Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre deuxième entier

Livre premier Essai sur l’inégalité des races humaines
Livre second
Texte entier
Livre troisième


LIVRE SECOND.

CIVILISATION ANTIQUE RAYONNANT DE L’ASIE CENTRALE AU SUD-OUEST.

Séparateur



CHAPITRE PREMIER.

Les Chamites.

Les premières traces de l’histoire certaine remontent à une époque antérieure à l’an 5000 avant la naissance de Jésus-Christ[1]. Vers cette date, la présence évidente des hommes commence à troubler le silence des siècles. On entend bourdonner les fourmilières des nations du côté de l’Asie inférieure. Le bruit se prolonge au sud, dans la direction de la péninsule arabique et du continent africain ; tandis que, vers l’est, partant des hautes vallées ouvertes sur les versants du Bolor[2], il se répercute, d’échos en échos, jusque vers les régions situées sur la rive gauche de l’Indus.

Les populations qui appellent d’abord nos regards sont de race noire.

Cette diffusion extrême de la famille mélanienne ne peut manquer de surprendre (1)[3]. Non contente du continent qui lui appartient tout entier, nous la voyons, avant la naissance d’aucune société, maîtresse et dominatrice absolue de l’Asie méridionale, et lorsque, plus tard, nous monterons vers le pôle nord, nous découvrirons encore d’anciennes peuplades du même sang, oubliées jusqu’à nos jours dans les montagnes chinoises du Kouenloun et au delà des îles du Japon. Si extraordinaire que le fait puisse paraître, telle fut pourtant, aux premiers âges, la fécondité de cette immense catégorie du genre humain (2)[4].

Soit qu’il faille la tenir pour simple ou composée (3)[5], soit qu’on la considère dans les régions brûlantes du midi ou dans les vallées glacées du septentrion, elle ne transmet aucun vestige de civilisation, ni présente ni possible. Les mœurs de ces peuplades paraissent avoir été des plus brutalement cruelles. La guerre d’extermination, voilà pour leur politique ; l’anthropophagie, voilà pour leur morale et leur culte. Nulle part, on ne voit ni villes, ni temples, ni rien qui indique un sentiment quelconque de sociabilité. C’est la barbarie dans toute sa laideur, et l’égoïsme de la faiblesse dans toute sa férocité. L’impression qu’en reçurent les observateurs primitifs, issus d’un autre sang, que je vais bientôt introduire sur la scène, fut partout la même, mêlée de mépris, de terreur et de dégoût. Les bêtes de proie semblèrent d’une trop noble essence pour servir de point de comparaison avec ces tribus hideuses. Des singes suffirent à en représenter l’idée au physique, et quant au moral, on se crut obligé d’évoquer la ressemblance des esprits de ténèbres (1)[6].

Tandis que le monde central était, jusque très avant dans le nord-est, inondé par de pareils essaims, la partie boréale de l’Asie, les bords de la mer Glaciale et l’Europe, presque en totalité, se trouvaient au pouvoir d’une variété toute différente (2)[7]. C’était la race jaune, qui, s’échappant du grand continent d’Amérique, s’était avancée à l’est et à l’ouest sur les bords des deux océans, et se répandait, d’un côté, vers le sud, où, par son hymen avec l’espèce noire, elle donnait naissance à la populeuse famille malaye, et, de l’autre, vers l’ouest, ce qui la conduisait sur les terres européennes encore inoccupées.

Cette bifurcation de l’invasion jaune démontre, d’une manière évidente, que les flots des arrivants rencontraient, sur leur front, une cause puissante qui les contraignait à se diviser. Ils étaient brisés, vers les plaines de la Mantchourie, par une digue forte et compacte, et bien du temps se passa avant qu’ils pussent inonder, à leur aise, les vastes régions centrales où campent, aujourd’hui, leurs descendants. Ils ruisselaient donc, en nombreux courants, sur les flancs de l’obstacle, occupant d’abord les contrées désertes, et c’est pour ce motif que les peuples jaunes devinrent les premiers possesseurs de l’Europe.

Cette race a semé ses tombeaux et quelques-uns de ses instruments de chasse et de guerre dans les steppes de la Sibérie, comme dans les forêts scandinaves et les tourbières des îles Britanniques (1)[8]. À prononcer d’après la façon de ces ustensiles, on ne saurait juger la race jaune beaucoup plus favorablement que les maîtres noirs du sud. Ce n’était pas alors, sur la plus grande partie de la terre, le génie, ni même l’intelligence, qui tenait le sceptre. La violence, la plus faible des forces, possédait seule la domination.

Combien de temps dura cet état de choses ? En un sens, la réponse est facile : ce régime se prolonge encore partout où les espèces noire et jaune sont demeurées à l’état tertiaire. Ainsi, cette ancienne histoire n’est pas spéculative. Elle peut servir de miroir à l’état contemporain d’une notable portion du globe. Mais de dire quand la barbarie a commencé, voilà ce qui dépasse les forces de la science. Par sa nature même elle est négative, parce qu’elle reste sans action. Elle végète inaperçue, et l’on ne peut constater son existence que le jour où une force de nature contraire se présente pour la battre en brèche. Ce jour fut celui de l’apparition de la race blanche au milieu des noirs. De ce moment seul, nous pouvons entrevoir une aurore planant au-dessus du chaos humain. Tournons-nous donc vers les origines de la famille d’élite, afin d’en saisir les premiers rayonnements.

Cette race ne paraît pas être moins ancienne que les deux autres. Avant ses invasions, elle vivait en silence, préparant les destinées humaines et grandissant, pour la gloire de la planète, dans une partie de notre globe qui, depuis, est redevenue bien obscure.

Il est, entre les deux mondes du nord et du sud, et, pour me servir de l’expression hindoue, entre le pays du midi, contrée de la mort, et le pays septentrional, région des richesses (1)[9], une série de plateaux qui semblent isolés du reste de l’univers, d’un côté par des montagnes d’une hauteur incomparable, de l’autre par des déserts de neige et une mer de glace (2)[10].

Là un climat dur et sévère semblerait particulièrement propre à l’éducation des races fortes, s’il en avait élevé ou transformé plusieurs. Des vents glacés et violents, de courts étés, de longs hivers, en un mot, plus de maux que de biens, rien de ce que l’on dit propre à exciter, à développer, à créer le génie civilisateur : voilà l’aspect de cette terre. Mais, à côté de tant de rudesse, et comme un véritable symbole des mérites secrets de toute austérité, le sol recouvre d’immenses richesses minérales. Ce pays redoutable est, par excellence, le pays des richesses et des pierres fines (3)[11]. Sur ses montagnes habitent des animaux à fourrures et à lainage précieux, et le musc, cette production si chère aux Asiatiques, devait un jour en sortir. Tant de merveilles restent pourtant inutiles quand des mains habiles ne sont pas là pour les dévoiler et leur donner leur prix.

Mais ce n’étaient ni l’or, ni les diamants, ni les fourrures, ni le musc, dont ces régions devaient tirer leur gloire : leur honneur incomparable, c’est d’avoir élevé la race blanche.

Différente, tout à la fois, et des sauvages noirs du sud et des barbares jaunes du nord, cette variété humaine, bornée, dans ses débuts, à la part du monde la plus restreinte, la moins fertile, devait évidemment conquérir le reste, s’il était dans les desseins de la Providence que ce reste fût jamais mis en valeur. Un tel effort dépassait trop absolument le pouvoir des misérables multitudes maîtresses du tout. La tâche semble d’ailleurs tellement difficile, même pour les blancs, que cinq mille années n’ont pas encore suffi à son entier accomplissement.

La famille prédestinée ne peut, comme ses deux servantes, qu’être très obscurément définie. Elle porta partout de grandes similitudes, qui autorisent et forcent même à la ranger, tout entière, sous une même dénomination : celle, un peu vague et très incomplète, de race blanche. Comme, en même temps, ses principales ramifications trahissent des aptitudes assez diverses et se caractérisent facilement à part, on peut juger qu’il n’y a pas d’identité complète dans les origines de l’ensemble ; et, de même que la race noire et les habitants de l’hémisphère boréal présentent, dans le sein de leurs espèces respectives, des différences bien tranchées, il est vraisemblable aussi que la physiologie des blancs offrait, dès le principe, une semblable multiplicité de types. Plus tard nous rechercherons les traces de ces divergences. Ne nous occupons ici que des caractères communs.

Le premier examen en met en lumière un bien important : la race blanche ne nous apparaît jamais à l’état rudimentaire où nous voyons les autres. Dès le premier moment, elle se montre relativement cultivée et en possession des principaux éléments d’un état supérieur, qui, développé, plus tard, par ses rameaux multiples, aboutira à des formes diverses de civilisation.

Elle vivait encore réunie dans les pays reculés de l’Asie septentrionale, qu’elle jouissait déjà des enseignements d’une cosmogonie que nous devons supposer savante, puisque les peuples modernes les plus avancés n’en ont pas d’autre, que dis-je ? n’ont que des fragments de cette science antique consacrée par la religion (1)[12]. Outre ces lumières sur les origines du monde, les blancs gardaient le souvenir des premiers ancêtres, tant de ceux qui avaient succédé aux Noachides, que des patriarches antérieurs à la dernière catastrophe cosmique. On serait en droit d’en induire que, sous les trois noms de Sem, de Cham et de Japhet, ils classaient non pas tous nos congénères, mais uniquement les branches de la seule race considérée par eux comme véritablement humaine, c’est-à-dire de la leur. Le mépris profond qu’on leur connut, plus tard, pour les autres espèces en serait une preuve assez forte.

Lorsqu’on a appliqué le nom de Cham, tantôt aux Égyptiens, tantôt aux races noires, on ne l’a fait qu’arbitrairement dans un seul pays, dans des temps relativement récents et par suite d’analogies de sons qui ne présentent rien de certain et ne suffisent pas à une étymologie sérieuse.

Quoi qu’il en soit, voilà ces peuples blancs, longtemps avant les temps historiques, pourvus, dans leurs différentes branches, des deux éléments principaux de toute civilisation : une religion, une histoire.

Quant à leurs mœurs un trait saillant en est resté : ils ne combattaient pas à pied, comme, probablement, leurs grossiers voisins du nord et de l’est. Ils s’élançaient contre leurs ennemis, montés sur des chariots de guerre, et, de cette habitude conservée, unanimement, par les Égyptiens, les Hindous, les Assyriens, les Perses, les Grecs, les Galls, on est en droit de conclure un certain raffinement dans la science militaire, qu’il eût été impossible d’atteindre sans la pratique de plusieurs arts compliqués, tels que le travail du bois, du cuir, la connaissance des métaux, et le talent de les extraire et de les fondre. Les blancs primitifs savaient, aussi, tisser des étoffes (1)[13] pour leur habillement et vivaient réunis et sédentaires dans de grands villages (2)[14], ornés de pyramides, d’obélisques et de tumulus de pierre ou de terre.

Ils avaient su réduire les chevaux en domesticité. Leur mode d’existence était la vie pastorale. Leurs richesses consistaient en troupeaux nombreux de taureaux et de génisses (3)[15]. L’étude comparée des langues, d’où jaillissent, chaque jour, tant de faits curieux et inattendus, paraît établir, d’accord avec la nature de leurs territoires, qu’ils ne s’adonnaient que peu à l’agriculture (4)[16]. Voilà donc une race en possession des vérités primordiales de la religion, douée à un haut degré de la préoccupation du passé, sentiment qui la distinguera toujours et qui n’illustrera pas moins les Arabes et les Hébreux que les Hindous, les Grecs, les Romains, les Gaulois et les Scandinaves. Habile dans les principaux arts mécaniques, ayant assez médité déjà sur l’art militaire pour en faire quelque chose de plus que les rixes élémentaires des sauvages, et souveraine de plusieurs classes d’animaux soumises à ses besoins, cette race se montre à nous, placée vis-à-vis des autres familles humaines, sur un tel degré de supériorité, qu’il nous faut, dès à présent, établir, en principe, que toute comparaison est impossible par cela seul que nous ne trouvons pas trace de barbarie dans son enfance même. Faisant preuve, à son début, d’une intelligence bien éveillée et forte, elle domine les autres variétés incomparablement plus nombreuses, non pas encore en vertu d’une autorité acquise sur ces rivales humiliées, puisque aucun contact notable n’a eu lieu, mais déjà de toute la hauteur de l’aptitude civilisatrice sur le néant de cette faculté.

Le moment d’entrer en lutte arriva vers la date indiquée plus haut. Cinq mille ans pour le moins avant notre ère, le territoire occupé par les tribus blanches fut franchi. Poussées probablement par des masses parentes qui commençaient, elles-mêmes, à s’ébranler dans le nord sous la pression des peuples jaunes, les nations de cette espèce qui se trouvaient placées le plus au sud, abandonnèrent leurs demeures antiques, traversèrent les contrées basses, connues des Orientaux sous le nom de Touran (1)[17], et, attaquant à l’ouest les races noires qui leur barraient le passage, parurent en dehors des limites qu’elles n’avaient encore jamais touchées ni même jamais vues.

Cette descente primordiale des peuples blancs est celle des Chamites, et développant, ici, ce que j’indiquais quelques pages plus haut, je réclamerai contre l’habitude, peu justifiée à mon sens, de déclarer ces multitudes primitivement noires. Rien dans les témoignages anciens, n’autorise à considérer le patriarche, auteur de leur descendance, comme souillé par la malédiction paternelle, des caractères physiques des races réprouvées. Le châtiment de son crime ne se développa qu’avec le temps, et les stigmates vengeurs ne s’étaient pas encore réalisés à cet instant où les tribus chamites se séparèrent du reste des nations noachides.

Les menaces mêmes dont l’auteur de l’espèce blanche, dont le père sauvé des eaux a flétri une partie de ses enfants, confirment mon opinion. D’abord, elles ne s’adressent pas à Cham lui-même, ni à tous ses descendants. Puis, elles n’ont qu’une portée morale, et ce n’est que par une induction très forcée que l’on a pu leur attribuer des conséquences physiologiques. « Maudit soit Chanaan, dit le texte, il sera serviteur des serviteurs de ses frères (1)[18] ».

Les Chamites arrivèrent ainsi flétris d’avance dans leur destinée et dans leur sang. Pourtant, l’énergie qu’ils avaient empruntée au trésor des forces particulières à la nature blanche ne leur en permit pas moins de fonder plusieurs vastes sociétés. La première dynastie assyrienne, les patriciats des cités de Chanaan, sont les monuments principaux de ces âges éloignés, dont le caractère se trouve, en quelque sorte, résumé dans le nom de Nemrod (1)[19].

Ces grandes conquêtes, ces courageuses et lointaines invasions, ne pouvaient être pacifiques. Elles s’exerçaient aux dépens de peuplades de la variété la plus inepte, mais aussi la plus féroce  : de celle qui appelle davantage l’abus de la contrainte. Naturellement portée à résister à ces étrangers irrésistibles qui venaient la dépouiller, elle leur opposa l’incurable sauvagerie de son essence, et les obligea à ne compter que sur l’emploi incessant de leur vigueur. Elle n’était pas à convertir, puisqu’il lui manquait l’intelligence nécessaire pour être persuadée. Il fallait donc n’en pas espérer une participation réfléchie à l’œuvre civilisatrice, et se contenter de plier ses membres à devenir les machines animées appliquées au labeur social.

Ainsi que je l’ai déjà annoncé, l’impression éprouvée par les Chamites blancs, à la vue de leurs hideux antagonistes, est peinte des mêmes couleurs dont les conquérants hindous ont plus tard revêtu leurs ennemis locaux, frères de ceux-là. Ce sont, pour les nouveaux venus, des êtres féroces et d’une taille gigantesque. Ce sont des monstres également redoutables par leur laideur, leur vigueur et leur méchanceté. Si la première conquête fut difficile, et par l’épaisseur des masses attaquées, et par leur résistance, soit furieuse, soit stupidement inerte, le maintien des États qu’inaugurait la victoire ne dut pas exiger moins d’énergie. La compression devint l’unique moyen de gouvernement. Voilà pourquoi Nemrod, dont je citais le nom tout à l’heure, fut un grand chasseur devant l’Éternel (1)[20].

Toutes les sociétés issues de cette première immigration révélèrent le même caractère de despotisme altier et sans bornes.

Mais, vivant en despotes au milieu de leurs esclaves, les Chamites donnèrent bientôt naissance à une population métisse. Dès lors, la position des anciens conquérants devint moins éminente, et celle des peuples vaincus moins abjecte.

L’omnipotence gouvernementale ne pouvait pourtant rien perdre de ses prérogatives, trop conformes, par leur nature excessive, à l’esprit même de l’espèce noire. Aussi n’y eut-il aucune modification dans l’idée qu’on se faisait de la façon et des droits de régner. Seulement, le pouvoir, désormais, s’exerça à un autre titre que celui de la supériorité du sang. Son principe fut limité à ne plus supposer que des préexcellences de familles et non plus de peuples. L’opinion qu’on avait du caractère des dominateurs commença cette marche décroissante, qui toujours s’accomplit dans l’histoire des nations mêlées.

Les anciens Chamites blancs allèrent se perdant chaque jour, et finirent par disparaître. Leur descendance mulâtre, qui pouvait très bien encore porter leur nom comme un titre d’honneur, devint par degrés, un peuple saturé de noir. Ainsi le voulaient les branches génératrices les plus nombreuses de leur arbre généalogique. De ce moment, le cachet physique qui devait faire reconnaître la postérité de Chanaan et la réserver à la servitude des enfants plus pieux, était à jamais imprimé sur l’ensemble des nations formées par l’union trop intime des conquérants blancs avec leurs vaincus de race mélanienne.

En même temps que cette fusion matérielle s’opérait, une autre toute morale avait lieu, qui achevait de séparer, à jamais, les nouvelles populations métisses de l’antique souche noble, à laquelle elles ne devaient plus qu’une partie de leur origine. Je veux parler du rapprochement entre les langages. Les premiers Chamites avaient apporté du nord-est un dialecte de cet idiome originellement commun aux familles blanches, dont il est encore aujourd’hui si facile de reconnaître les vestiges dans les langues de nos races européennes. À mesure que les tribus immigrantes s’étaient trouvées en contact avec les multitudes noires, elles n’avaient pas pu empêcher leur langage naturel de s’altérer ; et quand elles se trouvèrent alliées de plus en plus avec les noirs, elles le perdirent tout à fait. Elles l’avaient laissé envahir par les dialectes mélaniens de façon à le défigurer.

À la vérité, nous ne sommes pas complètement en droit d’appliquer, péremptoirement, aux langues de Cham les réflexions que suggère ce que nous connaissons du phénicien et du libyque. Beaucoup d’éléments, développés postérieurement par les migrations sémitiques, se sont infusés dans ces idiomes métis, et on pourrait objecter que les apports nouveaux possédèrent un autre caractère que celui des langues formées d’abord par les Chamites noirs. Je ne le crois cependant pas. Ce que nous savons du chananéen, et l’étude des dialectes berbères, paraissent révéler un système commun de langage imbu de l’essence qu’on a appelée sémitique, à un degré supérieur à ce qu’en possèdent les langues sémitiques elles-mêmes, par conséquent s’éloignant davantage des formes appartenant aux langues des peuples blancs, et conservant ainsi moins de traces de l’idiome typique de la race noble. Je ne fais pas difficulté, pour ma part, de considérer cette révolution linguistique comme une conséquence de la presque identification avec les peuples noirs, et je donnerai plus bas mes raisons.

Le Chamite était dégénéré  : le voilà au sein de sa société d’esclaves, entouré par elle, dominé par son esprit, tandis qu’il domine lui-même sa matière, engendrant, de ses femmes noires, des fils et des filles qui portent, de moins en moins, le cachet des antiques conquérants. Cependant, parce qu’il lui reste quelque chose du sang de ses pères, il n’est pas un sauvage, il n’est pas un barbare. Il maintient debout une organisation sociale qui, depuis tant de siècles qu’elle a disparu, laisse encore tomber sur l’imagination du monde l’ombre de quelque chose de monstrueux et d’insensé, mais de non moins grandiose.

Le monde ne saurait plus rien voir de comparable, par les effets, aux résultats du mariage des Chamites blancs avec les peuples noirs. Les éléments d’une pareille alliance n’existent nulle part, et il n’est pas étonnant que, dans la production si fréquente des hybrides des deux espèces, rien ne représente plus au physique ni au moral l’énergie de la première création Si l’élément noir a généralement assez conservé de la pureté pour montrer des qualités à peu près analogues à celles de ses plus anciens types, il n’en est pas de même du blanc. L’espèce ne se retrouve nulle part dans sa valeur primitive. Nos nations les plus dégagées d’alliages ne sont que des résultats très décomposés, très peu harmoniques, d’une série de mélanges, soit noirs et blancs comme, au midi de l’Europe, les Espagnols, les Italiens, les Provençaux ; soit jaunes et blancs comme, dans le nord, les Anglais, les Allemands, les Russes. De sorte que les métis, produits d’un père soi-disant blanc, dont l’essence originelle est déjà si modifiée, ne saurait nullement s’élever à la valeur ethniquement possédée par les Chamites noirs.

Chez ces hommes, l’hymen s’était accompli entre des types également et complètement armés de leur vigueur et de leur originalité propres. Le conflit des deux natures avait pu s’accuser fortement dans leurs fruits et y portait ce caractère de vigueur, source d’excès aujourd’hui impossibles. L’observation de faits contemporains en fournit une preuve concluante : lorsqu’un Provençal ou un Italien donne le jour à un hybride mulâtre, ce rejeton est infiniment moins vigoureux que lorsqu’il est né d’un père anglais. C’est qu’en effet le type blanc de l’Anglo-Saxon, quoique loin d’être pur, n’est pas du moins affaibli d’avance par des séries d’alluvions mélaniennes comme celui des peuples du sud de l’Europe, et il peut transmettre à ses métis une plus grande part de la force primordiale. Cependant, je le répète, il s’en faut que le plus vigoureux mulâtre actuel équivaille au Chamite noir d’Assyrie, qui, la lance à la main, faisait trembler tant de nations esclaves.

Pour présenter de ce dernier un portrait ressemblant, je ne trouve rien de mieux que de lui appliquer le récit de la Bible sur certains autres métis plus anciens encore que lui, et dont l’histoire trop obscure et en partie mythique ne doit pas trouver place dans ces pages. Ces métis sont les êtres antédiluviens donnés comme fils des Caïnites et des anges. Ici il est indispensable de se débarrasser de l’idée agréable dont les notions chrétiennes ont revêtu le nom de ces créatures mystérieuses. L’imagination chananéenne, origine de la notion mosaïque, ne prenait pas les choses ainsi. Les anges étaient, pour elle, comme, du reste, pour les Hébreux, des messagers de la divinité, sans doute, mais plutôt sombres que doux, plutôt animés d’une grande force matérielle que représentant une énergie purement idéale. À ce titre, on se les imaginait sous des formes monstrueuses et propres à inspirer l’épouvante, non pas la sympathie (1)[21].

Lorsque ces créatures robustes se furent unies aux filles des Caïnites, il en naquit des géants (2)[22] dont on peut juger le caractère par le morceau littéraire le plus ancien, peut-être, du monde, par cette chanson, que disait à ses femmes un des descendants du meurtrier d’Abel, parent probablement bien proche de ces redoutables métis :

« Entendez ma voix, femmes de Lamech ; écoutez ma parole  : De même « que j’ai tué un homme pour une blessure et un enfant pour un affront, de « même la vengeance septuple de Caïn sera pour Lamech soixante-dix-sept fois septuple[23] ! »

Voilà, je m’imagine, ce qui peint le mieux les Chamites noirs, et je me laisserais aller aisément à voir un rapport étroit de similitude entre le mélange d’où ils sont sortis et l’hymen maudit des aïeules de Noé avec cet autre type inconnu que la pensée primitive relégua, non sans quelque horreur, dans un rang surnaturel.


CHAPITRE II.

Les Sémites.

Tandis que les Chamites se répandaient fort avant dans toute l’Asie antérieure et au long des côtes arabes jusque dans l’est de l’Afrique[24], d’autres tribus blanches, se pressant sur leurs pas, avaient gagné, à l’ouest, les montagnes de l’Arménie et les pentes méridionales du Caucase (1)[25].

Ces peuples sont ceux qu’on appelle Sémites. Leur force principale paraît s’être concentrée, dans les premiers temps, au milieu des régions montagneuses de la haute Chaldée. C’est de là que sortirent, à différentes époques, leurs masses les plus vigoureuses. C’est de là que provinrent les courants dont le mélange régénéra le mieux, et pendant le plus longtemps, le sang dénaturé des Chamites, et, dans la suite, l’espèce aussi abâtardie des plus anciens émigrants de leur propre race. Cette famille si féconde rayonna sur une très grande étendue de territoires. Elle poussa, dans la direction du sud-est, les Arméniens, les Araméens, les Élamites, les Élyméens, même nom sous différentes formes (2)[26] ; elle couvrit de ses rejetons l’Asie Mineure. Les Lyciens, les Lydiens, les Cariens lui appartiennent. Ses colonies envahirent la Crète, d’où elles revinrent plus tard, sous le nom de Philistins, occuper les Cyclades, Théra, Mélos, Cythère et la Thrace. Elles s’étendirent sur le pourtour entier de la Propontide, dans la Troade, le long du littoral de la Grèce, arrivèrent à Malte, dans les îles Lipari, en Sicile.

Pendant ce temps, d’autres Sémites, les Joktanides (3)[27], envoyèrent, jusqu’à l’extrême sud de l’Arabie, des tribus appelées à jouer un rôle important dans l’histoire des anciennes sociétés. Ces Joktanides furent connus de l’antiquité grecque et latine sous le nom d’Homérites, et ce que la civilisation de l’Éthiopie ne dut pas à l’influence égyptienne, elle l’emprunta à ces Arabes qui formèrent, non pas la partie la plus ancienne de la nation, prérogative des Chamites noirs, fils de Cush, mais certainement la plus glorieuse, quand les Arabes ismaélites, encore à naître au moment où nous parlons, furent venus se placer à leurs côtés. Ces établissements sont nombreux. Ils n’épuisent cependant pas la longue liste des possessions sémitiques. Je n’ai rien dit jusqu’à présent de leurs envahissements sur plusieurs points de l’Italie, et il faut ajouter que, maîtres de la côte nord de l’Afrique, ils finirent par occuper l’Espagne en si grand nombre, qu’à l’époque romaine on y constatait aisément leur présence.

Une si énorme diffusion ne s’expliquerait pas, quelle que pût être d’ailleurs la fécondité de la race, si l’on voulait revendiquer pour ces peuples une longue pureté de sang. Mais, pour bien des causes, cette prétention ne serait pas soutenable. Les Chamites, retenus par une répugnance naturelle, avaient peut-être résisté quelque temps au mélange qui confondait leur sang avec celui de leurs noirs sujets. Pour soutenir ce combat et maintenir la séparation des vainqueurs et des vaincus, les bonnes raisons ne manquaient pas, et les conséquences du laisser-aller sautaient aux yeux. Le sentiment paternel devait être médiocrement flatté en ne retrouvant plus la ressemblance des blancs dans le rejeton mulâtre. Cependant l’entraînement sensuel avait triomphé de ce dégoût, comme il en triompha toujours, et il en était résulté une population métisse plus séduisante que les anciens aborigènes, et qui présentait, avec des tentations physiques plus fortes que celles dont les Chamites avaient été victimes, la perspective de résultats, en définitive, beaucoup moins repoussants. Puis la situation n’était pas non plus la même  : les Chamites noirs ne se trouvaient pas, vis-à-vis des arrivants, dans l’infériorité où les ancêtres de leurs mères s’étaient vus en face des anciens conquérants. Ils formaient des nations puissantes auxquelles l’action des fondateurs blancs avait infusé l’élément civilisé, donné le luxe et la richesse, prêté tous les attraits du plaisir. Non seulement les mulâtres ne pouvaient pas faire horreur, mais ils devaient, sous beaucoup de rapports, exciter et l’admiration et l’envie des Sémites, encore inhabiles aux arts de la paix.

En se mêlant à eux, ce n’étaient pas des esclaves que les vainqueurs acquéraient, c’étaient des compagnons bien façonnés aux raffinements d’une civilisation depuis longtemps assise. Sans doute la part apportée par les Sémites à l’association était la plus belle et la plus féconde, puisqu’elle se composait de l’énergie et de la faculté initiatrice d’un sang plus rapproché de la souche blanche ; pourtant elle était la moins brillante. Les Sémites offraient des prémices et des primeurs, des espérances et des forces. Les Chamites noirs étaient déjà en possession d’une culture qui avait donné ses fruits.

