que, dans son propre sein, la même loi exerça son influence, et qu’une diversité pareille distingua ses tribus et les disposa par étages.

Une nouvelle famille, très bigarrée de formes, de physionomie et de couleur, très spéciale dans ses qualités intellectuelles, se présente à nous aussitôt que nous sortons du Bengale en marchant vers l’est, et comme des affinités évidentes réunissent à cette avant-garde de vastes populations marquées de son cachet, il nous faut adopter, pour tout cet ensemble, un nom unique, et, malgré les différences qui le fractionnent, lui attribuer une dénomination commune. Nous nous trouvons en face des peuples jaunes, troisième élément constitutif de la population du monde.

Tout l’empire de la Chine, la Sibérie, l’Europe entière, à l’exception, peut-être, de ses extrémités les plus méridionales, tels sont les vastes territoires dont le groupe jaune se montre possesseur aussitôt que des émigrants blancs mettent le pied dans les contrées situées à l’ouest, au nord ou à l’est des plateaux glacés de l’Asie centrale.

Cette race est généralement petite, certaines même de ses tribus ne dépassent pas les proportions réduites des nains. La structure des membres, la puissance des muscles sont loin d’égaler ce que l’on voit chez les blancs. Les formes du corps sont ramassées, trapues, sans beauté ni grâce, avec quelque chose de grotesque et souvent de hideux. Dans la physionomie, la nature a économisé le dessin et les lignes. Sa libéralité s’est bornée à l’essentiel : un nez, une bouche, de petits yeux sont jetés dans des faces larges et plates, et semblent tracés avec une négligence et un dédain tout à fait rudimentaires. Évidemment, le Créateur n’a voulu faire qu’une ébauche. Les cheveux sont rares chez la plupart des peuplades. On les voit cependant, et comme par réaction, effroyablement abondants chez quelques-unes et descendant jusque dans le dos ; pour toutes, noirs, roides, droits et grossiers comme des crins. Voilà l’aspect physique de la race jaune (1)[131].

Quant à ses qualités intellectuelles, elles ne sont pas moins particulières, et font une opposition si tranchée aux aptitudes de l’espèce noire, qu’ayant donné à cette dernière le titre de féminine, j’applique à l’autre celui de mâle, par excellence. Un défaut absolu d’imagination, une tendance unique à la satisfaction des besoins naturels, beaucoup de ténacité et de suite appliqué à des idées terre à terre ou ridicules, quelque instinct de la liberté individuelle, manifesté, dans le plus grand nombre des tribus, par l’attachement à la vie nomade, et, chez les peuples les plus civilisés, par le respect de la vie domestique ; peu ou point d’activité, pas de curiosité d’esprit, pas de ces goûts passionnés de parure, si remarquables chez les nègres : voilà les traits principaux que toutes les branches de la famille mongole possèdent, en commun, à des degrés différents. De là, leur orgueil profondément convaincu et leur médiocrité non moins caractéristique, ne sentant rien que l’aiguillon matériel, et ayant trouvé dès longtemps le moyen d’y satisfaire. Tout ce qui se fait en dehors du cercle étroit qu’elles connaissent leur paraît insensé, inepte, et ne leur inspire que pitié. Les peuples jaunes sont beaucoup plus contents d’eux-mêmes que les nègres, dont la grossière imagination, constamment en feu, rêve à tout autre chose qu’au moment présent et aux faits existants.

Mais, il faut aussi en convenir, cette tendance générale et unique vers les choses humblement positives, et la fixité de vues, conséquence de l’absence d’imagination, donnent aux peuples jaunes plus d’aptitude à une sociabilité grossière que les nègres n’en possèdent. Les plus ineptes esprits, n’ayant, pendant des siècles, qu’une seule pensée dont rien ne les distrait, celle de se nourrir, de se vêtir et de se loger, finissent par obtenir, dans ce genre, des résultats plus complets que des gens qui, naturellement non moins stupides, sont encore dérangés sans cesse, des réflexions qui pourraient leur venir, par des fusées d’imagination. Aussi les peuples jaunes sont-il devenus assez habiles dans quelques métiers, et ce n’est pas sans surprise qu’on les voit, dès l’antiquité la plus haute, laisser, comme marque irréfragable de leur présence dans une contrée, des traces d’assez grands travaux de mines. C’est là, pour ainsi dire, le rôle antique et national de la race jaune (1)[132]. Les nains sont des forgerons, sont des orfèvres, et de ce qu’ils ont possédé une telle science et l’ont conservée à travers les siècles jusqu’à nos jours (car, à l’est des Tongouses orientaux et sur les bords de la mer d’Ochotsk, les Doutcheris et d’autres peuplades ne sont pas des forgerons moins adroits que les Permiens des chants scandinaves), il faut conclure que, de tout temps, les Finnois se sont trouvés, au moins, propres à former la partie passive de certaines civilisations (2)[133].

D’où venaient ces peuples ? Du grand continent d’Amérique. C’est la réponse de la physiologie comme de la linguistique ; c’est aussi ce qu’on doit conclure de cette observation, que, dès les époques les plus anciennes, avant même ce que nous nommons les âges primitifs, des masses considérables de populations jaunes s’étaient accumulées dans l’extrême nord de la Sibérie, et de là avaient prolongé leurs campements et leurs hordes jusque très avant dans le monde occidental, donnant sur leurs premiers ancêtres des renseignements fort peu honorables.

Elles prétendaient descendre des singes, et s’en montraient très satisfaites. Il n’est dès lors pas étonnant que l’épopée hindoue, ayant à dépeindre les auxiliaires aborigènes de l’héroïque époux de Sita dans sa campagne contre Ceylan, nous dise tout simplement que ces auxiliaires étaient une armée de singes. Peut-être, en effet, Rama, voulant combattre les peuples noirs du sud du Dekkhan, eut-il recours à quelques tribus jaunes campées sur les contreforts méridionaux de l’Himalaya.

Quoi qu’il en puisse être, ces nations étaient fort nombreuses, et quelques déductions bien claires de points déjà connus vont l’établir à l’instant.

Ce n’est pas un fait nécessaire à prouver, car il l’est surabondamment, que les nations blanches ont toujours été sédentaires, et, comme telles, n’ont jamais quitté leurs demeures que par contrainte. Or, le plus ancien séjour connu de ces nations étant le haut plateau de l’Asie centrale, si elles l’ont abandonné, c’est qu’on les en a chassées. Je comprends bien que certaines branches, parties seules, isolément, pourraient être considérées comme ayant été victimes de leurs congénères, et battues, violentées par des parents. Je l’admettrai pour les tribus helléniques et pour les zoroastriennes ; mais je ne saurais étendre ce raisonnement à la totalité des migrations blanches. La race entière n’a pas dû s’expulser de chez elle dans tout son ensemble, et cependant on la voit se déplacer, pour ainsi dire, en masse et presque en même temps, avant l’an 5000. À cette époque et dans les siècles qui en sont le plus rapprochés, les Chamites, les Sémites, les Arians, les Celtes et les Slaves désertent également leurs domaines primitifs. L’espèce blanche s’échappe de tous côtés, s’en va de toutes parts, et certes dans une telle dissolution, qui finit par laisser ses plaines natales aux mains des jaunes, il est difficile de voir autre chose que le résultat d’une pression des plus violentes opérée par ces sauvages sur son faisceau primordial.

D’un autre côté, l’infériorité physique et morale des multitudes conquérantes est si claire et si constatée, que leur invasion et la victoire finale qui en démontre la force, ne peuvent avoir leur source ailleurs que dans le très grand nombre des individus agglomérés dans ces bandes. Il n’est, dès lors, pas douteux que la Sibérie regorgeait de populations finnoises, et c’est aussi ce que va démontrer bientôt un ordre de preuves qui, cette fois, appartient à l’histoire. Pour le moment, poursuivant le rayon de clarté que la comparaison de la vigueur relative des races jette sur les événements de ces temps obscurs, je ferai remarquer encore que, si l’on admet la victoire des nations jaunes sur les blanches et la dispersion de ces dernières, il faudra aussi s’accommoder de l’alternative suivante :

Ou bien le territoire des nations blanches s’étendait beaucoup vers le nord et très peu vers l’est, atteignant au moins, dans la première direction, l’Oural moyen, et, dans l’autre, ne dépassant pas le Kouen-loun, ce qui semblerait impliquer un certain développement vers les steppes du nord-ouest ;

Ou bien ces peuples, ramassés sur les crêtes du Mouztagh, dans les plaines élevées qui suivent immédiatement, et dans les trois Thibets, n’existaient qu’en nombre très faible et dans une proportion compatible avec l’étendue médiocre de ces territoires et les ressources alimentaires fort réduites, presque nulles, qu’ils peuvent offrir.

Je vais d’abord expliquer comment je me vois contraint de tracer ces limites ; ensuite j’établirai par quelle raison il faut repousser la seconde hypothèse et s’attacher fortement à la première.

J’ai dit que la race jaune se montrait en possession primordiale de la Chine, et, en outre, que le type noir à tête prognathe et laineuse, l’espèce pélagienne, remontait jusqu’au Kouen-loun, d’une part, et, de l’autre côté, jusqu’à Formose (1)[134], au Japon et par delà. Aujourd’hui même des populations de ce genre habitent ces pays reculés.

Voir le nègre établi si avant dans l’intérieur de l’Asie a déjà été pour nous la grande preuve de l’alliance, en quelque sorte, originelle des Chamites et des Sémites avec ces peuples d’essence inférieure ; j’ai dit originelle, parce que l’alliance fut évidemment contractée avant la descente des envahisseurs dans les pays mésopotamiques de l’Euphrate et du Tigre.

Maintenant, en nous transportant des plaines de la Babylonie à celles de la Chine, nous trouverons un spécimen des résultats gradués du mélange des deux espèces noire et jaune dans ces métis qui habitent le Yun-nan, et que Marco-Polo appelle les Zerdendam. En allant plus loin, nous rencontrerons encore cette autre famille, non moins marquée des caractères de l’alliage, qui couvre la province chinoise du Fo-kien, et enfin nous tomberons au milieu des nuances innombrables de ces groupes cantonnés dans les provinces méridionales du Céleste Empire, dans l’Inde transgangétique, dans les archipels de la mer des Indes, depuis Madagascar jusqu’à la Polynésie, et depuis la Polynésie jusqu’aux rives occidentales de l’Amérique, atteignant l’île de Pâques (1)[135].

Ainsi la race noire a embrassé tout le sud de l’ancien monde et envahi fortement sur le nord, tandis que la jaune, se rencontrant avec elle à l’orient de l’Asie, y contractait un hymen fécond dont les rejetons occupent tous les amas d’îles prolongés dans la direction du pôle austral. Si l’on réfléchit que le centre, le foyer de l’espèce mélanienne est l’Afrique, et que c’est de là que s’est opérée sa diffusion principale, et, en outre, que la race jaune, en même temps que ses métis possédaient les îles, allait aussi se reproduisant au nord et à l’est de l’Asie et dans toute l’Europe, on en conclura que la famille blanche, pour ne pas se perdre et disparaître au milieu des variétés inférieures, devait unir à la puissance de son génie et de son courage la garantie du nombre, bien qu’à un moindre degré, sans doute, que ses adversaires.

Nous ne pouvons même essayer le dénombrement des masses chamites et sémites qui descendirent, par les passages de l’Arménie, dans les régions du sud et de l’ouest. Mais, du moins, considérons le nombre énorme des mélanges qui s’en firent avec la race noire, jusque par delà les plaines de l’Éthiopie, et, au nord, sur toute la côte d’Afrique, au delà de l’Atlas, tendant vers le Sénégal ; regardons les produits de ces hymens peuplant l’Espagne, la basse Italie, les îles grecques, et nous serons en situation de nous persuader que l’espèce blanche ne se limitait pas à quelques tribus. Nous en devons décider ainsi d’autant plus sûrement, qu’aux multitudes que je viens d’énumérer il convient d’ajouter encore les nations arianes de toutes les branches méridionales, et les Celtes, et les Slaves, et les Sarmates, et d’autres peuples sans célébrité, mais nullement sans influence, qui restèrent au milieu des jaunes.

La race blanche était donc aussi fort prolifique, et puisque les deux espèces noire et finnoise ne lui permettaient pas de dépasser le Mouztagh et l’Altaï à l’est, l’Oural à l’ouest, resserrée dans de telles limites, elle s’étendait, au nord, jusque vers le cours moyen de l’Amour, le lac Baïkal et l’Obi.

Les conséquences de cette disposition géographique sont considérables et vont, tout à l’heure, trouver leurs applications.

J’ai constaté les facultés pratiques de la race jaune. Toutefois, en lui reconnaissant des aptitudes supérieures à celles de la noire pour les basses fonctions d’une société cultivée, je lui ai refusé la capacité d’occuper un rang glorieux sur l’échelle de la civilisation, et cela parce que son intelligence, bornée autrement, ne l’est pas moins étroitement que celle des nègres, et parce que son instinct de l’utile est trop peu exigeant.

Il faut relâcher quelque chose de la sévérité de ce jugement lorsqu’il s’agit, non plus de l’espèce jaune, non plus du type noir, mais du métis des deux familles, le Malais. Que l’on prenne, en effet, un Mongol, un habitant de Tonga-Tabou et un nègre pélagien ou hottentot, l’habitant de Tonga-Tabou, tout inculte qu’il soit, montrera certainement un type supérieur.

Il semblerait que les défauts des deux races se sont balancés et modérés dans le produit commun, et que, plus d’imagination relevant l’esprit, tandis qu’un sentiment moins faux de la réalité restreignait l’imagination, il en est résulté plus d’aptitude à comparer, à saisir, à conclure. Le type physique a éprouvé aussi d’heureuses modifications. Les cheveux du Malais sont durs et revêches, à la vérité ; mais, enclins à se crêper, ils ne le font pas ; le nez est plus formé que chez les Kalmouks. Pour quelques insulaires, à Tahiti par exemple, il devient presque semblable au nez droit de la race blanche. L’œil n’est plus toujours relevé à l’angle externe. Si les pommettes restent saillantes, c’est que ce trait est commun aux deux races génératrices. Les Malais sont, du reste, on ne peut plus différents entre eux. Suivant que le sang noir ou jaune domine dans la formation d’une tribu, les caractères physiques et moraux s’en ressentent. Les alliages postérieurs ont augmenté cette extrême variabilité de types. En somme, deux signes, nettement distinctifs, demeurent à toutes ces familles, comme un présent de leur double origine : plus intelligentes que le nègre et l’homme jaune, elles ont gardé de l’un l’implacable férocité, de l’autre l’insensibilité glaciale (1)[136].

J’ai achevé ce qu’il y avait à dire sur les peuples qui figurent dans l’histoire de l’Asie orientale, il est maintenant à propos de passer à l’examen de leur civilisation. Le plus haut degré s’en rencontre en Chine. C’est là qu’est, tout à la fois, le point de départ de leur culture et sa plus originale expression : c’est donc là qu’il convient de l’étudier.


CHAPITRE V.

Les Chinois.

Je me trouve, d’abord, en dissentiment avec une idée assez généralement répandue. On incline à considérer la civilisation chinoise comme la plus ancienne du monde, et je n’en aperçois l’avènement qu’à une époque inférieure à l’aurore du brahmanisme, inférieure à la fondation des premiers empires chamites, sémites et égyptiens. Voici mes raisons. Il va sans dire que l’on ne discute plus les affirmations chronologiques et historiques des Tao-sse. Pour ces sectaires, les cycles de 300 000 années ne coûtent absolument rien. Comme ces périodes un peu longues forment le milieu où agissent des souverains à têtes de dragons, et dont les corps sont contournés en serpents monstrueux, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’en abandonner l’examen à la philosophie, qui pourra y glaner quelque peu, mais d’en écarter, avec grand soin, l’étude des faits positifs (1)[137].

La date la plus rationnelle où se placent les lettrés du Céleste Empire pour juger de leur état antique, c’est le règne de Tsin-chi-hoang-ti, qui, pour couper court aux conspirations féodales et sauver la cause unitaire dont il était le promoteur, voulut étouffer les anciennes idées, fit brûler la plupart des livres, et ne consentit à sauver que les annales de la dynastie princière de Tsin, dont lui-même descendait. Cet événement arriva 207 ans avant J.-C.

Depuis cette époque, les faits sont bien détaillés, suivant la méthode chinoise. Je n’en goûte pas moins l’observation d’un savant missionnaire, qui voudrait voir dans ces lourdes compilations un peu plus de critique européenne (1)[138]. Quoi qu’il en soit, à dater de ce moment, tout s’enchaîne tant bien que mal. Quand on veut remonter au-delà, il n’en est pas longtemps de même. Tant qu’on reste dans les temps rapprochés de Tsin-chi-hoang-ti, la clarté continue en s’affaiblissant. On remonte ainsi, de proche en proche, jusqu’à l’empereur Yaô. Ce prince régna cent et un ans, et son avènement est placé à l’an 2357 avant J.-C. Par delà cette époque, les dates, déjà fort conjecturales, sont remplacées par une complète incertitude (2)[139]. Les lettrés ont prétendu que cette fâcheuse interruption d’une chronique dont les matériaux, suivant eux, pourraient remonter aux premiers jours du monde, n’est que la conséquence de ce fameux incendie des livres, déploré de père en fils, et devenu un des beaux sujets d’amplification que la rhétorique chinoise ait à commandement. Mais, à mon gré, ce malheur ne suffit pas pour expliquer le désordre des premières annales. Tous les peuples de l’ancien monde ont eu leurs livres brûlés, tous ont perdu la chaîne systématique de leurs dynasties en tant que les livres primitifs devaient en être les dépositaires, et cependant tous ces peuples ont conservé assez de débris de leur histoire pour que, sous le souffle vivifiant de la critique, le passé se relève, se remue, ressuscite, et, se dévoilant peu à peu, nous montre une physionomie à coup sûr bien ancienne, bien différente des temps dont nous avons la tradition. Chez les Chinois, rien de semblable. Aussitôt que les temps positifs cessent, le crépuscule s’évanouit, et de suite on arrive, non pas aux temps mythologiques, comme partout ailleurs, mais à des chronologies inconciliables, à des absurdités de l’espèce la plus plate, dont le moindre défaut est de ne rien contenir de vivant.

Puis, à côté de cette nullité prétentieuse de l’histoire écrite, une absence complète et bien significative de monuments. Ceci appartient au caractère de la civilisation chinoise. Les lettrés sont grands amateurs d’antiquités, et les antiquités manquent ; les plus anciennes ne remontent pas au delà du VIIIe siècle après J.-C. (1)[140]. De sorte que, dans ce pays stable par excellence, les souvenirs figurés, statues, vases, instruments, n’ont rien qui puisse être comparé, pour l’ancienneté, avec ce que notre Occident si remué, si tourmenté, si ravagé et transformé tant de fois, peut cependant étaler avec une orgueilleuse abondance. La Chine n’a matériellement rien conservé (2)[141] qui nous reporte même de loin, à ces époques extravagantes ou quelques savants du dernier siècle se réjouissaient de voir l’histoire s’enfoncer en narguant les témoignages mosaïques.

Laissons donc de côté les concordances impossibles des différents systèmes suivis par les lettrés pour fixer les époques antérieures à Tsin-chi-hoang-ti, et ne recueillons que les faits appuyés de l’assentiment des autres peuples, ou portant avec eux une suffisante certitude.

Les Chinois nous disent que le premier homme fut Pon-kou. Le premier homme, disent-ils ; mais ils entourent cet être primordial de telles circonstances qu’évidemment il n’était pas seul dans le lieu où ils le font apparaître. Il était entouré de créatures inférieures à lui, et ici on se demande s’il n’avait pas affaire à ces fils de singes, ces hommes jaunes dont la singulière vanité se complaisait à réclamer une si brutale origine.

Le doute se change bientôt en certitude. Les historiens indigènes affirment qu’à l’arrivée des Chinois, les Miao (1)[142] occupaient déjà la contrée, et que ces peuples étaient étrangers aux plus simples notions de sociabilité. Ils vivaient dans des trous, dans des grottes, buvaient le sang des animaux qu’ils attrapaient à la course, ou bien, à défaut de chair crue, mangeaient de l’herbe et des fruits sauvages. Quant à la forme de leur gouvernement, elle ne démentait pas tant de barbarie. Les Miao se battaient à coups de branches d’arbres, et le plus vigoureux restait le maître jusqu’à ce qu’il en vînt un plus fort que lui. On ne rendait aucun, honneur aux morts. On se contentait de les empaqueter dans des branches et des herbages, on les liait au milieu de ces espèces de fagots, et on les cachait sous des buissons (2)[143].

Je remarquerai, en passant, que voilà bien, dans une réalité historique, l’homme primitif de la philosophie de Rousseau et de ses partisans ; l’homme qui, n’ayant que des égaux, ne peut aussi fonder qu’une autorité transitoire dont une massue est la légitimité, genre de droit assez souvent frappé de défaveur devant des esprits un peu libres et fiers. Malheureusement pour l’idée révolutionnaire, si cette théorie rencontre une preuve chez les Miao et chez les noirs, elle n’a pas encore réussi à la découvrir chez les blancs, où nous ne pouvons apercevoir une aurore privée des clartés de l’intelligence.

Pan-Kou, au milieu de ces fils de singes (3)[144], fut donc regardé, et j’ose le dire, avec pleine raison, comme le premier homme. La légende chinoise ne nous fait pas assister à sa naissance. Elle ne nous le montre pas créature, mais bien créateur, car elle déclare expressément qu’il commença à régler les rapports de l’humanité. D’où venait-il, puisque, à la différence de l’Adam de la Genèse, de l’autochtone, phénicien et athénien, il ne sortait pas du limon ? Sur ce point la légende se tait ; cependant, si elle ne sait pas nous apprendre où il est né, elle nous indique, du moins, où il est mort et où il fut enterré : c’est, dit-elle, dans la province méridionale de Honan (1)[145].

Cette circonstance n’est pas à négliger, et il faut la rapprocher, sans retard, d’un renseignement très clairement articulé par le Manava-Dharma-Sastra. Ce code religieux des Hindous, compilé à une époque postérieure à la rédaction des grands poèmes, mais sur des documents incontestablement fort anciens, déclare, d’une manière positive, que le Maha-Tsin, le grand pays de la Chine, fut conquis par des tribus des kschattryas réfractaires qui, après avoir passé le Gange et erré pendant quelque temps dans le Bengale, traversèrent les montagnes de l’est et se répandirent dans le sud du Céleste Empire, dont ils civilisèrent les peuples (2)[146].

Ce renseignement acquiert beaucoup plus de poids encore venant des brahmanes que s’il émanait d’une autre source. On n’a pas la moindre raison de supposer que la gloire d’avoir civilisé un territoire différent du leur, par une branche de leur nation, ait eu de quoi tenter leur vanité et égarer leur bonne foi. Du moment qu’on sortait de l’organisation voulue chez eux, on leur devenait odieux, on était coupable à tous les chefs et renié ; et, de même qu’ils avaient oublié leurs liens de parenté avec tant de nations blanches, ils en auraient fait autant de ceux-là, si la séparation s’était opérée à une époque relativement basse et dans un temps où, la civilisation de l’Inde étant déjà fixée, il n’y avait plus moyen de ne pas apercevoir un fait aussi considérable que le départ et la colonisation séparatiste d’un nombre important de tribus appartenant à la seconde caste de l’État. Ainsi, rien n’infirme, tout appuie, au contraire, le témoignage des lois de Manou, et il en résulte que la Chine, à une époque postérieure aux premiers temps héroïques de l’Inde, a été civilisée par une nation immigrante de la race hindoue, kschattrya, ariane, blanche, et, par conséquent, que Pan-Kou, ce premier homme que, tout d’abord, on est surpris de voir défini en législateur par la légende chinoise, était ou l’un des chefs, ou le chef, ou la personnification d’un peuple blanc venant opérer en Chine, dans le Ho-nan, les mêmes merveilles qu’un rameau également hindou avait, antérieurement, préparées dans la vallée supérieure du Nil (1)[147].

Dès lors s’expliquent aisément les relations très anciennes de l’Inde avec la Chine, et l’on n’a plus besoin, pour les commenter, de recourir à l’hypothèse aventurée d’une navigation toujours difficile. La vallée du Brahmapoutra et celle qui, longeant le cours de l’Irawaddy, enferme les plaines et les nombreux passages du pays des Birmans, offraient aux vratyas du Ho-nan des chemins déjà bien connus, puisqu’il avait jadis fallu les suivre pour quitter l’Aryavarta.