On sait ce que c’était : de vastes et somptueuses cités gouvernaient les plaines assyriennes. Des villes florissantes s’élevaient sur les côtes de la Méditerranée. Sidon étendait au loin son commerce, et n’étonnait pas moins le monde par ses magnificences que Ninive et Babylone. Sichem, Damas, Ascalon (1)[28], d’autres villes encore, renfermaient des populations actives habituées à toutes les jouissances de la vie. Cette société puissante se morcelait en des myriades d’États qui tous, à un degré plus ou moins complet, mais sans exception, subissaient l’influence religieuse et morale du centre d’action placé en Assyrie (1)[29]. Là était la source de la civilisation ; là se trouvaient réunis les principaux mobiles des développements, et ce fait, prouvé par des considérations multiples, me fait accepter pleinement l’assertion d’Hérodote, amenant de ce voisinage les tribus phéniciennes, bien que le fait ait été contesté récemment (1)[30]. L’activité chananéenne était trop vive pour n’avoir pas puisé la naissance aux sources les plus pures de l’émigration chamite (2)[31].

Partout dans cette société, à Babylone comme à Tyr, règne avec force le goût des monuments gigantesques, que le grand nombre des ouvriers disponibles, leur servitude et leur abjection, rendaient si faciles à élever. Jamais, nulle part, on n’eut de pareils moyens de construite des monuments énormes, si ce n’est en Égypte, dans l’Inde et en Amérique, sous l’empire de circonstances et par la force de raisons absolument semblables. Il ne suffisait pas aux orgueilleux Chamites de faire monter vers le ciel de somptueux édifices ; il leur fallait encore ériger des montagnes pour servir de base à leurs palais, à leurs temples, montagnes artificielles non moins solidement soudées au sol que les montagnes naturelles, et rivalisant avec elles par l’étendue de leurs contours et l’élévation de leurs crêtes. Les environs du lac de Van (3)[32] montrent encore ce que furent ces prodigieux chefs-d’œuvre d’une imagination sans frein, servie par un despotisme sans pitié, obéie par la stupidité vigoureuse. Ces tumulus géants sont d’autant plus dignes d’arrêter l’attention, qu’ils nous reportent à des temps antérieurs à la séparation des Chamites blancs du reste de l’espèce. Le type en constitue le monument primordial commun à toute la race. Nous le retrouverons dans l’Inde, nous le verrons chez les Celtes. Les Slaves nous le montreront également, et ce ne sera pas sans surprise qu’après l’avoir contemplé sur les bords du Jénisséi et du fleuve Amour, nous le reconnaîtrons s’élevant au pied des montagnes alléghaniennes, et servant de base aux téocallis mexicains.

Nulle part, sauf en Égypte, les tumulus ne reçurent les proportions puissantes que les Assyriens surent leur donner. Accompagnements ordinaires de leurs plus vastes constructions, ceux-ci les érigèrent avec une recherche de luxe et de solidité inouïe. Comme d’autres peuples, ils n’en firent pas seulement des tombeaux ; ils ne les réduisirent pas non plus au rôle de bases pleines, ils les disposèrent en palais souterrains pour servir de refuge aux monarques et aux grands contre les ardeurs de l’été.

Leur besoin d’expansion artistique ne se contenta pas de l’architecture. Ils furent admirables dans la sculpture figurée et écrite. Les surfaces des rochers, les versants des montagnes devinrent des tableaux immenses où ils se plurent à sculpter des personnages gigantesques et des inscriptions qui ne l’étaient pas moins, et dont la copie embrasse des volumes (1)[33]. Sur leurs murailles, des scènes historiques, des cérémonies religieuses, des détails de la vie privée, entaillèrent savamment le marbre et la pierre, et servirent le besoin d’immortalité qui tourmentait ces imaginations démesurées.

La splendeur de la vie privée n’était pas moindre. Un immense luxe domestique entourait toutes les existences et, pour me servir d’une expression d’économiste, les États sémo-chamites étaient remarquablement consommateurs. Des étoffes variées par la matière et le tissu, des teintures éclatantes, des broderies délicates, des coiffures recherchées, des armes dispendieuses et ornées jusqu’à l’extravagance, comme aussi les chars et les meubles, l’usage des parfums, les bains de senteur, la frisure des cheveux et de la barbe, le goût effréné des bijoux et des joyaux, bagues, pendants d’oreilles, colliers, bracelets, cannes de jonc indien ou de bois précieux, enfin, toutes les exigences, tous les caprices d’un raffinement poussé jusqu’à la mollesse la plus absolue : telles étaient les habitudes des métis assyriens (2)[34]. N’oublions pas qu’au milieu de leur élégance, et comme un stigmate infligé par la partie la moins noble de leur sang, ils pratiquaient la barbare coutume du tatouage (1)[35].

Pour satisfaire à leurs besoins, sans cesse renaissants, sans cesse augmentant, le commerce allait fouiller tous les coins du monde, y quêter le tribut de chaque rareté. Les vastes territoires de l’Asie inférieure et supérieure demandaient sans relâche, réclamaient toujours de nouvelles acquisitions. Rien n’était pour eux ni trop beau ni trop cher. Ils se trouvaient, par l’accumulation de leurs richesses, en situation de tout vouloir, de tout apprécier et de tout payer.

Mais à côté de tant de magnificence matérielle, mêlée à l’activité artistique et la favorisant, de terribles indices, des plaies hideuses révélaient les maladies dégradantes que l’infusion du sang noir avait fait naître et développait d’une façon terrible. L’antique beauté des idées religieuses avait été graduellement souillée par les besoins superstitieux des mulâtres. À la simplicité de l’ancienne théologie avait succédé un émanatisme grossier, hideux dans ses symboles, se plaisant à représenter les attributs divins et les forces de la nature sous des images monstrueuses, défigurant les idées saines, les notions pures, sous un tel amas de mystères, de réserves, d’exclusions et d’indéchiffrables mythes, qu’il était devenu impossible à la vérité, refusée ainsi systématiquement au plus grand nombre, de ne pas finir, avec le temps, par devenir inabordable, même au plus petit. Ce n’est pas que je ne comprenne les répugnances que durent éprouver les Chamites blancs à commettre la majesté des doctrines de leurs pères avec l’abjecte superstition de la tourbe noire, et de ce sentiment on peut faire dériver le premier principe de leur amour du secret. Puis ils ne manquèrent pas non plus de comprendre bientôt toute la puissance que le silence donnait à leurs pontificats sur des multitudes plus portées à redouter la réserve hautaine du dogme et ses menaces qu’à en rechercher les côtés sympathiques et les promesses. D’autre part, je conçois aussi que le sang des esclaves, ayant, un jour, abâtardi les maîtres, inspira bientôt à ces derniers ce même esprit de superstition contre lequel le culte s’était d’abord mis en garde.

Ce qui primitivement avait été pudeur, puis moyen politique, finit par devenir croyance sincère, et, les gouvernants étant tombés au niveau des sujets, tout le monde crut à la laideur, admira et adora la difformité, lèpre victorieuse, invinciblement unie désormais aux doctrines et aux représentations figurées.

Et ce n’est pas en vain que le culte se déshonore chez un peuple. Bientôt la morale de ce peuple, suivant avec fidélité la triste route dans laquelle s’engage la foi, ne s’avilit pas moins que son guide. Il est impossible, à la créature humaine qui se prosterne devant un tronc de bois ou un morceau de pierre laidement contourné, de ne pas perdre la notion du bien après celle du beau. Les Chamites noirs avaient eu, d’ailleurs, tant de bonnes raisons pour se pervertir ! Leurs gouvernements les mettaient si directement sur la voie, qu’ils ne pouvaient y manquer. Tant que la puissance souveraine était restée entre les mains de la race blanche, l’oppression des sujets avait peut-être tourné au profit de l’amélioration des mœurs. Depuis que le sang noir avait tout souillé de ses superstitions brutales, de sa férocité innée, de son avidité pour les jouissances matérielles, l’exercice du pouvoir avait profité particulièrement à la satisfaction des instincts les moins nobles, et la servitude générale, sans devenir plus douce, s’était trouvée beaucoup plus dégradante. Tous les vices s’étaient donné rendez-vous dans les pays assyriens.

À côté des raffinements de luxe, que j’énumérais tout à l’heure, les sacrifices humains, ce genre d’hommage à la divinité, que la race blanche n’a jamais pratiqué que par emprunt aux habitudes des autres espèces, et que la moindre infusion nouvelle de son propre sang lui a fait aussitôt maudire, les sacrifices humains déshonoraient les temples des cités les plus riches et les plus civilisées. À Ninive, à Tyr, et plus tard à Carthage, ces infamies furent d’institution politique, et ne cessèrent jamais de s’accomplir avec le cérémonial le plus imposant. On les jugeait nécessaires à la prospérité de l’État.

Les mères donnaient leurs enfants pour être éventrés sur les autels. Elles s’enorgueillissaient à voir leurs nourrissons gémir et se débattre dans les flammes du foyer de Baal. Chez les dévots, l’amour de la mutilation était l’indice le plus estimé du zèle. Se couper un membre, s’arracher les organes de la virilité, c’était faire œuvre pie. Imiter, de plein gré, sur sa personne les atrocités que la justice civile exerçait envers les coupables, s’abattre le nez et les oreilles, et se consacrer tout sanglant, dans cet équipage, au Melkart Tyrien ou au Bel de Ninive, c’était mériter les faveurs de ces abominables fétiches.

Voilà le côté féroce ; passons au dépravé. Les turpitudes que, bien des siècles après, Pétrone décrivait dans Rome, devenue asiatique, et celles dont le célèbre roman d’Apulée, d’après les fables milésiennes, faisait matière à badinage, avaient droit de cité chez tous les peuples assyriens. La prostitution, recommandée, honorée et pratiquée dans les sanctuaires, s’était propagée au sein des mœurs publiques, et les lois de plus d’une grande ville en avaient fait un devoir religieux et un moyen naturel et avouable de s’acquérir une dot. La polygamie, pourtant bien jalouse et terrible dans ses soupçons et ses vengeances, ne s’armait d’aucune délicatesse à cet égard. Le succès vénal de la fiancée ne jetait sur le front de l’épouse l’ombre d’aucun opprobre.

Lorsque les Sémites, descendus de leurs montagnes, étaient apparus, 2.000 ans avant Jésus-Christ (1)[36], au milieu de la société chamite et l’avaient même, dans la basse Chaldée (2)[37], soumise à une dynastie issue de leur sang, les nouveaux principes blancs jetés au milieu des masses avaient dû régénérer et régénérèrent, en effet, les nations dans lesquelles ils furent infusés. Mais leur rôle ne fut pas complètement actif. C’était chez des métis et des lâches qu’ils arrivaient, non pas chez des barbares. Ils auraient pu tout détruire, s’il leur avait plu d’agir en maîtres brutaux. Beaucoup de choses regrettables auraient péri : ils firent mieux. Ils usèrent de l’admirable instinct qui jamais n’a abandonné l’espèce, et, donnant de loin un exemple que, plus tard, les Germains n’ont pas manqué de suivre, ils s’imposèrent l’obligation d’étayer la société vieillie et mourante à laquelle venait s’associer la jeunesse de leur sang. Pour y parvenir, ils se mirent à l’école de leurs vaincus et apprirent ce que l’expérience de la civilisation avait à leur enseigner. À en juger par l’événement, leurs succès ne laissèrent rien à souhaiter. Leur règne fut plein d’éclat et leur gloire si brillante, que les collecteurs grecs d’antiquités asiatiques leur ont fait l’honneur de la fondation de l’empire d’Assyrie, dont ils n’étaient que les restaurateurs. Erreur bien honorable pour eux et qui donne, tout à la fois, la mesure de leur goût pour la civilisation et de la vaste étendue de leurs travaux.

Dans la société chamite, aux destinées de laquelle ils se trouvèrent dès lors présider, ils apparaissent dans des fonctions bien multipliées. Soldats, matelots, ouvriers, pasteurs, rois, continuateurs des gouvernements auxquels ils se substituaient, ils acceptèrent la politique assyrienne en ce qu’elle avait d’essentiel. Ils furent ainsi amenés à consacrer une part de leur attention aux intérêts du commerce.

Si l’Asie antérieure était le grand marché du monde occidental et son point principal de consommation, la côte de la Méditerranée se présentait comme l’entrepôt naturel des denrées tirées des continents d’Afrique et d’Europe, et le pays de Chanaan, où se concentrait l’activité intellectuelle et mercantile des Chamites maritimes, devenait un point très intéressant pour les gouvernements et les peuples assyriens. Les Sémites babyloniens et ninivites l’avaient compris à merveille. Tous leurs efforts tendaient donc à dominer, soit directement, soit par voie d’influence, sur ces peuples habiles. Ceux-ci, de leur côté, s’étaient toujours efforcés de maintenir leur indépendance politique vis-à-vis des dynasties anciennes auxquelles la victoire avait substitué le nouveau rameau blanc. Pour modifier cet état de choses, les conquérants chaldéens engagèrent une suite de négociations et de guerres le plus souvent heureuses, qui ont rendu célèbre le génie de leur race, sous le nom caractéristique et dédoublé par l’histoire des reines Sémiramis (1)[38].

Toutefois, parce que les Sémites se trouvaient mêlés à des populations civilisées, leur action sur les villes chananéennes ne s’exerça pas uniquement par la force des armes et la politique. Doués d’une grande activité, ils agirent individuellement autant que par nations, et ils pénétrèrent en très grand nombre et pacifiquement dans les campagnes de la Palestine, aussi bien que dans les murs de Sidon et de Tyr, en qualité de soldats mercenaires, d’ouvriers, de marins. Ce mode paisible d’infiltration n’eut pas de moins grands résultats que la conquête, pour l’unité de la civilisation asiatique et l’avenir des États phéniciens (2)[39].

La Genèse nous a conservé une relation aussi curieuse qu’animée de la façon dont s’accomplissaient les déplacements paisibles de certaines tribus ou, pour mieux dire, de simples familles sémitiques. Il est une de celles-ci que le Livre saint prend au milieu des montagnes chaldéennes, promène de provinces en provinces, et dont il nous fait voir les misères, les travaux, les succès jusque dans les moindres détails. Ce serait manquer à notre sujet que de ne pas utiliser des renseignements si précieux.

La Genèse, donc, nous apprend qu’un homme de la race de Sem, de la branche arménienne d’Arphaxad, de la nation si prolifique de Hebr, vivait dans la haute Chaldée, au pays montagneux d’Ur ; que cet homme conçut un jour la pensée de quitter son pays pour aller habiter la terre de Chanaan (1)[40]. Le Livre saint ne nous dit pas quelles raisons puissantes avaient dicté la résolution du Sémite. Ces raisons étaient graves, sans doute, puisque le fils de l’émigrant défendit plus tard à sa race de se rapatrier jamais, bien qu’en même temps il commandât à son héritier de choisir une épouse dans le pays de sa parenté (2)[41].

Tharé (c’est le nom du voyageur), ayant pris le parti du départ, réunit ceux des siens qui devaient l’accompagner, et se mit en chemin avec eux. Les parents dont il s’entourait étaient Abram, son fils aîné ; Saraï, sa fille d’un autre lit, femme d’Abram (3)[42], et Loth, son petit-fils, dont le père, Aran, était mort quelques années en çà (4)[43]. À ce groupe de maîtres se joignaient des esclaves, en bien petit nombre, car la famille était pauvre, et quelques chameaux et chamelles, des ânes, des vaches, des brebis, des chèvres.

Le motif pour lequel Tharé avait choisi le Chanaan comme terme de son voyage est facile à deviner. Il était berger comme ses pères, et ne s’expatriait pas avec l’intention de changer d’état (1)[44]. Ce qu’il allait chercher, c’était une terre neuve, abondante en pâturages, et où la population fût assez clairsemée pour qu’il y pût à son aise promener ses troupeaux et les multiplier. Tharé appartenait donc à la classe la moins aventureuse de ses concitoyens.

Il était d’ailleurs très vieux lorsqu’il quitta la haute Chaldée. À 70 ans, il avait eu son fils Abram, et, au moment du départ, ce fils était marié. Si Tharé nourrissait l’espoir de conduire bien loin sa caravane, cet espoir fut déçu. Le vieillard expira à Haran, avant d’avoir pu sortir de la Mésopotamie (2)[45]. Les siens marchaient d’ailleurs fort lentement et comme gens préoccupés, avant tout, de laisser paître leurs troupeaux et de ne pas les fatiguer. Lorsque les tentes étaient plantées en un lieu favorable, elles y restaient jusqu’à ce que les puits fussent à sec et les prés tondus.

Abram, devenu le chef de l’émigration, avait vieilli sous la tutelle de son père. Il avait 75 ans quand la mort de ce dernier l’émancipa, et il devenait chef à un moment où il n’avait pas à se plaindre de l’être. Le nombre des esclaves s’était augmenté comme aussi celui des troupeaux (3)[46]. Ce qui ne laissait pas que d’avoir aussi quelque importance, une fois sorti des pays assyriens et entré dans la terre quasi-déserte de Chanaan, le pasteur sémite n’aperçut autour de son campement que des nations trop faibles pour l’inquiéter.

Des tribus de nègres aborigènes, des peuplades chamitiques, un petit nombre de groupes sémitiques, émigrant comme lui, quoique beaucoup plus anciennement arrivés dans la contrée, c’était tout, et le fils de Tharé qui, dans le pays d’Ur, n’avait compté, selon toute vraisemblance, que pour un très mince personnage, se trouva être, dans cette nouvelle patrie, un grand propriétaire, un homme considérable, presque un roi (1)[47]. Il en arrive ainsi, d’ordinaire, à ceux qui, abandonnant à propos une terre ingrate, portent dans un pays neuf du courage, de l’énergie et la résolution de s’agrandir.

Aucune de ces qualités ne manquait à Abram. Il ne forma pas d’abord un établissement fixe. Dieu lui avait promis de le rendre un jour maître de la contrée et d’y établir les générations sorties de ses reins. Il voulut connaître son empire. Il le parcourut tout entier. Il contracta des alliances utiles avec plusieurs des nomades qui l’exploitaient comme lui (2)[48]. Il descendit même en Égypte ; bref, quand il approcha du terme de sa carrière, il était puissant, il était riche. Il avait gagné beaucoup d’or et d’esclaves, beaucoup de troupeaux. Il était surtout devenu l’homme du pays, et il pouvait le juger ainsi que les peuples qui l’habitaient.

Ce jugement était sévère. Il avait bien connu les mœurs brutales et abominables des Chamites. Ce qui était arrivé à Sodome et Gomorrhe lui avait paru hautement mérité par les crimes des deux villes où Dieu lui avait prouvé qu’il ne se trouvait pas dix honnêtes gens (3)[49]. Il ne voulut pas que sa descendance fût souillée, dans le seul rameau qui lui tînt à cœur par une parenté avec des races si perverties, et il commanda à son intendant d’aller quérir, dans le pays natal de sa tribu, une femme de sa parenté, une fille de Bathuel, fils de Melcha et de Nachor (4)[50], par conséquent sa petite-nièce. Jadis on lui avait fait savoir la naissance de cette enfant (5)[51]. Ainsi, à ces époques primitives, l’émigration ne rompait pas tous les liens entre les Sémites absents de leurs montagnes et les membres de leurs familles qui avaient continué d’y habiter. Les nouvelles traversaient les plaines et les rivières, volaient de la maison chaldéenne à la tente errante du Chanaan, et circulaient à travers de vastes contrées morcelées entre tant de souverainetés diverses. C’est un exemple et une preuve de l’activité de vie et de la communauté d’idées et de sentiments qui embrassaient le monde chamo-sémitique.

Je ne veux pas pousser plus avant les détails de cette histoire : on les connaît assez. On sait que les Sémites abrahamides finirent par se fixer à demeure dans le pays de la Promesse. Ce que je veux seulement ajouter, c’est que les scènes du premier établissement, comme celles du départ et des hésitations qui précédèrent, rappellent d’une manière frappante ce que montrent, de nos jours, tant de familles irlandaises ou allemandes sur la terre d’Amérique. Quand un chef intelligent les conduit et dirige leurs travaux, elles réussissent comme les enfants du patriarche. Lorsqu’elles sont mal inspirées, elles échouent et disparaissent comme tant de groupes sémitiques dont la Bible nous laisse par éclairs entrevoir les désastres. C’est la même situation ; les mêmes sentiments s’y montrent dans des circonstances toujours analogues. On y voit persister au fond des cœurs cette touchante partialité à l’égard de la patrie lointaine, vers laquelle, pour rien au monde, on ne voudrait cependant rétrograder. C’est une joie semblable d’en recevoir des nouvelles, le même orgueil attaché à la parenté qu’on y conserve ; en un mot, tout est pareil.

J’ai montré une famille de pasteurs assez obscurs, assez humbles. Ce n’était pas là ce qui faisait surtout l’importance des émigrations sémitiques isolées dans les États assyriens ou chananéens. Ces bergers vivaient trop pour eux-mêmes et n’étaient pas d’une utilité assez directe aux populations visitées par eux. Il est donc tout simple que ceux de leurs frères qui avaient embrassé le métier des armes et se montraient experts dans cette utile profession fussent plus recherchés et plus remarqués.

Un des traits principaux de la dégradation des Chamites, et la cause la plus apparente de leur chute dans le gouvernement des États assyriens, ce fut l’oubli du courage guerrier et l’habitude de ne plus prendre part aux travaux militaires. Cette honte, profonde à Babylone et à Ninive, ne l’était guère moins à Tyr et à Sidon. Là, les vertus militaires étaient négligées et méprisées par ces marchands, trop absorbés dans l’idée de s’enrichir. Leur civilisation avait déjà trouvé les raisonnements dont les patriciens italiens du moyen âge se servirent plus tard pour déconsidérer la profession du soldat (1)[52].

Des troupes d’aventuriers sémites s’offrirent en foule à combler la lacune que les idées et les mœurs tendaient à rendre, chaque jour, plus profonde. Ils furent acceptés avec empressement. Sous les noms de Cariens, de Pisidiens, de Ciliciens, de Lydiens, de Philistins, coiffés de casques de métal, sur le front desquels leur coquetterie martiale inventa de faire flotter des panaches, vêtus de tuniques courtes et serrées, cuirasses, le bras passé dans un bouclier rond, ceints d’une épée qui dépassait la mesure ordinaire des glaives asiatiques et portant en main des javelots, ils furent chargés de la garde des capitales et devinrent les défenseurs des flottes (2)[53]. Leurs mérites étaient moins grands toutefois que l’énervement de ceux qui les payaient (3)[54]. La très haute noblesse phénicienne était la seule partie de la nation qui, quelque peu fidèle aux souvenirs de ses pères, les grands chasseurs de l’Éternel, eût gardé l’habitude de porter les armes. Elle aimait encore à suspendre ses boucliers, richement peints et dorés, aux sommets des grandes tours et à embellir ses villes de cette parure brillante qui au dire des témoignages, les faisait resplendir de loin comme des étoiles (1)[55]. Le reste du peuple travaillait. Il jouissait des produits de son industrie et de son commerce. Quand la politique réclamait quelque coup de vigueur, une colonisation, une émigration, les rois et les conseils aristocratiques, après avoir enlevé l’écume de leurs populations par une presse forcée, lui donnaient pour gardes et pour soutiens des Sémites ; tandis que quelques rejetons des Chamites noirs, se mettant à la tête de ce mélange, tantôt commandaient temporairement, tantôt allaient, au delà des mers, former le noyau d’un nouveau patriciat local et créer un État modelé sur les habitudes politiques et religieuses de la mère patrie.

De cette façon, les bandes sémites pénétraient partout où les Chamites avaient de l’action. Elles ne se séparaient pas, pour ainsi dire, de leurs vaincus, et le cercle de ces derniers, leur milieu, leur puissance étaient également les leurs. Les blancs de la seconde alluvion semblaient, en un mot, n’avoir pas d’autre mission à remplir que de prolonger autant que possible, par l’adjonction de leur sang, demeuré plus pur, l’antique établissement de la première invasion blanche dans le sud-ouest.

On dut croire longtemps que cette source régénératrice était inépuisable. Tandis que, vers le temps de la première émigration des Sémites, quelques-unes des nations arianes, autres tribus blanches, s’établissaient dans la Sogdiane et le Pendjab actuel, il arrivait que deux rameaux étaient détachés de celles-ci. Les peuples arians-helléniques et arians-zoroastriens, cherchant une issue pour gagner l’ouest, pressaient avec force sur les Sémites, et les contraignaient d’abandonner leurs vallées montagneuses pour se jeter dans les plaines et descendre vers le midi. Là se trouvaient les plus considérables des États fondés par les Chamites noirs.

Il est difficile de savoir d’une manière exacte si la résistance opposée aux envahisseurs helléniques fut bien vigoureuse dans son malheur. Il ne le semble pas. Les Sémites, supérieurs aux Chamites noirs, n’étaient cependant pas de taille à lutter contre les nouveaux venus. Moins pénétrés par les alliages mélaniens que les descendants de Nemrod, ils étaient cependant infectés dans une grande mesure, puisqu’ils avaient abandonné la langue des blancs pour accepter le système issu de l’hymen de ses débris avec les dialectes des noirs, système qui nous est connu sous le nom très discutable de sémitique.

La philologie actuelle divise les langues sémitiques en quatre groupes principaux (1)[56] : le premier contient le phénicien, le punique et le libyque, dont les dialectes berbères sont des dérivés (2)[57] ; le second renferme l’hébreu et ses variations (3)[58] ; le troisième, les branches araméennes ; le quatrième, l’arabe, le gheez et l’amharique.

À considérer le groupe sémitique dans son ensemble et en faisant abstraction des mots importés par des mélanges ethniques postérieurs avec des nations blanches, on ne peut pas affirmer qu’il y ait eu séparation radicale entre ce groupe et ce qu’on nomme les langues indo-germaniques, qui sont celles de l’espèce d’où sont sortis, incontestablement, les pères des Chamites et de leurs continuateurs.

Le système sémitique présente, dans son organisme, des lacunes remarquables. Il semblerait que, lorsqu’il s’est formé, ses premiers développements ont rencontré autour d’eux, dans les langues qu’ils venaient remplacer, de puissantes antipathies dont ils n’ont pas pu complètement triompher. Ils ont détruit les obstacles sans pouvoir fertiliser leurs restes, de sorte que les langues sémitiques sont des langues incomplètes (1)[59].

Ce n’est pas uniquement par ce qui leur fait défaut qu’on peut constater en elles ce caractère, c’est aussi par ce qu’elles possèdent. Un de leurs traits principaux, c’est la richesse des combinaisons verbales. Dans l’arabe ancien, les formes existent pour quinze conjugaisons dans lesquelles un verbe idéal peut passer. Mais ce verbe, comme je le dis, est idéal, et aucun des verbes réels n’est apte à profiter de la facilité de flexion ni de la multiplicité de nuances qui lui sont offertes par la théorie grammaticale (2)[60]. Il y a certainement, au fond de la nature de ces langues, quelque chose d’inconnu qui s’y oppose. Il s’ensuit que tous les verbes sont défectueux et que les irrégularités et les exceptions abondent. Or, comme on l’a bien démontré, toute langue a le complément de ce qui lui manque dans l’opulence plus logique de quelque autre à laquelle elle a fait ses emprunts imparfaits (3)[61].

Le complément du système sémitique paraît se rencontrer dans les langues africaines. Là, on est frappé de retrouver tout entier l’appareil des formes verbales, si saillant dans les idiomes sémitiques, avec cette grave différence que rien n’y est stérile ; tous les verbes passent, sans difficulté, par toutes les conjugaisons (1)[62]. D’autre part, on n’y trouve plus de ces racines dont la parenté visible avec l’indo-germanique trouble singulièrement les idées de ceux qui veulent faire du groupe sémitique un système entièrement original, absolument isolé des langues de notre espèce (2)[63]. Pour les idiomes nègres, pas de trace, pas de soupçon possible d’une alliance quelconque avec les langues de l’Inde et de l’Europe ; au contraire, alliance intime, parenté visible avec celles de l’Assyrie, de la Judée, du Chanaan et de la Libye.

Je parle ici des langues de l’Afrique orientale. On était déjà bien d’avis que le gheez et l’amharique, parlés en Abyssinie, sont franchement sémitiques, et, d’un commun accord, on les rattachait, purement et simplement, à la souche arabe (1)[64]. Mais voilà que la liste s’allonge, et dans les nouveaux rameaux linguistiques qu’il faut, bon gré mal gré, rattacher au nom de Sem, il se manifeste des caractères spéciaux qui forcent de les constituer à part de l’idiome des Cushites, des Joktanides et des Ismaélites. En première ligne se présentent le tögr-jana et le tögray ; puis la langue du Gouraghé au sud-ouest, l’adari dans le Harar, le gafat à l’ouest du lac Tzana, l’ilmorma, en usage chez plusieurs tribus gallas, l’afar et ses deux dialectes ; le saho (2)[65], le ssomal, le sechuana et le wanika (3)[66]. Toutes ces langues présentent des caractères nettement sémitiques. Il faut leur adjoindre encore le suahili, qui ouvre à son tour un autre coin de l’horizon.

C’est une langue cafre, et le peuple qui en parle les dialectes, jadis borné, dans l’opinion des Européens, aux territoires les plus méridionaux de l’Afrique, s’étend maintenant, pour nous, 5° plus au nord, jusque par delà Monbaz (4)[67]. Il atteint l’Abyssinie, confesse, lui noir et non pas nègre, une communauté fondamentale d’idiome avec des tribus purement nègres, telles que les Suahilis proprement dits, les Makouas et les Monjous. Enfin, les Gallas parlent tous des dialectes qui se rapprochent du cafre (1)[68].