Ainsi, en Chine, comme en Égypte, à l’autre extrémité du monde asiatique, comme dans toutes les régions que nous avons déjà parcourues jusqu’ici, voilà un rameau blanc chargé par la Providence d’inventer une civilisation. Il serait inutile de chercher se rendre compte du nombre de ces Arians réfractaires qui, dès leur arrivée dans le Ho-nan, étaient probablement mélangés et déchus de leur pureté primitive. Quelle que fût leur multitude, petite ou grande, leur tâche civilisatrice n’en était pas moins possible. Ils avaient, par suite de leur alliance, des moyens d’agir sur les masses jaunes. Puis, ils n’étaient pas les seuls rejetons de la race illustre adressés vers ces contrées lointaines, et ils devaient s’y associer d’anciens parents aptes à concourir, à aider à leur œuvre.

Aujourd’hui, dans les hautes vallées qui bordent le grand Thibet du côté du Boutan, on rencontre, tout aussi bien que sur les crêtes neigeuses, des contrées situées plus à l’ouest, des tribus très faibles, très clairsemées, pour la plupart étrangement mêlées, à la vérité, qui cependant accusent une descendance ariane (1)[148]. Perdues, comme elles le sont, au milieu des débris noirs et jaunes de toute provenance, on est en droit de comparer ces peuplades à tels morceaux de quartz qui, entraînés par les eaux, contiennent de l’or et viennent de fort loin. Peut-être les orages ethniques, les catastrophes des races les ont-elles portées là où leur espèce elle-même n’avait jamais apparu. Je ne me servirai donc pas de ces détritus par trop altérés, et je me borne à constater leur existence (2)[149].

Mais, beaucoup plus avant dans le nord, nous apercevons, à une époque assez récente, vers l’an 177 avant J.-C., de nombreuses nations blanches à cheveux blonds ou rouges, à yeux bleus, cantonnées sur les frontières occidentales de la Chine. Les écrivains du Céleste Empire, à qui l’on doit la connaissance de ce fait, nomment cinq de ces nations. Remarquons d’abord la position géographique qu’elles occupaient à l’époque où elles nous sont révélées.

Les deux plus célèbres sont les Yue-tchi et les Ou-soun. Ces deux peuples habitaient au nord du Hoang-ho, sur la limite du désert de Gobi (1)[150].

Venaient ensuite, à l’est des Ou-soun, les Khou-te (2)[151].

Plus haut, au nord des Ou-soun, à l’ouest du Baïkal, étaient les Ting-ling (3)[152].

Les Kian-kouans, ou Ha-kas, succédaient à ces derniers et dépassaient le Yénisseï (4)[153].

Enfin, plus au sud, dans la contrée actuelle du Kaschgar, au delà du Thian-chan, s’étendaient les Chou-le ou Kin-tcha, que suivaient les Yan-Thsai, Sarmates-Alains, dont le territoire allait jusqu’à la mer Caspienne (5)[154].

De cette façon, à une époque relativement rapprochée de nous, puisque c’est au IIe siècle avant notre ère, et après tant de grandes migrations de la race blanche qui auraient dû épuiser l’espèce, il en restait encore, dans l’Asie centrale, des branches assez nombreuses et assez puissantes pour enserrer le Thibet et le nord de la Chine, de sorte que non seulement le Céleste Empire possédait, au sein des provinces du sud, des nations arianes-hindoues immigrantes à l’époque où commence son histoire, mais, de plus, il est bien difficile de ne pas admettre que les antiques peuples blancs du nord et de l’ouest, fuyant la grande irruption de leurs ennemis jaunes, n’aient pas été souvent rejetés sur la Chine et forcés de s’unir à ses populations originelles (1)[155]. Ce n’eût été, dans l’est de l’Asie, que la répétition de ce qui s’était fait au sud-ouest par les Chamites, les enfants de Sem et les Arians hellènes et zoroastriens. En tout cas, il est hors de doute que ces populations blanches des frontières orientales se montraient, à une époque très ancienne, beaucoup plus compactes qu’elles ne le pouvaient être aux débuts de notre ère. Cela suffit pour démontrer la vraisemblance, la nécessité même de fréquentes invasions et partant de fréquents mélanges (2)[156].

Je ne doute pas toutefois que l’influence des kschattryas du sud n’ait été d’abord dominante. L’histoire l’établit suffisamment. C’est au sud que la civilisation jeta ses premières racines, c’est de là qu’elle s’étendit dans tous les sens (1)[157].

On ne s’attend pas sans doute à trouver, dans des kschattryas réfractaires, des propagateurs de la doctrine brahmanique. En effet, le premier point qu’ils devaient rayer de leurs codes, c’était la supériorité d’une caste sur toutes les autres, et, pour être logiques, l’organisation même des castes. D’ailleurs, comme les Égyptiens, ils avaient quitté le gros des nations arianes à une époque où peut-être le brahmanisme lui-même n’avait pas encore complètement développé ses principes. On ne trouve donc rien en Chine qui se rattache directement au système social des Hindous ; cependant, si les rapports positifs font défaut, il n’en est pas de même des négatifs. On en rencontre de cette espèce qui donnent lieu à des rapprochements assez curieux.

Quand, pour cause de dissentiments théologiques, les nations zoroastriennes se séparèrent de leurs parents, elles leur témoignèrent une haine qui se manifesta par l’attribution du nom vénéré des dieux brahmaniques aux mauvais esprits et par d’autres violences de même sorte. Les kschattryas de la Chine, déjà mêlés au sang des jaunes, paraissent avoir considéré les choses sous un aspect plutôt mâle que féminin, plutôt politique que religieux, et, de ce point de vue, ils ont fait une opposition tout aussi vive que les Zoroastriens. C’est en se mettant au rebours des idées les plus naturelles qu’ils ont manifesté leur horreur contre la hiérarchie brahmanique.

Ils n’ont pas voulu admettre de différence de rangs, ni de situations pures ou impures résultant de la naissance. Ils ont substitué à la doctrine de leurs adversaires l’égalité absolue. Cependant, comme ils étaient poursuivis, malgré eux et en vertu de leur origine blanche, par l’idée indestructible d’une inégalité annexée à la race, ils conçurent la pensée singulière d’anoblir les pères par leurs enfants, au lieu de rester fidèles à l’antique notion de l’illustration des enfants par la gloire des pères. Impossible de voir dans cette institution, qui relève, suivant le mérite d’un homme, un certain nombre des générations ascendantes, un système emprunté aux peuples jaunes. Il ne se trouve nulle part chez eux, que là où la civilisation chinoise l’a importé. En outre, cette bizarrerie répugne à toute idée réfléchie, et, même en se mettant au point de vue chinois, elle est encore absurde. La noblesse est une prérogative honorable pour qui la possède. Si l’on veut la faire adhérer uniquement au mérite, il n’est pas besoin de lui créer un rang à part dans l’État en la forçant de monter ou de descendre autour de la personne qui en jouit. Si, au contraire, on se préoccupe de lui créer une suite, une conséquence étendue à la famille de l’homme favorisé, ce n’est pas à ses aïeux qu’il faut l’appliquer, puisqu’ils n’en peuvent jouir. Autre raison très forte : il n’y a aucune espèce d’avantage, pour celui qui reçoit une telle récompense, à en parer ses ancêtres, dans un pays où tous les ancêtres sans distinction, étant l’objet d’un culte officiel et national, sont assez respectés et même adorés. Un titre de noblesse rétrospectif n’ajoute donc que peu de chose aux honneurs dont ils jouissent. Ne cherchons pas, en conséquence, dans l’idée chinoise ce qu’elle a l’air de donner, mais bien une opposition aux doctrines brahmaniques, dont les kschattryas immigrants avaient horreur et qu’ils voulaient combattre. Le fait est d’autant plus incontestable, qu’à côté de cette noblesse fictive les Chinois n’ont pu empêcher la formation d’une autre, qui est très réelle et qui se fonde, comme partout ailleurs, sur les prérogatives de la descendance. Cette aristocratie est composée des fils, petits-fils et agnats des maisons impériales, de ceux de Confucius, de ceux de Meng-tseu, et encore de plusieurs autres personnages vénérés. À la vérité, cette classe fort nombreuse ne possède que des privilèges honorifiques ; cependant elle a, par cela seul qu’on la reconnaît, quelque chose d’inviolable, et prouve très bien que le système à rebours placé à ses côtés est une invention artificielle tout à fait contraire aux suggestions naturelles de l’esprit humain, et résultant d’une cause spéciale.

Cet acte de haine pour les institutions brahmaniques me semble intéressant à relever. Mis en regard de la scission zoroastrienne et des autres événements insurrectionnels accomplis sur le sol même de l’Inde, il prouve toute la résistance que rencontra l’organisation hindoue et les répulsions irréconciliables qu’elle souleva. Le triomphe des brahmanes en est plus grand.

Je reviens à la Chine. Si l’on doit signaler comme une institution anti-brahmanique, et, par conséquent, comme un souvenir haineux pour la mère patrie, la création de la noblesse rétroactive, il n’est pas possible d’assigner la même origine à la forme patriarcale choisie par le gouvernement de l’empire du Milieu. Dans une conjoncture aussi grave que le choix d’une formule politique, comme il s’agit de satisfaire, non pas à des théories de personnes, ni à des idées acquises, mais à ce que les besoins des races, qui, combinées ensemble, forment l’État, réclament le plus impérieusement, il faut que ce soit la raison publique qui juge et décide, admette ou retienne en dernier ressort ce qu’on lui propose, et l’erreur ne dure jamais qu’un temps. À la Chine, la formule gouvernementale n’ayant reçu, dans le cours des siècles, que des modifications partielles sans être jamais atteinte dans son essence, elle doit être considérée comme conforme à ce que voulait le génie national.

Le législateur prit pour type de l’autorité le droit du père de famille. Il établit comme un axiome inébranlable que ce principe était la force du corps social, et que, l’homme pouvant tout sur les enfants mis au monde, nourris et élevés par lui, de même le prince avait pleine autorité sur ses sujets, que, comme des enfants, il surveille, garde et défend dans leurs intérêts et dans leurs vies. Cette notion, en elle-même, et si on l’envisage d’une certaine façon, n’est pas, à proprement parler, chinoise. Elle appartient très bien à la race ariane, et, précisément, parce que, dans cette race, chaque individu isolé possédait une importance qu’il ne paraît jamais avoir eue dans les multitudes inertes des peuples jaune et noir, l’autorité de l’homme complet, du père de famille, sur ses membres, c’est-à-dire sur les personnes groupées autour de son foyer, devait être le type du gouvernement.

Où l’idée s’altère aussitôt que le sang arian se mêle à d’autres espèces qu’à des blancs, c’est dans les conséquences diverses tirées de ce premier principe. — Oui, disait l’Arian hindou, ou sarmate, ou grec, ou perse, ou mède, et même le Celte, oui, l’autorité paternelle est le type du gouvernement politique ; mais c’est cependant par une fiction que l’on rapproche ces deux faits. Un chef d’État n’est pas un père : il n’en a ni les affections ni les intérêts. Tandis qu’un chef de famille ne veut que très difficilement, et par une sorte de renversement des lois naturelles, le mal de sa progéniture, il se peut fort bien faire que, sans même être coupable, le prince dirige les tendances de la communauté d’une façon trop nuisible aux besoins particuliers de chacun, et, dès lors, la valeur de l’homme arian, sa dignité est compromise ; elle n’existe plus ; l’Arian n’est plus lui-même : ce n’est plus un homme.

Voilà le raisonnement par lequel le guerrier de race blanche arrêtait tout court le développement de la théorie patriarcale, et, en conséquence, nous avons vu les premiers rois des États hindous n’être que des magistrats électifs, pères de leurs sujets dans un sens très restreint et avec une autorité fort surveillée. Plus tard, le rajah prit des forces. Cette modification dans la nature de sa puissance ne se réalisa que lorsqu’il commanda bien moins à des Arians qu’à des métis, qu’à des noirs, et il eut d’autant moins la main libre qu’il voulut faire agir son sceptre sur des sujets plus blancs. Le sentiment politique de la race ariane ne répugne donc pas absolument à la fiction patriarcale : seulement, il la commente d’une façon précautionneuse.

Ce n’est pas, du reste, chez les seuls Arians hindous que nous avons déjà observé l’organisation des pouvoirs publics. Les États de l’Asie antérieure et la civilisation du Nil nous ont offert également l’application de la formule patriarcale. Les modifications qui y furent apportées à l’idée primitive se montrent non seulement très différentes de ce qu’on voit en Chine, elles le sont beaucoup aussi de ce qui s’observa dans l’Inde. Beaucoup moins libérale que dans ce dernier pays, la notion du gouvernement paternel était commentée par des populations étrangères aux sentiments raisonnables et élevés de la race dominante. Elle ne put être l’expression d’un despotisme paisible comme en Chine, parce qu’il s’agissait de dompter des multitudes mal disposées pour comprendre l’utile, et ne se courbant que devant la force brutale. La puissance fut donc, en Assyrie, terrible, impitoyable, armée du glaive, et se piqua surtout de se faire obéir. Elle n’admit pas la discussion et ne se laissa pas limiter. L’Égypte ne parut pas aussi rude. Le sang arian maintint là une ombre de ses prétentions, et les castes, moins parfaites que dans l’Inde, s’entourèrent pourtant, surtout les castes sacerdotales, de certaines immunités, de certains respects qui, ne valant pas ceux de l’Aryavarta, gardaient encore quelque reflet des nobles exigences de l’espèce blanche. Quant à la population noire, elle fut constamment traitée par les Pharaons comme la tourbe qui lui était parente l’était sur l’Euphrate, le Tigre, et aux bords de la Méditerranée.

La formule patriarcale, s’adressant à des nègres, n’eut donc affaire qu’à des vaincus insensibles à tout autre argument qu’à ceux de la violence, elle devint lourdement, absolument despotique, sans pitié, sans limite, sans relâche, sans restriction, si ce n’est la révolte sanguinaire.

En Chine, la seconde partie de la formule fut bien différente. À coup sûr, la famille ariane qui l’apportait n’avait pas lieu de se dessaisir des droits et des devoirs du conquérant civilisateur pour proclamer sa conclusion propre. Ce n’était pas plus possible que tentant ; mais la conclusion noire ne fut pas adoptée non plus, par cette raison que les populations indigènes avaient un autre naturel et des tendances bien spéciales.

Le mélange malais, c’est-à-dire le produit du sang noir mêlé au type jaune, était l’élément que les kschattryas immigrants avaient à dompter, à assujettir, à civiliser, en se mêlant à lui. Il est à croire que, dans cet âge, la fusion des deux races inférieures était loin d’être aussi complète qu’on le voit aujourd’hui, et que, sur bien des points du midi de la Chine, où les civilisateurs hindous opéraient, des tribus, des fragments de tribus ou même des individualités de chaque espèce demeuraient encore à peu près pures et tenaient en échec le type opposé. Cependant il ressortait de ce mélange imparfait des besoins, des sentiments, en bloc très analogues à ceux qui ont pu se produire plus tard comme résultats d’une fusion achevée, et les blancs se voyaient là aux prises avec des nécessités d’un ordre tout différent de celles auxquelles leurs congénères vainqueurs dans l’Asie occidentale avaient été forcés de se plier.

La race malaise, je l’ai déjà définie : sans être susceptible de grands élans d’imagination, elle n’est pas hors d’état de comprendre les avantages d’une organisation régulière et coordonnée. Elle a des goûts de bien-être, comme l’espèce jaune tout entière, et de bien-être exclusivement matériel. Elle est patiente, apathique, et subit aisément la loi, s’arrangeant, sans difficulté, de façon à en tirer les avantages qu’un état social comporte, et à en subir la pression sans trop d’humeur.

Avec des gens animés de pareilles dispositions, il n’y avait pas lieu à ce despotisme violent et brutal qu’amenèrent la stupidité des noirs et l’avilissement graduel des Chamites, devenus trop près parents de leurs sujets et participant à leurs incapacités. Au contraire, en Chine, quand les mélanges eurent commencé à énerver l’esprit arian, il se trouva que ce noble élément, à mesure qu’en se subdivisant il se répandait dans les masses, relevait d’autant les dispositions natives des peuples. Il ne leur donnait pas, assurément, sa souplesse, son énergie généreuse, son goût de la liberté. Toutefois, il confirmait leur amour instinctif de la règle, de l’ordre, leur antipathie pour les abus d’imagination. Qu’un souverain d’Assyrie se plongeât dans des cruautés exorbitantes, que, pareil à ce Zohak ninivite dont la tradition persane raconte les horreurs, il nourrît de la chair et du sang de ses sujets les serpents bourgeonnants sur son corps, le peuple en souffrait, sans doute ; mais comme les têtes s’exaltaient devant de tels tableaux ! Comme, au fond, le Sémite comprenait bien l’exagération passionnée des actes de la toute-puissance et comme la férocité la plus dépravée en grandissait encore à ses yeux l’image gigantesque ! Un prince doux et tranquille risquait, chez lui, de devenir un objet de dédain.

Les Chinois ne concevaient pas ainsi les choses. Esprits très prosaïques, l’excès leur faisait horreur, le sentiment public s’en révoltait, et le monarque qui s’en rendait coupable perdait aussitôt tout prestige et détruisait tout respect pour son autorité.

Il arriva donc, en ce pays, que le principe du gouvernement fut le patriarcat, parce que les civilisateurs étaient Arians, que son application fut le pouvoir absolu, parce que les Arians agissaient en vainqueurs et en maîtres au milieu de populations inférieures ; mais que, dans la pratique, l’absolutisme du souverain ne se manifesta ni par des traits d’orgueil surhumain, ni par des actes de despotisme repoussant, et se renferma entre des limites généralement étroites, parce que le sens malais n’appelait pas de trop grosses démonstrations d’arrogance, et que l’esprit arian, en se mêlant à lui, y trouvait un fond disposé à comprendre de mieux en mieux que le salut d’un État est dans l’observance des lois, aussi bien sur les hauteurs sociales que dans les bas-fonds.

Voilà le gouvernement de l’empire du Milieu organisé. Le roi est le père de ses sujets, il a droit à leur soumission entière, il devient pour eux le mandataire de la Divinité, et on ne l’approche qu’à genoux. Ce qu’il veut, il le peut théoriquement ; mais, dans la pratique, s’il veut une énormité, il a bien de la peine à l’accomplir. La nation se montre irritée, les mandarins font entendre des représentations, les ministres, prosternés aux pieds du trône impérial, gémissent tout haut des aberrations du père commun, et le père commun, au milieu de ce tolle général, reste le maître de pousser sa fantaisie jusqu’au bout, à la seule condition de rompre avec ce qu’on lui a appris, dès l’enfance, à tenir pour sacré et inviolable. Il se voit isolé et n’ignore pas que, s’il continue dans la route où il s’engage, l’insurrection est au bout.

Les annales chinoises sont éloquentes sur ce sujet. Dans les premières dynasties, ce qu’on raconte des méfaits des empereurs réprouvés aurait paru bien véniel aux historiens d’Assyrie, de Tyr ou de Chanaan. J’en veux donner un exemple.

L’empereur Yeou-wang, de la dynastie de Tcheou, qui monta sur le trône 781 ans avant J.-C., régna trois ans sans qu’on eût aucun reproche grave à lui faire. La troisième année, il devint amoureux d’une fille nommée Pao-sse, et s’abandonna sans réserve à la fougue de ce sentiment. Pao-sse lui donna un fils, qu’il nomma Pe-fou, et qu’il voulut instituer prince héritier à la place de l’aîné, Y-kieou. Pour y parvenir, il exila l’impératrice et son fils, ce qui mit le comble au mécontentement déjà éveillé par une conduite qui n’était pas conforme aux rites. De tous côtés l’opposition éclata.

Les grands de l’empire firent assaut d’observations respectueuses auprès de l’empereur. On demanda, de toutes parts, l’éloignement de Pao-sse, on l’accusa d’épuiser l’État par ses dépenses, de détourner le souverain de ses devoirs. Des satires violentes couraient de toutes parts, répétées par les populations. De leur côté, les parents de l’impératrice s’étaient réfugiés, avec elle, chez les Tartares, et on s’attendait à une invasion de ces terribles voisins, crainte qui n’augmentait pas peu la fureur générale. L’empereur aimait éperdument Pao-sse et ne cédait pas.

Toutefois, comme à son tour il redoutait, non sans raison, l’alliance des mécontents avec les hordes de la frontière, il réunit des troupes, les plaça dans des positions convenables, et ordonna qu’en cas d’alarme on allumât des feux et battît du tambour, auquel signal tous les généraux auraient à accourir, avec leur monde, pour tenir tête à l’ennemi.

Pao-sse était d’un caractère très sérieux. L’empereur se consumait perpétuellement en efforts pour attirer sur ses lèvres un sourire. C’était grand hasard quand il y réussissait, et rien ne lui était plus agréable. Un jour, une panique soudaine se répandit partout, les gardiens des signaux crurent que les cavaliers tartares avaient franchi les limites et approchaient ; ils mirent promptement le feu aux bûchers qu’on avait préparés, et aussitôt tous les tambours de battre. À ce bruit, princes et généraux, rassemblant leurs troupes, accoururent ; on ne voyait que gens en armes, se hâtant deçà et delà et demandant où était l’ennemi, que personne ne voyait, puisqu’il n’existait pas et que l’alerte était fausse.

Il paraît que les visages animés des chefs et leurs attitudes belliqueuses parurent souverainement ridicules à la sérieuse Pao-sse, car elle se mit à rire. Ce que voyant, l’empereur se déclara au comble de la joie. Il n’en fut pas de même des graves plastrons de tant de bonne humeur. Ils se retirèrent profondément blessés, et la fin de l’histoire est que, lorsque les Tartares parurent pour de bon, personne ne vint au signal, l’empereur fut pris et tué, Pao-sse enlevée, son fils dégradé, et tout rentra dans l’ordre sous la domination d’Y-kieou, qui prit la couronne sous le nom de Ping-wang (1)[158].

En voilà assez pour montrer combien, en fait, l’autorité absolue des empereurs était limitée par l’opinion publique et par les mœurs ; et c’est ainsi que l’on a toujours vu, en Chine, la tyrannie n’apparaître que comme un accident constamment détesté, réprimé, et qui ne se perpétue guère, parce que le naturel de la race gouvernée ne s’y prête pas. L’empereur est, sans doute, le maître des États du Milieu, voire, par une fiction plus hardie, du monde entier, et tout ce qui se refuse à son obéissance est, par cela même, réputé barbare et en dehors de toute civilisation. Mais, tandis que la chancellerie chinoise s’épuise en formules de respect lorsqu’elle s’adresse au Fils du ciel, l’usage ne permet pas à celui-ci de s’exprimer, sur son propre compte, d’une manière aussi pompeuse. Son langage affecte une extrême modestie : le prince se représente comme au-dessous, par son petit mérite et sa vertu médiocre, des sublimes fonctions que son auguste père a confiées à son insuffisance. Il conserve toute la phraséologie douce et affectueuse du langage domestique, et ne manque pas une occasion de protester de son ardent amour pour le bien de ses chers enfants : ce sont ses sujets (2)[159].

L’autorité est donc, de fait, assez bornée, car je n’ai pas besoin de dire que, dans cet empire, dont les principes gouvernementaux n’ont jamais varié, quant à l’essentiel, ce qui était considéré comme bon autrefois est devenu, pour cela seul, meilleur aujourd’hui. La tradition est toute-puissante (1)[160], et c’est déjà une tyrannie, dans un empereur, que de s’éloigner, pour le moindre détail, de l’usage suivi par les ancêtres. Bref, le Fils du ciel peut tout, à condition de ne rien vouloir que de déjà connu et approuvé.

Il était naturel que la civilisation chinoise, s’appuyant, à son début, sur des peuples malais, et plus tard sur des agglomérations de races jaunes, mélangées de quelques Arians, fût invinciblement dirigée vers l’utilité matérielle (2)[161]. Tandis que, dans les grandes civilisations du monde antique occidental, l’administration proprement dite et la police n’étaient que des objets fort secondaires et à peine ébauchés, ce fut, en Chine, la grande affaire du pouvoir, et on rejeta tout à fait sur l’arrière-plan les deux questions qui ailleurs l’emportaient : la guerre et les relations diplomatiques.