Ces observations ne s’arrêtent pas là. On est en droit d’y ajouter ce dernier mot, de la plus haute importance : tout le continent d’Afrique, du sud au nord et de l’est à l’ouest, ne connaît qu’une seule langue, ne parle que des dialectes d’une même origine. Dans le Congo comme dans la Cafrerie et l’Angola, sur tout le pourtour des côtes, on retrouve les mêmes formes et les mêmes racines (2)[69]. La Nigritie, qui n’a pas encore été étudiée, et le patois des Hottentots, restent, provisoirement, en dehors de cette affirmation, mais ne la réfutent pas.

Maintenant, récapitulons. 1° Tout ce qu’on connaît des langues de l’Afrique, tant de celles qui appartiennent aux nations noires que de celles qui sont parlées par les tribus nègres, se rapporte à un même système ; 2° ce système présente les caractères principaux du groupe sémitique dans un plus grand état de perfection que dans ce groupe même ; 3° plusieurs des langues qui en ressortent sont classées hardiment, par ceux qui les étudient, dans le groupe sémitique.

En faut-il davantage pour reconnaître que ce groupe, tant dans ses formes que dans ses lacunes, puise ses raisons d’exister au fond des éléments ethniques qui le composent, c’est-à-dire dans les effets d’une origine blanche absorbée au sein d’une proportion infiniment forte d’éléments mélaniens ?

Il n’est pas nécessaire, pour comprendre ainsi la genèse des langues de l’Asie antérieure, de supposer que les populations sémitiques se soient préalablement noyées dans le sang des noirs. Le fait, incontestable pour les Chamites, ne l’est pas pour leurs associés.

À la manière dont ceux-ci se sont mêlés aux sociétés antérieures, tantôt s’abattant victorieux sur les États du centre, tantôt se glissant, en serviteurs utiles et intelligents, dans les communautés maritimes, il est fort à croire qu’ils firent comme les enfants d’Abraham : ils apprirent les langues du pays où ils venaient aussi bien gagner leur vie que régner (1)[70]. L’exemple donné par le rameau hébreu a très bien pu être suivi par toutes les branches de la famille, et je ne répugne pas davantage à croire que les dialectes formés postérieurement par celle-ci n’aient eu précisément pour caractère typique de créer, ou au moins d’agrandir des lacunes. Je les signalais tout à l’heure dans l’organisme des langues sémitiques. Ceci n’est d’ailleurs pas une hypothèse. Les Sémites les moins mélangés de sang chamite, tels que les Hébreux, ont possédé un idiome plus imparfait que les Arabes. Les alliances multipliées de ces derniers avec les peuplades environnantes avaient sans cesse replongé la langue dans ses origines mélaniennes. Toutefois, l’arabe est encore loin d’atteindre à l’idéal noir, comme l’essence de ceux qui le possèdent est loin d’être identique avec le sang africain.

Quant aux Chamites, il en fut différemment : il fallut, de toute nécessité, que, pour donner naissance au système linguistique qu’ils adoptèrent et transmirent aux Sémites, ils s’abandonnassent sans réserve à l’élément noir. Ils durent posséder le système sémitique beaucoup plus purement, et je ne serais pas surpris si, malgré la rencontre de racines indo-germaniques dans les inscriptions de Bi-Soutoun, on était amené à reconnaître un jour que la langue de quelques-unes de ces annales du plus lointain passé se rapproche plus du type nègre que l’arabe, et, à plus forte raison, que l’hébreu et l’araméen.

Je viens de montrer comment il y avait plusieurs degrés vers la perfection sémitique. On part de l’araméen, la plus défectueuse des langues de cette famille, pour arriver au noir pur. Je ferai voir plus tard comment on sort de ce système, avec les peuples les moins atteints par le mélange noir, pour remonter par degrés vers les langues de la famille blanche. Toutefois, laissons ce sujet pour un moment : c’est assez d’avoir établi la situation ethnique des conquérants sémites. Plus respectés que les Assyriens primitifs par la lèpre mélanienne, ils étaient métis comme eux. Ils ne se trouvaient en état de triompher que de nations malades, et nous les verrons succomber toujours quand ils auront affaire à des hommes d’extraction plus noble.

Mais, vers l’an 2000 avant Jésus-Christ, ces hommes d’énergie supérieure, les Arians zoroastriens, pointaient à peine à l’horizon oriental. Ils s’occupaient uniquement de s’assurer les demeures conquises par eux dans la Médie. De leur côté, les Arians hellènes ne cherchaient qu’à se faire place dans leur migration vers l’Europe. Les Sémites avaient ainsi de longs siècles de prédominance et de triomphes assurés sur les gens civilisés du sud-ouest.

Chaque fois qu’un mouvement des Arians hellènes les forçait de céder quelque part de leur ancien territoire, la défaite se résolvait pour eux en une victoire fructueuse, car elle s’opérait aux dépens des colons de la riche Babylonie. C’est ainsi que ces bandes de vaincus fugitifs, ensevelissant la honte de leur déroute dans les ténèbres des pays situés vers le Caucase et la Caspienne, frappaient le monde d’admiration à la vue des faciles lauriers que recueillait leur fuite.

Les invasions sémitiques constituent donc des œuvres reprises à plusieurs fois. Le détail n’en importe pas ici. Il suffit de rappeler que la première émigration s’empara des États situés dans la basse Chaldée. Une autre expédition, celle des Joktanides, se prolongea jusqu’en Arabie (1)[71]. Une autre, d’autres encore, peuplèrent de nouveaux maîtres les contrées maritimes de l’Asie supérieure. Le sang noir combattait souvent avec succès, chez les plus mélangés de ces peuples, les tendances sédentaires de l’espèce ; et, non seulement des déplacements très considérables avaient lieu dans les masses, mais quelquefois aussi des tribus peu nombreuses, cédant à des considérations de toute nature, abandonnaient leurs résidences pour gagner une autre patrie.

Les Sémites étaient déjà en pleine possession de tout l’univers chamite, où les chefs sociaux qui n’étaient pas directement vaincus subissaient pourtant leur influence, quand parut au milieu de leurs établissements un peuple destiné à de grandes épreuves et à de grandes gloires : je veux parler du rameau de la nation hébraïque, que j’ai déjà amené hors des montagnes arméniennes, et qui, sous la conduite d’Abraham, et bientôt avec le nom d’Israël, avait poursuivi sa marche jusqu’en Égypte pour revenir ensuite dans le pays de Chanaan. Lorsque avec le père des patriarches la nation traversa ce pays, il était peu peuplé. Quand Josué y reparut, le sol était largement occupé et bien cultivé par de nombreux Sémites (1)[72].

La naissance d’Abraham est fixée par l’exégèse à l’an 2017, postérieurement aux premières attaques des nations helléniques contre les peuples des montagnes, par conséquent non loin de l’époque des victoires de ces derniers sur les Chamites, et de l’élévation de la nouvelle dynastie assyrienne. Abraham appartenait à une nation d’où les Joktanides étaient déjà issus, et dont les branches, restées dans la mère patrie, y formèrent, plus tard, différents États sous les noms de Péleg, de Réhou, de Saroudj, de Nachor et autres (2)[73]. Le fils de Tharé devint lui-même le fondateur vénéré de plusieurs peuples, dont les plus célèbres ont été les enfants de Jacob, puis les Arabes occidentaux, qui, sous le nom d’Ismaélites, partageant avec les Joktanides hébreux et les Chamites kuschites la domination de la péninsule, agirent, dans la suite, avec le plus de force sur les destinées du monde, soit lorsqu’ils donnèrent de nouvelles dynasties aux Assyriens, soit lorsque, avec Mahomet, ils dirigèrent la dernière renaissance de la race sémitique.

Avant de suivre plus avant les destinées ethniques du peuple d’Israël, et maintenant que j’ai trouvé dans la date de la naissance de son patriarche un point chronologique assuré qui peut servir à fixer la pensée, j’épuiserai ce qui me reste à dire sur les autres nations chamo-sémites les plus apparentes.

Il ne faut pas perdre de vue que le nombre des États indépendants compris dans la société d’alors était innombrable. Toutefois, je ne puis parler que de ceux qui ont laissé les traces les plus profondes de leur existence et de leurs actes. Attachons-nous d’abord aux Phéniciens.


CHAPITRE III.

Les Chananéens maritimes.

Au temps d’Abraham, la civilisation chamite était dans tout l’éclat de son perfectionnement et de ses vices[74]. Un de ses territoires les plus remarquables était la Palestine[75], où les villes de Chanaan florissaient, grâce à leur commerce alimenté par des colonies innombrables déjà. Ce qui pouvait manquer, en population, à toutes ces villes était amplement compensé par cette circonstance heureuse, que nul concurrent ne leur disputait encore les immenses profits de leurs manufactures d’étoffes, de leurs teintureries, de leur navigation et de leur transit (1)[76].

Toutes les ressources de richesses que je viens d’énumérer restaient concentrées entre les mains de leurs créateurs. Mais, comme pour prouver combien c’est une faible marque de la force vitale des nations qu’un commerce productif, les Phéniciens, déchus de l’antique énergie qui les avait amenés jadis des bords de la mer Persique aux rives de la Méditerranée, n’avaient conservé aucune indépendance politique réelle (2)[77]. Ils se gouvernaient, le plus souvent, il est vrai, par leurs propres lois et dans leurs formes aristocratiques anciennes. Mais, en fait, la puissance assyrienne avait annulé leur indépendance. Ils recevaient et respectaient les ordres venus des contrées de l’Euphrate (3)[78]. Lorsque, dans quelques mouvements intérieurs, ils essayaient de secouer ce joug, leur unique ressource était de se tourner vers l’Égypte et de substituer l’influence de Memphis à celle de Ninive. De véritable isonomie, il n’en était plus question.

Outre la prépondérance des deux grands empires entre lesquels les villes chananéennes se trouvaient resserrées, un motif d’une autre nature forçait les Phéniciens aux plus constants ménagements envers ces puissants voisins. Les territoires de l’Assyrie et de l’Égypte, mais surtout de l’Assyrie, étaient les grands débouchés du commerce de Sidon et de Tyr. À la vérité, les Chananéens allaient, sur d’autres points encore, porter les étoffes de pourpre, les verreries, les parfums et les denrées de toutes sortes, dont leurs magasins regorgeaient. Mais quand la proue élevée de leurs navires noirs et longs venait toucher la grève encore si jeune des côtes grecques ou les rivages de l’Italie, de l’Afrique, de l’Espagne, l’équipage ne faisait là que d’assez maigres profits. La longue barque était tirée à terre par les rameurs noirs, aux tuniques rouges, courtes et serrées. Les populations aborigènes entouraient, la convoitise et l’étonnement peints sur le visage, ces navigateurs arrogants qui commençaient par disposer autour de leur navire les groupes prudemment armés de leurs mercenaires sémites ; puis on étalait devant les rois et les chefs, accourus de tous les points de la contrée, ce que contenaient les flancs du vaisseau. Autant que possible, on cherchait à obtenir en échange des métaux précieux. C’était ce qu’on demandait à l’Espagne, riche en ce genre. Avec les Grecs, on traitait surtout pour des troupeaux, pour des bois principalement, comme en Afrique pour des esclaves. Quand l’occasion s’y prêtait et que le marchand se jugeait le plus fort, sans scrupule il se jetait, avec son monde, sur les belles filles, vierges royales ou servantes, sur les enfants, sur les jeunes garçons, sur les hommes faits, et rapportait joyeusement dans les marchés de sa patrie les fruits abondants de ce commerce sans foi qui, dès la plus haute antiquité, a rendu célèbres l’avidité, la lâcheté et la perfidie des Chamites et de leurs alliés. On comprend, de reste, quelle aversion dangereuse devaient inspirer ces marchands sur les côtes, où ils ne s’étaient pas encore assuré, par des établissements fixes, la haute main et la domination absolue. En somme, ce qu’ils faisaient par tous ces pays, c’était une exploitation des richesses locales. Donnant peu pour obtenir ou extorquer, ou arracher, beaucoup, leurs opérations se bornaient à un commerce de troc, et leurs plus beaux produits, comme leurs plus précieuses denrées, ne trouvaient pas là de placement. La grande importance de l’Occident ne consistait donc nullement pour eux dans ce qu’ils y apportaient, mais bien dans ce qu’ils en tiraient, au meilleur marché possible. Nos régions fournissaient la matière première, que Tyr, Sidon, les autres cités chananéennes travaillaient, façonnaient ou faisaient valoir ailleurs, chez les Égyptiens et dans les contrées mésopotamiques.

Ce n’était pas seulement en Europe et en Afrique que les Phéniciens allaient chercher les éléments de leurs spéculations. Par des relations très antiques avec les Arabes kouschites et les enfants de Joktan, ils prenaient part au commerce des parfums, des épices, de l’ivoire et de l’ébène, provenant de l’Yémen ou de lieux beaucoup plus éloignés, tels que la côte orientale d’Afrique, de l’Inde, ou même de l’extrême Orient (1)[79]. Pourtant n’ayant pas là, comme pour les produits de l’Europe, un monopole absolu, leur attention restait fixée de préférence sur les pays occidentaux, et c’était entre ces terres accaparées et les deux grands centres de la civilisation contemporaine qu’ils jouaient, dans toute sa plénitude, le rôle avantageux de facteurs uniques.

Leur existence et leur prospérité se trouvaient ainsi liées d’une manière étroite aux destinées de Ninive et de Thèbes. Quand ces pays souffraient, aussitôt la consommation était en baisse, et immédiatement le coup portait sur l’industrie et le commerce chananéens. Si les rois de la Mésopotamie croyaient avoir à se plaindre des États marchands de la Phénicie, ou bien s’ils voulaient, dans une querelle, les amener à composition sans tirer l’épée, quelques mesures fiscales dirigées contre l’introduction des denrées de l’Occident dans les pays assyriens ou dans les provinces égyptiennes nuisaient beaucoup plus aux patriciens de Tyr, les atteignaient plus profondément et plus sensiblement dans leur existence et, par là, dans leur tranquillité intérieure, que si l’on avait envoyé contre eux d’innombrables armées de cavaliers et de chars. Voilà donc, dans la plus lointaine antiquité, les Phéniciens, si fiers de leur activité mercantile, si dépravés, si abaissés par les vices un peu ignobles, compagnons inséparables de ce genre de mérite, réduits à ne posséder que l’ombre de l’indépendance et vivant serviteurs humiliés de leurs puissants acheteurs.

Le gouvernement des villes de la côte avait jadis commencé par être sévèrement théocratique. C’était l’usage de la race de Cham. En effet, les premiers vainqueurs blancs s’étaient montrés au milieu des populations noires avec l’appareil d’une telle supériorité d’intelligence, de volonté et de force, que ces masses superstitieuses ne purent dépeindre mieux la sensation d’admiration et d’épouvante qu’elles en éprouvèrent qu’en les déclarant dieux. C’est par suite d’une idée toute semblable que les peuples de l’Amérique, aux temps de la découverte, demandaient aux Espagnols s’ils ne venaient pas du ciel, s’ils n’étaient pas des dieux, et, malgré les réponses négatives dictées aux conquérants par la foi chrétienne, leurs vaincus persistaient à les soupçonner véhémentement de cacher leur qualité. C’est de même encore que, de nos jours, les tribus de l’Afrique orientale ne dépeignent pas autrement l’état dans lequel ils voient les Européens qu’en disant : ce sont des dieux (1)[80].

Les Chamites blancs, médiocrement retenus par les délicatesses de conscience des temps modernes, n’avaient vraisemblablement eu aucune peine à se résoudre aux adorations. Mais lorsque le sang se mêla, et qu’à la race pure succédèrent partout les mulâtres, le noir découvrit des traces nombreuses d’humanité dans le maître que sa fille ou sa sœur avait mis au monde. Le nouvel hybride, toutefois, était puissant et hautain. Il tenait aux anciens vainqueurs par sa généalogie, et si le règne des divinités finit, celui de leurs prêtres commença. Le despotisme, pour changer de forme, n’en fut pas moins aveuglément vénéré. Les Chananéens conservaient dans leur histoire (1)[81] l’exposé très complet de ce double état de choses. Ils avaient été gouvernés par Melkart et Baal, et plus tard par les pontifes de ces êtres surhumains (2)[82].

Quand les Sémites arrivèrent, la révolution fit un pas en avant. Les Sémites étaient, au fond, plus proches parents des dieux que les dynasties hiératiques des Chamites noirs. Ils avaient quitté plus récemment la souche commune, et leur sang, bien qu’assez altéré, l’était moins que celui des métis dont ils venaient partager les richesses et soutenir l’existence politique, chaque jour plus débile. Toutefois, les prêtres phéniciens ne seraient pas tombés d’accord de cette supériorité de noblesse, et l’auraient-ils voulu qu’ils ne l’auraient pas pu, car l’essence noire prédominait tellement dans leurs veines, qu’ils avaient oublié le Dieu de leurs dieux et l’origine réelle de ces derniers. Ils se considéraient, avec eux, comme autochtones (3)[83]. C’est dire qu’ils avaient adopté les superstitions grossières des ancêtres de leurs mères. Pour ces gens dégénérés, point de migration blanche de Tylos sur la côte méditerranéenne. Melkart et son peuple étaient sortis du limon sur lequel s’élevaient leurs demeures. Dans d’autres pays et dans d’autres temps, les Hindous, les Grecs, les Italiens et d’autres nations empruntèrent la même erreur aux mêmes sources.

Mais les faits vont à leurs conséquences, sans se soucier du concours des opinions. Les Sémites ne purent, sans doute, devenir des dieux puisqu’ils n’avaient pas le sang pur et que, prépondérants, ils ne l’étaient pas assez pour agir sur les imaginations au degré nécessaire à l’apothéose. Les Chamites noirs surent également leur refuser l’entrée des sacerdoces réservés depuis tant de siècles aux mêmes familles. Alors les Sémites humilièrent la théocratie et, plus haut qu’elle, placèrent le gouvernement et le pouvoir du sabre. Après une lutte assez vive, de sacerdotal, monarchique et absolu, le gouvernement des villes phéniciennes devint aristocratique, républicain et absolu, ne gardant ainsi de la triade de forces qu’il remplaçait que la dernière.

Il ne détruisit pas complètement les deux autres, fidèle en cela au rôle réformateur, modificateur, plutôt que révolutionnaire, imposé à ses actes par son origine, si voisine de celle des Chamites noirs, et dès lors respectueuse pour le fond de leurs œuvres. Parmi les grandeurs de son aristocratie, il fit une place des plus honorables aux pontificats. Il leur assigna dans l’État le second rang, et continua à en laisser les honneurs aux nobles familles chamites qui jusqu’alors les avaient possédés. La royauté ne fut pas traitée si bien. Peut-être, d’ailleurs, les Chamites noirs eux-mêmes n’en avaient-ils jamais que médiocrement développé la puissance, comme on est tenté de le croire pour les États assyriens.

Soit qu’on acceptât désormais, dans le gouvernement des villes phéniciennes, un chef unique, ou bien, combinaison plus fréquente, que la couronne dédoublée se partageât entre deux rois intentionnellement choisis dans deux maisons rivales, l’autorité de ces chefs suprêmes devint entièrement limitée, surveillée, contrainte, et on ne leur accorda guère, avec plénitude, que des prérogatives sans effet et des splendeurs sans liberté. Il est permis de croire que les Sémites étendirent à toutes les contrées où ils dominèrent cette jalouse surveillance de la puissance monarchique, et qu’à Ninive comme à Babylone, les titulaires de l’empire ne furent, sous leur inspiration, que les représentants sans initiative des prêtres et des nobles.

Telle fut l’organisation sortie de la fusion des Chamites noirs de la Phénicie avec les Sémites. Les rois, autrement dit les suffètes, vivaient dans des palais somptueux. Rien ne semblait ni trop beau ni trop bon pour rehausser la magnificence dont les vrais maîtres de l’État se plaisaient à en orner la double tête. Des multitudes d’esclaves des deux sexes, splendidement vêtus, étaient aux ordres de ces mortels accablés sous l’étalage des jouissances. Des eunuques par troupeaux gardaient l’entrée de leurs jardins et de leurs gynécées. Des femmes de tous les pays leur étaient amenées par les navires voyageurs. Ils mangeaient dans l’or, ils se couronnaient de diamants et de perles, d’améthystes, de rubis, de topazes, et la pourpre, si, exaltée par l’imagination antique, était la couleur respectueusement réservée à tous leurs vêtements. En dehors de cette vie somptueuse et des formes de vénération que la loi commandait d’y ajouter, il n’y avait rien. Les suffètes donnaient leur avis sur les affaires publiques comme les autres nobles, rien de plus ; ou s’ils allaient au delà, c’était par l’usage d’une influence personnelle qui avait été disputée avant d’être subie ; car l’action légale et régulière, et même la puissance exécutive, se concentraient entre les mains des chefs des grandes maisons (1)[84].

Pour ces derniers, collectivement, l’autorité n’avait pas de bornes. Du moment qu’un accord conclu entre eux avait pris le caractère impératif qui constitue la loi, tout devait plier devant cette loi, dont les législateurs eux-mêmes étaient les premières victimes. Nulle part et jamais cette abstraction ne ménageait les situations personnelles. Une rigueur inflexible en introduisait les redoutables effets jusque dans l’intérieur des familles, tyrannisait les rapports les plus intimes des époux, planait sur la tête du père, despote de ses enfants, mettait la contrainte entre l’individu et sa conscience. Dans l’État tout entier, depuis le dernier matelot, le plus infime ouvrier, jusqu’au grand prêtre du Dieu le plus révéré, jusqu’au noble le plus arrogant, la loi étendait le niveau terrible révélé par cette courte sentence  : Autant d’hommes, autant d’esclaves !

C’est ainsi que les Sémites, unis à la postérité de Cham, avaient compris et pratiquaient la science du gouvernement. J’insiste d’autant plus sur cette sévère conception, que nous la verrons, avec le sang sémitique, pénétrer dans les constitutions de presque tous les peuples de l’antiquité, et toucher même aux temps modernes, où elle ne recule, provisoirement, que devant les notions plus équitables et plus saines de la race germanique.

N’oublions pas d’analyser les inspirations qui avaient présidé à cette organisation rigoureuse. En ce qu’elles avaient de brutal et d’odieux, leur source, évidemment, trempait dans la nature noire, amie de l’absolu, facile à l’esclavage, s’attroupant volontiers dans une idée abstraite à qui elle ne demande pas de se laisser comprendre, mais de se faire craindre et obéir. Au contraire, dans les éléments d’une nature plus élevée, qu’on ne peut y méconnaître, dans cet essai de pondération entre la royauté, le sacerdoce et la noblesse armée, dans cet amour de la règle et de la légalité, on retrouve les instincts bien marqués que nous constaterons partout chez les peuples de race blanche.

Les villes chananéennes attiraient à elles de nombreuses troupes de Sémites, appartenant à tous les rameaux de la race, et par conséquent différemment mélangées. Les hommes qui arrivaient d’Assyrie apportaient, du mélange chamite particulier auquel ils avaient touché, un sang tout autre que celui du Sémite qui, venu de la basse Égypte ou du sud de l’Arabie, avait été longtemps en contact avec le nègre à chevelure laineuse. Le Chaldéen du nord, celui des montagnes de l’Arménie (1)[85], l’Hébreu, enfin, dans les alliages subis par sa race, avait eu plus de participation à l’essence blanche. Cet autre, qui descendait des régions voisines du Caucase, pouvait déjà, directement ou indirectement, apporter dans ses veines un ressouvenir de l’espèce jaune. Telles bandes sorties de la Phrygie avaient pour mères des femmes grecques.

Autant de nouvelles émigrations, autant d’éléments ethniques nouveaux qui venaient s’accoster dans les cités phéniciennes. Outre ces différents rapports de la famille sémitique, il y avait encore des Chamites du Pays, des Chamites fournis par les grands États de l’est, et encore des Arabes cuschites et des Égyptiens et des nègres purs. En somme, les deux familles blanche et noire, et quelque peu même l’espèce jaune, se combinaient de mille manières différentes au milieu de Chanaan, s’y renouvelaient sans cesse et y abondaient constamment, de manière à y former des variétés et des types jusque-là inconnus.

Un tel concours avait lieu parce que la Phénicie offrait de l’occupation à tout ce monde. Les travaux de ses ports, de ses fabriques, de ses caravanes, demandaient beaucoup de bras. Tyr et Sidon, outre qu’elles étaient de grandes villes maritimes et commerciales à la façon de Londres et de Hambourg, étaient en même temps de grands centres industriels comme Liverpool et Birmingham ; devenues les déversoirs des populations de l’Asie antérieure, elles les occupaient toutes et en reportaient le trop-plein sur le vaste cercle de leurs colonies. Elles y envoyaient de la sorte, par des immigrations constantes, des forces fraîches et un surcroît de leur propre vie. N’admirons pas trop cette activité prodigieuse. Tous ces avantages d’une population sans cesse augmentée avaient leurs revers fâcheux : ils commencèrent par altérer la constitution politique de façon à l’améliorer ; ils finirent par déterminer sa ruine totale.

On a vu par quelles transformations ethniques le règne des dieux avait pris fin pour être remplacé par celui des prêtres, qui, à leur tour, avaient cédé le pas à une organisation compliquée et savante, destinée à donner accès dans la sphère du pouvoir aux chefs et aux puissants des villes. À la suite de cette réforme, la distinction des races était tombée dans le néant. Il n’y avait plus eu que celle des familles. Devant la mutabilité perpétuelle et rapide des éléments ethniques, cet état aristocratique, dernier mot, terme extrême du sentiment révolutionnaire chez les premiers arrivants sémites, se trouva un jour ne plus suffire aux exigences des générations qui s’élevaient, et les idées démocratiques commencèrent à poindre.

Elles s’appuyèrent d’abord sur les rois. Ceux-ci prêtèrent volontiers l’oreille à des principes dont la première application devait être d’humilier les patriciats. Elles s’adressèrent ensuite aux troupeaux d’ouvriers employés dans les manufactures, et en firent le nerf de la faction qu’elles réunissaient. Comme agents actifs des intrigues et des conspirations, on recruta largement dans une classe d’hommes particulière, troupe habituée au luxe, touchant, au moins des yeux, aux grandes séductions de la puissance, mais sans droits, sans autre considération que celle de la faveur, méprisée surtout par les nobles, et dès lors les favorisant peu ; j’entends les esclaves royaux, les eunuques des palais, les favoris ou ceux qui tendaient à le devenir. Telle tut la composition du parti qui poussa à la destruction de l’ordre aristocratique.

Les adversaires de ce parti possédaient bien des ressources pour se défendre. Contre les désirs et les velléités des rois, ils avaient l’impuissance légale, la dépendance de ces magistrats sans autorité. Ils s’attachaient à en resserrer les nœuds. Aux masses turbulentes des ouvriers et des matelots, ils présentaient les épées et les dards de cette multitude de troupes mercenaires, surtout cariennes et philistines, qui formaient les garnisons des villes et dont eux seuls exerçaient le commandement. Enfin, aux ruses et aux menées des esclaves royaux, ils opposaient une longue habitude des affaires, une méfiance suffisamment aiguisée de la nature humaine, une sagesse pratique bien supérieure aux roueries de leurs rivaux ; en un mot, contre les intrigues des uns, la force brutale des autres, l’ambition ardente des plus grands, les convoitises grossières des plus petits, ils pouvaient user de cette immense ressource d’être les maîtres, arme qui ne se brise pas aisément dans le poing des forts.

Certes ils auraient gardé leur empire comme le garderait toute aristocratie, à perpétuité, si la victoire n’avait pu résulter que de l’énergie des assaillants ; mais c’était de leur affaiblissement qu’elle devait éclore. La défaite n’était à prévoir que du mélange de leur sang.

La révolution ne triompha que lorsqu’il lui fut né des auxiliaires à l’intérieur des palais dont elle s’évertuait à briser les portes.

Dans des États où le commerce donne la richesse et la richesse l’influence, les mésalliances, pour user d’un terme technique, sont toujours difficiles à éviter. Le matelot d’hier est le riche armateur de demain, et ses filles pénètrent, à la manière de la pluie d’or, dans le sein des plus orgueilleuses familles. Le sang des patriciens de la Phénicie était d’ailleurs si mélangé déjà, qu’on avait certainement peu de soin de le garantir contre de séduisantes modifications. La polygamie, si chère aux peuples noirs ou demi-noirs, rend aussi, sous ce rapport, toutes les précautions inutiles. L’homogénéité avait donc cessé d’exister parmi les races souveraines de la côte de Chanaan, et la démocratie trouva moyen de faire parmi celles-ci des prosélytes. Plus d’un noble commença à goûter des doctrines mortelles à sa caste.

L’aristocratie, s’apercevant de cette plaie ouverte dans ses flancs, se défendit au moyen de la déportation. Quand les séditions étaient sur le point d’éclater, ou quand une émeute était vaincue, on saisissait les coupables ; le gouvernement les embarquait de force avec des troupes cariennes, chargées de les surveiller, et les envoyait soit en Libye, soit en Espagne, soit au delà des colonnes d’Hercule, dans des lieux si éloignés, qu’on a prétendu retrouver la trace de ces colonisations jusqu’au Sénégal.

Les nobles apostats, mêlés à la tourbe, devaient, dans cet exil éternel, former à leur tour le patriciat des nouvelles colonies, et on n’a pas entendu dire que, malgré leur libéralisme, ils aient jamais désobéi à ce dernier ordre de la mère patrie.

Un jour arriva pourtant où la noblesse dut succomber. On connaît la date de cette défaite définitive ; on sait la forme qu’elle revêtit ; on peut en désigner la cause déterminante. La date, c’est l’an 829 avant J.-C. ; la forme, c’est l’émigration aristocratique qui fonda Carthage (1)[86] ; la cause déterminante est indiquée par l’extrême mélange où en étaient arrivées les populations sous l’action d’un élément nouveau qui, depuis un siècle environ, fomentait d’une manière irrésistible l’anarchie des éléments ethniques.

Les peuples hellènes avaient pris un développement considérable. Ils avaient commencé, de leur côté, à créer des colonies, et ces ramifications de leur puissance, s’étendant sur la côte de l’Asie Mineure, n’avaient pas tardé à envoyer en Chanaan de très nombreuses immigrations (2)[87]. Les nouveaux venus, bien autrement intelligents et alertes que les Sémites, bien autrement vigoureux de corps et d’esprit, apportèrent un précieux concours de forces à l’idée démocratique, et hâtèrent par leur présence la maturité de la révolution. Sidon avait succombé la première sous les efforts démagogiques. La populace victorieuse avait chassé les nobles, qui étaient allés fonder à Aradus une nouvelle cité, où le commerce et la prospérité s’étaient réfugiés, au détriment de l’ancienne ville, demeurée complètement ruinée (3)[88]. Tyr eut bientôt un sort pareil.

Les patriciens, craignant à la fois les séditieux des fabriques, le bas peuple, les esclaves royaux et le roi ; avertis du destin qui les menaçait par l’assassinat du plus grand d’entre eux, le pontife de Melkart, et ne jugeant pas pouvoir maintenir davantage leur autorité, ni sauver leur vie devant une génération issue de mélanges trop multiples, prirent le parti de s’expatrier. La flotte leur appartenait, les navires étaient gardés par leurs troupes. Ils se résignèrent, ils s’éloignèrent avec leurs trésors, et surtout avec leur science gouvernementale et administrative, leur longue et traditionnelle pratique du négoce, et ils s’en allèrent porter leurs destins sur un point de la côte d’Afrique qui fait face à la Sicile.

Ainsi s’accomplit un acte héroïque qu’on n’a guère revu depuis. À deux reprises pourtant, dans les temps modernes, il fut question de le renouveler. Le sénat de Venise, dans la guerre de Chiozza, délibéra s’il ne devait pas s’embarquer pour le Péloponèse avec toute sa nation, et il n’y a pas de trop longues années qu’une éventualité semblable fut prévue et discutée dans le parlement anglais.

Carthage n’eut point d’enfance (1)[89]. Les maîtres qui la gouvernaient étaient sûrs d’avance de leur volonté. Ils avaient pour but précis ce que la Tyr ancienne leur avait appris à estimer et à poursuivre. Ils étaient entourés de populations presque entièrement noires, et partant inférieures aux métis qui venaient trôner au milieu d’elles. Ils n’éprouvèrent aucune peine à se faire obéir. Leur gouvernement, remontant le cours des siècles, reprit, en face des sujets, toute la dureté et l’inflexibilité chamitiques ; et comme la cité de Didon ne reçut jamais, pour toute immigration blanche, que les nobles tyriens ou chananéens, victimes, ainsi que ses fondateurs, des catastrophes démagogiques, elle appesantit son joug tant qu’il lui plut. Jusqu’au moment de sa ruine, elle ne fit pas la moindre concession à ses peuples. Lorsqu’ils osèrent en appeler aux armes, elle sut les châtier sans faiblir jamais. C’est que son autorité était fondée sur une différence ethnique qui n’eut pas le temps de composer et de disparaître.

L’anarchie tyrienne était devenue complète après le départ des nobles qui, seuls, avaient encore possédé une ombre de l’ancienne valeur de la race, surtout de son homogénéité relative. Quand les rois et le bas peuple se trouvèrent seuls à agir, la diversité des origines se jeta au travers de la place publique pour empêcher toute réorganisation sérieuse. L’esprit chamitique, la multiplicité des branches sémitiques, la nature grecque, tout parla haut, tout parla fort. Il fut impossible de s’entendre, et l’on s’aperçut que, loin de prétendre à retrouver jamais un système de gouvernement logique et fermement dessiné, il faudrait s’estimer très heureux quand on pourrait obtenir une paix temporaire au moyen de compromis passagers. Après la fondation de Carthage, Tyr ne créa pas de colonies nouvelles. Les anciennes, désertant sa cause, se rallièrent, l’une après l’autre, à la cité patricienne, qui devint ainsi leur capitale : rien de plus logique. Elles ne déplacèrent pas leur obéissance : le sol métropolitain fut seul changé. La race dominatrice resta la même, et si bien la même, que désormais ce fut elle qui colonisa. À la fin du VIIIe siècle, elle posséda des établissements en Sardaigne : elle-même n’avait pas encore cent années d’existence. Cinquante ans plus tard, elle s’emparait des Baléares. Dans le VIe siècle, elle faisait réoccuper par des colons libyens toutes les cités autrefois phéniciennes de l’Occident, trop peu peuplées à son gré (1)[90]. Or, dans les nouveaux venus, le sang noir dominait encore plus que sur la côte de Chanaan, d’où étaient venus leurs prédécesseurs : aussi, lorsque, peu de temps avant J.-C., Strabon écrivait que la plus grande partie de l’Espagne était au pouvoir des Phéniciens, que trois cents villes du littoral de la Méditerranée, pour le moins, n’avaient pas d’autres habitants, cela signifiait que ces populations étaient formées d’une base noire assez épaisse sur laquelle étaient venus se superposer, dans une proportion moindre, des éléments tirés des races blanche et jaune ramenées encore par des alluvions carthaginoises vers le naturel mélanien.

Ce fut de son patriciat chamite que la patrie d’Annibal reçut sa grande prépondérance sur tous les peuples plus noirs. Tyr, privée de cette force et livrée à une complète incohérence de race, s’enfonça dans l’anarchie à pas de géant.

Peu de temps après le départ de ses nobles, elle tomba, pour toujours, dans la servitude étrangère, d’abord assyrienne, puis persane, puis macédonienne. Elle ne fut plus à jamais qu’une ville sujette. Pendant le petit nombre d’années qui lui restèrent encore pour exercer son isonomie, soixante-dix-neuf ans seulement après la fondation de Carthage, elle se rendit célèbre par son esprit séditieux, ses révolutions constantes et sanglantes. Les ouvriers de ses fabriques se portèrent, à plusieurs reprises, à des violences inouïes, massacrant les riches, s’emparant de leurs femmes et de leurs filles et s’établissant en maîtres dans les demeures des victimes au milieu de richesses usurpées (1)[91]. Bref, Tyr devint l’horreur de tout le Chanaan, dont elle avait été la gloire, et elle inspira à toutes les contrées environnantes une haine et une indignation si fortes et de si longue haleine que, lorsque Alexandre vint mettre le siège devant ses murailles, toutes les villes du voisinage s’empressèrent de fournir des vaisseaux pour la réduire. Suivant une tradition locale, on applaudit unanimement en Syrie, quand le conquérant condamna les vaincus à être mis en croix. C’était le supplice légal des esclaves révoltés : les Tyriens n’étaient pas autre chose.

Tel fut, en Phénicie, le résultat du mélange immodéré, désordonné des races, mélange trop compliqué pour avoir eu le temps de devenir une fusion, et qui, n’arrivant qu’à juxtaposer les instincts divers, les notions multiples, les antipathies des types différents, favorisait, créait et éternisait des hostilités mortelles.

Je ne puis m’empêcher de traiter ici épisodiquement une question curieuse, un vrai problème historique. C’est l’attitude humble et soumise des colonies phéniciennes vis-à-vis de leurs métropoles : Tyr d’abord, Carthage ensuite. L’obéissance et le respect furent tels que, pendant une longue suite de siècles, on ne cite pas un seul exemple de proclamation d’indépendance dans ces colonies, qui cependant n’avaient pas toujours été formées des meilleurs éléments.

On connaît leur mode de fondation. C’étaient d’abord de simples campements temporaires, fortifiés sommairement pour défendre les navires contre les déprédations des indigènes. Lorsque le lieu prenait de l’importance par la nature des échanges, ou que les Chananéens trouvaient plus fructueux d’exploiter eux-mêmes la contrée, le campement devenait bourg ou ville. La politique de la métropole multipliait ces cités, en prenant grand soin de les maintenir dans un état de petitesse qui les empêchât de songer à aller seules. On pensait aussi que les répandre sur une plus grande étendue de pays augmentait le profit des spéculations. Rarement plusieurs émissions d’émigrants furent dirigées vers un même point, et de là vient que Cadix, au temps de sa plus grande splendeur et quand le monde était plein du bruit de son opulence, n’avait pourtant qu’une étendue des plus modestes et une population permanente très restreinte (1)[92].

Toutes ces bourgades étaient strictement isolées les unes des autres. Une complète indépendance réciproque était le droit inné qu’on leur apprenait à maintenir, avec une jalousie fort agréable à l’esprit centralisateur de la capitale. Libres, elles étaient sans force vis-à-vis de leurs gouvernants lointains, et, ne pouvant se passer de protection, elles adhéraient avec ferveur à la puissante patrie d’où leur venait et qui leur conservait l’existence. Une autre raison très forte de ce dévouement, c’est que ces colonies fondées en vue du commerce n’avaient toutes qu’un grand débouché, l’Asie, et on n’arrivait en Asie qu’en passant par le Chanaan. Pour parvenir aux marchés de Babylone et de Ninive, pour pénétrer en Égypte, il fallait l’aveu des cités phéniciennes et les factoreries se trouvaient ainsi contraintes de confondre en une seule et même idée la soumission politique et le désir de vendre. Se brouiller avec la mère patrie, ce n’était autre chose que se fermer les portes du monde, et voir bientôt richesses et profits passer à quelque bourgade rivale plus soumise, et dès lors plus heureuse.

L’histoire de Carthage montre bien toute la puissance de cette nécessité. Malgré les haines qui semblaient devoir creuser un abîme entre la métropole démagogique et sa fière colonie, Carthage ne voulut pas rompre le lien d’une certaine dépendance. Des rapports longs et bienveillants ne cessèrent d’exister que lorsque Tyr ne compta plus comme entrepôt, et ce ne fut qu’après sa ruine et quand les cités grecques se furent substituées à son activité commerciale, que Carthage affecta la suprématie. Elle rallia alors sous son empire les autres fondations, et devint chef déclaré du peuple chananéen, dont elle avait conservé orgueilleusement le nom, jadis si glorieux. C’est ainsi que ses populations s’appelèrent de tout temps Chanani (1)[93], bien que le sol de la Palestine ne leur ait jamais appartenu (2)[94]. Ce que les Carthaginois ménageaient si fort dans les Tyriens, avec lesquels ils n’avaient pu vivre, c’était moins le foyer du culte national que le libre passage des marchandises vers l’Asie. Voici maintenant un second fait qui redouble l’évidence des déductions à tirer du premier.

Quand les rois perses se furent emparés de la Phénicie et de l’Égypte, ils prétendirent considérer Carthage comme conquise ipso facto et légitimement unie au sort de son ancienne capitale. Ils envoyèrent donc des hérauts aux patriciens du lac Tritonide pour leur donner certains ordres et leur faire certaines défenses. Carthage alors était fort puissante ; elle avait peu sujet de craindre les armées du grand roi, d’abord à cause de ses énormes ressources, puis parce qu’elle était bien loin du centre de la monarchie persane. Pourtant elle obéit et s’humilia. C’est qu’il fallait à tout prix conserver la bienveillance d’une dynastie qui pouvait fermer à son gré les ports orientaux de la Méditerranée. Les Carthaginois, politiques positifs, se déterminèrent, en cette occasion, par des motifs analogues à ceux qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, portèrent plusieurs nations européennes, désireuses de conserver leurs relations avec le Japon et la Chine, à subir des humiliations assez dures pour la conscience chrétienne. Devant une telle résignation de la part de Carthage, et lorsqu’on en pèse les causes, on s’explique que les colonies phéniciennes aient toujours montré un esprit bien éloigné de toute velléité de révolte.

Du reste, on se tromperait fort si l’on croyait que ces colonies se soient jamais préoccupées de la pensée de civiliser les nations au milieu desquelles elles se fondaient (1)[95]. Animées uniquement d’idées mercantiles, nous savons par Homère quelle aversion elles inspiraient aux populations antiques de l’Hellade. En Espagne et sur les côtes de la Gaule, elles ne donnèrent pas une meilleure opinion d’elles. Là où les Chananéens se trouvaient en face de populations faibles, ils poussaient la compression jusqu’à l’atrocité, et réduisaient à l’état de bêtes de somme les indigènes employés aux travaux des mines. S’ils rencontraient plus de résistance, ils employaient plus d’astuce. Mais le résultat était le même. Partout les populations locales n’étaient pour eux que des instruments dont ils abusaient, ou des adversaires qu’ils exterminaient. L’hostilité fut permanente entre les aborigènes de tous les pays et ces marchands féroces. C’était encore là une raison qui forçait les colonies, toujours isolées, faibles et mal avec leurs voisins, de rester fidèles à la métropole, et ce fut aussi un grand levier dans la main de Rome pour renverser la puissance carthaginoise. La politique de la cité italienne, comparée à celle de sa rivale, parut humaine et conquit par là des sympathies, et finalement la victoire. Je ne veux pas ici adresser aux consuls et aux préteurs un éloge peu mérité. Il y avait grand moyen de se montrer cruel et oppressif en l’étant moins que la race chananéenne. Cette nation de mulâtres, phénicienne ou carthaginoise, n’eut jamais la moindre idée de justice ni le moindre désir d’organiser, je ne dirai pas d’une manière équitable, seulement tolérable, les peuples soumis à son empire. Elle resta fidèle aux principes reçus par les Sémites de la descendance de Nemrod, et puisés par celle-ci dans le sang des noirs.

L’histoire des colonies phéniciennes, si elle fait honneur à l’habileté des organisateurs, doit, en somme, ce qu’elle eut de particulièrement heureux pour les métropoles à des circonstances toutes particulières, et qui n’ont jamais pu se renouveler depuis. Les colonies des Grecs furent moins fidèles ; celles des peuples modernes, également : c’est que les unes et les autres avaient le monde ouvert, et n’étaient pas contraintes de traverser la mère patrie pour parvenir à des marchés où elles pussent débiter leurs productions.

Il ne me reste plus rien à dire sur la branche la plus vivace de la famille chananéenne. Elle fournit, par ses mérites et ses vices, la première certitude que l’histoire présente à l’ethnologie  : l’élément noir y domina. De là, amour effréné des jouissances matérielles, superstitions profondes, dispositions pour les arts, immoralité, férocité.

Le type blanc s’y montra en force moindre. Son caractère mâle tendit à s’effacer devant les éléments féminins qui l’absorbaient. Il apporta, dans ce vaste hymen, l’esprit utilitaire et conquérant, le goût d’une organisation stable et cette tendance naturelle à la régularité politique qui dit son mot et joue son rôle dans l’institution du despotisme légal, rôle contrarié sans doute, cependant efficace, Pour achever le tableau, la surabondance de types inconciliables, issus des proportions diverses entre les mélanges, enfanta le désordre chronique, et amena la paralysie sociale et cet état d’abaissement grégaire où chaque jour a dominé davantage la puissance de l’essence mélanienne. C’est dans cette situation que croupirent désormais les races formées par les alliages chananéens.

Retournons aux autres branches des familles de Cham et de Sem.


CHAPITRE IV.

Les Assyriens ; les Hébreux ; les Choréens.

Le sentiment unanime de l’antiquité n’a jamais cessé d’attribuer aux peuples de la région mésopotamique cette supériorité marquée sur toutes les autres nations issues de Cham et de Sem, dont j’ai déjà touché quelques mots. Les Phéniciens étaient habiles ; les Carthaginois le furent à leur tour. Les États juifs, arabes, lydiens, phrygiens eurent leur éclat et leur gloire. Rien de mieux : en somme, ces planètes n’étaient que les satellites de la grande contrée où s’élaboraient leurs destinées. L’Assyrie dominait tout, sans conteste.

D’où pouvait provenir une telle supériorité ? La philologie va répondre strictement.

J’ai montré que le système des langues sémitiques était une extension imparfaite de celui des langues noires. C’est là seulement que se trouve l’idéal de ce mode d’idiome. Il est altéré dans l’arabe, plus incomplet encore dans l’hébreu, et je ne me suis pas avancé, dans la progression descendante, au delà de l’araméen, où la décadence des principes constitutifs est plus prononcée encore. On se trouve là comme un homme qui, s’enfonçant dans un passage souterrain, perd la lumière à mesure qu’il avance. En continuant de marcher, on reverra la clarté, mais ce sera par un autre côté de la caverne, et sa lueur sera différente.

L’araméen n’offre encore qu’une désertion négative de l’esprit mélanien. Il ne dévoile pas des formes nettement étrangères à ce système. En regardant un peu plus loin, géographiquement parlant, se présente bientôt l’arménien ancien, et là, sans aucun doute, s’aperçoivent des nouveautés. On met la main sur une originalité qui frappe. On la regarde, on l’étudie : c’est l’élément indo-germanique. Il n’y a pas à en douter. Bien limité encore, faible peut-être, toutefois vivant et imméconnaissable.

Je poursuis ma route. À côté des Arméniens sont les Mèdes. J’écoute leur langue. Je constate encore et des sons et des formes sémitiques. Les uns et les autres sont plus effacés que dans l’arménien, et l’indo-germanique y occupe une plus grande place (1)[96]. Aussitôt que j’entre sur les territoires placés au nord de la Médie, je passe au zend. J’y trouve encore du sémitique, cette fois à l’état tout à fait subordonné. Si, par un pas de côté, je tombais vers le sud, le pehlvi, toujours indo-germanique, me ramènerait cependant vers une plus grande abondance d’éléments empruntés à Sem. Je l’évite, je pousse toujours plus avant dans le nord-est, et les premiers parages hindous m’offrent aussitôt le meilleur type connu des langues de l’espèce blanche, en me présentant le sanscrit (2)[97].

Je tire de ces faits cette conséquence que, plus je descends au midi, plus je trouve d’alliage sémitique, et qu’à proportion où je m’élève vers le nord, je rencontre les éléments blancs dans un meilleur état de pureté et avec une abondance incomparable. Or les États assyriens étaient, de toutes les fondations chamo-sémites les plus reculées dans cette direction. Ils étaient sans cesse atteints par des immigrations, latentes ou déclarées, descendues des montagnes du nord-est. C’est donc là qu’était la cause de leur longue, de leur séculaire prépondérance.

Avec quelle rapidité les invasions se succédaient, on l’a vu. La dynastie sémite-chaldéenne, qui avait mis fin à la domination exclusive des Chamites vers l’an 2000, fut renversée, deux cents ans après environ, par de nouvelles bandes sorties des montagnes.

À celles-ci, l’histoire donne le nom de médiques. On aurait lieu d’être un peu surpris de rencontrer des nations indo-germaniques si avant dans le sud-ouest, à une époque encore bien reculée, si, persistant dans l’ancienne classification, on prétendait tirer une rigoureuse ligne de démarcation entre les peuples blancs, des différentes origines, et séparer nettement les Sémites des nations dont les principales branches ont peuplé l’Inde et plus tard l’Europe. Nous venons de voir que la vérité philologique repousse cette méthode de classifications strictes. Nous sommes complètement en droit d’admettre les Mèdes comme fondateurs d’une très ancienne dynastie assyrienne, et de considérer ces Mèdes, soit, avec Movers, comme des Sémites-Chaldéens (1)[98], soit avec Ewald, comme des peuples arians ou indo-germains, suivant la face sous laquelle il nous plaît le mieux d’envisager la question (2)[99]. Servant de transition aux deux races, ils tiennent de l’une et de l’autre. Ce sont indifféremment, à parler géographie, les derniers des Sémites ou les premiers des Arians, comme on voudra.

Je ne doute pas que, sous le rapport des qualités qui tiennent à la race, ces Mèdes de première invasion ne fussent supérieurs aux Sémites plus mêlés aux noirs dont ils étaient les parents. J’en veux pour témoignage leur religion, qui était le magisme. Il faut l’induire du nom du second roi de leur dynastie, Zaratuschtra (3)[100]. Non pas que je sois tenté de confondre ce monarque avec le législateur religieux : celui-là vivait à une époque beaucoup plus ancienne ; mais l’apparition du nom de ce prophète, porté par un souverain, est une garantie de l’existence de ses dogmes au milieu de la nation. Les Mèdes n’étaient donc pas dégradés par les monstruosités des cultes chamitiques, et, avec des notions religieuses plus saines, ils gardaient certainement plus de vigueur militaire et plus de facultés gouvernementales.

Il n’était cependant pas possible que leur domination se maintînt indéfiniment. Les raisons qui leur imposaient une prompte décadence sont de différent ordre.

La nation médique n’a jamais été très nombreuse, nous aurons l’occasion de le démontrer plus tard, et si, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, elle a repris sur les États assyriens une autorité perdue depuis l’an 2234 avant notre ère, c’est qu’alors elle fut puissamment aidée par l’abâtardissement final des races chamo-sémitiques, par l’absence complète de tout concurrent à l’empire et par l’alliance de plusieurs nations arianes, qui, à l’époque de sa première invasion, n’avaient pas encore paru dans les régions du sud-ouest qu’elles occupèrent plus tard, entre autres les tribus persiques.

De sorte que les Mèdes formaient une sorte d’avant-garde de la famille ariane. Ils n’étaient pas nombreux par eux-mêmes, ils n’étaient pas appuyés par les autres peuples, leurs parents ; et non seulement ils ne l’étaient pas, parce que ceux-ci n’étaient pas encore descendus, à leurs côtés, vers les contrées méridionales, mais parce que, dans ces époques reculées et après le départ des Arians Hellènes, dont les migrations jetaient constamment des essaims de Sémites sur le monde assyrien et chananéen, une civilisation imposante exerçait un immense empire sur le gros des peuples arians zoroastriens, dans les régions situées entre la Caspienne et l’Hindoukoh, et, plus particulièrement, dans la Bactriane. Là régnait une populeuse cité, Balk, la mère des villes, pour me servir de l’expression emphatique employée par les traditions iraniennes lorsqu’elles veulent peindre d’un même trait et la puissance et l’incroyable antiquité de l’ancienne métropole du magisme.

Il s’était formé sur ce point un centre de vie qui, concentrant toute l’attention et toute la sympathie des nations zoroastriennes, les détournait d’entrer dans le courant assyrien. Ce qui leur restait d’activité, en dehors de cette sphère, se reportait d’ailleurs tout entier du côté de l’est, vers les régions de l’Inde, vers les pays du Pendjab, où des relations étroites de parenté, des souvenirs importants, d’anciennes habitudes, la similitude de langage, et même des haines religieuses et l’esprit de controverse, qui en est la suite naturelle, reportaient leur pensée.

Les Mèdes, dans leurs entreprises sur l’Asie antérieure, se trouvaient ainsi réduits à la modicité de leurs seules ressources, situation d’autant plus faible que des compétiteurs ambitieux, des bandes de Sémites descendant du nord, se succédaient sans cesse pour ébranler leur domination.

À égalité de nombre, ces Sémites ne les valaient pas. Mais leurs flots épais, se multipliant, les astreignaient à des efforts qui ne pouvaient pas être toujours heureux, et d’autant moins que les mérites allaient, en définitive, s’égalisant, et même quelque chose de plus, à mesure que les années passaient sur les maîtres du trône.

Ceux-ci résidaient dans les villes d’Assyrie, soutenus, sans doute, de loin, par leur nation, cependant séparés d’elle et vivant loin d’elle, perdus dans la foule chamo-sémitique. Leur sang s’altéra, comme s’était altéré celui des Chamites blancs et celui des premiers Chaldéens. Les incursions sémitiques, d’abord rembarrées avec vigueur, ne trouvèrent plus, un jour, la même résistance. Ce jour-là, elles firent brèche et la domination médique fut si bien renversée que l’épée des vainqueurs commanda même au gros du peuple, découragé et accablé par les multitudes qui vinrent fondre sur lui.

Les États assyriens avaient recommencé à décliner sous les derniers souverains mèdes. Ils reprirent leur éclat, leur omnipotence dans toute l’Asie antérieure, avec le nouvel apport de sang frais et choisi qui vint, sinon relever leurs races nationales, du moins les gouverner sans conteste. C’est, par cette série incessante de régénérations que l’Assyrie se maintenait toujours à la tête des contrées chamo-sémitiques.

La nouvelle invasion donna naissance, pour le pays-roi, à de grandes extensions territoriales (1)[101].

Après avoir asservi le pays des Mèdes, les conquérants sémites firent des invasions au nord et à l’est. Ils ravagèrent une partie de la Bactriane et pénétrèrent jusqu’aux premiers confins de l’Inde. La Phénicie, autrefois conquise, le fut de nouveau, et les idées, les notions, les sciences, les mœurs assyriennes se répandirent plus que jamais, et poussèrent plus avant leurs racines. Les grandes entreprises, les grandes créations se succédèrent rapidement. Tandis que de puissants monarques babyloniens fondaient dans l’est, aux environs de la ville actuelle de Kandahar, cette cité de Kophen, dont les ruines ont été retrouvées par le colonel Rawlinson (2)[102], Mabudj s’élevait sur l’Euphrate, Damas et Gadara plus à l’ouest (3)[103]. Les civilisateurs sémites passaient l’Halys, et organisaient sur la côte de la Troade, dans les pays lydiens, des souverainetés qui, plus tard indépendantes, se firent gloire à jamais de leur avoir dû la naissance (4)[104].

Il est inutile de suivre le mouvement de ces dynasties assyriennes, qui retinrent pendant tant de siècles le gouvernement de l’Asie antérieure dans des mains régénératrices. Tant que les contrées voisines de l’Arménie et adossées au Caucase fournirent des populations plus blanches que celles qui habitaient les plaines méridionales, les forces des États assyriens se renouvelèrent toujours à propos. Une dynastie d’Arabes Ismaélites interrompit seule (de 1520 à 1274 av. J.-C.) le cours de la puissance chaldéenne. Une race dégénérée fut ainsi remplacée par des Sémites du sud, moins corrompus que l’élément chamitique, si prompt à pourrir tous les apports de sang noble dans les pays mésopotamiques. Mais aussitôt que des Chaldéens, plus purs que la famille ismaélite, se montrèrent de nouveau, celle-ci descendit du trône pour le leur céder.

On le voit : dans les sphères élevées du pouvoir, là où s’élaborent les idées civilisatrices, il n’est plus question, il ne doit plus jamais être tenu compte des Chamites noirs. Leurs masses se sont tout à fait humiliées sous les couches successives de Sémites. Elles font nombre dans l’État, et ne jouent plus de personnage actif. Mais un rôle si humble en apparence n’en est pas moins terrible et décisif. C’est le fond stagnant où tous les conquérants viennent, après peu de générations, s’abattre et s’engloutir. D’abord, de ce terrain corrompu sur lequel marchent triomphalement les vainqueurs, la boue ne leur monte que jusqu’à la cheville. Bientôt les pieds s’enfoncent, et l’immersion dépasse la tête. Physiologiquement comme moralement, elle est complète. Au temps d’Agamemnon, ce qui frappa le plus les Grecs dans les Assyriens venus au secours de Priam, ce fut la couleur de Memnon, le fils de l’Aurore. À ces peuples orientaux les rapsodes appliquaient sans hésitation le nom significatif d’Éthiopiens[105].

Après la destruction de Troie, les mêmes motifs commerciaux qui avaient engagé les Assyriens à favoriser l’établissement des villes maritimes dans le pays des Philistins et au nord de l’Asie Mineure[106], les portèrent également à pardonner aux Grecs la destruction d’une ville, leur tributaire, et à protéger l’Ionie. Leur but était de mettre fin au monopole des cités phéniciennes, et en conséquence, les Troyens une fois tombés sans remède, leurs vainqueurs furent admis à les remplacer. Les Grecs asiatiques devinrent ainsi les facteurs préférés du commerce de Ninive et de Babylone. C’est la première preuve que nous ayons encore rencontrée de cette vérité si souvent répétée par l’histoire, que, si l’identité de race crée entre les peuples l’identité de destinée, elle ne détermine nullement l’identité d’intérêts, et par suite l’affection mutuelle.