On admit en principe éternel que, pour que l’État se maintînt dans une situation normale, il fallait que les vivres s’y trouvassent abondamment, que chacun pût se vêtir, se nourrir et se loger ; que l’agriculture reçût des encouragements perpétuels, non moins que l’industrie ; et, comme moyen suprême d’arriver à ces fins, il fallait par-dessus tout une tranquillité solide et profonde, et des précautions minutieuses contre tout ce qui était capable d’émouvoir les populations ou de troubler l’ordre. Si la race noire avait exercé quelque action influente dans l’empire, il n’est pas douteux que nul de ces préceptes n’eût tenu longtemps. Les peuples jaunes, au contraire, gagnant chaque jour du terrain, et comprenant l’utilité de cet ordre de choses, ne trouvaient rien en eux qui n’appréciât vivement le bonheur matériel dans lequel on voulait les ensevelir. Les théories philosophiques et les opinions religieuses, ces brandons ordinaires de l’incendie des États, restèrent à jamais sans force devant l’inertie nationale, qui, bien repue de riz et avec son habit de coton sur le dos, ne se soucia pas d’affronter le bâton des hommes de police pour la plus grande gloire d’une abstraction (1)[162].

Le gouvernement chinois laissa prêcher tout, affirmer tout, enseigner les absurdités les plus monstrueuses, à la condition que rien, dans les nouveautés les plus hardies, ne tendrait à un résultat social quelconque. Aussitôt que cette barrière menaçait d’être franchie, l’administration agissait sans pitié et réprimait les innovations avec une sévérité inouïe, confirmée par les dispositions constantes de l’opinion publique (2)[163].

Dans l’Inde, le brahmanisme avait installé, lui aussi, une administration bien supérieure à ce que les États chamites, sémites ou égyptiens possédèrent jamais. Cependant, cette administration n’occupait pas le premier rang dans l’État, où les préoccupations créatrices de l’intelligence réclamaient la meilleure part de l’attention. Il ne faut donc pas s’étonner si le génie hindou, dans sa liberté, dans sa fierté, dans son goût pour les grandes choses et dans ses théories surhumaines, ne regardait, en définitive, les intérêts matériels que comme un point secondaire. Il était, d’ailleurs, sensiblement encouragé dans une telle opinion par les suggestions de l’alliage noir. À la Chine, l’apogée fut donc atteint en matière d’organisation matérielle, et, en tenant compte de la différence des races, qui nécessite des procédés différents, il me semble qu’on peut admettre que, sous ce rapport, le Céleste Empire obtint des résultats beaucoup plus parfaits et surtout plus continus qu’on ne le voit dans les pays de l’Europe moderne, depuis que les gouvernements se sont particulièrement appliqués à cette branche de la politique. En tout cas, l’empire romain n’y est pas comparable.

Cependant, il faut aussi en convenir, c’est un spectacle sans beauté et sans dignité. Si cette multitude jaune est paisible et soumise, c’est à la condition de rester, à tout jamais, privée des sentiments étrangers à la plus humble notion de l’utilité physique. Sa religion est un résumé de pratiques et de maximes qui rappellent fort bien ce que les moralistes genevois et leurs livres d’éducation se plaisent à recommander comme le nec plus ultra du bien : l’économie, la retenue, la prudence, l’art de gagner et de ne jamais perdre. La politesse chinoise n’est qu’une application de ces principes. C’est, pour me servir du mot anglais, un cant perpétuel, qui n’a nullement pour raison d’être, comme la courtoisie de notre moyen âge, cette noble bienveillance de l’homme libre envers ses égaux, cette déférence pleine de gravité envers les supérieurs, cette affectueuse condescendance envers les inférieurs ; ce n’est qu’un devoir social, qui, prenant sa source dans l’égoïsme le plus grossier, se traduit par une abjecte prosternation devant les supérieurs, un ridicule combat de cérémonies avec les égaux et une arrogance avec les inférieurs qui s’augmente dans la proportion où décroît le rang de ceux-ci. La politesse est ainsi plutôt une invention formaliste, pour tenir chacun à sa place, qu’une inspiration du cœur. Les cérémonies que chacun doit faire, dans les actes les plus ordinaires de la vie, sont réglées par des lois tout aussi obligatoires et aussi rigoureuses que celles qui portent sur des sujets en apparence plus essentiels.

La littérature est une grande affaire pour le Chinois. Loin de se rendre, comme partout ailleurs, un moyen de perfectionnement, elle est devenue, au contraire, un agent puissant de stagnation. Le gouvernement se montre grand ami des lumières ; il faut seulement savoir comment lui et l’opinion publique l’entendent. Dans les 300 millions d’âmes, attribués généralement à l’empire du Milieu, qui, suivant la juste expression de M. Ritter, compose à lui seul un monde, il est très peu d’hommes, même dans les plus basses classes, qui ne sachent lire et écrire suffisamment pour les besoins ordinaires de la vie, et l’administration a soin que cette instruction soit aussi générale que possible. La sollicitude du pouvoir va encore au delà. Il veut que chaque sujet connaisse les lois ; on prend toutes les mesures nécessaires pour qu’il en soit ainsi. Les textes sont mis à la portée de tout le monde, et, de plus, des lectures publiques s’exécutent aux jours de nouvelle lune, afin de bien inculquer aux sujets les prescriptions essentielles, telles que les devoirs des enfants envers leurs parents et, partant, des citoyens envers l’empereur et les magistrats. De cette façon, le peuple chinois est, très certainement, ce qu’on appelle, de nos jours, plus avancé que nos Européens. Dans l’antiquité asiatique, grecque et romaine, la pensée d’une comparaison ne peut pas même se présenter.

Ainsi, instruit dans le plus indispensable, le bas peuple comprend que la première chose pour arriver aux fonctions publiques, c’est de se rendre capable de subir les examens. Voilà encore un puissant encouragement à apprendre (1)[164]. On apprend donc. Et quoi ? On apprend ce qui est utile, et là est l’infranchissable point d’arrêt. Ce qui est utile, c’est ce qui a toujours été su et pratiqué, ce qui ne peut donner matière à discussion. Il faut apprendre, mais ce que les générations précédentes ont su avant vous, et comme elles l’ont su : toute prétention à créer du nouveau, dans ce sens, conduirait l’étudiant à se voir repousser de l’examen, et, s’il s’obstinait, à un procès de trahison où personne ne lui ferait grâce. Aussi n’est-il personne qui se risque à de tels hasards, et, dans ce champ de l’éducation et de la science chinoises, si constamment, si exemplairement labouré, il n’y a pas la moindre chance qu’une idée inconnue lève jamais la tête. Elle serait arrachée sur l’heure avec indignation (1)[165].

Dans la littérature proprement dite, le bout-rimé et toutes les distractions ingénieusement puériles qui y ressemblent, sont tenues en grand honneur. Des élégies assez douces, des descriptions de la nature plus minutieuses que pittoresques, bien que non sans grâce, voilà le meilleur. Le réellement bon, c’est le roman. Ces peuples sans imagination ont beaucoup d’esprit d’observation et de finesse, et telle production issue de ces deux qualités rappelle chez eux, et peut-être en les dépassant, les œuvres anglaises destinées à peindre la vie du grand monde. Là s’arrête le vol de la muse chinoise. Le drame est mal conçu et assez plat. L’ode à la façon de Pindare n’a jamais passé par l’esprit de cette nation rassise. Quand le poète chinois se bat les flancs pour échauffer sa verve, il se jette à plein corps dans les nuages, fait intervenir les dragons de toute couleur, s’essouffle, et ne saisit rien que le ridicule.

La philosophie, et surtout la philosophie morale, objet d’une grande prédilection, ne consiste qu’en maximes usuelles, dont l’observance parfaite serait assurément fort méritoire, mais qui, par la manière puérilement obscure et sèchement didactique dont elles sont exposées et déduites, ne constituent pas une branche de connaissances très dignes d’admiration (1)[166]. Les gros ouvrages scientifiques donnent lieu à plus d’éloges.

À la vérité, ces compilations verbeuses manquent de critique. L’esprit de la race jaune n’est ni assez profond, ni assez sagace pour saisir cette qualité réservée à l’espèce blanche. Toutefois, on peut encore beaucoup apprendre et recueillir dans les documents historiques (2)[167]. Ce qui a trait aux sciences naturelles est quelquefois précieux, surtout par l’exactitude de l’observation et la patience des artistes à reproduire les plantes et les animaux connus. Mais il ne faut pas s’attendre à des théories générales. Quand la fantaisie vague d’en créer passe par l’esprit des lettrés, ils tombent aussitôt au-dessous de la niaiserie. On ne les verra pas, comme les Hindous ou les peuples sémitiques, inventer des fables qui, dans leur incohérence, sont du moins grandioses ou séduisantes. Non : leur conception restera uniquement lourde et pédantesque. Ils vous conteront gravement, comme un fait incontestable, la transformation du crapaud en tel ou tel animal. Il n’y a rien à dire de leur astronomie. Elle peut fournir quelques lueurs aux travaux difficiles des chronologistes, sans que sa valeur intrinsèque, corrélative à celle des instruments qu’elle emploie, cesse d’être très médiocre. Les Chinois l’ont reconnu eux-mêmes par leur estime pour les missionnaires jésuites. Ils les chargeaient de redresser leurs observations et de travailler même à leurs almanachs.

En somme, ils aiment la science dans sa partie d’application immédiate (1)[168]. Pour ce qui est grand, sublime, fécond, d’une part, ils ne peuvent y atteindre, de l’autre, ils le redoutent et l’excluent avec soin. Des savants très appréciés à Pékin auraient été Trissotin et ses amis.

Pour avoir eu, trente ans, des yeux et des oreilles ;
Pour avoir employé neuf à dix mille veilles
À savoir ce qu’ont dit les autres avant eux.

Le sarcasme de Molière ne serait pas compris dans un pays où la littérature est tombée en enfance aux mains d’une race dont l’esprit arian s’est complètement noyé dans les éléments jaunes, race composite, pourvue de certains mérites qui ne renferment pas ceux de l’invention et de la hardiesse.

En fait d’art, il y a moins à approuver encore. Je parlais, tout à l’heure, de l’exactitude des peintres de fleurs et de plantes. On connaît, en Europe, la délicatesse de leur pinceau. Dans le portrait, ils obtiennent aussi des succès honorables, et, assez habiles à saisir le caractère des physionomies, ils peuvent lutter avec les plats chefs-d’œuvre du daguerréotype. Puis, c’est là tout. Les grandes peintures sont bizarres, sans génie, sans énergie, sans goût. La sculpture se borne à des représentations monstrueuses et communes. Les vases ont les formes qu’on leur connaît. Cherchant le bizarre et l’inattendu, leurs bronzes sont conçus dans le même sentiment que leurs porcelaines. Pour l’architecture, ils préfèrent à tout ces pagodes à huit étages dont l’invention ne vient pas complètement d’eux, ayant quelque chose d’hindou dans l’ensemble ; mais les détails leur en appartiennent, et, si l’œil qui ne les a pas encore observées peut être séduit par la nouveauté, il se dégoûte bientôt de cette uniformité excentrique. Dans ces constructions, rien n’est solide, rien n’est en état de braver les siècles. Les Chinois sont trop prudents et trop bons calculateurs pour employer à la construction d’un édifice plus de capitaux qu’il n’est besoin. Leurs travaux les plus remarquables ressortent tous du principe d’utilité : tels les innombrables canaux dont l’empire est traversé, les digues, les levées pour prévenir les inondations, surtout celles du Hoang-ho. Nous retrouvons là le Chinois sur son véritable terrain. Répétons-le donc une dernière fois : les populations du Céleste Empire sont exclusivement utilitaires ; elles le sont tellement, qu’elles ont pu admettre, sans danger, deux institutions qui paraissent peu compatibles avec tout gouvernement régulier : les assemblées populaires réunies spontanément pour blâmer ou approuver la conduite des magistrats et l’indépendance de la presse (1)[169]. On ne prohibe, en Chine, ni la libre réunion, ni la diffusion des idées (1)[170]. Il va sans dire, toutefois, que lorsque l’abus se montre, ou, pour mieux dire, que si l’abus se montrait, la répression serait aussi prompte qu’implacable, et aurait lieu sous la direction des lois contre la trahison.

On en conviendra : quelle solidité, quelle force n’a pas une organisation sociale qui peut permettre de telles déviations à son principe et qui n’a jamais vu sortir de sa tolérance le moindre inconvénient !

L’administration chinoise a atteint, dans la sphère des intérêts matériels, à des résultats auxquels nulle autre nation antique ou moderne n’est jamais parvenue (2)[171] ; instruction populaire partout propagée, bien-être des sujets, liberté entière dans la sphère permise, développements industriels et agricoles des plus complets, production aux prix les plus médiocres, et qui rendraient toute concurrence européenne difficile avec les denrées de consommation ordinaire, comme le coton, la soie, la poterie. Tels sont les résultats incontestables dont le système chinois peut se vanter (1)[172].

Il est impossible ici de se défendre de la réflexion que, si les doctrines de ces écoles que nous appelons socialistes venaient jamais à s’appliquer et à réussir dans les États de l’Europe, le nec plus ultra du bien serait d’obtenir ce que les Chinois sont parvenus à immobiliser chez eux. Il est certain, dans tous les cas, et il faut le reconnaître à la gloire de la logique, que les chefs de ces écoles n’ont pas le moins du monde repoussé la condition première et indispensable du succès de leurs idées, qui est le despotisme. Ils ont très bien admis, comme les politiques du Céleste Empire, qu’on ne force pas les nations à suivre une règle précise et exacte, si la loi n’est pas armée, en tout temps, d’une complète et spontanée initiative de répression. Pour introniser leur régime, ils ne se refuseraient pas à tyranniser. Le triomphe serait à ce prix, et une fois la doctrine établie, l’universalité des hommes aurait la nourriture, le logement, l’instruction pratique assurés. Il ne serait plus besoin de s’occuper des questions posées sur la circulation du capital, l’organisation du crédit, le droit au travail et autres détails (2)[173].

Il y a, sans doute, quelque chose, en Chine, qui semble répugner aux allures des théories socialistes. Bien que démocratique dans sa source, puisqu’il sort des concours et des examens publics, le mandarinat est entouré de bien des prérogatives et d’un éclat gênant pour les idées égalitaires. De même, le chef de l’État, qui, en principe, n’est pas nécessairement issu d’une maison régnante (car, dans les temps anciens, règle toujours présente, plus d’un empereur n’a été proclamé que pour son mérite), ce souverain, choisi parmi les fils de son prédécesseur et sans égard à l’ordre de naissance, est trop vénéré et placé trop haut au-dessus de la foule. Ce sont là, en apparence, autant d’oppositions aux idées sur lesquelles bâtissent les phalanstériens et leurs émules.

Cependant, si l’on consent à y réfléchir, on verra que ces distinctions ne sont que des résultats auxquels M. Fourrier et Proudhon, chefs d’État, seraient eux-mêmes amenés bientôt. Dans des pays où le bien-être matériel est tout et où, pour le conserver, il convient de retenir la foule entre les limites d’une organisation stricte, la loi, immuable comme Dieu (car si elle ne l’était pas, le bien-être public serait sans cesse exposé aux plus graves revirements), doit finir, un jour ou l’autre, par participer aux respects rendus à l’intelligence suprême. Ce n’est plus de la soumission qu’il faut à une loi si préservatrice, si nécessaire, si inviolable, c’est de l’adoration, et on ne saurait aller trop loin dans cette voie. Il est donc naturel que les puissances qu’elle institue pour répandre ses bienfaits et veiller à son salut, participent du culte qu’on lui accorde ; et comme ces puissances sont bien armées de toute sa rigueur, il est inévitable qu’elles sauront se faire rendre ce qu’elles ne seront pas les dernières à juger leur être dû.

J’avoue que tant de bienfaits, conséquences de tant de conditions, ne me paraissent pas séduisants. Sacrifier sur la huche du boulanger, sur le seuil d’une demeure confortable, sur le banc d’une école primaire, ce que la science a de transcendantal, la poésie de sublime, les arts de magnifique, jeter là tout sentiment de dignité humaine. abdiquer son individualité dans ce qu’elle a de plus précieux : le droit d’apprendre et de savoir, de communiquer à autrui ce qui n’était pas su auparavant, c’est trop, c’est trop donner aux appétits de la matière. Je serais bien effrayé de voir un tel genre de bonheur menacer nous ou nos descendants, si je n’étais rassuré par la conviction que nos générations actuelles ne sont pas encore capables de se plier à de pareilles jouissances au prix de pareils sacrifices. Nous pouvons bien inventer des alcorans de toutes sortes ; mais cette féconde variabilité, à laquelle je suis loin d’applaudir, a les revers de ses défauts. Nous ne sommes pas gens capables de mettre en pratique tout ce que nous imaginons. À nos plus hautes folies d’autres succèdent, qui les font négliger. Les Chinois s’estimeront encore les premiers administrateurs du monde, qu’oublieux de toutes propositions de les imiter, nous aurons passé à quelque nouvelle phase de nos histoires, hélas ! si bariolées !

Les annales du Céleste Empire sont uniformes. La race blanche, auteur premier de la civilisation chinoise, ne s’est jamais renouvelée d’une manière suffisante pour faire dévier de leurs instincts naturels des populations immenses. Les adjonctions qui se sont accomplies, à différentes époques, ont généralement appartenu à un même élément, à l’espèce jaune. Elles n’ont apporté presque rien de nouveau, elles n’ont fait que contribuer à étendre les principes blancs en les délayant dans des masses d’autre nature et de plus en plus fortes. Quant à elles-mêmes, trouvant une civilisation conforme à leurs instincts, elles l’ont embrassée volontiers et ont toujours fini par se perdre au sein de l’océan social, où leur présence n’a, cependant, pas laissé que de déterminer plusieurs perturbations légères, qu’il n’est pas impossible de démêler et de constater. Je vais l’essayer en reprenant les choses de plus haut.

Lorsque les Arians commencèrent à civiliser les mélanges noirs et jaunes, autrement dit malais, qu’ils trouvèrent en possession des provinces du sud, ils leur portèrent, ai-je dit, le gouvernement patriarcal, forme susceptible de différentes applications, restrictives ou extensives. Nous avons vu que cette forme, appliquée aux noirs, dégénère rapidement en despotisme dur et exalté, et que, chez les Malais, et surtout chez les peuples plus purement jaunes, si le despotisme est entier, il est, au moins, tempéré dans son action et forcé de s’interdire les excès inutiles, faute d’imagination chez les sujets pour en être plus effrayés qu’irrités, pour les comprendre et les tolérer. Ainsi s’explique la constitution particulière de la royauté en Chine.

Mais un rapport général de la première constitution politique de ce pays avec les organisations spéciales de tous les rameaux blancs, rapport curieux que je n’ai pas encore fait ressortir, c’est l’institution fragmentaire de l’autorité et sa dissémination en un grand nombre de souverainetés plus ou moins unies par le lien commun d’un pouvoir suprême. Cette sorte d’éparpillement de forces, nous l’avons vue en Assyrie, où les Chamites, puis les Sémites, fondèrent tant d’États isolés sous la suzeraineté, reconnue ou contestée, suivant les temps, de Babylone et de Ninive ; dissémination si extrême, qu’après les revers des descendants de Salomon il se créa trente-deux États distincts dans les seuls débris des conquêtes de David, du côté de l’Euphrate (1)[174]. En Égypte, avant Ménès, le pays était également divisé entre plusieurs princes, et il en fut de même du côté de l’Inde, où le caractère arian s’était toujours mieux conservé. Une complète réunion territoriale de la contrée n’eut jamais lieu sous aucun prince brahmanique.

En Chine, il en alla autrement, et c’est une nouvelle preuve de la répugnance du génie arian pour l’unité dont, suivant l’expression romaine, l’action se résume dans ces deux mots : reges et greges.

Les Arians, vainqueurs orgueilleux dont on ne fait pas facilement des sujets, voulurent, toutes les fois qu’ils se trouvèrent maîtres des races inférieures, ne pas laisser aux mains d’un seul d’entre eux les jouissances du commandement. En Chine, donc, comme dans toutes les autres colonisations de la famille, la souveraineté du territoire fut fractionnée, et sous la suzeraineté précaire d’un empereur une féodalité, jalouse de ses droits (2)[175], s’installa et se maintint depuis l’invasion des Kschattryas jusqu’au règne de Tsin-chi-hoang-ti, l’an 246 avant J.-C., autrement dit, aussi longtemps que la race blanche conserva assez de virtualité pour garder ses aptitudes principales (1)[176]. Mais, aussitôt que sa fusion avec les familles malaise et jaune fut assez prononcée pour qu’il ne restât pas de groupes même à demi blancs, et que la masse de la nation chinoise se trouva élevée de tout ce dont ces groupes jusque-là dominateurs avaient été diminués pour être rabaissés et confondus avec elle, le système féodal, la domination hiérarchisée, le grand nombre des petites royautés et des indépendances de personnes, n’eurent plus nulle raison d’exister, et le niveau impérial passa sur toutes les têtes, sans distinction.

Ce fut de ce moment que la Chine se constitua dans sa forme actuelle (2)[177]. Cependant la révolution de Tsin-chi-hoang-ti ne faisait qu’abolir la dernière trace apparente de la race blanche, et l’unité du pays n’ajoutait rien à ses formes gouvernementales, qui restaient patriarcales comme ci-devant. Il n’y avait de plus que cette nouveauté, grande d’ailleurs en elle-même, que la dernière trace de l’indépendance, de la dignité personnelle, comprises à la manière ariane, avait disparu à jamais devant les envahissements définitifs de l’espèce jaune (1)[178].

Autre point encore. Nous avons d’abord vu la race malaise recevant dans le Yun-nan les premières leçons des Arians en s’alliant avec eux ; puis, par les conquêtes et les adjonctions de toute nature, la famille jaune s’augmenta rapidement et finit par ne pas moins neutraliser, dans le plus grand nombre des provinces de l’empire, les métis mélaniens, qu’elle ne transformait, en la divisant, la vertu de l’espèce blanche. Il en résulta pendant quelque temps un défaut d’équilibre manifesté par l’apparition de quelques coutumes tout à fait barbares.

Ainsi, dans le nord, des princes défunts furent souvent enterrés avec leurs femmes et leurs soldats, usages certainement empruntés à l’espèce finnoise (2)[179]. On admit aussi que c’était une grâce impériale que d’envoyer un sabre à un mandarin disgracié pour qu’il pût se mettre à mort lui-même (3)[180]. Ces traces de dureté sauvage ne tinrent pas. Elles disparurent devant les institutions restées de la race blanche et ce qui survivait encore de son esprit. À mesure que de nouvelles tribus jaunes se fondaient dans le peuple chinois, elles en prenaient les mœurs et les idées. Puis, comme ces idées se trouvaient désormais partagées par une plus grande masse, elles allaient diminuant de force, elles s’émoussaient, la faculté de grandir et de se développer leur était ravie, et la stagnation s’étendait irrésistiblement.

Au XIIIe siècle de notre ère, une terrible catastrophe ébranla le monde asiatique. Un prince mongol, Témoutchin, réunit sous ses étendards un nombre immense de tribus de la haute Asie, et, entre autres conquêtes, commença celle de la Chine, terminée par Koubilaï. Les Mongols, se trouvant les maîtres, accoururent de toutes parts, et l’on se demande pourquoi, au lieu de fonder des institutions inventées par eux, ils s’empressèrent de reconnaître pour bonnes les inspirations des mandarins ; pourquoi ils se mirent sous la direction de ces vaincus, se conformèrent de leur mieux aux idées du pays, se piquèrent de se civiliser à la façon chinoise, et finirent, au bout de quelques siècles, après avoir ainsi côtoyé plutôt qu’embrassé l’empire, par se faire chasser honteusement.

Voici ce que je réponds. Les tribus mongoles, tatares et autres qui formaient les armées de Djinghiz-khan, appartenaient, en presque totalité, à la race jaune. Cependant comme, dans une antiquité assez lointaine, les principales branches de la coalition, c’est-à-dire les mongoles et les tatares, avaient été pénétrées par des éléments blancs, tels que ceux venus des Hakas, il en était résulté un long état de civilisation relative vis-à-vis des rameaux purement jaunes de ces nations, et, comme conséquence de cette supériorité, la faculté, sous des circonstances spéciales, de réunir ces rameaux autour d’un même étendard et de les faire concourir quelque temps vers un seul but. Sans la présence et la conjonction heureuse des principes blancs répandus dans des multitudes jaunes, il est complètement impossible de se rendre compte de la formation des grandes armées envahissantes qui, à différentes époques, sont sorties de l’Asie centrale avec les Huns, les Mongols de Djinghiz-khan, les Tatares de Timour, toutes multitudes coalisées et nullement homogènes.