Tant que les Phéniciens furent seuls à exploiter les régions occidentales du monde, ils vendirent trop cher leurs denrées aux Assyriens, qui n’eurent pas de cesse jusqu’à ce que, leur ayant suscité des concurrents, d’abord dans les Troyens, puis dans les Grecs, ils eussent réussi à obtenir à meilleur compte les produits que réclamait leur consommation (1)[107].

Ainsi, dans toute l’Asie antérieure on vivait sous la direction des Assyriens. Si l’on devait réussir, on réussissait par eux, et tout ce qui essayait de sortir de leur ombre restait faible et languissant. Encore cette indépendance funeste n’était-elle jamais que relative, même chez les tribus nomades du désert. Pas une nation, grande ou petite, qui n’éprouvât l’action des populations et du pouvoir de la Mésopotamie. Cependant, parmi celles qui s’en ressentaient le moins, les fils d’Israël semblent se présenter en première ligne. Ils se disaient jaloux de leur individualité plus que toute autre tribu sémite. Ils désiraient passer pour purs dans leur descendance. Ils affectaient de s’isoler de tout ce qui les entourait. À ce titre seul, ils mériteraient d’occuper dans ces pages une place réservée, si les grandes idées que leur nom réveille ne la leur avaient pas assurée d’avance.

Les fils d’Abraham ont changé plusieurs fois de nom. Ils ont commencé par s’appeler Hébreux. Mais ce titre, qu’ils partageaient avec tant d’autres peuples, était trop vaste, trop général. Ils y substituèrent celui de fils d’Israël. Plus tard, Juda ayant dominé en éclat et en gloire tous les souvenirs de leurs patriarches, ils devinrent les Juifs. Enfin, après la prise de Jérusalem par Titus, ce goût de l’archaïsme, cette passion des origines, triste aveu de l’impuissance présente qui ne manque jamais de saisir les peuples vieillards, sentiment naturel et touchant, leur fit reprendre le nom d’Hébreux.

Cette nation, malgré ce qu’elle a pu prétendre, ne posséda jamais, non plus que les Phéniciens, une civilisation qui lui fût propre. Elle se borna à suivre les exemples venus de la Mésopotamie, en les mélangeant de quelque peu de goût égyptien. Les mœurs des Israélites, dans leur plus beau moment, au temps de David et de Salomon (1)[108], furent tout à fait tyriennes, et partant ninivites. On sait avec quelle peine et même quels succès mélangés, les efforts de leurs prêtres tendirent constamment à les tenir loin des plus horribles abus de l’émanatisme oriental.

Si les fils d’Abraham avaient pu garder, après leur descente des montagnes chaldéennes, la pureté relative de race qu’ils apportaient avec eux, il n’y a pas de doute qu’ils eussent conservé et étendu cette prépondérance qu’avec le père de leurs patriarches, on leur vit exercer sur les populations chananéennes plus civilisées, plus riches, mais moins énergiques, parce qu’elles étaient plus noires. Par malheur, en dépit de prescriptions fondamentales, malgré les défenses successives de la loi, malgré même les exemples terribles de réprobation que rappellent les noms des Ismaélites, des Édomites, descendants illégitimes et rejetés de la souche abrahamide, il s’en fallut de tout que les Hébreux ne s’alliassent que dans leur parenté (2)[109]. Dès leurs premiers temps, la politique les contraignit d’accepter l’alliance de plusieurs nations réprouvées, de résider au milieu d’elles, de mêler leurs tentes et leurs troupeaux aux troupeaux et aux tentes de l’étranger, et les jeunes gens des deux familles se rencontraient aux citernes. Les Kénaens, fraction d’Amalek, et bien d’autres, furent fondus de la sorte dans le peuple des douze tribus (1)[110]. Puis les patriarches avaient été des premiers à violer la loi. Les généalogies mosaïques nous enseignent bien que Sara était la demi-sœur de son mari, et par conséquent d’un sang pur (2)[111]. Mais si Jacob épousa Lia et Rachel, ses cousines, et en eut huit de ses fils, ses quatre autres enfants, qui ne sont pas moins comptés parmi les véritables pères d’Israël, naquirent des deux servantes Bala et Zelpha (3)[112]. L’exemple donné fut suivi par ses rejetons (4)[113].

Dans les époques suivantes, on trouve d’autres alliances ethniques, et, quand on arrive à l’époque monarchique, il est impossible de les énumérer, tant elles sont devenues communes.

Le royaume de David, s’étendant jusqu’à l’Euphrate, embrassait bien des populations diverses. Il ne pouvait même être question d’y maintenir la pureté ethnique. Le mélange pénétra donc par tous les pores, dans les membres d’Israël. Il est vrai que le principe resta ; que plus tard Zorobabel exerça des sévérités approuvées contre les hommes mariés aux filles des nations. Mais l’intégrité du sang d’Abraham n’en avait pas moins disparu, et les Juifs étaient aussi souillés de l’alliage mélanien que les Chamites et les Sémites au milieu desquels ils vivaient. Ils avaient adopté leur langue (1)[114]. Ils avaient pris leurs coutumes ; leurs annales étaient en partie celles de leurs voisins, Philistins, Édomites, Amalécites, Amorrhéens. Trop souvent, ils porteront l’imitation des mœurs jusqu’à l’apostasie religieuse (2)[115]. Hébreux et gentils étaient taillés, en vérité, sur un seul et même modèle. Enfin, je donne ceci, tout à la fois, comme une preuve et comme une conséquence  : ni au temps de Josué, ni sous David ou Salomon, ni quand les Machabées régnèrent, les Juifs ne parvinrent à exercer sur les peuples de leur entourage, sur tant de petites nations parentes, pourtant si faibles, une supériorité quelque peu durable. Ils furent comme les Ismaélites, comme les Philistins. Ils eurent des jours, rien que quelques jours de puissance, et l’égalité d’ailleurs fut complète avec leurs rivaux.

J’ai déjà expliqué pourquoi les Israélites, les fils d’Ismaël, ceux d’Edom, et d’Amalek, composés des mêmes éléments fondamentaux noirs, chamites et sémites, que les Phéniciens et les Assyriens, sont constamment demeurés au plus bas degré de la civilisation typique de la race, laissant aux peuples de la Mésopotamie le rôle inspirateur et dirigeant. C’est que les éléments d’origine blanche se renouvelaient périodiquement chez ces derniers, et jamais chez eux. Ils ne réussirent donc point à faire des conquêtes stables, et, lorsqu’ils se trouvèrent avoir le loisir et le goût de perfectionner leurs mœurs, ils ne purent que tout emprunter à la culture assyrienne, sans lui rendre jamais rien, la pratiquant un peu, j’imagine, comme les provinciaux font des modes de Paris. Les Tyriens, tout grands marchands qu’ils étaient, n’étaient pas plus inspirés. Ils ne comprenaient que d’une façon incomplète ce que leur enseignait Ninive. Salomon, à son tour, lorsqu’il voulait bâtir son temple, faisant venir de Tyr architectes, sculpteurs et brodeurs, n’obtenait pas le dernier mot des talents de son époque. Il est vraisemblable que, dans les magnificences qui éblouirent si fort Jérusalem, l’œil d’un homme de goût venu de Ninive, n’aurait démêlé qu’une copie faite de seconde main des belles choses qu’il avait contemplées en original dans les grandes métropoles mésopotamiques, où l’Occident, l’Orient, l’Inde et la Chine même, au dire d’Isaïe (1)[116], envoyaient, sans se lasser, tout ce qu’il y avait de plus accompli dans tous les genres.

Rien de plus simple. Les petits peuples dont je parle en ce moment étaient des Sémites trop chamitisés pour jouer un autre rôle que celui de satellites dans un système de culture qui d’ailleurs, étant celui de leur race, leur convenait et n’avait besoin pour leur sembler parfait que de subir des modifications locales. Ce furent précisément ces modifications locales qui, réduisant les splendeurs ninivites au degré voulu par des nations obscures et pauvres, créait l’amoindrissement de la civilisation. Transporté à Babylone, le Phénicien, l’Hébreu, l’Arabe, s’y mettaient aisément de pair avec le reste des populations, sauf peut-être les Sémites du nord les plus récemment arrivés, et devenaient habiles à secouer les liens que leur imposait la médiocrité de leurs milieux nationaux ; mais c’était là de l’imitation, rien de plus. En ces groupes fractionnaires ne résidait pas l’excellence du type (2)[117].

Je ne quitterai pas les Israélites sans avoir touché quelques mots de certaines tribus qui vécurent longtemps parmi eux, dans les districts situés ou nord du Jourdain. Cette population mystérieuse paraît n’avoir été autre que les débris restés purs de quelques-unes des familles mélaniennes, de ces noirs jadis seuls maîtres de l’Asie antérieure avant la venue des Chamites blancs. La description que les livres saints nous font de ces hommes misérables est précise, caractéristique, terrible par l’idée de dégradation profonde qu’elle éveille.

Ils n’habitaient plus, au temps de Job, que dans le district montagneux de Séir ou Edom, au sud du Jourdain. Abraham les y avait déjà connus. Ésaü, ce ne fut vraisemblablement pas sa moindre faute, habita parmi eux (1)[118], et, conséquence naturelle dans ces temps-là, il prit, au nombre de ses épouses, une de leurs femmes, Oolibama, fille d’Ana, fille de Sébéon, de sorte que les fils qu’il en eut, Jehus, Jhelon et Coré, se trouvèrent liés très directement par leur mère à la race noire.

Les Septante appellent ces peuplades les Chorréens ; la Vulgate les nomme moins justement Horréens, et il en est fait mention en plusieurs endroits des Écritures (2)[119]. Ils vivaient au milieu des rochers et se blottissaient dans des cavernes. Leur nom même signifie troglodytes (3)[120]. Leurs tribus avaient des communautés indépendantes. Toute l’année, errant au hasard, ils allaient volant ce qu’ils trouvaient, assassinant quand ils pouvaient. Leur taille était très élevée. Misérables à l’excès, les voyageurs les redoutaient pour leur férocité. Mais toute description pâlit en face des versets de Job, où M. d’Ewald (4)[121] reconnaît leur portrait. Voici le passage : « Ils se moquent de moi, ceux-là même dont je n’aurais pas daigné mettre les pères avec les chiens de mon troupeau...

« De disette et de faim, ils se tenaient à l’écart, fuyant dans les lieux arides, ténébreux, désolés et déserts.

« Ils coupaient des herbes sauvages auprès des arbrisseaux et la racine des genévriers pour se chauffer.

« Ils étaient chassés d’entre les autres hommes, et l’on criait après eux comme après un larron.

« Ils habitaient dans les creux des torrents, dans les trous de la terre et des rochers.

« Ils faisaient du bruit entre les arbrisseaux, et ils s’attroupaient entre les chardons.

« Ce sont des hommes de néant et sans nom qui ont été abaissés plus bas que la terre. » (Job, XXX, I, 3-8).

Les noms de ces sauvages sont sémitiques, s’il faut absolument employer l’expression abusive consacrée ; mais, à parler d’une manière plus exacte, les langues noires en réclament la propriété directe. Quant aux êtres qui portaient ces noms, peut-on rien imaginer de plus dégradé ? Ne croit-on pas lire, dans les paroles du saint homme, une description exacte du Boschisman et du Pélagien ? En réalité, la parenté qui unissait l’antique Chorréen à ces nègres abrutis est intime. On reconnaît dans ces trois branches de l’espèce mélanienne, non pas le type même des nègres, mais un degré d’avilissement auquel cette branche de l’humanité peut seule tomber. Je veux bien admettre que l’oppression exercée par les Chamites sur ces misérables êtres, comme celle des Cafres sur les Hottentots et des Malais sur les Pélagiens, puisse être considérée comme la cause immédiate de leur avilissement. Qu’on en soit certain cependant, une telle excuse, trouvée par la philanthropie moderne à l’abrutissement et à ses opprobres, n’eut jamais besoin d’être invoquée pour les populations de notre famille. Certes les victimes n’y manquèrent pas plus que chez les noirs et les jaunes. Les peuples vaincus, les peuples vexés, tyrannisés, ruinés, s’y sont rencontrés et s’y rencontreront en foule. Mais, tant qu’une goutte active du sang des blancs persiste dans une nation, l’abaissement, quelquefois individuel, ne devient jamais général. On citera, oui, l’on citera des multitudes réduites à une condition abjecte, et l’on dira que le malheur seul a pu les y conduire. On verra ces misérables habiter les buissons, dévorer tout crus des lézards et des serpents, vaguer nus sur les grèves, perdre quelquefois la majeure partie des mots nécessaires pour former une langue, et les perdre avec la somme des idées ou des besoins que ces mots représentaient, et le missionnaire ne trouvera d’autre solution à ce triste problème que les cruautés d’un vainqueur despotique et le manque de nourriture. C’est une erreur. Qu’on y regarde mieux. Les peuples ravalés à cet infime niveau seront toujours des nègres et des Finnois, et, sur aucune page de l’histoire, les plus malheureux des blancs ne verront leur souvenir aussi honteusement consacré. Ainsi les annales primitives ne peuvent nous faire découvrir nos ancêtres blancs à l’état sauvage ; au contraire, elles nous les montrent doués de l’aptitude et des éléments civilisateurs, et voici de plus un nouveau principe qui se pose, et dont l’enchaînement des siècles nous apportera en foule d’incessantes démonstrations : jamais ces glorieux ancêtres n’ont pu être amenés par les malheurs les plus accablants à ce point déshonorant d’où ils n’étaient pas venus. C’est là, ce me semble, une grande preuve de leur supériorité absolue sur le reste de l’espèce humaine.

Les Chorréens cessèrent de résister et disparurent. Dépossédés du peu qui leur restait par leurs parents, fils d’Ésaü, enfants d’Oolibama, Édomites[122], ils s’éteignirent devant la civilisation, comme s’éteignent aujourd’hui les aborigènes de l’Amérique septentrionale. Ils ne jouèrent aucun rôle politique. Leurs expéditions ne furent que des brigandages. On sait par l’histoire de Goliath qu’ils n’avaient plus d’autre rôle que de servir les haines de leurs spoliateurs contre les Israélites.

Quant aux Juifs, ils restèrent fidèles à l’influence ninivite tant que les Sémites la dirigèrent. Plus tard, lorsque le sceptre eut passé dans les mains des Arians Zoroastriens, comme les rapports de race n’existaient plus entre les dominateurs de la Mésopotamie et les nations du sud-ouest, il put y avoir obéissance politique : il n’y eut plus communion d’idées. Mais ces considérations seraient ici prématurées. Avant de descendre aux époques où elles doivent trouver leur place, il me reste beaucoup de faits à examiner, parmi lesquels ceux qui ont trait à l’Égypte réclament immédiatement l’attention.


CHAPITRE V.

Les Égyptiens, les Éthiopiens.

Jusqu’à présent il n’a encore été question que d’une seule civilisation, sortie du mélange de la race blanche des Chamites et des Sémites avec les noirs, et que j’ai appelée assyrienne. Elle acquit une influence non seulement longue, non seulement durable, mais éternelle, et ce n’est pas trop que de la considérer, même de nos jours, comme beaucoup plus importante par ses conséquences que toutes celles qui ont éclairé le monde, sauf la dernière.

Toutefois, à l’idée de la suprématie de domination, il serait inexact de joindre celle d’antériorité d’existence. Les plaines de l’Asie inférieure n’ont pas vu fleurir des États réguliers avant tout autre pays de la terre. Il sera question plus tard de l’antiquité extrême des établissements hindous ; pour le moment, je vais parler des gouvernements égyptiens, dont la fondation est probablement à peu près synchronique à celle des pays ninivites. La première question à débattre, c’est l’origine de la partie civilisatrice de la nation habitant la vallée du Nil.

La physiologie interrogée répond avec une précision très satisfaisante les statues et les peintures les plus anciennes accusent d’une manière irréfragable la présence du type blanc (1)[123]. On a souvent cité avec raison, pour la beauté et la noblesse des traits, la tête de la statue connue au Musée britannique sous le nom de Jeune Memnon (2)[124]. De même, dans d’autres monuments figurés, dont la fondation remonte précisément aux époques les plus lointaines, les prêtres, les rois, les chefs militaires appartiennent, sinon à la race blanche parfaitement pure, du moins à une variété qui ne s’en est pas encore écartée beaucoup (3)[125]. Cependant, l’élargissement de la face, la grandeur des oreilles, le relief des pommettes, l’épaisseur des lèvres sont autant de caractères fréquents dans les représentations des hypogées et des temples, et qui, variés à l’extrême et gradués de cent manières, ne permettent pas de révoquer en doute l’infusion assez forte du sang des noirs des deux variétés, à cheveux plats et crépus (1)[126]. Il n’y a rien à opposer, en cette matière, au témoignage des constructions de Médinet-Abou. Ainsi l’on peut admettre que la population égyptienne avait à combiner les éléments que voici : des noirs à cheveux plats, des nègres à tête laineuse, plus une immigration blanche, qui donnait la vie à tout ce mélange.

La difficulté est de décider à quel rameau de la famille noble appartenait ce dernier terme de l’alliage. Blumenbach, citant la tête d’un Rhamsès, le compare au type hindou. Cette observation, toute juste qu’elle est, ne saurait malheureusement suffire à fonder un jugement arrêté, car l’extrême variété que présentent les types égyptiens des différentes époques hésite beaucoup, comme il est facile de le concevoir, entre les données mélaniennes et les traits des blancs. Partout, en effet, même dans la tête attribuée à Rhamsès, des traits encore fort beaux et très voisins du type blanc sont cependant assez altérés déjà, par les effets des mélanges, pour offrir un commencement de dégradation qui déroute les idées et empêche la conviction de se fixer. Outre cette raison décisive, on ne doit jamais oublier non plus que les apparences physionomiques ne fournissent souvent que des raisons bien imparfaites, quand il s’agit de décider sur des nuances (2)[127]. Si donc la physiologie suffit à nous apprendre que le sang des blancs coulait dans les veines des Égyptiens, elle ne peut nous dire à quel rameau était emprunté ce sang, s’il était chamite ou arian. Elle fait assez pour nous, toutefois, en nous affirmant le fait en gros et en renversant de fond en comble l’opinion de De Guignes, d’après laquelle les ancêtres de Sésostris auraient été une colonie chinoise, hypothèse écartée aujourd’hui de toute discussion.

L’histoire, plus explicite que la physiologie, épouvante cependant par l’éloignement excessif dans lequel elle semble vouloir se reporter et cacher les origines de la nation égyptienne (1)[128]. Après tant de siècles de recherches et d’efforts, on n’a pu réussir à s’entendre encore sur la chronologie des rois, sur la composition des dynasties, et encore bien moins sur les synchronismes qui unissent les faits arrivés dans la vallée du Nil aux événements accomplis ailleurs. Ce coin des annales humaines n’a jamais cessé d’être un des terrains les plus mouvants, les plus variables de la science, et à chaque instant une découverte ou seulement une théorie le déplace. Il n’y a pas à choisir ici entre les opinions brillantes de M. le chevalier Bunsen et l’allure plus modeste de sir Gardiner Wilkinson. Je me garderais de vouloir exclure les unes pour me confier uniquement à l’autre. Il se peut que la publication de la dernière partie, encore inconnue, de l’Ægyptens Stelle in der Welt Geschichte, élève les assertions du savant diplomate prussien à la hauteur d’une démonstration irréfragable. En attendant ce grand résultat, et malgré la tendance que je pourrais avoir à adopter avec empressement une doctrine qui se relie si bien aux opinions de ce livre, le plus prudent est, sans nul doute, de s’en tenir, pour le principal, à la manière de voir de l’auteur anglais.

Suivant ce dernier, il faudrait placer le moment le plus éclatant de la civilisation, des arts et de la puissance militaire de l’Égypte, à l’époque strictement historique entre le règne d’Osirtasen, roi de la 18e dynastie, et celui du Diospolite de la 19e, Rhamsès III, le Mi-A-Moun des monuments, c’est-à-dire entre l’année 1740 et l’année 1355 avant J.-C. (2)[129]. Toutefois, cette splendeur n’était pas à son début. L’époque où furent construites les pyramides remonte plus haut, et c’est sur ces mystérieux témoignages que M. Bunsen a surtout fait porter ses essais de déchiffrement les plus ingénieux. Calculons, avec la méthode d’explication la plus ordinairement appliquée au récit d’Eratosthènes, que les pyramides situées au nord de Memphis, généralement tenues pour les plus anciennes, ont été construites vers l’an 2120 avant J.-C. par Suphis et son frère Sensuphis. Ainsi, en 2120 avant J.-C., l’Égypte aurait présenté déjà un état de civilisation fort avancé et capable d’entreprendre et de conduire à bonne fin les travaux les plus étonnants accomplis jamais par la main de l’homme. L’émigration blanche avait donc eu lieu avant cette époque, puisque chaque groupe de pyramides appartient à un âge différent, et que chaque pyramide, en particulier, a dû coûter assez d’efforts pour qu’une seule génération ne pût entreprendre la construction de plusieurs (1)[130].

Veut-on supposer qu’un rameau chamite se soit avancé jusque dans les régions du Nil, entre Syène et la mer, et y ait fondé la civilisation égyptienne ? Cette hypothèse se renverse d’elle-même. Pourquoi ces Chamites, après avoir établi un État considérable, auraient-ils rompu ensuite toute relation avec les autres peuples de leur race, en se confinant loin de la route suivie par ces derniers, par eux-mêmes, dans les migrations vers l’Afrique, loin de la Méditerranée, loin du Delta, pour inventer là, dans l’isolement, une civilisation tout égoïste, hostile sur mille points à celle des Chamites noirs ? Comment auraient-ils adopté une langue si remarquablement différente des idiomes de leurs congénères ? On ne voit pas à ces objections de réponse raisonnable. Les Égyptiens ne sont donc pas des Chamites, et il faut se tourner d’un autre côté.

L’ancienne langue égyptienne se compose de trois parties. L’une appartient aux langues noires. L’autre, provenant du contact de ces langues noires avec l’idiome des Chamites et des Sémites, produit ce mélange que l’on dénomme d’après la seconde de ces races. Enfin se présente une troisième partie, très mystérieuse, très originale, sans doute, mais qui, sur plusieurs points, paraît trahir des affinités arianes et une certaine parenté avec le sanscrit (1)[131]. Ce fait important, s’il était solidement établi, pourrait être considéré comme terminant la discussion, et pouvant servir à tracer l’itinéraire des colons blancs de l’Égypte, depuis le Pendjab jusqu’à l’embouchure de l’Indus, et de là dans la vallée supérieure du Nil. Malheureusement, bien qu’indiqué, il n’est pas clair et ne peut servir que d’indice (2)[132]. Cependant il n’est pas impossible de lui trouver des étais.

On a considéré longtemps les contrées basses de l’Égypte comme ayant fait partie primitive du pays de Misr. C’était une opinion erronée. Les lieux où la civilisation égyptienne établit ses plus anciennes splendeurs, sont tout à fait au-dessus du Delta. En dehors de la côte arabique, parce que le caractère stérile du sol n’y permettait pas de vastes établissements, la colonisation antique ne s’en écarte cependant pas trop et ne cherche pas encore à gagner les rives de la Méditerranée. C’est que, probablement, elle ne voulait pas rompre toute relation avec l’ancienne patrie. Malgré les sables, malgré les rocs qui bordent le golfe par où l’immigration avait pu se faire, des ports de commerce existaient sur ces rivages, entre autres, Philotéras (1)[133], tous reliés au centre fertile où se mouvaient principalement les populations, au moyen de stations établies dans le désert, Wadi-Djasous, par exemple, dont on sait que les puits furent réparés par Amounm-Gori (1686 avant J.-C., suivant Wilkinson ; à une date plus ancienne, au dire de M. le chevalier Bunsen), et lorsque les Égyptiens ne possédaient rien du côté de la Palestine. Il y a même lieu de croire que les mines d’émeraudes de Djebel-Zabara étaient déjà exploitées avant cette époque. Dans les tombeaux des Pharaons de la 18e dynastie, le lapis-lazuli et d’autres pierres précieuses, originaires de l’Inde, se rencontrent en abondance. Je ne parle pas ici des vases de porcelaine, venus indubitablement de la Chine, et découverts dans des hypogées dont la date de fondation est inconnue. Cette dernière circonstance suffit, à elle seule, pour donner le droit d’attribuer ces monuments et leur contenu à une époque très reculée (2)[134].

De ce que les Égyptiens étaient établis dans le centre de la vallée du Nil, je conclus qu’ils n’appartenaient pas aux nations chamites et sémites, dont la route vers l’Afrique occidentale était, au contraire, la rive méditerranéenne. De ce qu’ils portent, dans toutes les représentations figurées, le caractère évidemment caucasien, je conclus que la partie civilisatrice de la nation avait une origine blanche. Des traces arianes qui se trouvent dans leur langue, je conclus aussi, dès à présent, leur identité primitive avec la famille sanscrite. À mesure que nous allons avancer dans l’examen du peuple d’Isis, de nombreux détails vont confirmer, l’un après l’autre, ces prémisses.

J’ai montré qu’aux époques historiques les plus lointaines, les Égyptiens n’avaient que peu ou point de rapports avec les peuples chamites ou sémites et les contrées habitées par ces peuples ; tandis qu’au contraire, ils paraissent avoir entretenu des relations suivies avec les nations maritimes du sud-est. Leur activité se tournait si naturellement de ce côté, les transactions qui en résultaient avaient un tel degré d’importance, qu’au temps de Salomon le commerce entre les deux pays dépassait, pour un seul voyage d’importation, la valeur de 80 millions de nos francs (1)[135].

Tout en constatant l’origine sanscrite du noyau civilisateur de la race, il ne faudrait pas nier que, dès une époque très ancienne, cette race ne se soit fortement imprégnée du sang des noirs et mêlée aussi à de nombreux essaims chamites et à des fils de Sem. J’ai cité, sur ce point, l’autorité de Juba, qui reconnaît aux riverains du Nil, de Syène à Méroé, une provenance arabe (2)[136]. Malgré cette descendance multiple, les Égyptiens se croyaient et se disaient autochtones. Ils l’étaient en effet, en tant qu’héritiers, par le sang des aborigènes mélaniens. Cependant, si l’on veut s’attacher à la partie la plus noble de leur généalogie, on se refusera à partager leur opinion, et, persistant à les considérer comme des immigrants, non pas tant du nord et de l’est que du sud-est, on relèvera dans la constitution de leurs mœurs les traces très apparentes de la filiation que l’ignorance leur faisait renier.

À la religion féroce des nations assyriennes les Égyptiens opposaient les magnificences d’un culte, sinon plus idéal, au moins plus humain, et qui, après avoir aboli au temps de l’ancien empire, sous les premiers successeurs de Menès (3)[137], l’usage nègre des massacres hiératiques, n’avait jamais osé tenter de le faire renaître.

Les principes généraux de l’art religieux pratiqués à Thèbes et à Memphis ne craignaient certainement pas de produire le laid, mais ils ne cherchaient pas trop l’horrible, et bien que l’image de Typhon et d’autres encore soient assez repoussantes, la divinité égyptienne affectionne les formes grotesques plutôt que les contorsions de la bête sauvage, ou les grimaces du cannibale. Ces déviations de goût, mêlées à un véritable caractère de grandeur et commandées évidemment par la quantité noire infusée dans la race, étaient dominées par la valeur spéciale de la partie blanche, qui, supérieure autant qu’on en doit juger, d’après ce fait même, à l’affluent chamo-sémite, se montrait plus douce, et forçait l’élément noir à abonder dans le ridicule, en abandonnant l’atroce.

Il y aurait pourtant exagération à trop louer les populations riveraines du Nil. Si, au point de vue de la moralité, on doit féliciter une société d’être plus ridicule que méchante, à celui de la force, il faut l’en plaindre. Les nations assyriennes eurent le coupable malheur d’abâtardir leurs consciences aux pieds des monstrueuses images d’Astarté, de Baal, de Melkart, de ces idoles horribles trouvées dans le sol de la Sardaigne comme sous le seuil des portes de Khorsabad ; mais les gens de Thèbes et de Memphis furent, de leur côté, assez ravalés, par leur alliance avec la race aborigène, pour prostituer leur adoration à ce qu’ont de plus humble et le règne végétal et la nature animale. Ne parlons pas ici de la cobra di capello, dont le culte symbolique, commun aux populations de l’Inde et de l’Égypte, n’était peut-être qu’une importation de la mère patrie (1)[138]. Laissons aussi en dehors les crocodiles et tout ce qui peut se faire craindre, culte éternel de qui a du sang des noirs dans les veines. L’infatuation pour des êtres inoffensifs, comme le bouc, le chat, le scarabée ; pour des légumes qui n’offraient rien que de très vulgaire dans leurs formes et dans leurs mérites : voilà ce qui est particulier à l’Égypte, de sorte que l’influence nègre, tout en s’y montrant apprivoisée, ne s’y faisait pas moins sentir que dans le Chanaan et sur les terres de Ninive. L’absurde régnait seul ; il n’en était que plus complet et l’action mélanienne, si naturellement puissante, ne différait d’intensité et de forme qu’au gré de la valeur particulière à l’influence blanche, qui la dirigeait encore en se laissant obscurcir par elle. De là les différences des deux nationalités assyrienne et égyptienne.