Si, dans ces agglomérations, les tribus dominantes possédaient leur initiative, en vertu d’une réunion fortuite d’éléments blancs jusque-là trop disséminés pour agir, et qui, en quelque sorte, galvanisaient leur entourage, la richesse de ces éléments n’était pourtant pas suffisante pour douer les masses qu’ils entraînaient d’une bien grande aptitude civilisatrice, ni même pour maintenir, dans l’élite de ces masses, la puissance de mouvement qui les avait élevées à la vie de conquêtes. Qu’on se figure donc ces triomphateurs jaunes animés, je dirai presque enivrés par le concours accidentel de quelques immixtions blanches en dissolution dans leur sein, exerçant dès lors une supériorité relative sur leurs congénères plus absolument jaunes. Ces triomphateurs ne sont pas cependant assez rehaussés pour fonder une civilisation propre. Ils ne feront pas comme les peuples germaniques, qui, débutant par adopter la civilisation romaine, l’ont transformée bientôt en une autre culture tout originale. Ils n’ont pas la valeur d’aller jusque-là. Seulement, ils possèdent un instinct assez fin qui leur fait comprendre les mérites de l’ordre social, et, capables ainsi du premier pas, ils se tournent respectueusement vers l’organisation qui régit des peuples jaunes comme eux-mêmes.

Cependant, s’il y a parenté, affinité entre les nations demi-barbares de l’Asie centrale et les Chinois, il n’y a pas identité. Chez ces derniers, le mélange blanc et surtout malais se fait sentir avec beaucoup plus de force, et, par conséquent, l’aptitude civilisatrice est bien autrement active. Au sein des autres, il y a un goût, une partialité pour la civilisation chinoise, toutefois moins pour ce qu’elle a conservé d’arian que pour ce qui est corrélatif, en elle, au génie ethnique des Mongols. Ceux-ci sont donc toujours des barbares aux yeux de leurs vaincus, et plus ils font d’efforts afin de retenir les leçons des Chinois, plus ils se font mépriser. Se sentant ainsi isolés au milieu de plusieurs centaines de millions de sujets dédaigneux, ils n’osent pas se séparer, ils se concentrent sur des points de ralliement, ils ne renoncent pas, ils n’osent pas renoncer à l’usage des armes, et comme cependant la manie d’imitation qui les travaille les a poussés en plein dans la mollesse chinoise, un jour vient où, sans racines dans le pays, bien que nés de ses femmes, un coup d’épaule suffit pour les pousser dehors. Voilà l’histoire des Mongols. Ce sera également celle des Mantchous.

Afin d’apprécier la vérité de ce que j’avance, touchant le goût des dominateurs jaunes de l’Asie centrale pour la civilisation chinoise, il suffit de considérer ces nomades dans leurs conquêtes, autres que celles du Céleste Empire. En général, on a beaucoup exagéré leur sauvagerie. Ainsi, les Huns, les Hioung-niou des Chinois (1)[181], étaient loin d’être ces cavaliers stupides que les terreurs de l’Occident ont rêvés. Placés assurément à un degré social peu élevé, ils n’en avaient pas moins des institutions politiques assez habiles, une organisation militaire raisonnée, de grandes villes de tentes, des marchands opulents, et même des monuments religieux. On pourrait en dire autant de plusieurs autres nations finnoises, telles que les Kirghizes, race plus remarquable que toutes les autres, parce qu’elle fut plus mêlée encore d’éléments blancs (2)[182]. Cependant ces peuples qui savaient apprécier le mérite d’un gouvernement pacifique et des mœurs sédentaires, montrèrent constamment des sentiments très hostiles à toute civilisation quand ils se trouvèrent en contact avec des rameaux appartenant à des variétés humaines différentes de l’espèce jaune. Dans l’Inde, jamais Tatare n’a fait mine d’éprouver la moindre propension pour l’organisation brahmanique. Avec une facilité qui accuse le peu d’aptitude dogmatique de ces esprits utilitaires, les hordes de Tamerlan s’empressèrent, en général, d’adopter l’islamisme. Les vit-on conformer aussi leurs mœurs à celles des populations sémitiques qui leur communiquaient la foi ? En aucune façon. Ces conquérants ne changèrent ni de mœurs, ni de costumes, ni de langue. Ils restèrent isolés, cherchèrent très peu à faire passer dans leur idiome les chefs-d’œuvre d’une littérature brillante plus que solide, et qui devait leur sembler déraisonnable. Ils campèrent en maîtres, et en maîtres indifférents, sur le sol de leurs esclaves. Combien ce dédain est éloigné du respect sympathique que ces mêmes tribus jaunes laissaient éclater lorsqu’elles s’approchaient des frontières de la civilisation chinoise !

J’ai donné les raisons ethniques qui me paraissaient empêcher les Montchous, comme elles ont empêché les Mongols, de fonder un empire définitif en Chine. S’il y avait identité parfaite entre les deux races, les Mantchous, qui n’ont rien apporté à la somme des idées du pays, recevraient les notions existantes, ne craindraient pas de se débander et de se confondre avec les différentes classes de cette société, et il n’y aurait plus qu’un seul peuple. Mais, comme ce sont des maîtres qui ne donnent rien et qui ne prennent que dans une certaine mesure ; comme ce sont des chefs qui, en réalité, sont inférieurs, cette situation présente une inconséquence choquante et qui ne se terminera que par l’expulsion de la dynastie.

On peut se demander ce qui arriverait, si une invasion blanche venait remplacer le gouvernement actuel et réaliser le hardi projet de lord Clive.

Ce grand homme pensait n’avoir besoin que d’une armée de trente mille hommes pour soumettre tout l’empire du Milieu, et on est porté à croire son calcul exact, à voir la lâcheté chronique de ces pauvres gens, qui ne veulent pas qu’on les arrache à la douce fermentation digestive dont ils font leur unique affaire. Supposons donc la conquête tentée et achevée. Dans quelle position se seraient trouvés ces trente mille hommes ? Suivant lord Clive, leur rôle aurait dû se borner à garnisonner les villes. Comme le succès se serait accompli dans un simple but d’exploitation, les troupes auraient occupé les principaux ports, peut-être auraient poussé des expéditions dans l’intérieur du pays pour maintenir la soumission, assurer la libre circulation des marchandises et la rentrée des impôts ; rien de plus.

Un pareil état de choses, tout convenable qu’il peut être, ne saurait jamais se prolonger longtemps. Trente mille hommes pour en dominer trois cents millions, c’est trop peu, surtout quand ces trois cents millions sont aussi compacts de sentiments et d’instincts, de besoins et de répugnances. L’audacieux général aurait fini par augmenter ses forces et les aurait portées à un chiffre mieux proportionné à l’immensité de l’océan populaire dont sa volonté aurait voulu contenir les orages. Ici je commence une sorte d’utopie.

Si je continue à supposer lord Clive simple et fidèle représentant de la mère patrie, il apparaît toujours, malgré l’augmentation indéfinie de son armée, fort isolé, fort menacé, et, un jour, lui-même ou ses descendants seront expulsés de ces provinces qui reçoivent tous les vainqueurs en intrus. Mais changeons d’hypothèse : laissons-nous aller au soupçon qui fit repousser, dit-on, par les directeurs de la Compagnie des Indes, les somptueuses propositions du gouverneur général. Imaginons que lord Clive, sujet peu loyal de la couronne d’Angleterre, veut régner pour son compte, repousse l’allégeance de la métropole et s’installe, véritable empereur de la Chine, au milieu des populations soumises par son épée. Alors les choses peuvent se passer bien différemment que dans le premier cas.

Si ses soldats sont tous de race européenne ou si un grand nombre de cipayes hindous ou musulmans sont mêlés aux Anglais, l’élément immigrant s’en ressentira, de toute nécessité, dans la mesure de sa vigueur. À la première génération, le chef et l’armée étrangère, fort exposés à être mis dehors, auront encore entière leur énergie de race pour se défendre et sauront traverser, sans trop d’encombre, ces moments dangereux. Ils s’occuperont à faire entrer de force leurs notions nouvelles dans le gouvernement et dans l’administration. Européens, ils s’indigneront de la médiocrité prétentieuse de tout le système, de la pédanterie creuse de la science locale, de la lâcheté créée par de mauvaises institutions militaires. Ils feront au rebours des Mantchous, qui se sont pâmés d’admiration devant de si belles choses. Ils y mettront courageusement la hache et renouvelleront, sous de nouvelles formes, la proscription littéraire de Tsin-chi-hoang-ti. À la seconde génération, ils seront beaucoup plus forts au point de vue du nombre. Un rang serré de métis, nés des femmes indigènes, leur aura créé un heureux intermédiaire avec les populations. Ces métis, instruits, d’une part, dans la pensée de leurs pères, et, de l’autre, dominés par le sentiment des compatriotes de leurs mères, adouciront ce que l’importation intellectuelle avait de trop européen, et l’accommoderont mieux aux notions locales. Bientôt, de génération en génération, l’élément étranger ira se dispersant dans les masses en les modifiant, et l’ancien établissement chinois, cruellement ébranlé, sinon renversé, ne se rétablira plus ; car le sang arian des kschattryas est épuisé depuis longtemps, et si son œuvre était interrompue, elle ne pourrait plus être reprise.

D’un autre côté, les graves perturbations infusées dans le sang chinois ne conduiraient certainement pas, je viens de le dire, à une civilisation à l’européenne. Pour transformer trois cents millions d’âmes, toutes nos nations réunies auraient à peine assez de sang à donner, et les métis, d’ailleurs, ne reproduisent jamais ce qu’étaient leurs pères. Il faut donc conclure :

1° Qu’en Chine, des conquêtes provenant de la race jaune et ne pouvant ainsi qu’humilier la force des vainqueurs devant l’organisation des vaincus, n’ont jamais rien changé et ne changeront jamais rien à l’état séculaire du pays ;

2° Qu’une conquête des blancs, dans de certaines conditions, aurait bien la puissance de modifier et même de renverser pour toujours l’état actuel de la civilisation chinoise, mais seulement par le moyen des métis.

Encore cette thèse, qui peut être théoriquement posée, rencontrerait-elle, en pratique, de très graves difficultés, résultant du chiffre énorme des populations agglomérées, circonstance qui rendrait fort difficile, à la plus nombreuse émigration, d’entamer sérieusement leurs rangs.

Ainsi, la nation chinoise semble devoir garder encore ses institutions pendant des temps incalculables. Elle sera facilement vaincue, aisément dominée ; mais transformée, je n’en vois guère le moyen.

Elle doit cette immutabilité gouvernementale, cette persistance inouïe dans ses formes d’administration, à ce seul fait que toujours la même race a dominé sur son sol depuis qu’elle a été lancée dans les voies sociales par des Arians, et qu’aucune idée étrangère n’a paru avec une escorte assez forte pour détourner son cours.

Comme démonstration de la toute-puissance du principe ethnique dans les destinées des peuples, l’exemple de la Chine est aussi frappant que celui de l’Inde. Ce pays, grâce à la faveur des circonstances, a obtenu, sans trop de peine et sans nulle exagération de ses institutions politiques, au contraire, en adoucissant ce que son absolutisme avait en germe de trop extrême, le résultat que les brahmanes, avec toute leur énergie, tous leurs efforts, n’ont cependant qu’imparfaitement touché. Ces derniers, pour sauvegarder leurs règles, ont dû étayer, par des moyens factices, la conservation de leur race. L’invention des castes a été d’une maintenue toujours laborieuse, souvent illusoire, et a eu cet inconvénient, de rejeter hors de la famille hindoue beaucoup de gens qui ont servi plus tard les invasions étrangères et augmenté le désordre extrasocial. Toutefois, le brahmanisme a atteint à peu près son but, et il faut ajouter que ce but, incomplètement touché, est beaucoup plus élevé que celui au pied duquel rampe la population chinoise. Celle-ci n’a été favorisée de plus de calme et de paix, dans son interminable vie, que parce que, dans les conflits des races diverses qui l’ont assaillie depuis 4000 ans, elle n’a jamais eu affaire qu’à des populations étrangères trop peu nombreuses pour entamer l’épaisseur de ses masses somnolentes. Elle est donc restée plus homogène que la famille hindoue, et dès lors plus tranquille et plus stable, mais aussi plus inerte.

En somme, la Chine et l’Inde sont les deux colonnes, les deux grandes preuves vivantes de cette vérité, que les races ne se modifient, par elles-mêmes, que dans les détails ; qu’elles ne sont pas aptes à se transformer, et qu’elles ne s’écartent jamais de la voie particulière ouverte à chacune d’elles, dût le voyage durer autant que le monde.


CHAPITRE VI.

Les origines de la race blanche.

De même qu’on a vu, à côté des civilisations assyrienne et égyptienne, des sociétés de mérite secondaire se former à l’aide d’emprunts faits à la race civilisatrice, de même l’Inde et la Chine sont entourées d’une pléiade d’États, dont les uns sont formés sur le norme hindou, dont les autres s’efforcent d’approcher, d’aussi près que possible, l’idéal chinois, tandis que les derniers se balancent entre les deux systèmes.

Dans la première catégorie, on doit placer Ceylan et, très anciennement, Java, aujourd’hui musulmane (1)[183], plusieurs des îles de l’archipel, comme Bali (2)[184], Sumatra, puis d’autres.

Dans la seconde, il faut mettre le Japon, la Corée, le Laos au dernier rang.

La troisième comprend, avec des modifications infinies dans la mesure où est acceptée chacune des deux civilisations contendantes, le Népaul, le Boutan, les deux Thibets, le royaume de Ladakh, les États de l’Inde transgangétique et une partie de l’archipel de la mer des Indes, de telle sorte que, d’île en île, de groupe en groupe, les populations malaises ont fait circuler jusqu’à la Polynésie des inventions chinoises ou hindoues, qui vont s’effaçant davantage à mesure que le mélange avec le sang de l’une des deux races initiatrices diminue.

Nous avons vu Ninive rayonner sur Tyr, et, par Tyr, sur Carthage, inspirer les Himyarites, les enfants d’Israël, et perdre d’autant plus son action sur ces pays, que l’identité des races était plus troublée entre eux et elle. Pareillement nous avons vu l’Égypte envoyer la civilisation à l’Afrique intérieure. Les sociétés secondaires de l’Asie présentent, avec le même spectacle, l’observation rigoureuse des mêmes lois.

À Ceylan, à Java, à Bali, des émigrations brahmaniques très anciennes apportèrent le genre de culture particulier à l’Inde et le système des castes. Ces colonisations, de plus en plus restreintes, à mesure que les rivages du Dekkhan s’éloignaient, s’échelonnèrent aussi en mérite. Les plus lointaines, où le sang hindou était en moindre abondance, furent aussi les plus imparfaites (1)[185].

Longtemps avant l’arrivée des Arians, des invasions de peuples jaunes étaient venues modifier le sang des aborigènes noirs, et les métis malais, en plusieurs lieux, avaient même commencé déjà à se substituer aux tribus purement mélaniennes. Ce fut une raison déterminante pour que les sociétés dérivées, formées plus tard sous l’influence des métis blancs, ne ressemblassent pas, malgré tous les efforts des initiateurs, à celle des pays où la race noire pure servait de base. Le naturel malais, plus froid, plus raisonneur, plus apathique, s’accommoda mal de la séparation des castes, et aussitôt qu’apparut le bouddhisme, cette religion grossière réussit vite à s’implanter au milieu des multitudes à demi jaunes. Quels succès ne devait-elle pas obtenir auprès de celles dont les éléments étaient plus libres encore de principes mélaniens. Ceylan et Java restèrent longtemps les citadelles de la foi de Bouddha. Comme le principe arian hindou existait dans ces deux îles, le culte de Sakya y resta assez noble. Il construisit de beaux monuments à Java, témoins ceux de Boro-Budor, de Madjapahit, de Brambanan, et, ne s’écartant pas trop, ne dégénérant pas d’une manière complète des données intellectuelles qui font la gloire de l’Inde, il donna naissance à une littérature remarquable, où se trouvaient mêlées les idées brahmaniques et celles du nouveau système religieux. Plus tard, Ceylan et Java reçurent des colonisations arabes. L’islamisme y fit de grands progrès, et le sang malais, ainsi modifié et relevé par les immigrations brahmaniques, bouddhiques et sémitiques, ne rentra jamais dans l’humilité des autres peuples de sa race.

Au Japon, les apparences sont chinoises, et un grand nombre d’institutions ont été apportées par plusieurs colonies venues originairement, et à différentes époques, du Céleste Empire. Il y existe aussi des éléments ethniques tout différents et qui amènent des divergences sensibles. Ainsi, l’État est encore féodal, l’humeur des nobles héréditaires est restée belliqueuse. Le double gouvernement laïque et ecclésiastique ne se fait pas obéir sans peine. La politique soupçonneuse de la Chine, à l’égard des étrangers, a été adoptée par le Koubo, qui prend grand soin d’isoler ses sujets du contact de l’Europe. Il paraît que l’état des esprits lui donne raison, et que, taillés sur un tout autre modèle que ceux de la Chine, ses administrés, doués d’une façon dangereuse, sont âpres aux nouveautés. Le Japon semble donc entraîné dans le sens de la civilisation chinoise par les résultats des nombreuses immigrations jaunes, et en même temps il y résiste par l’effet de principes ethniques qui n’appartiennent pas au sang finnois. En effet, il existe certainement dans la population japonaise une forte dose d’alliage noir, et peut-être même quelques éléments blancs dans les hautes classes de la société (1)[186]. De sorte que, les premiers faits de l’histoire de cette contrée ne remontant pas bien haut, seulement 660 ans avant J.-C., le Japon serait à peu près aujourd’hui dans la situation où la Chine se trouva sous la direction des descendants des kschattryas réfractaires, jusqu’à l’empereur Tsin-chi-hoang-ti. Ce qui confirmerait l’idée que des colonies de race blanche ont civilisé primitivement la population malaise qui fait le fond de ce pays, c’est qu’on y retrouve exactement, aux débuts de l’histoire, les mêmes récits mythiques qu’en Assyrie, en Égypte et même à la Chine, quoique d’une manière plus marquée encore. Les premiers souverains antérieurs à l’époque positive sont des dieux, puis des demi-dieux. Je m’explique le développement d’imagination poétique accusé par la nature de cette tradition, développement qui serait incompréhensible chez un peuple jaune pur, par une certaine prédominance d’éléments mélaniens. Cette opinion n’est pas une hypothèse. On a vu plus haut que Kaempfer constate la présence des noirs dans une île au nord du Japon, peu de siècles avant son voyage, et, au sud du même point, il invoque le témoignage des annales écrites pour établir le même fait (2)[187]. Ainsi s’expliqueraient les particularités physiologiques et morales qui créent l’originalité japonaise (1)[188].

Il n’y a pas, du reste, à s’y tromper : ce coin du monde si peu connu, beaucoup plus mystérieux que son prototype chinois, recèle la solution des questions ethnographiques les plus hautes. Quand il sera permis de l’aborder, de l’étudier en paix, d’y comparer les races, de faire rayonner les observations sur les archipels qui le touchent au nord, on trouvera, sur ce sol, bien des secours décisifs pour l’éclaircissement de ce que les origines américaines présentent de plus ardu.

La Corée est, de même que le Japon, une copie de la Chine, moins intéressante toutefois. Comme le sang arian n’est arrivé dans ces parages reculés que par communication très indirecte, il n’y a produit que des efforts d’imitation bien maladroits. Le Laos, je l’ai déjà fait entrevoir, est encore au-dessous, et, encore plus bas, se place la population de l’archipel Lieou-kieou (2)[189].

Les contrées où les deux principes, hindou et chinois, se partagent les sympathies des populations, sont également étrangères à la plus belle conquête des civilisations qu’elles vénèrent, la stabilité. Rien de plus mouvant, de plus variable, que les idées, les doctrines, les mœurs de ces territoires. Cette mobilité n’a rien à reprocher à la nôtre. Dans les terres transgangétiques, les peuples sont malais, et leurs nationalités se brouillent en nuances imperceptibles autant qu’innombrables, suivant que les éléments jaunes ou noirs dominent. Lorsqu’une invasion de l’est donne la prépondérance aux premiers, l’esprit brahmanique recule, et c’est la situation des derniers siècles, dans bien des provinces, où des ruines imposantes et de pompeuses inscriptions en caractères dévanagaris proclament encore l’antique domination de la race sanscrite, ou, du moins, des bouddhistes chassés par elle.

Quelquefois aussi le principe blanc reprend le dessus. Ainsi, ses missions poursuivent, en ce moment, de véritables succès dans l’Assam (1)[190], les États annamitiques (2)[191], chez les Birmans (3)[192]. Au Népaul, des invasions modernes ont également donné de la puissance au brahmanisme, mais quel brahmanisme ! Aussi imparfait que la race jaune a pu le rendre.

Au nord, vers le centre des chaînes de l’Hymalaya, dans ce dédale de montagnes où les deux Thibets ont établi les sanctuaires du bouddhisme lamaïque, commencent les imitations inadmissibles des doctrines de Sakya qui atteignent, en s’altérant, jusqu’aux rivages de la mer Glaciale, presque jusqu’au détroit de Behring.

Des invasions arianes, de différentes époques, ont laissé, au fond de ces montagnes, de nombreuses tribus mêlées de près au sang jaune. C’est là qu’il faut chercher la source de la civilisation thibétaine et la cause de l’éclat qu’elle a jeté. L’influence chinoise est venue, de bonne heure, combattre sur ce terrain le génie de la famille hindoue, et, soutenue par la majorité des éléments ethniques, elle a naturellement beaucoup gagné de terrain et en gagne chaque jour davantage.

La culture hindoue est en perte visible autour de Hlassa (1)[193].

Plus haut, vers le nord, elle cesse bientôt d’apparaître, lorsque s’ouvrent les steppes parcourues par les grandes nations nomades de l’Asie centrale. La contrefaçon des idées chinoises règne seule, dans ces froides régions, avec un bouddhisme réformé, à peu près complètement dépouillé d’idées hindoues.

Je ne saurais trop le répéter : on s’est représenté comme beaucoup plus barbares qu’ils ne le sont, et surtout qu’ils ne l’étaient, ces puissants amas d’hommes qui ont influé si fort, sous Attila, sous Djen-ghiz-khan, à l’époque de Timour le Boiteux, sur les destinées du monde, même du monde occidental. Mais, en revendiquant plus de justice pour les cavaliers jaunes des grandes invasions, je conviens que leur culture manquait d’originalité et que les constructeurs étrangers de tous ces temples, de tous ces palais, dont les ruines couvrent les steppes mongoles, demeurant isolés au milieu des guerriers qui leur demandaient et leur payaient l’emploi de leurs talents, venaient généralement de la Chine. Cette réserve faite, je puis dire qu’aucun peuple n’a poussé plus loin que les Kirghizes l’amour de l’imprimerie et de ses productions. Des princes, sans grande renommée et d’une puissance médiocre, Ablaï, entre autres, ont semé le désert de monastères bouddhiques, aujourd’hui en décombres. Plusieurs de ces monuments offraient, jusque dans le siècle dernier, où l’académicien Müller les visita (1)[194], le spectacle de leurs grandes salles dévastées depuis des années, à moitié démantelées et sans toits ni fenêtres, pourtant toutes remplies encore de milliers de volumes. Les livres tombés sur le sol, par suite de la rupture des tablettes moisies qui les supportaient jadis, fournissaient des bourres pour les fusils et du papier pour coller les fenêtres, à toutes les tribus nomades et aux Cosaques des environs (2)[195].

D’où avaient pu provenir cette persévérance, cette bonne volonté pour la civilisation, chez les multitudes belliqueuses du XVIe siècle, menant une existence des plus dures, des plus hérissées de privations, sur une terre improductive ? Je l’ai dit plus haut : d’un mélange antique de ces races avec quelques rameaux blancs perdus (3)[196].

C’est maintenant l’occasion de toucher un problème qui va prendre, tout à l’heure, les proportions les plus imposantes et faire presque reculer l’audace de l’esprit.

J’ai cité, dans le chapitre précédent, les noms de six nations blanches connues des Chinois pour avoir résidé, à une époque relativement récente, sur leurs frontières du nord-ouest et de l’est. Par ces mots, relativement récente, j’indique le IIe siècle avant notre ère.

Ces nations ont toutes eu des destinées ultérieures qui sont connues.

Deux d’entre elles, les Yue-tchi et les Ou-soun, habitant sur la rive gauche du Hoang-ho, contre la lisière du désert de Gobi, furent attaquées par les Huns, Hioung-niou, peuple de race turque, venu du nord-est. Obligées de céder au nombre, et séparées dans leurs retraites, elles allèrent se fixer, les Yue-tchi, un peu plus bas vers le sud-ouest, et les Ou-soun, assez loin dans la même direction, sur le versant septentrional du Thian-chan (1)[197].

La redoutable progression des masses ennemies ne les laissa pas longtemps jouir en paix de leur patrie improvisée. Au bout de douze ans les Yue-tchi furent accablés de nouveau. Ils traversèrent le Thian-chan, longèrent le nouveau pays des Ou-soun et vinrent s’abattre au sud, sur le Sihoun, dans la Sogdiane. Là se trouvait une nation blanche comme eux, appelée les Szou par les Chinois, et que les historiens grecs nomment les Gètes ou Hindo-Scythes. Ce sont les Khétas du Mahabharata, les Ghats actuels du Pendjab, les Utsavaran-Kétas du Kachemyr occidental. Ces Gètes, attaqués par les Yue-tchi, leur cédèrent la place, et reculèrent sur la monarchie métisse et dégénérée des Bactriens-Macédoniens. L’ayant renversée, ils fondèrent, au milieu de ses débris, un empire qui ne laissa pas que de devenir assez important.

Pendant ce temps, les Ou-soun avaient résisté avec bonheur aux assauts des hordes hunniques. Ils s’étaient étendus sur les rives de la rivière Yli, et y avaient établi un État considérable. Comme chez les Arians primitifs, leurs mœurs étaient pastorales et guerrières, leurs chefs portaient ce titre que la transcription chinoise fait prononcer kouen-mi ou houen-mo, et dans lequel on retrouve aisément la racine du mot germanique kunig (2)[198]. Les demeures des Ou-soun étaient sédentaires.

La prospérité de cette nation courageuse s’éleva rapidement. L’an 107 avant J.-C., c’est-à-dire 170 ans après la migration, l’établissement de ce peuple offrait assez de solidité pour que la politique chinoise crût devoir s’en faire un appui contre les Huns. Une alliance étroite fut formée entre l’empereur et le kouen-mi des Ou-soun, et une princesse vint, du royaume du Milieu, partager la puissance du souverain blanc et porter le titre de kouen-ti (queen) (1)[199].

Mais l’esprit d’indépendance personnelle et de fractionnement, propre à la race ariane, décida trop tôt du sort d’une monarchie qui, exposée à d’incessantes attaques, aurait eu besoin d’être fortement unie pour y faire tête. Sous le petit-fils de la reine chinoise, la nation se partagea en deux branches, régies par des chefs différents, et, à la suite de cette scission malencontreuse, la partie du nord se vit bientôt accablée par des barbares jaunes, appelés les Sian-pi, qui, accourant en grand nombre, chassèrent les habitants. D’abord les fugitifs se retirèrent vers l’ouest et le nord. Après être restés dans leur asile pendant quatre cents ans, ils furent de nouveau expulsés et dispersés. Une fraction chercha un refuge au delà du Jaxartes, sur les terres de la Transoxiane ; le reste gagna vers l’Irtisch et se retira dans la steppe des Kirghizes, où, en 619 de notre ère, étant tombé sous la sujétion des Turcs, il s’allia à ses vainqueurs et disparut (2)[200].

Pour l’autre branche des Ou-soun, elle fut absorbée par les envahisseurs, et se mêla à eux comme l’eau d’un lac à celle du grand fleuve qui la traverse.

À côté des Ou-soun et des Yue-tchi, quand ils habitaient sur le Hoang-ho, vivaient d’autres peuples blancs. Les Ting-ling occupaient le pays à l’occident du lac Baïkal ; les Khou-te tenaient les plaines à l’ouest des Ou-soun ; les Chou-le s’étendaient vers la contrée plus méridionale où est aujourd’hui Kaschgar ; les Kian-kouan ou Ha-kas montaient vers le Jénisseï où, plus tard, ils se sont fondus avec les Kirghizes. Enfin, les Yan-thsaï, Alains-Sarmates, touchaient à l’extrémité septentrionale de la mer Caspienne (1)[201].

On n’a pas perdu de vue qu’il s’agit ici de l’an 177 ou 200 avant J.-C. On a remarqué aussi que tous ceux des peuples blancs que je viens de nommer, quand ils ont pu se maintenir, ont fondé des sociétés : tels les Szou ou Khétas, les Ou-soun et les Yan-thsaï ou Alains. Je passe à une nouvelle considération qui se déduit de ce qui précède.

Puisque la race noire occupait, dans les temps primordiaux, et avant la descente des nations blanches, la partie australe du monde, ayant pour frontières, en Asie, tout au moins la partie inférieure de la mer Caspienne d’une part, de l’autre les montagnes du Kouen-loun, vers le 36° degré de latitude nord, et les îles du Japon sous le 4° à peu près ; que la race jaune, à la même époque, antérieurement à toute apparition des peuples blancs dans le sud, se trouvait avancée au moins jusqu’au Kouen-loun, et, dans la Chine méridionale, jusqu’au rivage de la mer Glaciale, tandis que, dans les pays de l’Europe, elle allait jusqu’en Italie et en Espagne, ce qui suppose l’occupation préalable du nord (2)[202] ; puisque, enfin, la race blanche, en apparaissant sur les crêtes de l’Imaüs et se laissant voir sur les limites du Touran, envahissait des terres qui lui étaient toutes nouvelles ; pour toutes ces raisons, il est bien évident, bien incontestable, bien positif que les premiers domaines de cette race blanche doivent être cherchés sur les plateaux du centre de l’Asie, vérité déjà admise, mais de plus, qu’on peut les délimiter d’une manière exacte. Au sud, ces territoires ont leur frontière depuis le lac Aral jusqu’au cours supérieur du Hoang-ho, jusqu’au Khou-khou-noor. À l’ouest, la limite court de la mer Caspienne aux monts Ourals. À l’est, elle remonte brusquement en dehors du Kouen-loun vers l’Altaï. La délimitation au nord semble plus difficile ; cependant nous allons, tout à l’heure, la chercher et la trouver.

La race blanche était très nombreuse, le fait n’est pas contestable (1)[203]. J’en ai donné ailleurs les preuves principales. Elle était, de plus, sédentaire et, de plus, malgré les émissions considérables de peuples qu’elle avait faites au dehors de ses frontières, plusieurs de ses nations restèrent encore dans le nord-ouest de la Chine, longtemps après que la race jaune eut réussi à rompre la résistance du tronc principal, à le briser, à le disperser et à s’avancer à sa place dans l’Asie australe. Or, la position qu’occupent, au IIe siècle avant notre ère, les Yue-tchi et les Ou-soun, sur la rive gauche du Hoang-ho, en tirant vers le Gobi supérieur, c’est-à-dire sur la route directe des invasions jaunes, vers le centre de la Chine, a de quoi surprendre, et l’on pourrait la considérer comme forcée, comme étant le résultat violent de certains chocs qui auraient repoussé les deux rameaux blancs d’un territoire plus ancien et plus naturellement placé, si la position relative des six autres nations que j’ai aussi nommées, n’indiquait pas que tous ces membres de la grande famille dispersée se trouvaient réellement chez eux et formaient le jalonnement des anciennes possessions de leur race, au temps de la réunion. Ainsi, il y avait eu extension primitive des peuples blancs au delà du lac Khou-khou-noor vers l’est, tandis qu’au nord ces mêmes peuples touchaient encore, à une époque assez basse, au lac Baïkal et au cours supérieur du Jénisseï. Maintenant que toutes les limites sont précisées, il y a lieu de chercher si le sol qu’elles embrassent ne renferme plus aucun débris matériel, aucune trace, qui puissent se rapporter à nos premiers parents. Je sais bien que je demande ici des antiquités presque hyperboliques. Cependant la tâche n’est pas chimérique en présence des découvertes curieuses et entourées de tant de mystères qui eurent l’honneur, au dernier siècle, d’attirer l’attention de l’empereur Pierre le Grand, et de donner, en sa personne, une preuve de plus de cette espèce de divination qui appartient au génie.

Les Cosaques, conquérants de la Sibérie à la fin du XVIe siècle, avaient trouvé des traînées de tumulus soit de terre, soit de pierres, qui, au milieu de steppes complètement désertes, accompagnaient le cours des rivières. Dans l’Oural moyen, on en rencontrait aussi. Le plus grand nombre était de grandeur médiocre. Quelques-uns, magnifiquement construits en blocs de serpentin et de jaspe, affectaient la forme pyramidale et mesuraient jusqu’à cinq cents pieds de tour à la base (1)[204].

Dans le voisinage de ces sépultures, on remarquait, en outre, des restes étendus de circonvallations, des remparts massifs, et, ce qui est encore aujourd’hui d’une grande utilité pour les Russes, d’innombrables travaux de mines sur tous les points riches en or, en argent et en cuivre (2)[205].

Les Cosaques et les administrateurs impériaux du XVIIe siècle auraient fait peu d’attention à ces restes d’antiquités inconnues, sauf, peut-être, les ouvertures de mines, si une circonstance intéressante ne les avait captivés. Les Kirghizes étaient dans l’habitude d’ouvrir ces tombeaux, beaucoup d’entre eux en faisaient même un métier, et ce n’était pas sans raison. Ils en extrayaient, en grande quantité, des ornements ou des instruments d’or, d’argent et de cuivre. Il ne paraît pas que le fer s’y soit jamais montré. Dans les monuments construits pour le commun peuple, la trouvaille était de médiocre valeur ; aussi les chasseurs kirghizes ont-ils laissé subsister, jusqu’à nos jours, un grand nombre de ces constructions. Mais les plus belles, celles qui annonçaient, chez le mort, du rang ou de la richesse, ont été bouleversées sans pitié, non sans profit, car dans leur sein l’or a été recueilli avec profusion.

Les Cosaques prirent bientôt leur part de ces opérations destructives ; mais Pierre le Grand, l’ayant appris, défendit de fondre ni de détruire les objets déterrés dans les excavations, et ordonna de les lui envoyer à Saint-Pétersbourg. C’est ainsi que fut formé, dans cette capitale, le curieux musée des antiquités tchoudes, précieux par la matière et plus encore par la valeur historique. On appela ces monuments tchoudes ou daours, honneur peu mérité qu’on faisait aux Finnois, faute de connaître les véritables auteurs.

Les découvertes ne devaient pas se borner là. Bientôt on s’aperçut qu’on n’avait pas vu tout. À mesure qu’on avançait vers l’est, on trouvait des tombeaux par milliers, des fortifications, des mines. Dans l’Altaï, on remarqua même des restes de cités, et, de proche en proche, on put se convaincre que ces mystérieuses traces de la présence de l’homme civilisé embrassaient une zone immense, puisqu’elles s’étendaient depuis l’Oural moyen jusqu’au cours supérieur de l’Amour, prenant ainsi toute la largeur de l’Asie et couvrant de marques irrécusables d’une haute civilisation ces terribles plaines sibériennes aujourd’hui désertes, stériles et désolées. Vers le sud, on ne connaît pas la limite des monuments. À Semipalatinsk, sur l’Irtisch, dans le gouvernement de Tomsk, les campagnes sont hérissées de puissantes accumulations de terre et de pierres. Sur le Tarbagataï et la Chaïnda, des débris de cités nombreuses laissent contempler encore des ruines colossales (1)[206].

Voilà les faits. À leur suite se présente cette question : à quels peuples nombreux et civilisés ont appartenu ces fortifications, ces villes, ces tombeaux, ces instruments d’or et d’argent ?

Pour obtenir une réponse, il faut ici procéder d’abord par exclusion. On ne saurait penser à attribuer toutes ces merveilles aux grands empires jaunes de la haute Asie. Eux aussi ont laissé des marques de leur existence. On les connaît, ces marques, et ce ne sont pas celles-là. Elles ont une tout autre apparence, une autre disposition. Il n’y a pas moyen de les confondre avec celles dont il est question ici. De même pour les restes de la grandeur passagère de certaines peuplades, comme les Kirghizes. Les couvents bouddhiques d’Ablaï-kitka ont leur caractère, qui ne saurait être confondu avec celui des constructions tchoudes (1)[207].

Les temps modernes ainsi mis hors de cause, cherchons dans les temps anciens à quelle nation nous pouvons nous adresser. M. Ritter insinue que les habitants de ce mystérieux et vaste empire septentrional pourraient bien avoir été les Arimaspes d’Hérodote.

Je me permettrai de résister à l’opinion du grand érudit allemand, qui ne fait d’ailleurs qu’offrir cette solution sans paraître lui-même convaincu de sa valeur. Pour s’y tenir, il faudrait, ce me semble, forcer le texte du père de l’Histoire. Que dit-il ? Il raconte qu’au-dessus des Hindous demeurent les Arimaspes, et il décrit les Arimaspes ; mais au-dessus des Arimaspes résident les Gryphons, plus loin encore les Hyperboréens. Tous ces peuples sont les mêmes nations à demi fantastiques dont les poètes de l’Inde peuplent l’Uttara-Kourou (2)[208]. Je ne vois aucun motif d’attribuer à ces fantômes, qui cachent d’ailleurs des peuples réels et, sans nul doute, de race blanche, ce que l’on doit reporter à de vrais hommes. On serait plus près de la vérité en ne voyant dans les Issédons, les Arimaspes, les Gryphons, les Hyperboréens, que des fragments de l’antique société blanche, des peuples apparentés aux Arians zoroastriens, aux Sarmates (1)[209]. Ce qui appuie cette opinion, c’est que jusqu’ici les géographes avaient placé ces tribus en cercle autour de la Sogdiane et nullement dans le nord sibérien. C’est le vrai sens d’Hérodote, et rien ne porte à y être infidèle. De plus, les récits d’Aristée de Proconnèse, tels qu’Hérodote les rapporte, ont trait à une époque où les nations blanches de l’Asie étaient trop divisées, trop poursuivies pour pouvoir fonder de grandes choses, et laisser des traces d’une civilisation étendue sur de si immenses contrées.

Si ces peuples avaient été aussi puissants que M. Ritter le suppose, les Chinois n’auraient pu éviter de très nombreux rapports avec eux, et les Grecs, qui savaient de si belles choses de ces Chinois, que je ne fais pas difficulté de reconnaître dans les Argippéens chauves, sages et essentiellement pacifiques (1)[210], auraient donné également des détails plus minutieux et plus exacts sur des faits aussi frappants que ceux dont les monuments tchoudes proclament l’existence. Il ne me paraît donc nullement possible qu’au VIe siècle avant J.-C. tout le centre de l’Asie ait été la possession d’un grand peuple cultivé, s’étendant du Iénisséi à l’Amour, dont ni les Chinois, ni les Grecs, ni les Perses, ni les Hindous n’auraient jamais eu ni vent ni nouvelles, tous persuadés, au contraire, à l’exception des premiers, qui ont le privilège de ne rêver à rien, qu’il fallait peupler ces régions inconnues de créatures à moitié mythologiques.

Si l’on ne peut pas accorder de telles œuvres au temps d’Hérodote, comme il n’est pas possible non plus de les reporter, après lui, à l’époque d’Alexandre, par exemple, où ce prince, s’étant avancé jusqu’à l’extrémité de la Sogdiane, n’aurait rien appris des merveilles du nord, ce qui est inadmissible, il faut, de toute nécessité, se plonger intrépidement dans ce que l’antiquité a de plus reculé, de plus noir, de plus ténébreux, et ne pas hésiter à voir dans les contrées sibériennes le séjour primitif de l’espèce blanche, alors que les nations diverses de cette race, réunies et civilisées, occupaient des demeures voisines les unes des autres, alors qu’elles n’avaient pas encore de motifs de quitter leur patrie, et de s’éparpiller pour aller en chercher une autre au loin.

Tout ce qu’on a exhumé des tombeaux et des ruines tchoudes ou daouriennes confirme ce sentiment. Les squelettes sont toujours ou presque toujours accompagnés de têtes de chevaux. On observe à côté d’eux une selle, une bride, des étriers, des monnaies marquées d’une rose, des miroirs de cuivre, rencontre si commune parmi les reliques chinoises et étrusques, si fréquente encore sous les yourtes tongouses où ces instruments servent aux opérations magiques. Ils se trouvent abondamment dans les plus pauvres tombeaux daouriens (2)[211]. Chose plus remarquable : au siècle dernier, Pallas aperçut sur un monument en forme d’obélisque et sur des pierres tumulaires des inscriptions étendues. Un vase retiré d’un sépulcre en portait une également, et W. G. Grimm n’hésite pas à signaler entre les caractères de ces inscriptions et les runes germaniques, non pas une identité complète, mais une ressemblance imméconnaissable (1)[212]. J’arrive au trait frappant, concluant, selon moi : au nombre des ornements les plus fréquents, comme les cornes de bélier, de cerf, d’élan, d’argali, en métal, or ou cuivre, le sujet le plus ordinaire, le plus répété, c’est le sphinx. Il se trouve au manche des miroirs et même taillé en relief sur des pierres (2)[213].

Il sied bien aux énigmatiques habitants de la Sibérie antique de s’être rendu justice devant la postérité, en lui léguant, comme leur plus parfait emblème, le symbole de l’impénétrable. Mais, trop prodigué, le sphinx finit par se révéler lui-même. Comme nous le trouvons chez les Perses sculpté aux murailles de Persépolis, comme nous le rencontrons en Égypte s’étendant silencieux en face du désert, et que sur les croupes du Cithéron des Grecs il erre encore tandis qu’Hérodote, ce soigneux observateur, le voit chez les Arimaspes, il devient possible de poser la main sur l’épaule de cette créature taciturne, et de lui dire, sinon qui elle est, du moins le nom de son maître. Elle appartient évidemment en commun à la race blanche. Elle fait partie de son patrimoine, et bien que le secret de ce qu’elle signifie n’ait pas encore été pénétré, on est autorisé à déclarer que, là où on l’aperçoit, là furent aussi des peuples arians.

Ces steppes du nord de l’Asie, aujourd’hui si tristes, si désertes, si dépeuplées, mais non pas stériles, comme on le croit généralement (1)[214], sont donc le pays dont parlent les Iraniens, l’Airyanemvaëgo, berceau de leurs aïeux. Ils racontaient eux-mêmes qu’il avait été frappé d’hiver par Ahriman, et qu’il n’avait pas deux mois d’été. C’est l’Uttara-Kourou de la tradition brahmanique, région située, suivant elle, à l’extrême nord, où régnait la liberté la plus absolue pour les hommes et pour les femmes ; liberté réglée cependant par la sagesse, car là habitaient les Rischis, les saints de l’ancien temps (2)[215]. C’est l’Hermionia des Hellènes, patrie des Hyperboréens, des gens de l’extrême nord, macrobiens, dont la vie était longue, la vertu profonde, la science infinie, l’existence heureuse. Enfin, c’était cette contrée de l’est dont les Suèves germaniques ne parlaient qu’avec un respect sans bornes, parce que, disaient-ils, elle était possédée par leurs glorieux ancêtres, les plus illustres des hommes, les Semnons (3)[216].

Ainsi, voilà quatre peuples arians qui, depuis la séparation de l’espèce, n’ont jamais communiqué ensemble, et qui s’accordent à placer dans le fond du nord, à l’est de l’Europe, le premier séjour de leurs familles. Si un pareil témoignage était repoussé, je ne sais plus sur quelle base solide pourrait compter l’histoire.

La terre de Sibérie garde donc dans ses solitudes les vénérables monuments d’une époque bien autrement ancienne que celle de Sémiramis, bien autrement majestueuse que celle de Nemrod. Ce n’est ni l’argile, ni la pierre taillée, ni le métal fondu que j’en admire. Je réfléchis que, dans une antiquité aussi haute, la civilisation que je constate touche de près aux âges géologiques, à cette époque encore troublée par les révoltes d’une nature mal soumise qui a vu la mise à sec de la grande mer intérieure dont le désert de Gobi faisait le fond. C’est vers le soixantième siècle avant J.-C. que les Chamites et les Hindous apparaissent au seuil du monde méridional. Il ne reste donc plus pour atteindre la limite que la religion et les sciences naturelles semblent imposer à l’âge du monde qu’un ou deux milliers d’années environ, et c’est pendant cette période que se développa avec une vigueur dont les preuves sont nombreuses et patentes un perfectionnement social qui ne laisse pas le moindre espace de durée à une barbarie primitive. Ce que j’ai répété plusieurs fois déjà sur la sociabilité et la dignité innées de l’espèce blanche, je crois que je viens de l’établir définitivement ici, et, en écartant, en repoussant dans un néant inexorable l’homme sauvage, le premier homme des philosophes matérialistes, celui dont le spectre constamment évoqué sert à combattre ce que les institutions sociales ont de plus respectable et de plus nécessaire, en chassant définitivement dans les kraals des Hottentots et jusqu’au fond des cabanes tongouses, et par delà encore, dans les cavernes des Pélagiens, cette misérable créature humaine qui n’est pas des nôtres, et qui se dit fille des singes, oublieuse d’une origine meilleure bien que défigurée, je ne fais autre chose que d’accepter ce que les découvertes de la science apportent de confirmation aux antiques paroles de la Genèse.

Le livre saint n’admet pas de sauvages à l’aurore du monde. Son premier homme agit et parle, non pas en vertu de caprices aveugles, non pas au gré de passions purement brutales, mais conformément à la règle préétablie, appelée par les théologiens loi naturelle, et qui n’a d’autre source possible que la révélation, asseyant ainsi la morale sur un sol plus solide et plus immuable que ce droit ridicule de chasse et de pêche proposé par les docteurs du socialisme. J’ouvre la Genèse, et, au second chapitre, si les deux ancêtres sont nus, c’est qu’ils sont dans l’état d’innocence : « c’est », dit le livre saint, « qu’ils ne le prennent point à honte. » Aussitôt que l’état paradisiaque cesse, je ne vois pas les auteurs de l’espèce blanche se mettre à vaguer dans les déserts. Ils reconnaissent immédiatement la nécessité du travail, et ils la pratiquent. Immédiatement ils sont civilisés, puisque la vie agricole et les habitudes pastorales leur sont révélées. La pensée biblique est si ferme sur ce point, que le fondateur de la première ville est Caïn, le fils du premier homme, et cette ville porte le nom d’Hénoch, le petit-fils d’Adam (1)[217].

Inutile de débattre ici la question de savoir si le récit sacré doit être entendu dans un sens littéral ou de toute autre façon : ce n’est pas de mon sujet. Je me borne à constater que, dans la tradition religieuse, qui est en même temps le récit le plus complet des âges primitifs de l’humanité, la civilisation naît, pour ainsi dire, avec la race, et cette donnée est pleinement confirmée par tous les faits qu’on peut grouper à l’entour.

Encore un mot sur l’espèce jaune. On la voit, dès les âges primordiaux, retenue par la digue épaisse et puissante que lui oppose la civilisation blanche, contrainte, avant d’avoir pu surmonter l’obstacle, de se partager en deux branches et d’inonder l’Europe et l’Asie orientale, en se coulant le long de la mer Glaciale, de la mer du Japon et des plages de la Chine. Mais il n’est pas possible de supposer, à voir quelles masses effrayantes se pressaient, au second siècle avant J.-C., dans le nord de la Mongolie actuelle, que ces multitudes aient pris naissance et continuassent à se former uniquement dans les misérables territoires des Tongouses, des Ostiaks, des Yakouts, et dans la presqu’île du Kamtschatka.

Tout indique, en conséquence, que le siège originaire de cette race se trouve sur le continent américain. J’en déduis les faits suivants :

Les peuples blancs, isolés d’abord, à la suite des catastrophes cosmiques, de leurs congénères des deux autres espèces, et ne connaissant ni les hordes jaunes ni les tribus noires, n’eurent pas lieu de supposer qu’il existât d’autres hommes qu’eux. Cette manière de juger, loin d’être ébranlée par le premier aspect des Finnois et des nègres, s’en confirma au contraire. Les blancs ne purent s’imaginer voir des êtres égaux à eux dans ces créatures qui, par une hostilité méchante, une laideur hideuse, une inintelligence brutale et le titre de fils de singes qu’elles revendiquaient, semblaient se repousser d’elles-mêmes au rang des animaux. Plus tard, quand vinrent les conflits, la race d’élite flétrit les deux groupes inférieurs, surtout les peuplades noires, de ce nom de barbares, qui resta comme le témoignage éternel d’un juste mépris.

Mais à côté de cette vérité se trouve encore celle-ci, que la race jaune, assaillante et victorieuse, tombant précisément au milieu des nations blanches, devint semblable à un fleuve qui traverse et détruit des gisements aurifères : il charge son limon de paillettes, et s’enrichit lui-même. Voilà pourquoi la race jaune apparaît si souvent, dans l’histoire, à demi civilisée et relativement civilisable, importante au moins comme instrument de destruction, tandis que l’espèce noire, plus isolée de tout contact avec la famille illustre, reste plongée dans une inertie profonde.