Je ne confonds pas, tout à fait, le culte d’Apis, ni surtout le respect profond dont la vache et le taureau étaient l’objet, avec le culte des végétaux. L’adoration, en tant qu’hommage rendu à la Divinité, est un témoignage de respect un peu excessif, sans doute ; et quand on le donne à la chose créée, le sentiment d’où naît cette erreur peut fort bien se rapporter à la même source que les autres apothéoses condamnables (1)[139]. Mais, au fond de la sympathie égyptienne pour la race bovine, il y a quelque chose d’étranger au pur et simple fétichisme. On doit sans scrupule le rattacher aux antiques habitudes pastorales de la race blanche, et, comme à la vénération rendue à la cobra di capello, lui assigner une origine hindoue. C’est une folie dont la source n’est pas grossière.

Je ferais la même réserve pour d’autres similitudes très frappantes, telles que le personnage de Typhon, l’amour du lotus et, avant tout, la physionomie particulière de la cosmogonie qui se rapproche tout à fait des idées brahmaniques. À la vérité, il est quelquefois dangereux d’ajouter une foi trop explicite aux conclusions tirées de comparaisons semblables. Les idées peuvent souvent voyager à demi mortes et venir se régénérer sur un terrain propre à les faire réussir, après avoir passé par bien des milieux. Ainsi se trouveraient déçues les espérances que l’on aurait pu concevoir de leur présence à deux points extrêmes, pour constater une identité de race chez leurs possesseurs différents. Cette fois, cependant, il est difficile de se tenir en méfiance. L’hypothèse la plus défavorable à la communication directe entre les Hindous et les Égyptiens serait de supposer que les notions théologiques des premiers seraient passées du territoire sacré dans la Gédrosie, de là chez les diverses tribus arabes, pour tomber enfin chez les seconds. Or, les Gédrosiens étaient de misérables barbares, détritus immondes des tribus noires (1)[140]. Les Arabes s’adonnaient entièrement aux notions des Chamites, et on ne trouve pas trace, parmi eux, de celles dont il s’agit. Ces dernières venaient donc directement de l’Inde, sans transmission intermédiaire. C’est un grand argument de plus en faveur de l’origine ariane du peuple des Pharaons.

Je ne considérerai pas tout à fait comme aussi concluante une particularité qui, au premier aspect, frappe cependant beaucoup. C’est l’existence, dans les deux pays, du régime des castes. Cette institution semble porter en elle un tel cachet d’originalité, qu’elle donne toutes les tentations possibles de la considérer comme ne pouvant être que le résultat d’une source unique, et de conclure de sa présence chez plusieurs peuples à leur identité originelle. Mais, en y réfléchissant un peu, on n’a pas de peine à se convaincre que l’organisation généalogique des fonctions sociales n’est qu’une conséquence directe de l’idée d’inégalité des races entre elles, et que partout où il y a eu des vainqueurs et des vaincus, principalement quand ces deux pôles de l’État ont été visiblement séparés par des barrières physiologiques, le désir est né chez les forts de conserver le pouvoir à leurs descendants, en les contraignant de garder pur, autant que possible, ce même sang dont ils regardaient les vertus comme l’unique cause de leur domination. Presque tous les rameaux de la race blanche ont essayé, un moment, l’ébauche de ce système exclusif, et s’ils ne l’ont pas généralement poussé aussi loin que les gardiens des Védas et les sectateurs d’Osiris, c’est que les populations au milieu desquelles ils se trouvaient leur étaient déjà parentes de trop près quand ils se sont avisés de se rendre inaccessibles. Sous ce rapport, toutes les sociétés blanches s’y sont prises trop tard ; les Égyptiens, comme les autres, et même les Brahmanes. Leur prétention ne pouvait naître qu’après expérience faite des inconvénients à éviter. Elle ne constituait, dès lors, qu’un effort plus ou moins impuissant.

Ainsi, l’existence des castes ne suppose pas en elle-même l’identité des peuples, puisqu’elle existe chez les Germains, chez les Étrusques, chez les Romains comme à Thèbes, tout comme à Videha. Cependant on pourrait répondre que, si l’idée séparatiste doit se produire partout où deux races inégales sont en présence, il n’en est pas de même des applications variées qui en ont été faites, et on insistera sur cette grande ressemblance dans les systèmes de l’Égypte et de l’Inde : la contrainte perpétuelle des lignées au métier de leurs ancêtres. C’est là, en effet, le rapport. Il y a aussi la dissemblance, et la voici : en Égypte, pourvu qu’un fils remplît les mêmes fonctions que son père, la loi était satisfaite ; la mère pouvait sortir de toute descendance, sauf d’une famille de bergers. Cette exception contre les gardiens de troupeaux, corollaire forcé de cette autre qui leur fermait l’entrée des sanctuaires, confirme très bien la tolérance de la règle. Du reste, les exemples abondent. Des rois épousent des négresses, témoin Aménoph 1er. Des rois sont mulâtres comme Aménoph II, et la société, fidèle à la lettre de l’institution, ne paraît nullement avoir pris soin d’en observer, ni même d’en comprendre l’esprit.

Enfin, voici deux preuves dernières, et ce sont certainement les plus fortes.

Les annales égyptiennes donnent la date de l’institution des castes et en font honneur à un de leurs premiers rois, le troisième de la 3e dynastie, le Sésonchosis du scoliaste des Argonautiques, le Sésostris d’Aristote.

Second argument : l’antiquité si haute à laquelle il faudrait reporter l’époque où les émigrants arians quittèrent les bouches de l’Indus pour se diriger vers l’ouest, rend inadmissible l’origine sanscrite de la loi, attendu qu’alors elle n’existait certainement pas dans le pays même auquel se rattache, à son sujet, une sorte de réputation classique.

Je viens de prouver que je ne cherche pas à renforcer mon opinion d’un argument que je juge fragile. Maintenant j’ajouterai qu’en me prononçant contre toutes les conclusions directes à tirer de l’existence simultanée des castes dans l’Inde et en Égypte, je ne prétends nullement affirmer que certaines inductions collatérales ne s’en puissent extraire, qui ne laissent pas que de corroborer d’une manière fort utile le principe de la communauté d’origine : telle est la vénération égale pour les ministres du culte, leur longue domination et la dépendance dans laquelle ils ont su retenir la caste militaire, même quand celle-ci a porté la couronne, triomphe que le sacerdoce chamite n’a pas su remporter, et qui fit également la gloire, la force des civilisations de l’Indus et du Nil. C’est que la race ariane est surtout religieuse. Il faut encore observer l’intervention constante des prêtres dans les habitudes et les actes les plus intimes du foyer domestique (1)[141]. En Égypte, ainsi que dans l’Inde, on voit les hommes des temples réglementer tout, jusqu’au choix des aliments, et établir, à ce sujet, une discipline à peu près pareille. Bref, et bien que le nombre des castes ne corresponde pas, la hiérarchie en est assez semblable sur les deux territoires (1)[142]. C’est là tout ce qu’il peut être utile de remarquer sur des faits, en apparence secondaires, mais qui ont cet avantage de se laisser très bien rapprocher, fragments séparés d’une primitive unité sinon d’institutions, du moins d’instincts, en même temps que de sang.

Les plus anciens monuments de la civilisation égyptienne se trouvent dans les parties haute et moyenne du pays (2)[143]. Négligeant le nord et le nord-est, les premières dynasties ont laissé des traces d’une prédilection évidente pour la direction contraire, et leurs communications avec l’Inde ont dû nécessairement multiplier leurs rapports avec les contrées situées sur cette route, telles que la région des Arabes Kuschites, la côte orientale de l’Afrique et, peut-être, quelques-unes des grandes îles de l’Océan (3)[144].

Cependant rien n’indique sur tous ces points, excepté la presqu’île du Sinaï, une action régulièrement dominatrice, et il n’en est pas de même si l’on se tourne vers le sud et vers l’ouest africain (4)[145]. Là, les Égyptiens apparaissent comme des maîtres. Aussi le théâtre principal de l’ancienne civilisation égyptienne laisse-t-il le Nil descendre jusqu’à la mer sans s’étendre avec son cours inférieur ; tandis qu’il le remonte au delà de Méroé et le quitte même pour s’avancer dans la région occidentale, sous les palmiers de l’oasis d’Ammon.

Les anciens se rendaient compte de cette situation lorsqu’ils attribuaient la dénomination géographique de Kousch (1)[146], tant à la haute Égypte et à une partie de l’Égypte moyenne qu’à l’Abyssinie, à la Nubie et aux districts de l’Yémen habités par les descendants des Chamites noirs. Faute de s’être placé à ce point de vue, on s’est beaucoup inquiété de la véritable valeur de ce nom, et trop souvent on s’est épuisé sur la tâche impossible de lui créer une signification topographique positive. Il en est de ce mot comme de tant d’autres : Inde, Syrie, Éthiopie, Illyrie, appellations vagues qui ont sans cesse varié suivant les temps et les mouvements de la politique. Le mieux qu’on puisse faire, c’est de ne pas chercher à leur attribuer une rectitude scientifique que leur bon usage ne comporte pas. Je ne ferai donc nul effort pour préciser les frontières de ce pays de Kousch, en tant que l’Éthiopie est ainsi désignée, et, considérant que, parmi les territoires qu’il embrasse, l’Égypte, incontestablement, prend le pas sur tous les autres, et les rallie autour de ses provinces supérieures dans une civilisation commune, je profiterai de ce que le mot existe, pour faire observer qu’il pourrait être employé très justement à dénommer et le foyer et les conquêtes de cette antique culture, si exclusivement tournée vers le sud, et étrangère aux rivages de la Méditerranée.

Les pyramides sont les restes imposants de cette gloire primitive. Elles furent construites par les premières dynasties qui, s’étendant depuis Ménès jusqu’à l’époque d’Abraham et un peu au-dessous, se sont, jusqu’à présent, si bien prêtées à la discussion et si peu à la certitude (2)[147]. Tout ce qu’il est utile d’en remarquer ici, c’est que là, comme en Assyrie, le gouvernement commence par être exercé par les dieux, des dieux passent aux prêtres, des prêtres tombent aux chefs militaires (1)[148]. C’est l’idée nègre qui reparaît dans la même forme et suscitée par des circonstances toutes semblables. Les dieux, ce sont les blancs, les prêtres, les mulâtres de la caste hiératique. Les rois, ce sont les chefs armés, autorisés par la communauté d’origine blanche à prétendre au partage de l’empire, c’est-à-dire à s’emparer du gouvernement des corps en laissant celui des âmes à leurs rivaux. On peut supposer que la lutte fut longue et bien soutenue, que les pontifes ne se laissèrent pas aisément arracher la couronne ni chasser du trône, car la royauté militaire eut tous les caractères, non d’une victoire, mais d’un compromis. Le souverain pouvait appartenir indifféremment à l’une ou l’autre caste, celle des pontifes ou celle des guerriers. C’est la concession. La restriction la suit : si le souverain était de la seconde catégorie, il lui fallait, avant que d’entrer en jouissance des droits royaux, se faire admettre parmi les desservants des temples et s’instruire dans les sciences du sanctuaire (2)[149]. Une fois devenu hiérophante de forme et de fait, et seulement alors, le soldat heureux pouvait s’appeler roi, et, pendant tout le reste de sa vie, témoignant d’un respect sans bornes pour la religion et le sacerdoce, il devait, dans sa conduite privée et ses habitudes les plus intimes, ne s’écarter jamais des règles dont les prêtres étaient les auteurs et les gardiens. Jusqu’au fond du retrait le plus particulier de l’existence royale, les rivaux du maître avaient les yeux fixés. Quand il s’agissait d’affaires publiques, la dépendance était plus étroite encore. Rien ne s’exécutait sans la participation de l’hiérophante : membre du conseil souverain, sa voix avait le poids des oracles, et comme si tous ces liens de servitude eussent paru trop faibles encore pour sauvegarder cette part si énorme de pouvoir, les rois savaient qu’après leur mort ils auraient à subir un jugement, non pas de la part de leurs peuples, mais de la part de leurs prêtres ; et chez une nation qui avait sur l’existence d’au delà du tombeau des idées si particulières, on peut aisément s’imaginer quelle terreur entretenait dans l’esprit du despote le plus audacieux l’idée d’un procès qui, suscité à son cadavre impuissant, pouvait le priver du bonheur le plus désirable au gré des idées nationales, une sépulture magnifique et les derniers honneurs. Ces juges futurs étaient donc constamment redoutables, et ce n’était pas trop de prudence que de les ménager pendant toute la vie (1)[150].

L’existence d’un roi d’Égypte ainsi enchaînée, surveillée, contrariée sur les points les plus importants comme dans les détails les plus futiles, aurait été intolérable, si quelque dédommagement ne lui avait été offert. Les droits religieux mis à part, le monarque était tout-puissant, et ce que le respect a de plus raffiné lui était constamment offert par les peuples à genoux. Il n’était pas Dieu, sans doute, et on ne l’adorait pas de son vivant ; mais on le vénérait en tant qu’arbitre absolu de la vie et de la mort, et aussi comme personnage sacré, car il était pontife lui-même. À peine les plus grands de l’État étaient-ils assez nobles pour le servir dans les plus humbles emplois. C’était à ses fils que revenait l’honneur de courir derrière son char, dans la poussière, en portant ses parasols.

Ces mœurs n’étaient pas sans rapport avec ce qui se passa en Assyrie. Le caractère absolu du pouvoir, et l’abjection qu’il imposait aux sujets, se rencontraient aussi très complètement à Ninive. Pourtant l’esclavage des rois vis-à-vis des prêtres ne paraît pas y avoir existé, et si l’on se tourne vers un autre rameau des Sémo-Chamites noirs, si l’on regarde à Tyr, on y trouve bien un roi esclave ; mais c’est une aristocratie qui le domine, et le pontife de Melkart, apparaissant dans les rangs des patriciens comme une force, n’y représente pas la force unique ou dominante.

À considérer similitudes et dissemblances au point de vue ethnique, les similitudes se montrent dans l’abaissement des sujets et dans l’énormité du pouvoir. La prérogative exercée sur des êtres brutaux est complète en Égypte comme en Assyrie, comme à Tyr. La raison en est que, dans tous les pays où l’élément noir se trouva ou se trouve soumis au pouvoir des blancs, l’autorité emprunte un caractère constant d’atrocité, d’une part, à la nécessité de se faire obéir d’êtres inintelligents, et, d’autre part, à l’idée même que ces êtres se font des droits illimités de la puissance à leur soumission.

Pour les dissemblances, leur source est en ceci que le rameau civilisateur de l’Égypte était supérieur en mérite aux branches de Cham et de Sem. Dès lors, les Sanscrits Égyptiens avaient pu apporter, dans le pays de leur conquête, une organisation assez différente et certainement plus morale ; car ce n’est pas un point à controverser que, partout où le despotisme est le seul gouvernement possible, l’autorité sacerdotale, même poussée à l’extrême, a toujours les résultats les plus salutaires, parce que, du moins, est-elle toujours plus trempée d’intelligence.

Après les rois et les prêtres de l’Égypte, il ne faut pas oublier les nobles, qui, pareils aux Kchattryas de l’Inde, avaient seuls le droit de porter les armes et l’emploi de défendre le pays. En supposant qu’ils s’en soient acquittés avec distinction, ils paraissent avoir mis non moins d’énergie à opprimer leurs inférieurs : je viens de l’indiquer tout à l’heure, et il n’est pas mal à propos d’y revenir. Le bas peuple de l’Égypte était aussi malheureux que possible, et son existence, à peine garantie par les lois, se trouvait constamment exposée aux violences des hautes classes. On le contraignait à un travail sans relâche ; l’agriculture dévorait et ses sueurs et sa santé ; logé dans de misérables cabanes, il y mourait de fatigue et de maladie sans que personne s’en préoccupât, et des admirables moissons qu’il produisait, de fruits merveilleux qu’il faisait croître, rien ne lui appartenait. À peine lui en était-il accordé une part insuffisante à sa nourriture. Tel est le témoignage porté sur l’état des basses classes en Égypte par les écrivains de l’antiquité grecque (1)[151]. À la vérité, on peut citer également, dans un sens contraire, les lamentations des Israélites fatigués de manger la manne du désert. Ces nomades regrettèrent alors les oignons de la captivité. Mais aussi incrimine-t-on avec justice les murmures de la nation coupable, comme provenant d’un excès inconcevable de bassesse et d’abattement. Ceux qui proféraient ces blasphèmes oubliaient qu’ils n’avaient quitté le pays de Misr que pour fuir une oppression devenue exorbitante, qui n’était, à peu de chose près, que le régime ordinaire du peuple indigène. Mais celui-ci était impuissant à imiter les enfants d’Israël dans leur Exode, et, né d’une race infiniment moins noble, il sentait aussi beaucoup moins sa misère. La fuite des Israélites, envisagée à ce point de vue, n’est pas un des moindres exemples de la résolution avec laquelle le génie des peuples alliés de près à la famille blanche sait éviter de descendre jusqu’à un trop profond degré d’avilissement.

Ainsi le régime politique imposé à la population inférieure était au moins aussi dur en Égypte que dans les pays chamites et sémites, quant à l’intensité de l’esclavage et à la nullité des droits des sujets. Pourtant, au fond il était moins sanguinaire parce que la religion, clémente et douce, ne réclamait pas les homicides horreurs où se complaisaient les dieux de Chanaan, de Babylone et de Ninive (1)[152]. Sous ce rapport, le paysan, l’ouvrier, l’esclave égyptiens étaient moins à plaindre que la tourbe asiatique ; sous ce rapport seul, et si ces misérables ne devaient pas craindre de tomber jamais sous le couteau saint du sacrificateur, ils rampaient toute leur vie aux pieds des hautes castes.

On les employait, eux aussi, comme des bêtes de somme, pour exécuter ces gigantesques travaux que tous les siècles admireront. C’étaient eux qui charriaient les blocs destinés à l’érection des statues et des obélisques monolithes. C’était cette population noire ou presque noire dont la foule mourait en creusant les canaux, tandis que les castes plus blanches imaginaient, ordonnaient et surveillaient l’ouvrage, et, lorsqu’il était achevé, en recueillaient justement la gloire. Que l’humanité gémisse d’un si terrible spectacle, c’est à propos ; mais, après un tribut suffisant d’indignation et de regrets, on apprécie les terribles raisons qui forçaient les masses populaires de l’Égypte et de l’Assyrie à s’accommoder patiemment d’un joug aussi durement imposé : il y avait chez la plèbe de ces pays nécessité ethnique invincible de subir les caprices de tous les maîtres, à cette condition cependant que ces maîtres conserveraient le talisman qui leur assurait l’obéissance, c’est-à-dire, assez du sang des blancs pour justifier leurs droits à la domination.

Cette condition fut certainement remplie dans les belles périodes de la puissance égyptienne. Aux plus illustres moments de l’empire d’Assyrie, les trônes de Babylone et de Ninive ne voyaient pas défiler sous les yeux des rois de plus nobles profils que ceux dont on admire encore la majesté sur les sculptures de Beni-Hassan (1)[153].

Mais il est bien évident que cette pureté, d’ailleurs relative, ne pouvait pas durer indéfiniment. Les castes n’étaient pas organisées de manière à la conserver d’une manière suffisante. Aussi n’est-il pas douteux que, si la civilisation égyptienne n’avait eu d’autre raison d’exister que la seule influence du type hindou auquel elle devait la vie, elle n’aurait pas eu la longévité qu’on peut lui attribuer, et longtemps avant Rhamsès III, qui termine l’ère de plus grande splendeur, longtemps avant le XIIIe siècle avant J.-C., la décadence aurait commencé.

Ce qui soutint cette civilisation, ce fut le sang de ses ennemis asiatiques, chamites et sémites, qui, à plusieurs reprises et de différentes façons, vinrent quelque peu la régénérer. Sans se prononcer d’une manière rigoureuse sur la nationalité des Hyksos, on ne peut douter qu’ils n’appartinssent à une race alliée à l’espèce blanche (1)[154]. Au point de vue politique, leur arrivée fut un malheur, mais un malheur qui rafraîchit pourtant le sang national et en raviva l’essence. Les guerres avec les peuples asiatiques, soutenues longtemps à égalité, bien qu’il soit prudent de douter beaucoup de ces conquêtes étendues jusqu’à la mer Caspienne, dont l’Asie n’offre de traces ni dans son histoire ni dans ses monuments, ces guerres des Sésostris, des Rhamsès et autres princes heureux, firent affluer, dans les nomes de l’intérieur, les captifs de Chanaan, d’Assyrie et d’Arabie, et leur sang, bien que mêlé lui-même, tempéra quelque peu la sauvagerie du sang des noirs, que les basses classes, et surtout le voisinage et le contact intime avec les tribus abyssines et nubiennes, versaient incessamment dans les veines de la nation.

Puis, il faut tenir compte de ce double courant chamite et sémite qui, pendant tant de siècles, longea l’Égypte moyenne et la pénétra. Ce fut par cette voie que les hordes à demi blanches s’étendirent sur la côte occidentale de l’Afrique, et la population qui s’y forma apporta plus tard à l’État des successeurs de Ménès une race mêlée, dans laquelle le sang hindou n’existait pas, et qui tirait tout son mérite des mélanges multipliés avec les groupes civilisateurs de l’Asie inférieure.

De ces alluvions successives de principes blancs naquirent les nations qui défendirent la civilisation kouschite d’une disparition trop prématurée, et en même temps, comme ces alluvions ne furent jamais fort riches, l’esprit égyptien put se tenir toujours à distance des notions démocratiques finalement triomphantes à Tyr et à Sidon, parce que sa populace ne s’éleva jamais à une telle amélioration de sang, qu’elle pût concevoir la pensée ambitieuse et acquérir la faculté de devenir l’égale de ses maîtres. Toutes les révolutions se passèrent entre les castes supérieures. L’organisation hiératique et royale ne se vit pas attaquée. Si quelquefois des dynasties mélaniennes, comme celle dont Tirhakah fut le héros (1)[155], parurent à la tête du gouvernement d’un nome, leur triomphe fut court : ce ne fut qu’une élévation profitable à certains chefs, élévation résultant des jeux fortuits de la politique, et qui n’inspira jamais à ceux qu’elle glorifiait la tentation d’user de leur omnipotence pour établir cette égalité de droits cherchée par les groupes, en effet à peu près égaux, qui se querellaient dans les rues et sur les places des villes de la Phénicie. C’est ainsi que se précisent les causes de la stabilité égyptienne.

Cette stabilité devint de très bonne heure de la stagnation, parce que l’Égypte ne grandit réellement que tant que persista la suprématie du rameau hindou qui l’avait fondée : ce que les autres races blanches lui procurèrent de secours suffit pour prolonger sa civilisation, et non pour la développer.

Néanmoins, même dans la décadence, et bien que l’art égyptien des temps postérieurs à la 19e dynastie, c’est-à-dire à Ménéphthah (1480 avant J.-C.), ne présente plus qu’à de lointains intervalles des monuments dignes de rivaliser par la beauté de l’exécution, et jamais plus par le grandiose, avec ceux des âges précédents (2)[156], néanmoins, dis-je, l’Égypte resta toujours tellement au-dessus des pays situés au sud et au sud-ouest de son territoire, qu’elle ne cessa pas d’être pour eux le foyer d’où émanait leur vie.

Cette prérogative civilisatrice fut loin cependant d’être absolue, et, pour ne pas errer, il est nécessaire de remarquer que la civilisation de l’Abyssinie provenait de deux sources. L’une, sans doute, était bien égyptienne et se montra toujours la plus abondante et la plus féconde ; mais l’autre exerçait une action qui vaut aussi la peine d’être signalée. Elle était due à une émigration très antique des Chamites noirs d’abord, les Arabes Cuschites, puis de Sémites, les Arabes Himyarites, qui passèrent, les uns et les autres, le détroit de Bab-el-Mandeb et allèrent porter aux populations d’Afrique une part de ce qu’elles possédaient elles-mêmes de culture assyrienne. À en juger d’après la situation qu’occupaient sur la côte sud de l’Arabie ces nations, et le commerce étendu auquel elles prenaient part avec l’Inde, commerce qui paraît avoir déterminé sur leur côte la fondation d’une ville sanscrite (1)[157], il est assez probable que leurs propres idées devaient avoir reçu une certaine teinte ariane, proportionnée au mélange ethnique qui avait pu se faire de la part de ces marchands avec la famille hindoue. Quoi qu’il en soit, et en étendant autant que possible la somme de leurs richesses civilisatrices, nous avons, dans l’exemple des Phéniciens, la mesure du degré de développement auquel atteignaient ces populations annexes de la race d’Assyrie, mesure qui ne dépassait pas de beaucoup l’aptitude à comprendre et à accepter ce que les rameaux plus blancs, c’est-à-dire les nations de la Mésopotamie, avaient la puissance exclusive de créer et de développer. Les Phéniciens, tout habiles qu’ils fussent, ne s’élevaient pas au-dessus de cet humble rang, et quand on considère pourtant que leur sang fut sans cesse renouvelé et amélioré par des émigrations au moins à demi blanches, qui, bien certainement, faisaient défaut aux Himyarites, en tant que le mélange de ceux-ci avec les Hindous ne pût être ni bien intime ni bien fécond, on est amené à conclure que la civilisation des Arabes extrêmes, bien qu’assyrienne, n’était pas comparable en mérite et en éclat au reflet dont jouissaient les cités chananéennes (1)[158].

Suivant cette proportion décroissante, les émigrants qui passèrent le détroit de Bab-el-Mandeb et vinrent s’établir en Éthiopie, n’y apportèrent qu’une civilisation fragmentaire, et les races noires de Nubie et d’Abyssinie n’auraient pu être bien sérieusement ni bien longtemps affectées, soit dans leur type physique, soit dans leur valeur morale, si le voisinage de l’Égypte n’avait pas suppléé un jour, plus largement que de coutume, à la pauvreté des dons ordinaires provenant des civilisations de Misr et d’Arabie.

Je ne veux pas dire ici que l’Abyssinie et les contrées environnantes soient devenues le théâtre d’une société très avancée. Non seulement la culture de ce pays ne fut jamais originale, non seulement elle se borna toujours à la simple et lointaine imitation de ce qui se faisait, soit dans les villes arabes de la côte, soit dans l’Inde ariane et dans les capitales égyptiennes, Thèbes, Memphis, et plus tard Alexandrie, mais encore l’imitation ne se montra ni complète ni étendue.

Je sais que je prononce là des paroles très irrévérencieuses et qui ne peuvent manquer d’indigner les panégyristes de l’espèce nègre, car on n’ignore pas que, l’esprit de parti s’en mêlant, les flatteurs de cette fraction de l’humanité se sont mis en humeur de lui conquérir des titres de gloire, et n’ont pas hésité à présenter la civilisation abyssine comme typique, sortie uniquement de l’intellect de leurs favoris et antérieure à toute autre culture. De là, pris d’un noble élan que rien n’arrête, ils ont fait ruisseler cette prétendue civilisation noire sur toute l’Égypte, et l’ont encore tirée vers l’Asie. À la vérité, la physiologie, la linguistique, l’histoire, les monuments, le sens commun, réclament unanimement contre cette façon de représenter le passé. Mais les inventeurs de ce beau système ne se laissent pas aisément étonner. Embarrassés de peu de science, armés de beaucoup d’audace, il est vraisemblable qu’ils continueront leur route et ne cesseront pas de proposer Axoum pour la capitale du monde. Ce sont là des excentricités dont je ne fais mention que pour établir qu’elles ne valent pas la peine d’être discutées (1)[159].

La réalité scientifique, pour qui ne veut pas rire, est que la civilisation abyssine procède des deux sources que je viens d’indiquer, égyptienne et arabe, et que la première surtout domina de beaucoup sur la seconde dans l’âge antique. Il sera toujours difficile d’établir à quelle époque eurent lieu les premières émigrations des Cuschites d’Asie et des Himyarites. Une opinion qui date de notre XVIIe siècle, et dont Scaliger fut l’auteur, ne faisait remonter qu’à l’époque de Justinien l’invasion des Joktanides dans ce pays d’Afrique. Job Ludolf la réfute très bien et lui préfère avec raison le sentiment de Conringius. Sans citer tous ses motifs, je lui ferai deux emprunts : l’un, d’un argument qui fixe du moins l’esprit sur la très haute antiquité de l’émigration himyarite (1)[160], et l’autre, d’une phrase dans laquelle il caractérise l’ancienne langue éthiopienne, et sur laquelle il est bon de ne pas laisser régner une obscurité qui pourrait faire supposer une apparente contradiction avec ce que j’ai avancé de la prédominance de l’élément égyptien dans la civilisation abyssine.