  1. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 853 ; voir la note 1 p. 229 de ce volume. L’Himalaya contient de nombreux débris de populations noires ou mulâtres qui sont certainement aborigènes.
  2. (1) D’après Ritter, les peuples sanscrits ont repoussé jusqu’à Lanka (Ceylan) les nègres et les métis jaunes et noirs (Malais), qui s’étendaient primitivement dans le nord. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 435.)
  3. (2) Si l’on voulait absolument appliquer aux groupes de langues des noms de nations, il serait plus raisonnable pourtant de qualifier le rameau arian d’hindou-celtique. On aurait du moins ainsi la désignation des deux extrêmes géographiques, et on indiquerait les deux faces les plus différentes du système ; mais, pour mille causes, cette dénomination serait encore détestable.
  4. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 6 ; Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 461, note.
  5. (2) Le Manava-Dharma-Sastra, traduction de Haughton, partage le territoire national, en dehors duquel un çoudra, pressé par la faim, a seul le droit d’habiter, en plusieurs catégories. Voici sa classification (t. II, chap. II, § 17) : « Between the two divine rivers Saraswati and Drishadwati, lies the tract of land, which the sages have named Brahmaverta, because it was frequented by Gods. » (C’est le territoire primitivement habité par les Arians purs de tout mélange noir ou jaune.) Viennent maintenant les §§ 21 et 22, qui s’expriment ainsi : « That country which lies between Himawat and Vindhya, to the east of Vinasana and to the west of Prayaga, is celebrated by the title of Medhyadesa, or the central region. » §22 : « As far as the eastern, and as far as the western Oceans between the two mountains just mentioned, lies the tract which the wise have named Aryaverta, or inhabited by respectable men. »
  6. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 6.
  7. (2) Ibid., 526. On trouve, aux époques historiques, un grand nombre de noms de peuples arians dans ce pays, que les Orientaux appellent le Touran, et que, jusqu’ici, on a faussement considéré comme habité par des hordes jaunes exclusivement. Ainsi, on y voit, avec Pline, les Ariacæ, les Antariani, les Aramæi, qui rappellent si fort le mot zend aïryaman. (Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. CV-CVI, notes et éclaircissements). Burnouf remarque aussi que des dénominations de lieux évidemment arianes sont celles où l’on trouve les mots : Açp, cheval, arvat ou aurvat, eau, pati, maître. Ptolémée en cite dans la Scythie et même dans la Sérique, Açpabota, Açpacara, Açparatah.
  8. La même racine se trouve dans le pa-zend hir ou ir, qui signifie maître, dans le latin herus et dans l’allemand Herr. (Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 460.)
  9. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 516. — J’ajouterai à l’avis de M. Lassen celui d’un grand partisan de l’unité physique et morale de l’espèce humaine. Voici l’aveu qui échappe à M. Prichard : « Diese Eindringlinge (die indo-Europæer) scheinen ihnen (den Allophylen) überall an geistigen Gaben überlegen gewesen zu seyn. Einige indo-europæische Nationen haben wirklich viele charakteristische Kennzeichen von Barbarei und Wildheit zurückbehalten oder bekommen ; aber mit diesen verbanden sie alle, unzweifelhafte Zeichen von frühzeitiger intellectueller Entwickelung, besonders eine hœhere Kultur der Sprache. » (Prichard, Naturgeschichte des menschlichen Geschlechts, t. III, 1re partie, p. 11.)
  10. (2) Lassen, p. 404.
  11. (3) Lassen, p. 404 et 854.
  12. (4) C’est ainsi que M. Lassen remarque fort bien que le climat ne saurait être rendu responsable du degré de coloration des populations hindoues, attendu que les Malabares sont plus bruns que les Kandys de Ceylan, et les gens du Guzarate que ceux du Karnatik (t. I, p. 407).
  13. (1)Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 237, 314.
  14. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 854.
  15. (2) Ces villages étaient appelés pour chez les Hindous, πόλις chez les Grecs.
  16. (3) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 807.
  17. (4) On suit très bien, dans les langues arianes, les deux parties de ce mot composé : viç, qui signifie maison, devient, par extension, une collection de maisons, et se retrouve dans le vicus latin et son dérivé ci-vis, l’habitant du vicus. Pati, le chef, en sanscrit, c’est dans l’arménien bod, dans le slave pod, dans le letton patin, dans le polonais pan, dans le gothique faths. (Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 461 ; Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 283.)
  18. (1) Le Manava-Dharma-Sastra (traduction de Haughton ; Londres, 1825, in-4o, t. II) est beaucoup plus dévoué à l’idée de la monarchie absolue que les grands poèmes ; cependant il n’a pas encore, sur ce sujet, les notions des Asiatiques modernes. Après avoir dit magnifiquement (chap. VII, t. VIII, 1) : « A King, even though a child, must not be treated lightly, from an idea that he is a mere mortal : no ; he is a powerful divinity, who appears in a human shape, » verset qui, par parenthèse, pourrait bien avoir été dicté par un esprit d’opposition à des doctrines différentes et antérieures, le législateur ajoute (p. 37) : « Let the king, having risen at early dawn, respectfully attend to brahmens, learned in the three Vedas, and in the sciences of ethicks ; and by their decision let him abide ; » et § 54 : « The king must appoint seven or eight ministers, who must be sworn by touching a sacred image and the like ; men whose ancestors were servants of kings ; who are versed in the holy book ; who are personally braves ; who are skilled in the use of weapons et whose lineage is noble. » § 56 : « Let him perpetually consult with those ministers on peace and war, on his forces, on his revenues, on the protection of his people, and on the means of bestowing aptly the wealth which he has acquired. » § 57 : « Having ascertained the several opinions of his counsellors, first apart and then collectively, let him do what is most beneficial for him in public affairs. » § 58 : « To one learned Brahmen, distinguished among them all, let the king impart his momenteous counsel, relating to six principal articles. » § 59 : « To him, with full confidence, let him intrust all transactions ; and, with him, having taken his final resolution, let him begin all his measures. »
  19. (1) Ce serait nier l’affirmation positive des hymnes védiques. (Lassen, Indisch. Alterthüm., t. 1, p. 734.)
  20. (2) Dans le Zend-Avesta, l’homme de guerre se nomme rathâestâo, celui qui est sur le chariot.
  21. (3) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 617.
  22. 4) Lassen, ibid., p. 816. — Bien que pasteurs par excellence, ils n’étaient pas absolument étrangers non plus aux travaux de l’agriculture, et je serais tenté de croire que, si, dans leur première partie, ils ne s’y adonnèrent pas davantage, c’est que le sol et le climat ne leur permettaient pas d’en tirer des avantages suffisants.
  23. (5) Ibid., p. 734.
  24. Lassen, Indisch. Alterth., t. I.
  25. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 755.
  26. (2) Voici les notions cosmogoniques conservées par une des hymnes du Rigvéda : « Alors il n’y avait ni être ni non-être. Pas d’univers, pas d’atmosphère, ni rien au-dessus ; rien, nulle part, pour le bien de qui que ce fût, enveloppant ou enveloppé. La mort n’était pas, ni non plus l’immortalité, ni la distinction du jour et de la nuit. Mais CELA palpitait sans respirer, seul avec le rapport à lui-même contenu en lui. Il n’y avait rien de plus. Tout était voilé d’obscurité et plongé dans l’eau indiscernable. Mais cette masse ainsi voilée fut manifestée par la force de la contemplation. Le désir (kama, l’amour) naquit d’abord dans son essence, et ce fut la semence originelle, créatrice, que les sages, qui la reconnaissaient dans leur propre cœur, par la méditation, distinguent, au sein du néant, comme étant le lien de l’Existence. » — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 774. C’est plus profond et plus vigoureusement analysé que le langage d’Hésiode et que les chants celtiques ; mais ce n’est pas différent.
  27. (1) Un dieu antérieur à Indra paraît avoir été Vourounas, ou Vouranas ; il est devenu, depuis, chez les Hindous primitifs, Varouna, et chez les plus anciens Grecs, Ouranos ; « c’est physiquement le ciel qui couvre la terre. » — Eckstein, Recherches historiques sur l’humanité primitive, p. 1-2.
  28. (2) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 771.
  29. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 755. — Un autre étymologiste fait dériver le mot dou de dhâ, poser, créer. (Windischmann, Jenaïsche Litteratur-Zeitung, juillet 1834, cité par Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 357.)
  30. (4) Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 58.
  31. (1) Ewald, Gesch. des Volkes Israël, t. I, p. 69. En Abyssinie, on ne se sert pas de cette expression. On dit egzie et amlak, qui signifient simplement seigneur, et qui ont probablement fait disparaître le mot primitif par suite d’une idée analogue à celle qui fait substituer aux Juifs le mot d’Adonaï à celui de Jéhovah, lorsqu’ils le rencontrent dans la lecture de la Bible. — Ewald, Ueber die Saho-Sprache, dans la Zeitschrift der d. morgenl. Gesellsch., t. V, p. 419.
  32. (2) Un autre nom, donné par la race ariane à la Divinité, est le mot Gott, en gothique Gouth, qui se rapporte au grec Κεύθω, et au sanscrit Goûddhah. Ce mot veut dire le Caché. — V. Windischmann, Fortschritt der Sprachen-Kunde, p. 20, et Eckstein, Recherches historiques sur l’humanité primitive. — Burnouf incline à voir la racine de ce mot dans le sanscrit quaddhâta, l’Incréé. (Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 554.
  33. (1) Lassen, Zeitschrift der Deutsch. Morgenl. Gesellschaft, t. II, p. 200.
  34. (2) C’est ici que commence véritablement l’existence des peuples hindous. La philologie va les chercher avec raison dans leur berceau ethnique, au delà des montagnes du nord ; mais leurs annales, mal instruites, les déclarent autochtones. Il est à croire que, dans les temps védiques, le brahmanisme n’avait pas encore imité les Chananéens, les Grecs et les peuplades d’Italie, en admettant comme sienne la tradition de la race inférieure qu’il avait subjuguée. — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 511.
  35. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 795.
  36. (1) Lassen, loc. cit. Il est ici question de l’époque où furent composés les hymnes les plus anciens des Védas.
  37. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 812.
  38. (2) Die graue Vorzeit.
  39. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 812. La consécration royale, dont il est si fort question dans le Ramayana, a encore été pratiquée dans les temps modernes. W. v. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 430.
  40. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 514. En kawi, varna a gardé son sens primitif et n’a pas acquis le sens dérivé. — Voir W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 83.
  41. (2) Lassen, ouvr. cité, p. 804.
  42. (3) Lassen, Indisch. Alterthüm., t. I, p. 804 et pass. — Burnouf, Introduction à l’hist. du bouddhisme indien, t. I, p. 141. Le trait essentiel des brahmanes est de pouvoir lire les mantrâs. — Lassen, ouvr. cité, p. 806. L’aumône, jadis facultative, est aujourd’hui obligatoire à l’égard des brahmanes. Le bien qui est fait à un homme de caste ordinaire acquiert un mérite simple ; à un membre de la caste sacerdotale, un mérite double ; à un étudiant des Védas, le mérite se multiplie par cent mille, et si c’est d’un ascète qu’il s’agit, alors il devient incommensurable.
  43. (1) Rien d’admirable comme les prescriptions que le Manava-Dharma-Sastra (traduction de Haughton, Londres, 1825, in-4o, t. II) adresse à la caste militaire et compile probablement de règlements plus anciens. Je ne puis résister au plaisir de traduire cette page, animée du plus pur esprit chevaleresque. Chap. XII, § 88 : « Ne jamais quitter le combat, protéger le peuple et honorer les prêtres, tel est le suprême devoir des rois, celui qui assure leur félicité. » § 89 : « Ces maîtres du monde, qui, ardents à s’entre-défaire, déploient leur vigueur dans la bataille sans jamais tourner le visage, montent, après leur mort, directement au ciel. » § 90 : « Que nul homme, en combattant, ne frappe son ennemi avec des armes pointues emmanchées de bois, ni avec des flèches méchamment barbelées, ni avec des traits empoisonnés, ni avec des dards de feu. » § 91 : « Que, monté sur un char ou chevauchant un coursier, il n’attaque pas un ennemi à pied, ni un homme efféminé, ni celui qui demande la vie à mains jointes, ni celui dont la chevelure dénouée couvre la vue, ni celui qui, épuisé de fatigue, s’est assis sur la terre, ni celui qui dit : je suis ton captif. » § 92 : « Ni celui qui dort, ni celui qui a perdu sa cotte de mailles, ni celui qui est nu ; ni celui qui est désarmé, ni celui qui est spectateur et non acteur dans le combat, ni celui qui est aux prises avec un autre. » § 93 : « Ayant toujours présent à l’esprit le devoir des Arians, des hommes honorables, qu’il ne tue jamais quelqu’un qui a rompu son arme, ni celui qui pleure pour un chagrin particulier, ni celui qui a été blessé grièvement, ni celui qui a peur, ni celui qui tourne le dos. » § 98 : « Telle est la loi antique et irréprochable des guerriers. De cette loi, nul roi ne doit jamais se départir, quand il attaque ses ennemis dans la bataille. »
  44. (1) Manava-Dharma-Sastra, chap. VII, § 123 : « Since the servants of the king, whom he has appointed guardians of districts, are generally knaves, who seize what belongs to other men, from such knaves let him defend his people. » Cet article fut inspiré, selon toute vraisemblance, par la féodalité des kschattryas.
  45. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 805.
  46. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 818.
  47. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 817.
  48. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 1 : « Let the three twiceborn classes, remaining firm in their several duties, carefully read the Veda; but a brahman must explain it to them, not a man of the other two classes : this is an established rule. » – Chap. X, § 79 : « The means of subsistence peculiar to... the vaisya (are), merchandize, attending on cattle and agriculture ; but, with a view to the next life ; the duties... are almsgiving, reading, sacrificing. »
  49. (3) L’importance de cette caste et l’influence extralégale qu’elle était capable d’exercer n’échappèrent pas du tout aux législateurs de l’Inde. Je lis dans le Manava-Dharma-Sastra, ch. VIII, § 418 : « With vigilant care should the king exert himself in compelling merchant and mechanicks to perform their respective duties ; for, when such men swerve from their duty, they throw this world in confusion. »
  50. (1) Lassen, Indisch., Alterth., t. I, p. 817 et pass.
  51. (1) Burnouf, Introduct. à l’histoire du bouddh. indien, t. I, p. 155. — Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 5 : « In all classes they, and they only, who are born, in a direct order, of wives equal in classes and virgins at the time of marriage, are to be considered as the same in class with their father. »
  52. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. II, § 26: « With auspicious acts prescribed by the veda, must ceremonies over conception and so forth, be duty performed, which purify the bodies of the three classes in this life, and qualify them for the next. » Ainsi ce n’était pas seulement pour le bonheur de cette vie qu’il était nécessaire de se pourvoir de la consécration de sa caste, c’était encore pour assurer le sort ultérieur dans l’autre. Puis les cérémonies commençaient dès le moment présumé de la conception. C’était, à proprement parler, celles qui constituaient l’Hindou, indépendamment de l’idée de caste. Cette seconde condition était remplie d’une manière plus complète quelques années après. Chap. II, p. 37 : « Should a brahman, or his father for him, be desirous of his advancement in sacred knowledge ; a cshatriya, of extending his power ; or a vaisya of engaging in mercantile business ; the investiture may be made in the fifth, sixth or eighth year respectively. »
  53. (3) Manava-Dharma-Sastra, ch. II, § 38 : « The ceremony of the investiture hallowed by the gayatri must not be delayed, in the case of a priest, beyond the sixteenth year, not in that of a soldier, beyond the twenty second ; nor in that of a merchant, beyond the twenty fourth. » § 39 : « After that, all youths of these three classes, who have not been invested at the proper time, become vratyas, or outcasts, degraded from the gayatri, and contemned by the virtuous. »
  54. (4) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 821. Vrâta signifie une horde vivant de pillage et formée de gens de toute origine.
  55. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 507 et pass.
  56. (2) Si l’on admet un jour, couramment, les dates extraordinaires de l’histoire égyptienne, il faudra bien s’accommoder de calculs plus lointains encore pour les faits brahmaniques.
  57. (1) Il y a dans le Zend-Avesta des restes de croyances brahmaniques qui ne se retrouvent pas dans la croyance actuelle des Parsis. Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 342.
  58. (2) Le nom d’Indra est également donné par les Zoroastriens à un mauvais génie. — Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 516.
  59. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 525.
  60. (1) Lassen, ouvr. cité, t. 1, 626 et pass.
  61. (2) Ibid., p. 652.
  62. (3) Ibid., p. 664.
  63. (4) Ibid., p. 822.
  64. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 713.
  65. (2) Ibid., p. 689. — Les Pandavas paraissent avoir dû surtout leur victoire à des renforts venus des régions septentrionales, tels que les Kulindas, établis à l’est vers les sources du Gange. Le Mahabharata les considère comme une race pure, mais très en dehors de la culture hindoue.
  66. (1) Les populations du Kachemyr et du Pendjab ont eu des contacts de toute espèce avec les peuples jaunes, tout aussi bien qu’avec les tribus noires ou mulâtres. Dans les temps plus modernes, elles ont été envahies par les Grecs Bactriens et les Saces, puis par les Arabes, les Afghans, les Baloukis. F. Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 208 : Indisch. Alterth., t. I, p. 404. Il résulte d’un tel état de choses que le pays hindou qui vit le premier dominer les tribus arianes est aujourd’hui un de ceux où ces dernières ont subi le plus de mélanges. Dans les temps épiques, les Dârâdas du Pendjab étaient déjà comptés parmi les peuples réprouvés. — Lassen, loc. cit., p. 544.
  67. (2) C’est ainsi que la fameuse classification que faisaient les écrivains grecs des nations hindoues en trois classes : les pêcheurs, les agriculteurs et les montagnards, ne peut, de toute évidence, s’appliquer qu’à des groupes fort peu arianisés et habitant les confins occidentaux.
  68. (1) « Quant aux Pandits (Cachemyriens), tous bramines de caste, ils sont d’une ignorance grossière, et il n’y a pas un de nos serviteurs hindous qui ne se regarde comme de meilleure caste qu’eux. Ils mangent de tout, excepté du bœuf, et boivent de l’arak ; il n’y a dans l’Inde que les gens des castes infâmes qui le fassent. » (Correspondance de V. Jacquemont. — Lettre du 22 avril 1831.)
  69. (2) Les populations attaquées par Alexandre étaient à demi arianes, mais considérées comme vratyas par les vrais Hindous. Tels étaient les Mali (Malavas) et les sujets de Porus (Pourou). Les Malavas étaient comptés au nombre des Bahlikas, avec les Ksudrakas (Oxydraques). Leurs brahmanes étaient considérés comme peu réguliers, et le Manava-Dharma-Sastra les accuse de négliger l’enseignement religieux. — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 197 ; A. W. V. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 169 et pass. — Si les Grecs ne connaissaient les Hindous que par approximation, ceux-ci n’étaient pas moins ignorants à leur égard. Dans les temps les plus anciens, les hommes d’au delà du Sindh avaient appelé les populations de l’ouest, Chamites et Sémites, avec lesquelles ils avaient des relations commerciales, Javana, mot très difficile à expliquer, car s’il paraît désigner généralement des nations occidentales, il s’applique aussi à des tribus du nord, voire même du sud. Jawa signifie courir, faire invasion. (W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 65 et pass. ; Burnouf, Nouveau journal asiatique, t. X, p. 238.) Plus tard, Javana désigna particulièrement les Arabes. La Bible, s’emparant de cette expression, l’applique aux habitants sémites de Chypre et de Rhodes, et même aux Turdétains d’Espagne, et les nomme Javanim. (Movers, das Phœnizische Alterthum., t. II, 1re partie, p. 270.) Enfin on trouve, dans une inscription de Darius, Jouna devenu la dénomination des Grecs insulaires, et, comme l’usage de ce mot chez les Hellènes est postérieur à Homère, il est à croire que les colons de la côte l’ont reçu des Perses, et, après l’avoir adopté pour eux-mêmes, l’ont transmis aux populations continentales. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 730.) Ce n’est que très tard que les Hindous ont sciemment reconnu les Grecs dans les Javanas et l’époque n’en est pas antérieure au Ve siècle avant notre ère. Le Mahabharata, dans ses derniers livres, dénomme ainsi les Macédoniens-Bactriens, et les vante comme faisant partie d’un peuple brave et savant. (Lassen, ibid., p. 862, et Zeitschrift für d. K. des Morgenl., t. III, p. 215.)
  70. (1) Lassen, Zeitschrift für K. d. Morgenl., t. II, p. 49.
  71. (2) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, 364. – Une tribu qui rappelle encore mieux les fils d’Anak est celle qui habitait jadis au delà de la rive sud de la Yamouna, dans le désert de Dandaka, jusqu’à la Gadaouri. C’étaient des géants féroces, toujours enclins à attaquer les ermitages des ascètes brahmaniques. (Ouvr. cité, p. 524 et passim.)
  72. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 372.
  73. (2) Ibid., p. 377.
  74. (3) Mlekkha veut dire faible. (Benfey, Encycl. Ersch u. Gruber, Indien, p. 7.)
  75. (4) Barbara, varvara indique un homme qui a les cheveux crépus ; papoua a la même signification. (Benfey, loc. cit.) Comme le mot barbare est en usage dans toutes les langues de notre société, il en faut conclure que les premiers peuples non blancs connus des Arians furent des noirs, ce qui est d’accord avec ce qui a été remarqué de l’énorme diffusion de cette race vers le nord. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 855.) Plusieurs nations, non blanches, métisses ou noires portent aujourd’hui ce nom. Ainsi les Barbaras, sur la côte occidentale de l’Indus (Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 215) ; les Barabras, sur le cours supérieur du Nil ; les Berbers d’Afrique, etc. (Meïer, Hebräisches Wurzelwœrterbuch, 1845.)
  76. (1) Les fautes, les crimes produisaient le même effet en sens contraire : « As the son of a Sudra may thus attain the rank of a Brahman, and as the son of a Brahman may sink to a level with Sudras, even so must it be with him who springs from a Chsatriya ; even so with him, who was born of a Vaisya. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 65.)
  77. (2) Les temps les plus anciens offrent des exemples de cette politique tolérante. Ainsi les Angas, les Poundras, les Bangas, les Souhmas et les Kalingas, populations aborigènes du sud-est, s’étant converties, furent d’abord déclarées çoudras en masse. Puis le roi des Angas, Lomâpâda, ayant obtenu la main de la fille du souverain arian d’Ayodhya, ses descendants furent considérés comme fils de brahmanis et de kschattryas. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 559.)
  78. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535. — Il est douteux que la campagne de Rama contre les Raksasas, démons noirs du sud, ait déterminé l’établissement des Arians à Lanka ou Ceylan. Le vainqueur, après avoir détrôné Ravana, donna l’empire à un des frères de ce géant et s’en retourna vers le nord. — Ramayana.
  79. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 578.
  80. (1) D’après les légendes brahmaniques et les poèmes, les ascètes avaient affaire à des anthropophages.(Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535.)
  81. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 62 : « Desertion of life, without reward, for the sake of preserving a priest or a cow, a woman or a child, may cause the beatitude of those base-born tribes. »
  82. (1) « Of two telingas bramines, who came from the vicinity of Hyderabad, one was derived of intermixture with the white race. This man stated that his cast intermarried with the bramins of the Dekkan ; but not with those of Bengal or Guzerat. All the Mahrattas bramins I meet with appeared to be of unmixed white descent ; but one of them said that the telinga bramins were highly respected, while the Pendjaub, Guzerat, Cutche and Cashmere bramins were regarded as impure. » (Pickering, p. 181.)
  83. (2) De même aux termes du Ramayana, une des femmes du roi héroïque Dasaratha appartient à la nation kêkaya. Ce peuple, à la vérité, était arian ; mais habitant au delà de la Sarasvati, hors des limites du territoire sacré, il était considéré comme réfractaire ou vratya.
  84. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 443 et 449.
  85. (1) Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 891.
  86. (1) Bournouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 149.
  87. (2) La Manava-Dharma-Sastra (chap. III) stipule, évidemment, une loi de tolérance que le système rigoureux n’admettait pas (§ 12) : « For the first marriage of the twice born classes, a woman of the same class is recommended ; but for such as are impelled by inclination to marry again, women in the direct order of the classes are to be preferred. » — § 13 : « A Sudra-Woman only must be wife of a Sudra ; she and a Vaicya, of a Vaicya ; they two and a Kshatriya of a Kshatriya ; those two and a Brahmany of a Brahman. » — § 14 : « A woman of the servile class is not mentioned, even in the recital of any ancient story, as the first wife of a Brahman or of a Kshatriya, though in the greatest difficulty to find a suitable match. » — Aujourd’hui, toutes ces atténuations, en effet illogiques, ont été supprimées ; les alliances d’une caste à l’autre sont sévèrement interdites, et le Madana-Ratna-Pradipa dit expressément : « These marriage of twice born men with damsels not of the same class... these parts of ancient law were abrogated by wise legislators. » Malheureusement, la défense est venue quand le mal s’était déjà beaucoup développé. Elle n’est cependant pas inutile.
  88. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 480. — Le soutâ est le véritable prototype de l’écuyer de la chevalerie errante, du Gandolin ou Gwendolin d’Amadis.
  89. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 196.
  90. (1) La loi cherchait cependant à retenir, tout en cédant ; ainsi elle n’est à peu près clémente que pour les unions contractées entre les castes rapprochées l’une de l’autre, et voici ce qu’elle dit, par exemple, du produit d’un guerrier avec une femme de la classe servile : « From a Kshatrya with a wife of the Sudra class, springs a creature, called Ugra, with a nature partly warlike and partly servile, ferocious in his manners, cruel in his acts. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 9.) — Ce passage suffirait seul à prouver l’importance que les brahmanes apportaient à conserver le sang arian en vue des qualité morales qu’ils lui reconnaissaient.
  91. (1) Le comte E. de Warren, l’Inde anglaise en 1843. — Dans les époques antiques, on a vu déjà des hommes qui, sans être de la caste guerrière, pouvaient devenir souverains. Le plus ancien empire établi dans le sud fut celui du Pândja, dont Madhûra était la capitale. Il avait été fondé par un vayçia venu du nord, postérieurement à l’époque des guerres de Rama. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 536.)
  92. (2) C’est à ce dernier trait que les brahmanes prétendent reconnaître surtout les castes impures : « Him, who was born of a sinful mother, and consequently in a low class, but is not openly known, who, though worthless in truth, bears the semblance of a worthy man, let people discover by his acts. — Want of virtuous dignity, harshness of speech, cruelty, and habitual neglect of prescribed duties, betray in this world the son of a criminal mother. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, §§ 57 et 58.)
  93. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 719-720.
  94. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 537.
  95. (1) Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 771. — Du reste, l’esprit brahmanique lutta longtemps avant d’en venir à l’anthropomorphisme, et c’est ainsi que M. de Schlegel paraît avoir eu toute raison de dire que les monuments hindous ne peuvent rivaliser d’antiquité avec ceux de l’Égypte. Il n’est pas autant dans le vrai, quand il ajoute : « Et ceux de la Nubie. » (A. W. v. Schlegel, Vorrede zur Darstellung der ægyptischen Mythologie von Prichard, übersetzt von Haymann. Bonn, 1837), p. XIII.)
  96. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 781.
  97. (1) Au jugement de Lassen, cette divinité est originairement empruntée à quelque culte des aborigènes noirs. Dans le sud, on l’adore sous la forme du Linga, et un brahmane n’accepte jamais d’emploi dans les temples où elle se trouve. (Indische Alterth., t. I, p. 783 et passim.)
  98. (2) Ibid., t. I, p. 784.
  99. (1) W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache.
  100. (2) Les Arians n’ont jamais possédé dans l’Inde un territoire compact. Sur plusieurs points, des populations complètement aborigènes interrompent encore et isolent leurs établissements. Le Dekkhan est presque absolument privé de leurs colonisations. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 391.)
  101. (1) Le vayçia naviguait beaucoup. Une légende bouddhique cite un marchand qui avait fait sept voyages sur mer. (Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 196.) — Les Hindous pouvaient ainsi se mettre en communication avec les Chaldéens, qui avaient eux-mêmes une marine (Isaïe, XLIII, 14) et une colonie à Gerrha sur la côte occidentale du golfe Persique, où se faisait un grand commerce avec l’Inde. Les Phéniciens, avant et après leur départ de Tylos, y prenaient part. — L’Ophir des livres saints était sur la côte de Malabar (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 539), et, comme les noms hébraïques des marchandises qui en provenaient sont sanscrits et non dekkhaniens, il s’ensuit que les hautes castes du pays étaient arianes au temps où les vaisseaux de Salomon les visitaient. (Ibid.) Il faut aussi remarquer ici que les plus anciennes colonisations arianes, dans le sud de l’Inde, eurent lieu sur les côtes de la mer, ce qui indique clairement que leurs fondateurs étaient, en même temps, des navigateurs. (Ouvrage cité, p. 537). Il est très probable qu’arrivés de bonne heure aux embouchures de l’Indus, ils y établirent leurs premiers empires, tels que celui de Pôtâla. (Ibid., p. 543.)
  102. (1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 141.
  103. (2) La critique littéraire a existé de très bonne heure dans l’Inde. Vers le XIe siècle avant notre ère, les hymnes védiques de l’Atharvan furent réunies et mises en ordre. Au VIe siècle parurent les grammairiens, qui étudièrent et classèrent le langage de toutes les nations habitant le territoire sacré ou ses frontières. Ce travail philologique et les résultats qu’il consacre sont du plus précieux secours pour l’ethnologie. À cette même époque, le langage des Védas fut si parfaitement fixé, que l’on ne trouve, ni dans les manuscrits, ni dans les citations, la moindre variante. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 739 et 750 et passim.)
  104. (1) Les Hindous n’ont pas eu la même manière que nous d’envisager l’histoire, de sorte que, bien que nous ayant conservé les souvenirs les plus remarquables des faits, des caractères et des habitudes de leurs plus anciens ancêtres, ils ne nous fournissent pas d’ouvrage vraiment méthodique à ce sujet. M. Jules Mohl a très bien constaté et apprécié cette particularité remarquable : « On sait, dit cet admirable juge des choses asiatiques, que l’Inde n’a pas produit d’historien, ni même de chroniqueur. La littérature sanscrite ne manque pas pour cela de données historiques ; elle est plus riche, peut-être, que toute autre littérature en renseignements sur l’histoire morale de la nation, sur l’origine et le développement de ses idées et de ses institutions, enfin sur tout ce qui forme le cœur, comme le noyau de l’histoire de ce que les chroniqueurs de la plupart des peuples négligent pour se contenter de l’écorce. Mais, comme dit Albirouni : « Ils ont toujours négligé de rédiger les chroniques des règnes de leurs rois. » De sorte que nous ne savons jamais exactement quand leurs dynasties commencent et quand elles finissent, ni sur quels pays elles ont régné. Leurs généalogies sont en mauvais ordre et leur chronologie est nulle. » (Rapport annuel fait à la Société asiatique, 1849, p. 26-27.)
  105. (2) C’est probablement à l’école de ces littérateurs que se formaient les poètes du genre de celui qui a écrit le Hásyarnavah (l’Océan des plaisanteries). C’est une comédie très mordante dirigée contre les rois, les hommes de cour et les prêtres. Les uns sont traités de fainéants inutiles et les autres d’hypocrites. (W. v. Schlegel, Indische Bibliothek, t. III, p. 161.)
  106. Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 140.
  107. Burnouf, ouvr. cité, p. 287.
  108. Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 356 et 711. — C’est à l’époque de Cyrus. Vers le même temps, Scylax exécuta son périple de la mer Érythrée, et rapporta dans l’occident les premières notions sur les pays hindous que recueillirent Hécatée et Hérodote par l’intermédiaire des Perses. — L’Inde était, à ce moment, à l’apogée de sa civilisation et de sa puissance. (Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 131.)
  109. (1) Burnouf, Introduction à l'hist. du bouddh., etc., t. I, p. 152 et passim et 211.
  110. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 831 ; Burnouf, Introduction à l’hist. du bouddhisme indien, t. I, p. 152 et passim.
  111. (2) Burnouf, Introd. à l’hist. du bouddh. indien, t. I, p. 194.
  112. (3) Un de ses principaux arguments à l’adresse des hommes des basses castes était de leur dire que, dans leurs existences antérieures, ils avaient fait partie des plus hautes, et que, par le seul fait qu’ils l’écoutaient, ils étaient dignes d’y rentrer. (Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 196.)
  113. (4) Ouvrage cité, t. I, p. 211.
  114. (1) Burnouf, Introd. à l’hist., etc., t. I, p. 205.
  115. (2) Les éléments révolutionnaires ne manquaient pas absolument dans ce monde hindou où les classes moyennes, les chefs de métiers, les marchands, les chefs de marins, avaient acquis une importance extraordinaire. Mais l’édifice était si bien cimenté, qu’il pouvait résister à tout. — Voir Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 163, où il est fait mention d’une légende bouddhique qui met bien en relief la puissance de la bourgeoise vayçia à l’époque où se forma le bouddhisme. Je remarquerai ici que, pour ces temps de l’histoire hindoue, les légendes des bouddhas ont le même genre d’intérêt historique que, chez nous, les vies des saints, lorsqu’il s’agit des âges de la domination mérovingienne. Ces productions, d’une piété également vive, bien que différemment appliquée, se ressemblent de très près. Elles racontent les mœurs, les usages du temps où le vénérable personnage dont elles s’occupent a vécu, et ont, les unes et les autres, celles des Arians-Franks, comme celles des Arians-Hindous, la même prédilection pour la partie philosophique de l’histoire, unie au même dédain de la chronologie.
  116. (1) Burnouf, Introduct. à l’hist., etc., t. I, p. 395, note.
  117. (2) Ibid., p. 586.
  118. 3) Quand les brahmanes reprochaient à Sakya de s’entourer de gens appartenant aux castes impures ou de personnes de mauvaise vie, Sakya répondait : « Ma loi est une loi de grâce pour tous. » (Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 198.) — Cette loi de grâce devint très promptement une sorte de religiosité facile qui recrutait des partisans dans les classes supérieures, parmi les hommes dégoûtés de toutes les restrictions que le régime brahmanique inflige à ses fidèles, par suite de cette idée qu’on ne peut se faire pardonner les fautes de l’existence actuelle et se rendre dignes de passer dans un rang supérieur, qu’au prix des plus redoutables austérités. Ainsi, un jeune ascète, après de longues abstinences au fond d’une forêt, se donne en pâture a une tigresse, qui vient de mettre bas, en s’écriant : « Comme il est vrai que je n’abandonne la vie ni pour la royauté, ni pour les jouissances du plaisir, ni pour le rang de sakya, ni pour celui de monarque souverain, mais bien pour arriver à l’état suprême de bouddha parfaitement accompli ! » (Burnouf, ibid., p. 159 et passim.) — Les bouddhistes prenaient les choses d’une façon plus commode. Ils condamnaient ces rigueurs personnelles comme inutiles, et leur substituaient le simple repentir et l’aveu de la faute, ce qui, du reste, les fit arriver très promptement à instituer la confession. (Ibid., p. 299.)
  119. (1) Burnouf, Introd. à l’hist., etc., t. I, p. 196, 277.
  120. (2) Ibid., p. 287.
  121. (1) Burnouf, Introduction à l’hist., etc., t. I, p. 337. — Le bouddhisme hindou est aujourd’hui tellement dégénéré dans les provinces lointaines où il végète encore, que les religieux se marient, usage diamétralement opposé à l’esprit de la foi fondamentale. Ces religieux mariés se nomment au Népaul vadjra âtchâryas. (Ibid.)
  122. (2) Ibid., p. 586.
  123. (3) Burnouf, Introd. à l’hist., etc., t. I, p. 144. — Il fit plus que de les admettre en pratique. Il se montra faible au point de donner un démenti à sa prétention d’être une loi de grâce pour tous, en avouant que les boddhissatvas ne pouvaient s’incarner que dans des familles de brahmanes ou de kschattryas. (Ibid.)
  124. (1) M. Burnouf se sert très habilement de la postériorité de l’ontologie dans le bouddhisme pour établir l’âge de ce système religieux (Ouvr. cité, t. I, p. 132.)
  125. (2) Voir les détails nombreux sur ce cylindre, très en usage chez les Mongols, dans les Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, pendant les années 1844, 1845 et 1846 (Paris, 1850), par M. Huc, prêtre missionnaire de la congrégation de Saint-Lazare. — Voir aussi, dans le même ouvrage, ce qui a rapport à la réforme moderne du bouddhisme lamaïque, appelée réforme de Tsong-Kaba, et qui date du XVIIe siècle. L’esprit hindou, dont il restait peu, a été presque absolument expulsé par ces innovations.
  126. (1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 339. — Bouddha, considéré comme une incarnation de Vischnou, est une idée qui ne remonte pas plus haut que l’an 1005 de l’ère de Vikramâditya, 943 de la nôtre.
  127. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 353.
  128. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 111 et passim.
  129. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III p. 115.
  130. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 391.
  131. (1) M. Pickering ajoute, à tous ces caractères, un autre trait qui lui semble tout à fait spécifique : c’est l’aspect féminin que le défaut de barbe donne aux peuples jaunes. En revanche, il ne considère pas l’obliquité de l’œil comme essentielle. Je crois qu’ici il ne tient pas assez de compte des immixtions noires qui souvent, et à dose même très légère, ont pu suffire pour faire disparaître cette particularité. (United-States exploring Expedition during the years 1838, 1839, 1843, 1841 and 1842, under the command of Charles Wilkes, U. S. N. ; vol. IX : The Races of man and their geographical distribution, by Charles Pickering, M. D. ; Philadelphia, 1848, in-4o.) — M. Pickering pense que la race jaune couvre actuellement deux cinquièmes de la surface du globe. Il comprend évidemment, dans cette classification, beaucoup de populations hybrides.
  132. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 337.
  133. (2) Lassen, Zeitschrift für d. K .d. Morgenl., t. II, p. 62 ; Ritter, Erdkunde, Asien, t. II.
  134. (1) Ce sont les habitants de l’intérieur de l’île qui sont complètement noirs. Les hommes des côtes appartiennent à l’espèce malaise et ont beaucoup de rapports avec les Haraforas. (Ritter, t. III, p. 879.) — Le nombre des tribus nègres est assez considérable dans l’Inde transgangétique. On peut citer entre autres les Samangs, retirés dans la partie méridionale du district de Queda, au pays de Siam. C’est une race petite, à cheveux crépus, sans demeures fixes et se nourrissant de reptiles crus et de vers. (Ritter, loc. cit., p. 1131.) — Ce géographe avoue ne pouvoir s’expliquer l’extrême diffusion de la famille mélanienne en Asie. Le fait serait, en effet, incompréhensible, s’il fallait le considérer comme postérieur aux temps historiques ; mais il devient très simple quand on admet qu’il s’est opéré à une époque tout à fait primordiale, où les immigrants nègres trouvaient le pays désert.
  135. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. II, p. 1046.
    Pickering, p. 135. Cet excellent observateur n’hésite pas à déclarer qu’à ses yeux les Ovahs de Madagascar sont des Malais imméconnaissables.
  136. (1) Aux témoignages sur lesquels je me suis déjà appuyé, je joins celui de Ritter, confirmé par Finlayson et sir Stamford Raffles : « Les Malais, suivant le grand géographe allemand, sont de taille moyenne et plutôt petits. Ils ont une carnation plus claire que les peuples d’au-delà du Gange. Le tissu de la peau est, chez eux, doux et brillant. Leur disposition à engraisser est remarquable. La musculature est molle, lâche, quelquefois très volumineuse, généralement sans élasticité. Les hanches sont très fortes, ce qui leur donne une apparence lourde. Les visages sont larges et plats, les pommettes saillantes. Les yeux sont espacés et très petits, quelquefois droits, le plus souvent relevés à l’angle externe. L’occiput est resserré ; les cheveux, épais, grossiers, tendant à se crêper, sont plantés très bas et restreignent le front. Le trou occipital est souvent très en arrière. Les bras, très longs, rappellent ceux du singe. » (Ritter, III, p. 1145.) — À ces détails j’en ajouterai encore un que je dois à l’intéressante observation d’un voyageur : « Lorsque les matelots malais employés sur les navires européens montent aux cordages, ils se cramponnent non seulement par les mains, mais encore par les orteils, qu’ils ont très gros et très vigoureux. Un homme de race blanche n’en pourrait faire autant. »
  137. (1) Nu-oua, sœur de Fou-hi, et qui lui succéda, était un esprit. Elle avait ramassé, dans un marais, un peu de terre jaune, et, en s’aidant d’une corde, elle en fabriqua le premier homme. (Le père Gaubil, Chronologie chinoise, in-4o, p. 7.)
  138. (1) Le père Gaubil, Chronologie chinoise.
  139. (2) Suivant M. Lassen, il ne faut pas demander d’histoire positive aux Chinois avant l’année 782 qui précéda notre ère. Toutefois, ce même savant confesse que l’avènement de la première dynastie humaine peut être reporté, avec une grande vraisemblance, à l’année 2205 av. J.-C. (Indische Alterthumskunde, t. I, p. 751.) — Nous voilà loin des dates extraordinaires des annales hindoues, égyptiennes et assyriennes.
  140. (1) Gaubil, Chronologie chinoise.
  141. (2) Il faut excepter de ce jugement certains travaux de colonisation et de dessèchement sur les rives du Hoang-ho, qui paraissent remonter à des temps fort reculés. Ce ne sont pas là, à proprement parler, des monuments. C’est un tracé cent fois fait et refait depuis sa création.
  142. (1) Gaubil, ouvr.cité.
  143. (2) Gaubil, Traité de la chronologie chinoise, p. 2, 80, 109 ; Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 758 ; Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 454.
  144. (3) Les Miao ne manquaient pas de se donner cette généalogie. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. II, p. 273.)
  145. (1) Gaubil, Traité de la chronologie chinoise.
  146. (2) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 716 ; Manava-Dharma-Sastra, ch. X, § 43, p. 346 : « The following races of Kshattryas, by their omission of holy rites and by seeing no brahmens, have gradually sunk among men, to the lowest of the four classes. — 44 : Paunidracas, Odras and Draviras ; Cambojas, Vavanas and Sacas ; Paradas, Pahlavà, Chinas, Ciratas, Deradas and Chasas. — 45 : All those tribes of men who sprang from the mouth, the arm, the thigh and the foot of Brahma, but who became out casts by having neglected their duties, are called Dasyus, or plunderers, whether they speak the language of Mlechchas or that of Aryas. »
  147. (1) M. Biot raconte, d’après les documents chinois, que le pays fut civilisé, entre le XXXe siècle et le XXVIIe avant notre ère, par une colonisation d’étrangers venant du nord-ouest et désignés généralement, dans les textes, sous le nom de peuple aux cheveux noirs. Cette nation conquérante est aussi appelée les cent familles. Ce qui résulte principalement de cette tradition, c’est que les Chinois avouent que leurs civilisateurs n’étaient pas autochtones. (Tcheou-li ou Rites des Tcheou, traduit pour la première fois, par feu Edouard Biot ; Paris, Imprimerie nationale, 1851, in-fol., Avertiss., p. 2, et Introduct., p. V.)
  148. (1) Tel est l’État alpestre de Gwalior, près du Ladakh et du Gherwal. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. III.) – Telles sont encore certaines populations du Thibet oriental, où l’on retrouve, avec certains caractères physiques de l’espèce blanche, des mœurs qu’on peut dire tout à fait contraires aux habitudes des nations jaunes : le régime féodal et un grand esprit de liberté belliqueuse. (Huc, Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, t. II, p. 467, et passim, et 482.)
  149. (2) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III.
  150. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 433 et passim.
  151. (2) Ritter identifie cette nation avec les Goths, et M. le baron A. de Humboldt accepte cette opinion. (Asie centrale, t. II, p. 130.) Elle ne me paraît cependant s’appuyer que sur une vague ressemblance de syllabes. – Les Ou-soun, vivant au nord-ouest de la Chine, sont signalés par Ven-sse-kou, le commentateur des Annales de la dynastie des Han, traduit par M. Stanislas Julien, comme étant un peuple blond « à barbe rousse et à yeux bleus. » Ils étaient au nombre de 120,000 familles. (A. de Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 393.)
  152. (3) Ritter, loc. cit.
  153. (4) Les Ha-kas étaient de très haute taille. Ils avaient les cheveux rouges, le visage blanc, les yeux verts ou bleus. Ils se mêlèrent avec les soldats chinois de Li-ling, 97 ans avant J.-C. (Ritter, t. I, p. 1115.)
  154. (5) Ibid. Les Chinois désignaient ces nations arianes, dont les traits différaient si fort des leurs, comme « ayant de longs visages de cheval. » (Asie centrale, t. II, p. 64.)
  155. (1) Le Chou-king, dont on fait remonter la composition à plus de 2000 ans avant J.-C., atteste que la population de la Chine admettait les mélanges. Ainsi, je lis dans la 1re partie, chap. II, § 20 : « Kao-Yao. Les étrangers excitent des troubles. » Et chap. III, § 6 : « Si vous êtes appliqués aux affaires, les étrangers viendront se soumettre à vous avec obéissance. »
  156. (2) Les alliages anciens ne furent pas les seuls qui introduisirent le sang de l’espèce blanche dans les masses chinoises. Il y en eut, à des époques très rapprochées de nous, qui ont sensiblement modifié certaines populations du Céleste Empire. En 1286, Koubilaï régnait et introduisait un grand nombre d’immigrants hindous et malais dans le Fo-kien. Aussi la population de cette province, comme celle du Kouang-toung, diffère-t-elle assez notablement de celle des autres contrées de la Chine. Elle est plus novatrice, plus portée vers les idées étrangères. Elle fournit le plus de monde à cette énorme émigration, qui n’est pas moindre de 3 millions d’hommes, et qui couvre aujourd’hui la Cochinchine, le Tonkin, les îles de la Sonde, Manille, Java, s’étendant chez les Birmans, à Siam, à l’île du Prince de Galles, en Australie, en Amérique. (Ritter, t. III, p. 783 et passim.) — Il vint aussi en Chine, antérieurement, sous la dynastie des Thangs, qui commença en 618 et finit en 907, de nombreux musulmans qui se sont mêlés à la population jaune et que l’on nomme aujourd’hui Hoeï-hoeï. Leur physionomie est devenue tout à fait chinoise, mais leur esprit, non. Ils sont plus énergiques que les masses qui les entourent, dont ils se font craindre et respecter (Huc, Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, t. II, p. 75.) — Enfin, d’autres Sémites, des Juifs, ont aussi pénétré en Chine à une époque inconnue de la dynastie Tcheou (de 1122 av. notre ère à 255 après J.-C.) Ils ont exercé jadis une très grande influence et ont revêtu les premières charges de l’État. Aujourd’hui ils sont fort déchus, et beaucoup d’entre eux se sont faits musulmans. (Gaubil, Chronologie chinoise, p. 264 et passim.) — Ces mélanges de sang ont eu pour conséquence des modifications importantes dans le langage. Les dialectes du sud diffèrent beaucoup du haut chinois, et l’homme du Fo-kien, du Kuang-toung ou du Yun-nan a autant de peine à comprendre le pékinois qu’un habitant de Berlin le suédois ou le hollandais. (K. F. Neumann, die Sinologen und Ihre Werke, Zeitschrift der deutschen morgenlændischen Gesellschaft, t. I, p. 104.)
  157. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 714.
  158. (1) Gaubil, Traité de la chronologie chinoise, p. 111.
  159. (2) J. F. Davis, The Chinese, p. 178.
  160. (1) « En Chine, l’empire n’a pas passé d’un peuple à l’autre, et les traditions sont restées nécessairement plus familières et ont pénétré plus profondément dans les esprits que chez nous. » (Jules Mohl, Rapport fait à la Société asiatique, 1851, p. 85.)