D’abord, le premier point : Ludolf retourne très adroitement les raisonnements de Scaliger au sujet du silence des historiens grecs sur l’émigration himyarite en Abyssinie. Il prouve que ce silence n’a pas eu d’autre cause que l’oubli accumulé par une longue suite de siècles sur un fait trop fréquent dans l’histoire des âges reculés pour que les observateurs d’alors aient songé à lui reconnaître de l’importance. Au temps où les Grecs ont commencé à s’occuper de l’ethnologie des nations qui, pour eux, avoisinaient le bout du monde, ces événements étaient déjà trop loin pour que leurs renseignements, toujours assez incomplets sur les annales étrangères, pussent percer jusque-là. Le silence des voyageurs hellènes ne signifie absolument rien, et n’infirme pas les raisons tirées de l’antique communauté de culte, de la ressemblance physique, et enfin de l’affinité des langues, tous arguments que Ludolf fait très bien valoir. C’est de ce point qu’il faut surtout parler, et il constitue mon second emprunt.

Cette affinité entre l’arabe et l’ancienne langue éthiopienne, ou le gheez, ne crée pas un rapport de descendance ; c’est simplement une conséquence de la nature des deux idiomes qui les classe l’un et l’autre dans un même groupe (2)[161]. Si le gheez se range dans la famille sémitique, ce n’est pas qu’il ait emprunté ce caractère à l’arabe. La population indigène purement noire du pays lui fournissait la base la plus large, l’étoffe la plus riche de ce système. Elle en possédait les éléments, les principes, les causes déterminantes bien plus parfaitement encore que les Himyarites, puisque ceux-ci avaient laissé altérer la pureté de l’idiome noir par les souvenirs arians restés avec la partie blanche de leur origine ; et pour jeter dans la langue de l’Éthiopie civilisée ces traces de l’action étrangère, il n’était même pas rigoureusement nécessaire que l’intervention des Sémites fût mise en jeu. On se souvient que ces mêmes éléments sémitiques se trouvent aussi dans l’ancien égyptien (1)[162]. Ainsi, sans nier que les Himyarites aient apporté à la langue de l’Éthiopie des marques de leur origine blanche, on doit pourtant remarquer que de tels restes ont pu également provenir de l’importation égyptienne et, en tout cas, en ont profité pour augmenter de force. De plus, certains éléments, non seulement arians, mais plus particulièrement sanscrits, déposés dans l’ancien égyptien, ayant passé de là dans le gheez, donnent à cette langue cette triplicité de source existant dans l’idiome des civilisateurs. Ainsi, la langue nationale représente très bien les origines ethniques : beaucoup plus chargée d’éléments sémitiques, c’est-à-dire noirs, que l’arabe et l’égyptien surtout, elle eut aussi moins de traces sanscrites que ce dernier.

Sous les 18e et 19e dynasties (de 1575 à 1180 avant J.-C.), les Abyssins étaient soumis aux Pharaons et payaient tribut (2)[163]. Les monuments nous les montrent apportant aux intendants royaux les richesses et les curiosités de leur pays. Ces hommes fortement marqués de l’empreinte nègre sont couverts de tuniques de mousseline transparente fournies par les manufactures de l’Inde ou des villes d’Arabie et d’Égypte. Ce vêtement court et n’allant qu’aux genoux est retenu par une ceinture de cuir ouvré, richement dorée et peinte (3)[164]. Une peau de léopard attachée aux épaules fait manteau ; des colliers tombent sur la poitrine, des bracelets serrent les poignets, de grandes boucles de métal se balancent aux oreilles, et la tête est chargée de plumes d’autruche. Bien que cette magnificence barbare ne fût pas conforme au goût égyptien, elle en tenait, et l’imitation se fait sentir dans toutes les parties importantes du costume, telles que la tunique et la ceinture. La peau de léopard était empruntée d’ailleurs aux nègres par plusieurs hiérophantes.

La nature du tribut n’indique pas un peuple avancé. Ce sont des produits bruts, pour la plupart, des animaux rares, du bétail, et surtout des esclaves. Les troupes fournies aussi comme auxiliaires n’avaient pas l’organisation savante des corps égyptiens ou sémites, et combattaient irrégulièrement. Rien donc, à ce moment, n’indiquait un grand développement, même dans la simple imitation de ce que les vainqueurs, les maîtres, pratiquaient le plus communément.

Il faut descendre jusqu’à une époque plus basse pour trouver, avec plus de raffinement, la cause ethnique des innovations à laquelle j’ai déjà fait allusion.

Au temps de Psammatik (664 avant J.-C.), ce prince, le premier d’une dynastie saïte, la 26e de Manéthon, ayant mécontenté l’armée nationale par son goût pour les mercenaires ioniens-grecs et cariens-sémites, une grande émigration militaire eut lieu vers l’Abyssinie, et 240.000 soldats, abandonnant femmes et enfants, s’enfoncèrent dans le sud pour ne plus en revenir (1)[165]. C’est de là que date l’ère brillante de l’Abyssinie et nous pouvons maintenant parler de monuments dans cette région, où l’on en chercherait vainement d’antérieurs qui aient été vraiment nationaux (2)[166].

Deux cent quarante mille chefs de famille égyptiens, appartenant à la caste militaire, fort mélangés, sans doute, de sang noir, et, probablement, ayant reçu un certain apport de race blanche par les intermédiaires chamites et sémites, un tel groupe venant s’ajouter à ce que l’Abyssinie possédait déjà de facultés de la race supérieure, pouvait déterminer dans l’ensemble du mouvement national une activité propre à la séparer davantage de la stagnation de la race noire (1)[167]. Mais il eût été bien surprenant et tout à fait inexplicable qu’une civilisation originale, ou seulement une copie faite de main de maître, sortît de ce mélange où, en définitive, le noir continuait à dominer. Les monuments ne présentèrent que des imitations médiocres de ce qui se voyait à Thèbes, à Memphis et ailleurs. Rien, pas un indice, pas une trace, ne montre une création personnelle des Abyssins, et leur plus grande gloire, ce qui a rendu leur nom illustre, c’est, il faut bien l’avouer, le mérite, en lui-même assez pâle, d’avoir été le dernier des peuples situés en Afrique chez lequel les recherches les plus minutieuses aient pu faire découvrir les vestiges d’une véritable culture politique et intellectuelle.

Dans les temps de l’empire romain, le commerce du monde s’étant beaucoup étendu, les Abyssins y jouèrent un rôle derrière les Himyarites. Le génie de l’Égypte ancienne était alors tout à fait éteint. Des colons hellénisés pénétrèrent jusque dans la Nubie, et l’élément sémite, apporté par eux, commença à l’emporter sur le souvenir des Pharaons. Le gheez eut une écriture empruntée à l’Arabie. Cependant, malgré tout, les naturels du pays donnèrent un si petit éclat à leur action, on les connaissait si mal et si peu, leur influence était si lointaine, si effacée, qu’ils restèrent constamment, même pour les géographes les plus savants et les plus perspicaces, à l’état de demi-énigmes.

L’avènement du christianisme ne haussa pas le degré de leur culture. À la vérité, persistant encore quelque temps dans leurs habitudes de tout recevoir de l’Égypte, et touchés par le zèle apostolique des premiers missionnaires, ils embrassèrent assez généralement la foi. Ils avaient déjà dû au voisinage des tribus arabes avec lesquelles quelques invasions, exécutées sous l’empereur Justin (1)[168], avaient resserré leurs liens antiques, l’adoption de certaines idées juives fort remarquées, plus tard, et qui s’accordaient assez naturellement avec la portion sémitique de leur sang (2)[169].

Le christianisme apporté par les Pères du désert, ces terribles anachorètes rompus aux plus rudes austérités, aux macérations les plus effrayantes, voire enclins aux mutilations les plus énergiques, était de nature à frapper les imaginations de ces peuples. Ils auraient été très probablement insensibles aux douces et sublimes vertus d’un saint Hilaire de Poitiers. Les pénitences d’un saint Antoine ou d’une sainte Marie Égyptienne exerçaient sur eux une autorité illimitée, et c’est ainsi que le catholicisme, si admirable dans sa diversité, si universel dans ses pouvoirs, si complet dans ses déductions, n’était pas moins armé pour ouvrir les cœurs de ces compagnons de la gazelle, de l’hippopotame et du tigre, qu’il ne le fut plus tard pour aller, avec Adam de Brême, parler raison aux Scandinaves et les convaincre. Les Abyssins, déjà plus qu’à demi déserteurs de la civilisation égyptienne depuis l’affaiblissement des provinces hautes de l’ancien empire des Pharaons, et plus tournés du côté de l’Yémen, restèrent pendant des siècles dans une sorte de situation intermédiaire entre la barbarie complète et un état social un peu meilleur ; et, pour continuer la transformation dont ils étaient devenus susceptibles, il fallut un nouvel apport de sang sémitique. L’irruption qui le fournit eut lieu 600 ans après J.-C. : ce fut celle des Arabes musulmans.

J’insiste peu sur les quelques conquêtes opérées à différentes reprises par les Abyssins dans la péninsule arabique. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce que, de deux populations vivant en face l’une de l’autre, la moins noble ait quelquefois des succès passagers. L’Abyssinie ne tira jamais assez d’avantages de ses victoires dans l’Yémen pour y former un établissement durable. Seulement, le supplément de sang noir qu’elle y apporta ne contribua pas peu à hâter la submersion du mérite des Himyarites (1)[170].

Les rapports des populations arabes avec l’Éthiopie, au temps de l’islamisme, eurent un sens ethnique tout contraire. Dirigés, et en grande partie exécutés par des Ismaélites, au lieu d’abâtardir l’espèce dans la péninsule, ils la renouvelèrent chez les hommes d’Afrique. Ni la Grèce ni Rome, malgré la gloire de leur nom et la majesté de leurs exemples, n’avaient eu le pouvoir d’entraîner les Abyssins dans le sein de leurs civilisations. Les Sémites de Mahomet opérèrent cette conversion et obtinrent, non pas tant des apostasies religieuses, qui ne furent jamais très complètes, que de nombreuses désertions de l’ancienne forme sociale. Le sang des nouveaux venus et celui des anciens habitants se mêla abondamment. Sans peine les esprits se reconnurent et s’entendirent, ils eurent la même logique, ils comprirent les faits de la même façon. Le sang hindou s’était assez tari pour n’avoir plus rien à prétendre dans la domination. Le costume, les mœurs, les principes de gouvernement et le goût littéraire des Arabes envahirent sur les souvenirs du passé ; mais l’œuvre ne fut pas complète. La civilisation musulmane proprement dite ne pénétra jamais bien. Dans sa plus belle expression, elle avait pour raison d’être une combinaison ethnique trop différente de celle des populations abyssines. Ces dernières se bornèrent simplement à épeler la portion sémitique de la culture musulmane, et jusqu’à nos jours, chrétiennes ou mahométanes, elles n’ont pas eu autre chose, elles n’ont pas eu davantage et n’ont pas cessé d’être la fin, le terme extrême, l’application frontière de cette civilisation gréco-sémitique, comme dans l’antiquité la plus lointaine, où j’ai hâte de retourner, elles n’avaient été également que l’écho du perfectionnement égyptien, soutenu par un souvenir d’Assyrie transmis de main en main jusqu’à elle. Les splendeurs fantastiques de la cour du Prêtre-Jean, si l’on veut qu’il ait été le grand Négu, n’ont existé que dans l’imagination des voyageurs romanesques du temps passé.

Pour la première fois, nos recherches viennent de trouver dans l’Éthiopie un de ces pays annexes d’une grande civilisation étrangère, ne la possédant que d’une manière incomplète et absolument comme le disque lunaire fait pour la clarté du soleil. L’Abyssinie est à l’ancienne Égypte ce que l’empire d’Annam est à la Chine, et le Thibet à la Chine et à l’Inde (1)[171]. Ces sortes de sociétés imitatrices ou mixtes offrent les points où se rattache l’esprit de système pour remonter à l’encontre de tous les faits présentés par l’histoire. C’est là qu’on aime à défigurer les vestiges à peine apparents d’une importation certaine, et à leur prêter la valeur d’inspirations primordiales. C’est là surtout qu’on a trouvé des armes pour défendre cette théorie moderne qui veut que les peuples sauvages ne soient que des peuples dégénérés, doctrine parallèle à cette autre, que tous les hommes sont de grands génies désarmés par les circonstances.

Cette opinion, partout où on l’applique, chez les indigènes des deux Amériques, chez les Polynésiens comme chez les Abyssins, est un abus de langage ou une erreur profonde. Bien loin de pouvoir attribuer à la pression des faits extérieurs l’engourdissement fatal qui a toujours pesé, avec plus ou moins de force, sur les nations cultivées de l’Afrique orientale, il faut se persuader que c’est là une infirmité étroitement inhérente à leur nature ; que jamais ces nations n’ont été civilisées parfaitement, intimement ; que leurs éléments ethniques les plus nombreux ont toujours été radicalement inaptes à se perfectionner ; que les faibles effets de fertilité importés par des filons de sang meilleur étaient trop peu considérables pour pouvoir durer longtemps ; que leur groupe a rempli le simple rôle d’imitateurs inintelligents et temporaires des peuples formés d’éléments plus généreux. Cependant, même dans cette nation abyssine et surtout là, puisque c’est au point extrême, l’heureuse énergie du sang des blancs réclame encore l’admiration. Certes, ce qui, après tant de siècles, en reste aujourd’hui dans les veines de ces populations est subdivisé bien à l’infini. D’ailleurs, avant de leur parvenir, combien de souillures hétérogènes ne s’y étaient pas attachées chez les Himyarites, chez les Égyptiens, chez les Arabes musulmans ? Toutefois, là où le sang noir a pu contracter cette illustre alliance, il en conserve les précieux effets pendant des temps incalculables. Si l’Abyssin se classe tout au dernier degré des hommes riverains de la civilisation, il marche, en même temps, le premier des peuples noirs. Il a secoué ce que l’espèce mélanienne a de plus abaissé. Les traits de son visage se sont anoblis, sa taille s’est développée ; il échappe à cette loi des races simples de ne présenter que des déviations légères d’un type national immobile, et dans la variété des physionomies nubiennes on retrouve même, d’une manière surprenante, les traces, honorables en ce cas, de l’origine métisse. Pour la valeur intellectuelle, bien que médiocre et désormais inféconde, elle présente du moins une réelle supériorité sur celle de plusieurs tribus de Gallas, oppresseurs du pays, plus véritables noirs et plus véritables barbares dans toute la portée de l’expression.


CHAPITRE VI.

Les Égyptiens n’ont pas été conquérants ; pourquoi leur civilisation resta stationnaire.

Il n’y a pas à s’occuper des oasis de l’ouest, et en particulier de l’oasis d’Ammon. La culture égyptienne y régna seule, et probablement même ne fut-elle jamais possédée que par les familles sacerdotales groupées autour des sanctuaires. Le reste de la population ne pratiqua guère que l’obéissance. Ne nous occupons donc plus que de l’Égypte proprement dite, où cette question, la seule importante, reste à résoudre presque en entier : la grandeur de la civilisation égyptienne a-t-elle correspondu exactement à la plus ou moins grande concentration du sang de la race blanche dans les groupes habitants du pays ? En d’autres termes, cette civilisation, sortie d’une migration hindoue et modifiée par des mélanges chamites et sémites, alla-t-elle toujours en décroissant à mesure que le fond noir, existant sous les trois éléments vitaux, prit graduellement le dessus ?

Avant Ménès, premier roi de la première dynastie humaine, l’Égypte était déjà civilisée et possédait au moins deux villes considérables, Thèbes et This. Le nouveau monarque réunit sous sa domination plusieurs petits États jusque-là séparés. La langue avait déjà revêtu son caractère propre. Ainsi l’invasion hindoue et son alliance avec des Chamites remontent au delà de cette très antique période, qui en fut le couronnement. Jusque-là point d’histoire. Les souffrances, les dangers et les fatigues du premier établissement forment, comme chez les Assyriens, l’âge des dieux, l’époque héroïque.

Cette situation n’est pas particulière à l’Égypte : dans tous les États qui commencent on la retrouve.

Tant que durent les difficiles travaux de l’arrivée, tant que la colonisation demeure incertaine, que le climat n’est pas encore assaini, ni la nourriture assurée, ni l’aborigène dompté, que les vainqueurs eux-mêmes, dispersés dans les marais fangeux, sont trop absorbés par les assauts auxquels chaque individualité doit faire tête, les faits arrivent sans qu’on les recueille ; on n’a d’autre souci que la préservation, si ce n’est la conquête.

Cette période a une fin. Aussitôt que le labeur porte réellement ses premiers fruits, que l’homme commence à jouir de cette sécurité relative vers laquelle le portent tous ses instincts, et qu’un gouvernement régulier, organe du sentiment général, est enfin assis ; à ce moment, l’histoire commence, et la nation se connaît véritablement elle-même. C’est ce qui s’est passé, sous nos yeux, à plusieurs reprises, dans les deux Amériques, depuis la découverte du XVe siècle.

La conséquence de cette observation est que les temps véritablement antéhistoriques ont peu de valeur, soit parce qu’ils appartiennent aux races incivilisables, soit parce qu’ils constituent, pour les sociétés blanches, des époques de gestation où rien n’est complet ni coordonné, et ne peut confier un ensemble de faits logiques à la mémoire des siècles.

Dès les premières dynasties égyptiennes, la civilisation marcha si rapidement que l’écriture hiéroglyphique fut trouvée ; elle ne fut pas perfectionnée du même coup. Rien n’autorise à supposer que le caractère figuratif ait été immédiatement transformé, de manière à se simplifier, et, en même temps, à s’idéaliser sous une forme purement graphique[172].

La bonne critique attache de nos jours, et très justement, une haute idée de supériorité civilisatrice à la possession d’un moyen de fixer la pensée, et le mérite est d’autant plus grand que le moyen est moins compliqué. Rien ne dénote chez un peuple plus de profondeur de réflexion, plus de justesse de déduction, plus de puissance d’application aux nécessités de la vie, qu’un alphabet réduit à des éléments aussi simples que possible. À ce titre, les Égyptiens sont loin de pouvoir se réclamer de leur invention pour occuper une des places d’honneur. Leur découverte, toujours ténébreuse, toujours laborieuse à mettre en œuvre, les rejette sur les bas degrés de l’échelle des nations cultivées. Derrière eux, il n’est que les Péruviens nouant leurs cordelettes teintes, leurs quipos, et les Mexicains peignant leurs dessins énigmatiques. Au-dessus d’eux se placent les Chinois eux-mêmes ; car, du moins, ces derniers ont franchement passé du système figuratif à une expression conventionnelle des sons, opération, sans doute, imparfaite encore, mais qui, pourtant, a permis, à ceux qui s’en sont contentés, de rallier les éléments de l’écriture sous un nombre de clefs assez restreint. Du reste, combien cet effort, plus habile que celui des hommes de Thèbes, est-il encore inférieur aux intelligentes combinaisons des alphabets sémitiques, et même aux écritures cunéiformes, moins parfaites, sans doute, que celles-ci qui, à leur tour, doivent céder la palme à la belle réforme de l’alphabet grec, dernier terme du bien en ce genre, et que le système sanscrit, si beau cependant, n’égale pas ! Et pourquoi ne l’égale-t-il pas ? C’est uniquement parce que nulle race, autant que les familles occidentales, n’a été douée, tout à la fois, de cette puissance d’abstraction qui, unie au vif sentiment de l’utile, est la vraie source de l’alphabet.

Ainsi donc, tout en considérant l’écriture hiéroglyphique comme un titre solide de la nation égyptienne à prendre place parmi les peuples civilisés, on ne peut méconnaître que la nature de cette conception, parvenue même à ses perfectionnements derniers, ne classe ses inventeurs au-dessous des peuples assyriens. Ce n’est pas tout : dans le fait de cette idée stérilisée, il y a encore quelque chose à remarquer. Si les peuples noirs de l’Égypte n’avaient été gouvernés, dès avant le temps de Ménès, par des initiateurs blancs, ce premier pas de la découverte de l’écriture hiéroglyphique n’aurait certainement pas été fait. Mais, d’autre part, si l’inaptitude de l’espèce noire n’avait pas, à son tour, dominé la tendance naturelle des Arians à tout perfectionner, l’écriture hiéroglyphique et, après elle, les arts de l’Égypte n’auraient pas été frappés de cette immobilité, qui n’est pas un des caractères les moins spéciaux de la civilisation du Nil.

Tant que le pays ne fut soumis qu’à des dynasties nationales, tant qu’il fut dirigé, éclairé par des idées nées sur son sol et issues de sa race, ses arts purent se modifier dans les parties ; ils ne changèrent jamais dans l’ensemble. Aucune innovation puissante ne les bouleversa. Plus rudes peut-être sous la 2e et la 3e dynastie, ils n’obtinrent, sous les 18e et 19e, que l’adoucissement de cette rudesse, et sous la 29e, qui précéda Cambyse, la décadence ne s’exprime que par la perversion des formes, et non par l’introduction de principes jusque-là inconnus. Le génie local vieillit et ne changea pas. Élevé, porté au sublime tant que l’élément blanc exerça la prépondérance, stationnaire aussi longtemps que cet élément illustre put se maintenir sur le terrain civilisateur, décroissant toutes les fois que le génie noir prit accidentellement le dessus, il ne se releva jamais. Les victoires de l’influence néfaste étaient trop constamment soutenues par le fond mélanien sur lequel reposait l’édifice[173].

On a de tous temps été frappé de cette mystérieuse somnolence. Les Grecs et les Romains s’en étonnèrent comme nous, et puisqu’il n’est rien qui demeure sans une explication, telle quelle, on crut bien dire en accusant les prêtres d’avoir produit le mal.

Le sacerdoce égyptien fut dominateur, sans nul doute, ami du repos, ennemi des innovations comme toutes les aristocraties. Mais quoi ! les sociétés chamites, sémites, hindoues eurent aussi des pontificats vigoureusement organisés et jouissant d’une vaste influence. D’où vient que, dans ces contrées, la civilisation ait remué, marché, traversé des phases multiples ; que les arts aient progressé, que l’écriture ait changé de formes et soit arrivée à sa perfection ? C’est que, simplement, dans ces différents lieux, la puissance des pontificats, tout immense qu’elle pût être, ne fut rien devant l’action exercée par les couches successives du sang des blancs, source intarissable de vie et de puissance. Les hommes des sanctuaires eux-mêmes, pénétrés du besoin d’expansion qui échauffait leur poitrine, n’étaient pas les derniers à trouver et à créer. C’est rabaisser la valeur et la force des éternels principes de l’existence sociale que d’y supposer des obstacles infranchissables dans le fait essentiellement mobile et transitoire des institutions.

Quand, par ces inventions de la convenance humaine, la civilisation se trouve gênée dans sa marche, elle, qui les a créées uniquement pour en tirer profit, est parfaitement armée pour les défaire, et l’on peut hardiment décider que, lorsqu’un régime dure, c’est qu’il convient à ceux qui le supportent et ne le changent pas. La société égyptienne, n’ayant reçu dans son sein que bien peu de nouveaux affluents blancs, n’eut pas lieu de renoncer à ce que, primitivement, elle avait trouvé bon et complet, et qui continua à lui paraître tel. Les Éthiopiens, les nègres, auteurs des plus anciennes et plus nombreuses invasions, n’étaient pas gens à transformer l’ordre de l’empire. Après l’avoir pillé, ils n’avaient que deux alternatives : ou se retirer, ou obéir aux règles établies avant leur venue. Les rapports mutuels des éléments ethniques de l’Égypte n’ayant été modifiés, jusqu’à la conquête de Cambyse, que par l’inondation croissante de la race noire, il n’y a rien d’étonnant à ce que tout mouvement ait commencé par se ralentir, puis se soit arrêté, et que les arts, l’écriture, l’ensemble entier de la civilisation, se soient, jusqu’au septième siècle avant J.-C., développés dans un sens unique, sans abandonner aucune des conventions qui avaient d’abord servi d’étais, et qui finirent, suivant la règle, par constituer la partie la plus saillante de l’originalité nationale.

On a la preuve que, dès la seconde dynastie, l’influence des vaincus de race noire se faisait déjà sentir dans les institutions, et, si l’on se représente l’oppression résolue des maîtres et leur mépris systématique des populations, on ne doutera pas que, pour obtenir ainsi créance, il fallait que les idées des sujets s’exprimassent par la bouche de puissants intéressés, d’hommes placés de manière à exercer les prérogatives dominatrices de la race blanche, tout en partageant jusqu’à un certain point les sentiments de la noire. Ces hommes ne pouvaient être autres que des mulâtres. Le fait dont il s’agit ici est celui que Jules Africain rapporte dans les termes qui suivent, au règne de Kaïechos, second roi de la dynastie thinite : « Depuis ce monarque, dit l’abréviateur, on établit en loi que les bœufs Apis à Memphis, et Mnévis à Héliopolis, et le bouc Mendésien étaient des dieux. »

Je regrette de ne pas trouver, sous la plume savante de M. le chevalier Bunsen, la traduction suffisamment exacte de cette phrase plus pleine de sens qu’il ne lui en attribue[174]. Jules Africain ne dit pas, ainsi qu’on pourrait l’induire des expressions dont se sert le savant diplomate prussien, que le culte des animaux sacrés fut, pour la première fois, introduit, mais bien qu’il fût officiellement reconnu, étant déjà ancien. Quant à ce dernier point, je m’en rapporte aux nègres pour n’avoir pas manqué, dès l’origine de leur espèce, de calculer la religion sur le pied de l’animalité. Si donc cette adoration de tous les temps avait besoin d’être consacrée par un décret pour devenir légale, c’est que, jusque-là, elle n’avait pu rallier les sympathies de la partie dominante de la société, et comme cette partie dominante était d’origine blanche, il fallut, pour que se fît une révolution aussi grave contre toutes les notions arianes du vrai, du sage et du beau, que le sens moral et intellectuel de la nation eût déjà subi une dégradation fâcheuse. C’était la conséquence des innovations survenues dans la nature du sang. De blanche, la société active était devenue métisse et, s’abaissant de plus en plus dans le noir, s’était, chemin faisant, associée à l’idée qu’un bœuf et un bouc méritaient des autels.

On peut être tenté de reprocher à ceci une sorte de contradiction. Je semble donner toutes les raisons et rassembler toutes les causes d’une décadence sans miséricorde dans les mains même du premier roi Ménès et, pourtant, l’Égypte n’a fait que commencer sous lui de longs siècles d’illustration[175]. En y regardant de près, la difficulté apparente s’évanouit. On a vu déjà, dans les États assyriens, avec quelle lenteur s’opère la fusion ethnique étendue sur un grand ensemble. C’est un véritable combat entre ses éléments et, outre cette lutte générale dont l’issue est très facile à préciser, il y a sur mille points particuliers des luttes partielles où l’influence à laquelle est assurée, par la raison de quantité, la victoire définitive, n’en subit pas moins des défaites momentanées, d’autant plus multipliées que cette influence se trouve aux prises avec un compétiteur, en lui-même, bien autrement doué et puissant. De même que sa victoire sera la fin de tout, de même aussi, tant que la vie, importée par le principe étranger, se manifeste, la puissance dont l’inertie est le caractère reçoit échecs sur échecs. Tout ce qu’elle peut, c’est de tracer le cercle d’où son adversaire finit par ne pouvoir sortir, et qui, se rétrécissant de plus en plus, l’étouffera un jour. Ainsi en advint-il de l’élément blanc qui dirigeait les destinées de la nation égyptienne, au milieu et contrairement aux tendances d’une masse trop considérable de principes mélaniens. Aussitôt que ces principes commencèrent assez notablement à se trouver mêlés à lui, ils imposèrent à ses découvertes, à ses inventions, une limite qu’il ne put jamais leur faire franchir. Ils bridaient son génie et ne lui permirent que les œuvres de patience et d’application. Ils voulurent bien le laisser toujours édifier ces prodigieuses pyramides dont il avait apporté, du voisinage des monts Oural et Altaï, l’inspiration et le modèle. Ils voulurent bien encore que les principaux perfectionnements trouvés aux premiers temps de l’établissement (car, là, tout ce qui était vraiment de génie datait de la plus haute antiquité) continuassent à être appliqués ; mais, graduellement, le mérite de l’exécution grandissait aux dépens de la conception, et, au bout d’une période qu’en l’étendant autant que possible, on ne peut guère agrandir au delà de sept à huit siècles, la décadence commença. Après Rhamsès III, vers le milieu du treizième siècle avant J.-C.[176], ce fut fini de toute la grandeur égyptienne. On ne vécut plus que sur les indications, chaque jour s’effaçant, des errements anciens[177].

Il est impossible que les plus fervents admirateurs de l’ancienne Égypte n’aient pas été frappés d’une remarque qui forme un singulier contraste avec l’auréole dont l’imagination entoure ce pays. Cette remarque ne laisse pas que de jeter une ombre fâcheuse sur la place qu’il occupe parmi les splendeurs du monde : c’est l’isolement à peu près entier dans lequel il a vécu vis-à-vis des États civilisés de son temps. Je parle, bien entendu, de l’ancien empire, et surtout, comme pour les Assyriens, je ne fais pas descendre au-dessous du septième siècle avant J.-C. le texte de mes considérations actuelles[178].