  161. (2) J’ai mentionné plus haut que des infiltrations blanches, assez importantes, avaient gagné la Chine, à différentes époques. Cependant l’avantage du nombre reste toujours à la race jaune, d’abord parce que le fond primitif lui appartient, ensuite parce que des immigrations mongoles se sont effectuées, de tout temps, qui ont augmenté la force de la masse nationale. C’est ainsi qu’une invasion de Tartares, considérée comme la première, avait lieu en 1531 avant J.-C. (Gaubil, Chronologie chinoise, p. 28.) — C’est encore ainsi que de la Sibérie venait, en 398 de notre ère, la dynastie des Weï. Je n’insiste pas trop sur ce dernier fait, que pourrait bien recouvrir une immixtion de métis blancs et jaunes. (A. de Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 27.)
  162. (1) W. v. Schlegel, Indische Bibliothek, t. II, p. 214 : « L’idée du bonheur est représentée en Chine, à ce que l’on m’assure, par un plat de riz bouilli et une bouche ouverte ; celle du gouvernement, par une canne de bambou et par un second caractère qui signifie agiter l’air. »
  163. (2) La vigilance de la police chinoise est incomparable. On sait toutes les inquiétudes que les Russes et les Anglais inspirent au cabinet impérial dans le sud-ouest. Le voyageur Burnes donne un exemple des précautions qui sont prises : le signalement et même le portrait de tout étranger suspect est envoyé aux villes du haut Turkestan avec l’ordre de tuer l’original, s’il est saisi au delà de la frontière. Moorcroft avait été si bien représenté sur les murs de Yarkend, et sa physionomie anglaise si parfaitement saisie, que c’était à faire reculer le plus audacieux de ses compatriotes qui aurait pu se voir exposé aux suites d’une confrontation. (Burnes, Travels, t. II, p. 233.)
  164. (1) « Le principe de l’admission aux fonctions administratives, c’est le choix au village, la promotion au district. Sans ces principes fondamentaux, il serait difficile de chercher à gouverner l’empire. » (Tcheou-li, Commentaire Weï-kiao, sur le § 36 du livre XI, t. I, p. 261.)
  165. (1) L’amour du médiocre est de principe. Voici la maxime : « Le ministre de Chine Kao-yao fit connaître les punitions différentes et dit : « Le peuple est uni dans le juste milieu. Ainsi, c’est par les châtiments que l’on instruit les hommes à garder le juste milieu. » Il n’est pas d’étudiant qui ne tienne pour dûment prévenu et n’évite d’avoir plus d’esprit qu’il ne convient. » (Tcheou-li, t. I, p. 197.)
  166. (1) Il n’y a pas de philosophie possible là où les rites ont réglé d’avance jusqu’aux plus petits détails de la vie, et où tous les intérêts matériels conspirent également à étouffer la pensée. M. Ritter remarque très bien que la Chine s’est arrangée de façon à former un monde à elle seule et que la nature servait cette pensée. De tous côtés, le pays est peu accessible. Le gouvernement n’a pas voulu changer cette situation en créant des routes. À part le voisinage de Pékin, deux chemins entre le Kuang-toung et le Kiang-si, les passages du Thibet et quelques voies impériales en très petit nombre, les moyens de communication font absolument défaut, et non seulement la politique ne veut pas de rapports avec les autres pays de la terre, mais elle s’oppose même, avec une persistante énergie, à toutes relations suivies entre les provinces. (Ritter, ouvr. cité, p. 727 et passim.)
  167. (2) Ce jugement n’est pas absolu, il comporte des exceptions, et on en doit faire une notable, par exemple, en faveur de Matouan-lin.
  168. (1) Ainsi, ils entendent bien la littérature utilitaire. Ils ont de bons routiers (une Encyclopédie agricole), d’où l’on a déjà extrait et traduit d’excellents renseignements sur la culture du mûrier et l’élève des vers à soie. (J. Mohl, Rapport fait à la Société asiatique de Paris, 1851, p. 83.) — M. le baron A. de Humboldt a pu louer avec vérité, au sujet de la géographie et de l’histoire, les documents chinois, « dont les surprenantes richesses embrassent une immense étendue du continent (Asie centrale, introduction, t. I, p. XXXIII) », et il dit encore très bien : «  Dans les grandes monarchies, en Chine comme dans l’empire persan, divisées en satrapies, on a senti de bonne heure le besoin d’ouvrages descriptifs, de ces tableaux statistiques détaillés pour lesquels, en Europe, les peuples de l’antiquité les plus spirituels et les plus lettrés ont montré si peu de penchant. Un gouvernement pédantesquement réglé dans les moindres détails de son administration, embrassant tant de tribus de races diverses, nécessitait, en même temps, de nombreux bureaux d’interprètes. Il existait, dès l’an 1407, des collèges établis dans les grandes villes des frontières, où l’on enseignait huit à dix langues à la fois. C’est ainsi que la vaste étendue de l’empire et les exigences d’un gouvernement despotique et central favorisaient simultanément la géographie et la littérature linguistique. » (Asie centrale, t. I, p. 29.)
  169. (1) Davis, the Chinese, p. 99 : « The people sometimes hold public meetings by advertisement, for the express purpose of addressing the magistrate and this without being punished. The influence of public opinion seems indicated by this practice ; together with that frequent custom of placarding and lampooning (though of course anonymously) obnoxious officers. Honours are rendered to a just magistrate, and addresses presented to him on his departure by the people ; testimonies which are highly valued... It may be added, that there is no established censorship of the press in China, nor any limitations but those which the interests of social peace and order seem to render necessary. If these are endangered, the process of the government is of course more summary than even an information filed by the attorney general. » — Le système chinois me semble s’accorder encore avec une autre idée adoptée par les écoles libérales d’Europe : c’est la sécularisation du système militaire. Ils ne connaissent que la garde nationale ou la landwehr. Je ne parle pas ici des Mantchous, mais seulement des véritables indigènes de l’empire. Les Mantchous, étant tous soldats de naissance, sont censés plus habiles sur le maniement des armes. (Davis, p. 105.)
  170. (1) On consulte le peuple en des occasions fort graves, par exemple, en matière de justice criminelle. Ainsi, je lis dans le commentaire de Tching-khang-tching, sur le 26e § du livre XXXV du Tcheou-li : « Si le peuple dit : Tuez ! le sous-préposé aux brigands tue. Si le peuple dit : Faites grâce ! alors, il fait grâce. » Et un autre commentateur, Wang-tchao-yu, ajoute : « Lorsque le peuple pense qu’on doit exécuter le coupable, on applique sans incertitude les peines supérieures… Lorsque le peuple pense qu’il faut gracier, on n’accorde pas la grâce pleine et entière. Seulement on applique les peines inférieures, qui sont moindres que les premières. » (Tcheou-li, t. I. p. 323.)
  171. (2) Le commentaire de Tching-khang-tching sur le 9e verset du livre VII du Tcheou-li donne une excellente formule de la cité chinoise. La voici : « Un royaume est constitué par l’établissement du marché et du palais dans la capitale. L’empereur établit le palais ; l’impératrice établit le marché. C’est le symbole de la concordance parfaite des deux principes mâle et femelle qui président au mouvement et au repos. » (Tcheou-li, t. I, p. 145.)
  172. (1) « Vers l’an 1070 (de notre ère), le Premier ministre de l’empereur Chin-tsong, nommé Wang-ngan-tchi, introduisit des changements dans les droits des marchés et institua un nouveau système d’avances en grains faites aux cultivateurs. » Voilà des idées tout à fait analogues à celles que, depuis soixante ans seulement, on déclare, en Europe, dominer, en importance, toutes les autres notions politiques. (Voir Tcheou-li, t. I, introd., p. XXII.)
  173. (2) « C’est un système étonnant (l’organisation chinoise), reposant sur une idée unique, celle de l’État chargé de pourvoir à tout ce qui peut contribuer au bien public et subordonnant l’action de chacun à ce but suprême. Tcheou-kong a dépassé, dans son organisation, tout ce que les États modernes les plus centralisés et les plus bureaucratiques ont essayé, et il s’est rapproché en beaucoup de choses de ce que tentent certaines théories socialistes de notre temps... » (J. Mohl, Rapport fait à la Société asiatique, 1851, p. 89.)
  174. (1) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 374. – I, Rois, 20, 24, 25.
  175. (2) « Sous les trois premières races, l’empire était entièrement composé de principautés, de fiefs et d’apanages héréditaires. Les hommes qui en étaient investis avaient sur leurs subordonnés une autorité plus grande que celle des pères sur leurs fils, des chefs de famille sur leurs propriétés... Chaque chef gouvernait son fief comme sa propriété héréditaire. » (Ma-touan-lin, cité par M. E. Biot, voir le Tcheou-li, t. I, Introduct., p. XXVII.)
  176. (1) Les Chinois, qui forment aujourd’hui une grande démocratie impériale, ne jouissaient pas du principe de l’égalité au XXIIe siècle avant notre ère, dans l’époque féodale. Le peuple était en servage complet, il n’était pas apte à posséder des biens immeubles. Les Tcheou l’admirent au partage des bas emplois jusqu’au grade de préfet. Plus anciennement, il n’avait pas le droit d’acquérir l’instruction. (Tcheou-li, t. I, Introduct., p. LV, et pass.) — Ainsi les Chinois, comme tous les autres peuples, n’ont eu l’égalité politique qu’à la suite de la disparition des grandes races.
  177. (2) Et c’est seulement de ce moment-là que date la philosophie politique nationale. Confucius, et plus tard Meng-tseu, furent également centralisateurs et impérialistes. Le système féodal ne leur est pas moins odieux qu’aux écoles politiques de l’Europe actuelle. (Gaubil, Chronologie chinoise, p. 90.) — Les moyens qu’employa Tsin-chi-hoang-ti pour abattre les familles seigneuriales furent des plus énergiques. On commença par brûler les livres : c’étaient les archives du droit souverain des nobles et les annales de leur gloire. On abolit les alphabets particuliers des provinces. On désarma toute la nation. On abrogea les noms des anciennes circonscriptions territoriales, et l’on partagea le pays en trente-six départements administrés par des mandarins que l’on eut soin de changer fréquemment de postes. On força cent vingt mille familles à venir résider dans la capitale, avec défense de s’en éloigner sans permission, etc., etc. (Gaubil, Chronologie chinoise, p. 61.)
  178. (1) Il se passa alors un fait absolument semblable à celui qui eut lieu, chez nous, en 1789, lorsque l’esprit novateur considéra comme de première nécessité la destruction des anciennes subdivisions territoriales. En Chine, on abolit les circonscriptions qui pouvaient rappeler des idées de nationalités ou de souverainetés. On créa des provinces et des arrondissements purement administratifs. Je remarque toutefois une différence assez sérieuse. Les départements chinois furent très étendus et les nôtres très petits. Matouan-lin prétend que la méthode de son pays n’a pas été sans inconvénient, en rendant plus difficiles la surveillance et la bonne gestion des magistrats impériaux. D’autre part, notre système a soulevé bien des critiques. (Le Tcheou-li, t. I, Introduct., XXVIII.)
  179. (2) Gaubil, Chronologie chinoise, p. 46 et pass.
  180. (3) Ibid., p. 51.
  181. (1) Ritter identifie les Hioung-niou, les Thou-kieou, les Ouïgours et les Hoei-he. De tous ces peuples, il fait des nations turques. Cette opinion, peut-être fondée quant à certaines tribus, me paraît fort critiquable pour l’ensemble. (Erdkunde, Asien, t. I, p. 437.)
  182. (2) Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 744, p. 1114 et pass. ; t. II, p. 116. Schaffarik, Slawiche Alterthümer, t. I, p. 68. – Les langues turques, mongoles, tongouses et mantchoues contiennent un grand nombre de racines indo-germaniques. (Ritter, t. I, p. 436.)
  183. (1) Le commencement de l’ère javanaise de Aje-Saka reporte les souvenirs au temps de Sâliwâhana, et répond à l’année 78 après J.-C. Ce fut une époque de civilisation brahmanique, nais non pas de première civilisation de ce genre. Ce ne fut que le renouvellement et comme un rajeunissement d’une domination hindoue beaucoup plus ancienne qui avait vu l’île occupée par des nègres pélagiens fort abrutis. Le Fo-koue-ki raconte que les navigateurs chinois trouvèrent ces aborigènes horriblement laids et sales, avec les cheveux semblables au « gazon naissant. » Ils se nourrissaient de vermine. La loi brahmanique de Java a conservé le souvenir de cet état de choses par la défense formelle qu’elle adresse aux personnes d’un rang élevé de ne manger ni chiens, ni rats, ni couleuvres, ni lézards, ni chenilles. Il semblerait que le brahmanisme n’a jamais pu s’établir à l’état pur dans l’île. Le bouddhisme ne fut pas plus heureux. Au commencement du XVIIe siècle de notre ère, les Javanais adoptèrent l’islamisme. (W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 10, 11, 15, 18, 43, 49, 208.)
  184. (2) Les coutumes et la religion brahmaniques se sont, jusqu’ici, conservées à Bali pures de tout mélange mahométan ou européen. C’est, au jugement de Raffles, l’image vivante de ce qu’était Java avant sa conversion par les musulmans. (W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 111.)
  185. (1) Guillaume de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache.
  186. (1) Kaempfer, Histoire du Japon. — Ce voyageur, d’ailleurs judicieux, sacrifie, comme il était de mode de son temps, à la manie de faire venir d’Assyrie tous les peuples, et il trace ainsi, d’une manière assez curieuse, l’itinéraire de ses Japonais : « Mais, pour finir ce chapitre, il résulte que, peu de temps après le déluge, lorsque la confusion des langues à Babel força les Babyloniens d’abandonner le désir qu’ils avaient de bâtir une tour d’une hauteur extraordinaire et les obligea de se disperser par toute la terre ; lorsque les Grecs, les Goths et les Esclavons passèrent en Europe, d’autres en Asie et en Afrique, d’autres en Amérique, qu’alors, dis-je, les Japonais partirent aussi ; que, selon toutes les apparences, après avoir voyagé plusieurs années et souffert plusieurs incommodités, ils rencontrèrent cette partie éloignée du monde ; que, trouvant sa situation, sa fertilité fort à leur gré, ils résolurent de la choisir pour le lieu de leur demeure, etc., etc. (p. 83.) »
  187. (2) Kaempfer, Histoire du Japon, p. 81 et pass.
  188. (1) M. Pickering, jugeant sur ses observations personnelles, tient les Japonais pour identiques de race avec les Malais polynésiens (p. 117). — Il n’est pas impossible qu’avant toute invasion hindoue à Java, les Japonais n’y aient eu des établissements. Un des noms anciens de l’île est Cha-po. On y connaît deux districts appelés, l’un Ja-pan et l’autre Ji-pang. On sait, d’ailleurs, qu’à une époque très lointaine, les Japonais ont navigué dans tout l’archipel. (W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 19 ; Crawfurd, Archipelago, t. III, p. 465.)
  189. (2) M. Jurien de la Gravière a fait justice de l’espèce d’Arcadie que les voyageurs anglais avaient installée dans ces îles. (Revue des Deux-Mondes, 1852.)
  190. (1) La civilisation de ce pays affecte des formes brahmaniques. Les rois ont la prétention de descendre des dieux de l’Inde ; mais ils ne font pas dater leurs annales plus haut que l’ère des Vikramaditya (deux siècles av. J.-C.). Il y a eu des immigrations de kschattryas assez récentes, puis le brahmanisme fut étouffé pendant quelque temps pour être rétabli au XVIIe siècle. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 298 et pass.)
  191. (2) Les Siamois sont, à coup sûr, le peuple le plus avili de la terre, parmi les nations relativement civilisées ; et ce qui est assez remarquable, c’est qu’ils savent tous lire et écrire. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 1152.) Ceci semblerait fort contraire à l’avis des économistes anglais et français, qui ont, d’un commun accord, adopté ce genre de connaissances pour le criterium le plus irréfragable de la moralité et de l’intelligence d’un peuple.
  192. (3) Le brahmanisme s’étend jusqu’au Tonkin ; il y est, à la vérité, très défiguré. (Ritter, ibid., p. 956.)
  193. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 238, 273 et pass., 744. Les idées religieuses du Thibet portent témoignage de l’extrême mélange de la race. On y remarque des notions hindoues, des traces de l’ancien culte idolâtrique du pays, puis des inspirations chinoises, enfin, s’il faut en croire un missionnaire moderne, M. Huc, des traces probables de catholicisme importées au XVIe siècle par des moines européens et acceptées dans la réforme de Tsong-Kaba. (Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, t. I.) — Au Xe siècle, une grande invasion de Kalmoucks et de Dzoungars avait presque anéanti le bouddhisme. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. III, p. 242.) — Depuis cette époque, et particulièrement sous le règne réparateur de Srong-dzan-gambo, il y a eu quelques immigrations de religieux venus du nord de l’Inde, c’est-à-dire du Bouran et du Népaul. (Ritter, ibid., p. 278.) Mais, désormais, c’est le sens chinois qui domine et progresse chaque jour davantage. La double origine de la civilisation actuelle du Thibet est très bien symbolisée par l’histoire du mariage de Srong-dzan-gambo. Ce monarque épousa deux femmes, l’une que les chroniques appellent Dara-Nipol, la Blanche, et qui était fille du souverain du Népaul ; l’autre, nommée Dara-wen-tching, la Verte, qui venait du palais impérial de Péking. Hlassa fut fondée sous l’influence de ces deux reines, et l’architecture des monuments de cette ville est tout à la fois chinoise et hindoue. (Ritter, ibid., p. 238.)
  194. (1) Ce savant avait une manière, toute particulière à lui, d’explorer les contrées sur lesquelles devait s’escrimer son érudition. Il s’établissait de son mieux dans une ville ou dans un village, et s’entourait de tout le confortable disponible. Puis il envoyait à la découverte un caporal et trente Cosaques, et consignait gravement dans ses notes les observations que ces doctes militaires lui rapportaient. (Ritter, ibid., p. 734.)
  195. (2) Ritter, t. I, p. 744 et pass.
  196. (3) Les langues turques et mongoles, le tongouse et son dérivé, le mandchou, portent des marques de ce fait si considérable. Tous ces idiomes contiennent un grand nombre de racines indo-germaniques. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 436.) — Au point de vue physiologique, on observe encore que les yeux bleus ou verdâtres, les cheveux blonds ou rouges se rencontrent fréquemment chez certaines populations actuelles de la Mongolie. (Ibid.)
  197. (1) Ritter, t. I, p. 431 et pass.
  198. (2) Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 433-434.
  199. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 433-434.
  200. (2) Ritter, loc. cit.
  201. (1) Ritter, t. I, p. 1110 et 1114. — Les Kirghizes ont absorbé, à la fois, les Ting-ling et les Ha-kas.
  202. (2) Les invasions dans l’ouest étaient extrêmement facilitées à la race jaune par la configuration du terrain. M. le baron A. de Humboldt remarque que, depuis les rives de l’Obi, par le 78° de longitude, jusqu’aux bruyères du Lunebourg, de la Westphalie et du Brabant, le pays offre exactement le même aspect, triste et monotone. (Asie centrale, t. I, p. 55.)
  203. (1) Les territoires sibériens qu’elle occupait étaient assez vastes pour la contenir, car ils ne mesurent pas moins de 300,000 lieues carrées. (Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 176.) Les ressources que présentaient ces pays pour la nourriture de masses considérables étaient également très suffisantes. Les plaines de la Mongolie actuelle, appelées par les Chinois la Terre des Herbes, offraient des pâturages immenses aux nombreux troupeaux d’une famille humaine essentiellement pastorale. Le seigle et l’orge réussissent très avant dans le nord. À Kaschgar, à Khoten, à Aksou, à Koutché, dans le parallèle de la Sardaigne, on cultive le coton et les vers à soie. Plus au nord, à Yarkand, à Hami, à Kharachar, les grenades et les raisins arrivent à maturité. (Asie centrale, t. III, p. 20.) — « Au delà du Jenisséï, à l’est du méridien de Sayansk, et surtout au delà du lac Baïkal, la Sibérie même prend un caractère montueux et agréablement pittoresque. » (Ibid., p. 23.)
  204. (1) Ritter, Erdkunde, Asien, t. II, p. 332 et pass., p. 336.
  205. (2) La limite des tombeaux et des mines tchoudes s’arrête vers le nord, au 58° ; et, du côté du sud, elle descend jusqu’au 45°. L’extension de l’est à l’ouest va depuis l’Amour moyen jusque sur le Volga, jusqu’au pied oriental de l’Oural. (Ritter, ibid., p. 337.)
  206. (1) Ritter, ibid., p. 325 et pass. Il semblerait que les monuments puissent se distinguer en deux classes, et celle à laquelle appartient la plus haute antiquité indique aussi la civilisation la plus complète. (Ibid., t. II, p. 333.)
  207. (1) M. Ritter fait ici une observation pleine de sens et de profondeur. Comment, dit-il, se pourrait-il faire que des populations jaunes, que des Kalmouks, ces hommes absolument dénués d’imagination, eussent donné cours au mythe des Gryphons, et, devenus les Arimaspes, se fussent entourés de tant de peuples si singulièrement fabuleux ? En effet, le génie finnois n’atteint pas à de tels résultats. (Ritter, ibid., p. 336.)
  208. (2) Lassen, Zeitschrift für d. K. d. Morgenl., t. II, p. 62 et 65. Les Grecs avaient puisé leurs connaissances à demi romanesques des peuples de l’Asie centrale à la source bactrienne à peu près identique avec celle du Mahabharata. L’Uttara-Kourou, le pays primitif des Kauravas, les Attacori de Pline, était aussi l’Hataka, la terre de l’or. Près de là demeuraient les Risikas qui, ayant des chevaux merveilleux, ressemblent fort aux Arimaspes. (Hérodote, IV, 13 et 17.)
  209. (1) Il est incontestable que les Arimaspes portent, dans la première syllabe de leur nom, une sorte de témoignage de leur origine blanche. Ne pourrait-on retrouver encore actuellement dans le nord de la Sibérie la même racine are avec quelques-unes de ses conséquences ethnologiques ? Strahlenberg raconte que les Wotiaks se nomment, en leur langue, Arr, et appellent leur pays Arima. Il ne s’ensuivrait pas, sans doute, que les Wotiaks fussent un peuple de race ariane ; mais on pourrait conclure que ce sont des métis blancs et jaunes qui ont conservé le nom d’une partie de leurs ancêtres. Strahlenberg, das Nord-und-œstliche Theil von Europa und Asien, p. 76.) Nota. — Are est le mot mongol pour dire homme, par opposition à came, femme. (Ibid., 137.) — De même, arion signifie pur, etc.
  210. (1) Hérodote, IV, 23.
  211. (2) Chez les Bouriates, il est peu de tentes où l’on ne rencontre de ces sortes de miroirs suspendus aux piliers. Le lama s’en sert en y faisant
  212. (1) W. C. Grimm, Ueber die deutschen Runen, in-12, p. 128 ; Strahlenberg, das Nord und-œstliche Theil von Europa und Asien, in-4o ; Stockholm, 1730. Le capitaine suédois, premier auteur qui ait parlé des monuments tchoudes, fait une remarque on ne peut plus intéressante : il dit qu’en Islande, dans les temps anciens, on écrivait sur des os de poissons avec une couleur rouge indélébile ; que des caractères tracés avec la même matière se rencontrent chez les Permiens et sur les bords du Iéniséi, puis à la source de l’Irbyht, et ailleurs encore (p. 363). On entrevoit sans peine les conclusions à tirer d’un fait aussi remarquable, et il est temps de se rappeler ici que le mot qui, chez les nations gothiques, signifiait écrire, était mêljan ou gameljan dont le sens véritable est peindre ; mèl, peinture, et de là, écriture ; ufarmêli, inscription. (W.C. Grimm, Ueber die deutschen Runen, p. 47.)
  213. (2) « Dans le vestibule du musée (à Barnaul) était un sphinx taillé en pierre, reposant sur un bloc carré, et long de quatre pieds sur un pied et demi de large. Ce monument fut, pour moi, d’un grand intérêt, ayant été découvert dans un tombeau tchoude. Le travail en était, à la vérité, grossier ; mais trouver en ce lieu une production d’une si haute antiquité me frappa beaucoup. Je vis aussi plusieurs pierres sépulcrales, provenant également de tombeaux tchoudes, ornées de bas-reliefs représentant des figures d’hommes, peu saillantes et d’une exécution également assez rude. » (C. F. von Ledebour, Reise durch das Altaï-Gebirge und die soongorische Kirgisen-Steppe, 1er Theil ; Berlin, 1829, p. 371-372.)
  214. (1) Voir plus haut, p. 430 et suiv.
  215. (2) Lassen, Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellsch., t. II, p. 59.
  216. (3) Mannert, Germania, p. 2.
  217. (1) Gen., IV, 17 : « Caïn... ædificavit civitatem, vocavitque nomen ejus ex nomine filii sui, Henoch. » La suite du récit n’est pas moins curieuse, et ne concorde pas moins avec ce que j’ai dit des mœurs primitives de la race blanche et de ses habitudes : 20. « Genuit Ada Jabel, qui fuit pater habitantium in tentoriis, arque pastorum. » 21. « Et nomen fratris ejus Jubal ; ipse fuit pater canentium cithara et organo. » 22. « Sella quoque genuit Tubalcaïn, qui fuit malleator et faber in cuncta opera æris et ferri » Ainsi, cinq générations après Caïn, fondateur de la première ville, les peuples menaient la vie pastorale, connaissaient l’art du chant, c’est-à-dire conservaient des annales et savaient travailler les métaux. Je n’ai pas tiré des résultats différents de la série des témoignages physiologiques, philologiques et historiques que j’ai interrogés jusqu’ici dans ces pages.