À la vérité, le grand nom de Sésostris plane sur toute l’histoire de l’Égypte primitive, et notre esprit, s’étant accoutumé à enchaîner derrière le char de ce vainqueur des populations innombrables, se laisse aller aisément à promener avec lui les drapeaux égyptiens du fond de la Nubie aux colonnes d’Hercule, des colonnes d’Hercule à l’extrémité sud de l’Arabie, du détroit de Bab-el-Mandeb à la mer Caspienne, et à les faire rentrer à Memphis, entourés encore des Thraces et de ces fabuleux Pélasges dont le héros égyptien est censé avoir dompté les patries. C’est un spectacle grandiose, mais la réalité en soulève des objections.

Pour commencer, la personnalité du conquérant n’est pas elle-même bien claire. On ne s’est jamais accordé ni sur l’âge qui l’a vu fleurir, ni même sur son nom véritable. Il a vécu longtemps avant Minos, dit un auteur grec ; tandis qu’un autre le repousse impitoyablement jusque dans les nuages des époques mythologiques. Celui-ci l’appelle Sésostris ; celui-là Sesoosis ; un dernier veut le reconnaître dans un Rhamsès, mais dans lequel ? Les chronologistes modernes, héritiers embarrassés de toutes ces contradictions, se divisent, à leur tour, pour faire de ce personnage mystérieux un Osirtasen ou un Sésortesen, ou encore un Rhamsès II ou un Rhamsès III. Un des arguments les plus solides au moyen desquels on pensait pouvoir appuyer l’opinion favorite touchant l’étendue des conquêtes de ce mystérieux personnage, c’était l’existence de stèles victorieuses dressées par lui sur plusieurs points de ses marches. On en a, en effet, trouvé, qui doivent être attribuées à des souverains du Nil, et dans la Nubie près de Wadi Halfah, et dans la presqu’île du Sinaï[179]. Mais un autre monument, d’autant plus célèbre qu’Hérodote le mentionne, monument existant encore près de Beyrouth, a été positivement reconnu, de nos jours, pour le gage de victoire d’un triomphateur assyrien[180]. D’ailleurs, rien d’égyptien ne s’est jamais rencontré au-dessus de la Palestine.

Avec toute la réserve que je dois apporter à me présenter dans ce débat, j’avoue que des différentes façons dont on a voulu prouver les conquêtes des Pharaons en Asie, aucune ne m’a jamais semblé satisfaisante[181]. Elles reposent sur des allégations trop vagues ; elles font courir trop loin les vainqueurs et leur livrent trop de terres pour ne pas éveiller la méfiance[182].

Puis elles se heurtent contre une très grave difficulté : l’ignorance complète où l’on trouve les prétendus vaincus de leur malheur. Je ne vois, à l’exception de quelques petits États de Syrie, pas un moment dans l’histoire unie, suivie, compacte des nations assyriennes jusqu’au VIIe siècle, où l’on puisse introduire d’autres conquérants que les différentes couches de Sémites et quelques Arians, et quant à reporter bien haut la douteuse omnipotence d’un nébuleux Sésostris, la tâche n’en devient que plus scabreuse. À ces époques indéterminées, témoins, il est vrai, de la plus belle efflorescence de Thèbes et de Memphis, les principaux efforts du pays se portaient vers le sud[183], vers l’Afrique intérieure, un peu vers l’est, tandis que le Delta servait de passage à des peuples de races diverses longeant les plages de l’Afrique septentrionale.

Outre les expéditions dans la Nubie et les contrées sinaïtiques, il faut tenir compte également des immenses travaux de canalisation et de défrichement, tels que le dessèchement du Fayoum, la mise en rapport de ce bassin, et les vastes constructions dont les différents groupes de pyramides sont les dispendieux résultats. Toutes ces œuvres pacifiques des premières dynasties n’indiquent pas un peuple qui ait eu ni beaucoup de goût ni beaucoup de loisir pour des expéditions lointaines, que rien, pas même la raison de voisinage, ne rendait attrayantes, encore bien moins nécessaires[184].

Cependant, faisons céder un moment toutes ces objections si fortes. Réduisons-les au silence, et adoptons Sésostris, et ses conquêtes pour ce qu’on nous les donne. Il restera incontesté que ces invasions ont été tout à fait temporaires, n’en déplaise à la fondation vaguement indiquée de cités soi-disant nombreuses, et tout à fait inconnues dans l’Asie Mineure, et à la colonisation de la Colchide, occupée par des peuples noirs, des Éthiopiens, disaient les Grecs, c’est-à-dire des hommes qui, de même que l’Éthiopien Memnon, peuvent fort bien n’avoir été que des Assyriens.

Tous les récits qui font des monarques de Memphis autant d’incarnations antérieures de Tamerlan, outre qu’ils sont contraires à l’humeur pacifique et à la molle langueur des adorateurs de Phtah, à leur goût pour les occupations rurales, à leur religiosité casanière, se montrent trop incohérents pour ne pas reposer sur des confusions infinies d’idées, de dates, de faits et de peuples[185]. Jusqu’au dix-septième siècle avant J.-C. l’influence égyptienne, et toujours l’Afrique exceptée, n’avait que très peu d’action ; elle exerçait un faible prestige, elle était à peine connue[186]. Des travaux de défense du genre de ceux que les rois avaient fait construire sur les frontières orientales pour fermer le passage aux sables et surtout aux étrangers[187], sont toujours l’œuvre d’un peuple qui, en se garantissant des invasions, limite lui-même son terrain. Les Égyptiens étaient donc volontairement séparés des nations orientales. Sans que tous rapports guerriers ou pacifiques fussent détruits, il n’en résultait pas un échange durable des idées, et par conséquent la civilisation resta confinée au sol qui l’avait vue naître, et ne porta point ses merveilles à l’est ni au nord, ni même dans l’ouest africain[188].

Quelle différence avec la culture assyrienne ! Celle-ci embrassa dans son vol immense un si vaste tour de pays, qu’il dépasse l’essor où purent s’emporter, dans des temps postérieurs, la Grèce d’abord, Rome ensuite. Elle domina l’Asie moyenne, découvrit l’Afrique, découvrit l’Europe, sema profondément dans tous ces lieux ses mérites et ses vices, s’implanta partout, de la manière la plus durable, et, vis-à-vis d’elle, le perfectionnement égyptien, demeuré à peu près local, se trouva dans une situation semblable à ce que la Chine a été depuis pour le reste du monde.

Bien simple est la raison de ce phénomène, si on veut la chercher dans les causes ethniques. De la civilisation assyrienne, produit des Chamites blancs mêlés aux peuples noirs, puis de différentes branches des Sémites ajoutées au tout, il résulta la naissance de masses épaisses qui, se poussant et se pénétrant de mille manières, allèrent porter en cent endroits divers, entre le golfe Persique et le détroit de Gibraltar, les nations composites nées de leur fécondation incessante. Au contraire, la civilisation égyptienne ne put jamais se rajeunir dans son élément créateur qui fut toujours sur la défensive et toujours perdit du terrain. Issue d’un rameau d’Arians-Hindous mêlé à des races noires et à quelque peu de Chamites et de Sémites, elle revêtit un caractère particulier qui, dès ses premiers temps, était parfaitement fixé et se développa longtemps dans un sens propre avant d’être attaqué par des éléments étrangers. Elle était mûre déjà lorsque des invasions ou introductions de Sémites vinrent se superposer à elle[189]. Ces courants auraient pu la transformer, s’ils avaient été considérables. Ils restèrent faibles, et l’organisation des castes, tout imparfaite qu’elle était, suffit longtemps à les neutraliser.

Tandis qu’en Assyrie les émigrants du nord pénétraient et se montraient rois, prêtres, nobles, tout, ils rencontraient sur le sol de l’Égypte une législation jalouse qui commençait par leur fermer l’entrée du territoire à titre d’êtres impurs, et lorsque, malgré cette défense, maintenue jusqu’au temps de Psammatik (664 av. J.-C.), les intrus parvenaient à se glisser à côté des maîtres du pays, décastés et haïs, ce n’était que lentement qu’ils se fondaient dans cette société rébarbative. Ils y réussissaient cependant, je le crois ; mais pour quel résultat ? Pour imiter l’œuvre du sang hellénique en Phénicie. Comme lui, ils contribuaient, unis à l’action noire, à hâter la dissolution d’une race que, plus nombreux et arrivés plus tôt, ils auraient fait vivre et se régénérer. Si, dès les premières années où régna Ménès, au mélange arian, chamite et noir, une forte dose de sang sémitique avait pu s’ajouter, l’Égypte aurait été profondément révolutionnée et agitée. Elle ne serait pas restée isolée dans le monde, et elle se serait trouvée en communication directe et intime avec les États assyriens.

Pour en faire juger, il suffit de décomposer les deux groupes de nations :

Assyriens
Élément noir fondamental
Égyptiens
Élément noir fondamental
Chamites, en quantité suffisamment
grande pour être fécondante.
Arians, dominants sur l’élément chamite.
Sémites, de plusieurs couches,
singulièrement fécondants.
Chamites, en quantité fécondante.
Noirs, toujours dissolvants. Noirs, nombreux et dissolvants.
Grecs, en quantité dissolvante. Sémites, en quantité dissolvante.

On peut tirer encore une autre vérité de ce tableau : c’est que, le sang chamite tendant à s’épuiser chez les deux peuples, les ressemblances également tendaient à disparaître avec cet élément qui, seul, les avait fondées et aurait été en état de les maintenir, puisque l’action sémitique s’exerçait dans les deux sociétés en sens inverse. En Égypte, elle ne pénétrait qu’en quantité dissolvante ; en Assyrie, elle se répandait avec profusion, débordait de là sur l’Afrique, l’Europe, et devenait, entre mille nations, le lien d’une alliance dont la terre des Pharaons allait être exclue, réduite qu’elle se voyait à sa fusion noire et ariane ; les vertus s’en épuisaient chaque jour, sans que rien vînt les relever. L’Égypte ne fut admirable que dans la plus haute antiquité. Alors, c’est vraiment le sol des miracles. Mais quoi ! ses qualités et ses forces sont concentrées sur un point trop étroit. Les rangs de sa population initiatrice ne peuvent se recruter nulle part. La décadence commence de bonne heure, et rien ne l’arrête plus, tandis que la civilisation assyrienne vivra bien longtemps, subira bien des transformations, et, plus immorale, plus tourmentée que sa contemporaine, aura joué un bien plus important personnage.

C’est ce dont on sera convaincu lorsque, après avoir considéré la situation de l’Égypte au VIIe siècle, situation déjà bien humble et désespérée, on la verra réduite à un tel degré d’impuissance, que, sur son propre domaine, dans ses propres affaires, elle ne jouera plus de rôle, laissera le pouvoir et l’influence aux mains des conquérants et des colons étrangers, et en arrivera à ce point d’être si oubliée, que le nom d’Égyptien indiquera bien moins un des descendants de la race antique qu’un fils des nouveaux habitants sémites, grecs ou romains. Cette nouveauté le cédera encore en singularité à celle-ci : l’Égypte, ce ne sera plus, comme autrefois, la haute partie du pays, le voisinage des Pyramides, la terre classique, Memphis, Thèbes : ce sera plutôt Alexandrie, ce rivage abandonné, dans l’époque de gloire, au trajet des invasions sémitiques. Ainsi Ninive, victorieuse de sa rivale, aura à la fois dépouillé du nom national et les hommes et le sol. Malgré le mur d’Héliopolis, la terre de Misr sera devenue la proie inerte des sables et des Sémites, parce qu’aucun élément arian nouveau n’aura sauvé sa population du malheur de s’engloutir dans la prépondérance enfin décidée de ses principes mélaniens.


CHAPITRE VII.

Rapport ethnique entre les nations assyriennes et l’Égypte. Les arts et la poésie lyrique sont produits par le mélange des blancs avec les peuples noirs.

Toute la civilisation primordiale du monde se résume, pour les Occidentaux, dans ces deux noms illustres : Ninive et Memphis. Tyr et Carthage, Axoum et les cités des Himyarites ne sont que des colonies intellectuelles de ces deux points royaux. En essayant de caractériser les civilisations qu’ils représentent, j’ai touché quelques-uns de leurs points de contact. Mais j’ai réservé jusqu’ici l’étude des principaux rapports communs, et au moment où leur déclin va commencer, avec des fortunes diverses, où le rôle de l’un va cesser, le rôle de l’autre s’agrandir encore dans des mains étrangères, en changeant de nom, de forme et de portée ; en ce moment, où je vais me voir forcé, dans un sujet très grave, d’imiter la méthode des poètes chevaleresques, de passer des bords de l’Euphrate et du Nil aux montagnes de la Médie et de la Perse, et de m’enfoncer dans les steppes de la haute Asie, pour y quérir les nouveaux peuples qui vont transfigurer le monde politique et les civilisations, je ne puis tarder davantage à préciser et à définir les causes de la ressemblance générale de l’Égypte et de l’Assyrie.

Les groupes blancs qui avaient créé la civilisation dans l’une et dans l’autre n’appartenaient pas à une même variété de l’espèce, sans quoi il serait impossible d’expliquer leurs différences profondes. En dehors de l’esprit civilisateur qu’ils possédaient également, des traits particuliers les marquaient, et imprimèrent comme un cachet de propriété sur leurs créations respectives. Les fonds, étant également noirs, ne pouvaient amener de dissemblances ; et quand bien même on voudrait trouver des diversités entre leurs populations mélaniennes, en ne découvrant que des noirs à cheveux plats dans les pays assyriens, des nègres à chevelure crépue en Égypte, outre que rien n’autorise cette supposition, rien n’a jamais indiqué non plus qu’entre les rameaux de la race noire les différences ethniques impliquent une plus ou moins grande dose d’aptitude civilisatrice. Loin de là, partout où l’on étudie les effets des mélanges, on s’aperçoit qu’un fond noir, malgré les variétés qu’il peut présenter, crée les similitudes entre les sociétés en ne leur fournissant que ces aptitudes négatives bien évidemment étrangères aux facultés de l’espèce blanche. Force est donc d’admettre, devant la nullité civilisatrice des noirs, que la source des différences réside dans la race blanche ; que, par conséquent, il y a entre les blancs des variétés ; et si nous en envisageons maintenant le premier exemple dans l’Assyrie et en Égypte, à voir l’esprit plus régularisateur, plus doux, plus pacifique, plus positif surtout, du faible rameau arian établi dans la vallée du Nil, nous sommes enclins à donner à l’ensemble de la famille une véritable supériorité sur les branches de Cham et de Sem. Plus l’histoire déroulera ses pages, plus nous serons confirmés dans cette première impression.

Revenant aux peuples noirs, je me demande quelles sont les marques de leur nature, les marques semblables qu’ils ont portées dans les deux civilisations d’Assyrie et d’Égypte. La réponse est évidente. Elle ressort de faits qui prennent la conviction par les yeux.

Nul doute que ce ne soit ce goût frappant des choses de l’imagination, cette passion véhémente de tout ce qui pouvait mettre en jeu les partie de l’intelligence les plus faciles à enflammer, cette dévotion à tout ce qui tombe sous les sens, et, finalement, ce dévouement à un matérialisme qui, pour être orné, paré, ennobli, n’en était que plus entier. Voilà ce qui unit les deux civilisations primordiales de l’Occident. L’on rencontre, dans l’une comme dans l’autre, les conséquences d’une pareille entente. Chez toutes deux, les grands monuments, chez toutes deux, les arts de la représentation de l’homme et des animaux, la peinture, la sculpture prodiguées dans les temples et les palais, et évidemment chéries par les populations. On y remarque encore l’amour égal des ajustements magnifiques, des harems somptueux, les femmes confiées aux eunuques, la passion du repos, le croissant dégoût de la guerre et de ses travaux, et enfin les mêmes doctrines de gouvernement : un despotisme tantôt hiératique, tantôt royal, tantôt nobiliaire, toujours sans limites, l’orgueil délirant dans les hautes classes, l’abjection effrénée dans les basses. Les arts et la poésie devaient être et furent, en effet, l’expression la plus apparente, la plus réelle, la plus constante de ces époques et de ces lieux.

Dans la poésie règne l’abandon complet de l’âme aux influences extérieures. J’en veux, pour preuve, ramassée au hasard, cette espèce de lamentation phénicienne à la mémoire de Southoul, fille de Kabirchis, gravée à Eryx sur son tombeau :

« Les montagnes d’Eryx gémissent. C’est partout le son des cithares et les chants, et la plainte des harpes dans l’assemblée de la maison de Mécamosch.

« Son peuple a-t-il encore sa pareille ? Sa magnificence était comme un torrent de feu.

« Plus que la neige brillait l’éclat de son regard… Ta poitrine voilée était comme le cœur de la neige.

« Telle qu’une fleur fanée, notre âme est flétrie par ta perte ; elle est brisée par le gémissement des chants funéraires.

« Sur notre poitrine coulent nos larmes[190]. »

Voilà le style lapidaire des Sémites.

Tout dans cette poésie est brûlant, tout vise à emporter les sens, tout est extérieur. De telles strophes n’ont pas pour but d’éveiller l’esprit et de le transporter dans un monde idéal. Si, en les écoutant, on ne pleure, si l’on ne crie, si l’on ne déchire ses habits, si l’on ne couvre son visage de cendres, elles ont manqué leur but. C’est là le souffle qui a passé depuis dans la poésie arabe, lyrisme sans bornes, espèce d’intoxication qui touche à la folie et nage quelquefois dans le sublime.

Lorsqu’il s’agit de peindre dans un style de feu, avec des expressions d’une énergie furieuse et vagabonde, des sensations effrénées, les fils de Cham et ceux de Sem ont su trouver des rapprochements d’images, des violences d’expression qui, dans leurs incohérences, en quelque sorte volcaniques, laissent de bien loin derrière elles tout ce qu’a pu suggérer aux chanteurs des autres nations l’enthousiasme ou le désespoir.

La poésie des Pharaons a laissé moins de traces que celle des Assyriens, dont tous les éléments nécessaires se retrouvent soit dans la Bible, soit dans les compilations arabes du Kitab-Alaghani, du Hamasa et des Moallakats. Mais Plutarque nous parle des chansons des Égyptiens, et il semblerait que le naturel assez régulier de la nation ait inspiré à ses poètes des accents sinon plus raisonnables, du moins un peu plus tièdes. Au reste, pour l’Égypte comme pour l’Assyrie, la poésie n’avait que deux formes, ou lyrique, ou didactique, froidement et faiblement historique, et, dans ce dernier cas, ne poursuivant d’autre but que d’enfermer des faits dans une forme cadencée et commode pour la mémoire. Ni en Égypte, ni en Assyrie, on ne trouve ces beaux et grands poèmes qui ont besoin pour se produire de facultés bien supérieures à celles d’où peut jaillir l’effusion lyrique. Nous verrons que la poésie épique est le privilège de la famille ariane ; encore n’a-t elle tout son feu, tout son éclat, que chez les nations de cette branche qui ont été atteintes par le mélange mélanien.

À côté de cette littérature si libérale pour la sensation, et si stérile pour la réflexion, se placent la peinture et la sculpture. Ce serait une faute que d’en parler en les séparant ; car si la sculpture était assez perfectionnée pour qu’on pût l’étudier et l’admirer à part, il n’en était pas de même de sa sœur, simple annexe de la figuration en relief, et qui, dénuée du clair-obscur comme de la perspective, et ne procédant que par teintes plates, se rencontre quelquefois isolée dans les hypogées, mais ne sert alors qu’à l’ornementation, ou bien laisse regretter l’absence de la sculpture qu’elle devrait recouvrir. Une peinture plate ne peut valoir que pour une abréviation.

D’ailleurs, comme il est fort douteux que la sculpture se soit jamais passée du complément des couleurs, et que les artistes assyriens ou égyptiens aient consenti à présenter aux regards exigeants de leurs spectateurs matérialistes des œuvres habillées uniquement des teintes de la pierre, du marbre, du porphyre ou du basalte ; séparer les deux arts ou élever la peinture à un rang d’égalité avec la sculpture, c’est se méprendre sur l’esprit de ces antiquités. Il faut, à Ninive et à Thèbes, ne se figurer les statues, les hauts, les bas et les demi-reliefs, que dorés et peints des plus riches couleurs.

Avec quelle exubérance la sensualité assyrienne et égyptienne s’empressait de se ruer vers toutes les manifestations séduisantes de la matière ! À ces imaginations surexcitées et voulant toujours l’être davantage, l’art devait arriver non par la réflexion, mais par les yeux, et lorsqu’il avait touché juste, il en était récompensé par de prodigieux enthousiasmes et une domination presque incroyable. Les voyageurs qui parcourent aujourd’hui l’Orient remarquent, avec surprise, l’impression profonde, et quelque peu folle, produite sur les populations par les représentations figurées, et il n’est pas un penseur qui ne reconnaisse, avec la Bible et le Coran, l’utilité spiritualiste de la prohibition jetée sur l’imitation des formes humaines chez des peuples si singulièrement enclins à outrepasser les bornes d’une légitime admiration, et à faire des arts du dessin la plus puissante des machines démoralisatrices.

De telles dispositions excessives sont, tout à la fois, favorables et contraires aux arts. Elles sont favorables, parce que, sans la sympathie et l’excitation des masses, il n’y a pas de création possible. Elles nuisent, elles empoisonnent, elles tuent l’inspiration, parce que, l’égarant dans une ivresse trop violente, elles l’écartent de la recherche de la beauté, abstraction qui doit se poursuivre en dehors et au-dessus du gigantesque des formes et de la magie des couleurs.

L’histoire de l’art a beaucoup à apprendre encore, et on pourrait dire qu’à chacune de ses conquêtes elle aperçoit de nouvelles lacunes. Toutefois, depuis Winckelmann, elle a fait des découvertes qui ont changé ses doctrines à plusieurs reprises. Elle a renoncé à attribuer à l’Égypte les origines de la perfection grecque. Mieux renseignée, elle les cherche désormais dans la libre allure des productions assyriennes. La comparaison des statues éginétiques avec les bas-reliefs de Khorsabad ne peut manquer de faire naître entre ces deux manifestations de l’art l’idée d’une très étroite parenté.

Rien de plus glorieux pour la civilisation de Ninive que de s’être avancée si loin sur la route qui devait aboutir à Phidias. Cependant ce n’était pas à ce résultat que tendait l’art assyrien. Ce qu’il voulait, c’était la splendeur, le grandiose, le gigantesque, le sublime, et non pas le beau. Je m’arrête devant ces sculptures de Khorsabad, et qu’y vois-je ? Bien certainement la production d’un ciseau habile et libre. La part faite à la convention est relativement petite, si l’on compare ces grandes œuvres à ce qui se voit dans le temple-palais de Karnak et sur les murailles du Memnonium. Toutefois, les attitudes sont forcées, les muscles saillants, leur exagération systématique. L’idée de la force oppressive ressort de tous ces membres fabuleusement vigoureux, orgueilleusement tendus. Dans le buste, dans les jambes, dans les bras, le désir qui animait l’artiste, de peindre le mouvement et la vie, est poussé au delà de toutes mesures. Mais la tête ? la tête, que dit-elle ? que dit le visage, ce champ de la beauté, de la conception idéale, de l’élévation de la pensée, de la divinisation de l’esprit ? La tête, le visage, sont nuls, sont glacés. Aucune expression ne se peint sur ces traits impassibles. Comme les combattants du temple de Minerve, ils ne disent rien ; les corps luttent, mais les visages ne souffrent ni ne triomphent. C’est que là il n’était pas question de l’âme, il ne s’agissait que du corps. C’était le fait et non la pensée qu’on recherchait ; et la preuve que ce fut bien l’unique cause de l’éternel temps d’arrêt où mourut l’art assyrien, c’est que, pour tout ce qui n’est pas intellectuel, pour tout ce qui s’adresse uniquement à la sensation, la perfection a été atteinte. Lorsque l’on examine les détails d’ornementation de Khorsabad, ces grecques élégantes, ces briques émaillées de fleurs et d’arabesques délicieuses, on convient bien vite avec soi-même que le génie hellénique n’a eu là qu’à copier, et n’a rien trouvé à ajouter à la perfection de ce goût, non plus qu’à la fraîcheur gracieuse et correcte de ces inventions.

Comme l’idéalisation morale est nulle dans l’art assyrien, celui-ci ne pouvait, malgré ses grandes qualités, éviter mille énormités monstrueuses qui l’accompagnèrent sans cesse et qui furent son tombeau. C’est ainsi que les Kabires et les Telchines sémites fabriquèrent, pour l’édification de la Grèce, leur demi-compatriote, ces idoles mécaniques, remuant les bras et les jambes, imitées depuis par Dédale, et bientôt méprisées par le sens droit d’une nation trop mâle pour se plaire à de telles futilités. Quant aux populations féminines de Cham et de Sem, je suis bien persuadé qu’elles ne s’en lassèrent jamais ; l’absurde ne pouvait exister pour elles dans des tendances à imiter, d’aussi près que possible, ce que la nature présente de matériellement vrai.

Qu’on pense au Baal de Malte avec sa perruque et sa barbe blondes, rougeâtres ou dorées ; que l’on se rappelle ces pierres informes, habillées de vêtements splendides et saluées du nom de divinités dans les temples de Syrie, et que de là on passe à la laideur systématique et repoussante des poupées hiératiques de l’Armeria de Turin, il n’y a rien, dans toutes ces aberrations, que de très conforme aux penchants de la race chamite et de son alliée. Elles voulaient, l’une et l’autre, du frappant, du terrible, et, à défaut de gigantesque, elles se jetaient dans l’effroyable et frottaient leurs sensations même au dégoûtant. C’était une annexe naturelle du culte rendu aux animaux.

Ces considérations s’appliquent également à l’Égypte, avec cette seule différence que, dans cette société plus méthodique, le vilain et le difforme ne se développèrent pas avec la même abondance de liberté sauvage où s’abandonnaient Ninive et Carthage. Ces tendances revêtirent les formes immobiles de la nationalité qui les introduisait, du reste, bien volontiers, dans son panthéon.

Ainsi, les civilisations de l’Euphrate et du Nil sont également caractérisées par la prédominance victorieuse de l’imagination sur la raison, et de la sensualité sur le spiritualisme. La poésie lyrique et le style des arts du dessin furent les expressions intellectuelles de cette situation. Si l’on remarque, en outre, que jamais la puissance des arts ne fut plus grande, puisqu’elle atteignit et dépassa les bornes que partout ailleurs le sens commun réussit à lui imposer et que, dans ces dangereuses divagations, elle envahit de beaucoup sur le domaine théologique, moral, politique et social, on se demandera quelle fut la cause, l’origine première de cette loi exorbitante des sociétés primitives.

Le problème est, je crois, résolu déjà pour le lecteur. Il est bon, cependant, de regarder si, dans d’autres lieux et dans d’autres temps, rien de semblable ne s’est représenté. L’Inde mise à part, et encore l’Inde d’une époque postérieure à sa véritable civilisation ariane, non, rien de semblable n’a jamais existé. Jamais l’imagination humaine ne s’est ainsi trouvée libre de tout frein et n’a éprouvé, avec tant de soif et tant de faim de la matière, de si indomptables penchants à la dépravation ; le fait est donc, sans contestation, particulier à l’Assyrie et à l’Égypte. Ceci fixé, considérons encore, avant de conclure, une autre face de la question.

Si l’on admet, avec les Grecs et les juges les plus compétents en cette matière, que l’exaltation et l’enthousiasme sont la vie du génie des arts, que ce génie, même lorsqu’il est complet, confine à la folie, ce ne sera dans aucun sentiment organisateur et sage de notre nature que nous irons en chercher la cause créatrice, mais bien au fond des soulèvements des sens, dans ces ambitieuses poussées qui les portent à marier l’esprit et les apparences, afin d’en tirer quelque chose qui plaise mieux que la réalité. Or, nous avons vu que, pour les deux civilisations primitives, ce qui organisa, disciplina, inventa des lois, gouverna à l’aide de ces lois, en un mot, fit œuvre de raison, ce fut l’élément blanc, chamite, arian et sémite. Dès lors se présente cette conclusion toute rigoureuse, que la source d’où les arts ont jailli est étrangère aux instincts civilisateurs. Elle est cachée dans le sang des noirs. Cette universelle puissance de l’imagination, que nous voyons envelopper et pénétrer les civilisations primordiales, n’a pas d’autre cause que l’influence toujours croissante du principe mélanien.

Si cette assertion est fondée, voici ce qui doit arriver : la puissance des arts sur les masses se trouvera toujours être en raison directe de la quantité de sang noir que celles-ci pourront contenir. L’exubérance de l’imagination sera d’autant plus forte que l’élément mélanien occupera plus de place dans la composition ethnique des peuples. Le principe se confirme par l’expérience : maintenons en tête du catalogue les Assyriens et les Égyptiens.

Nous mettrons à leurs côtés la civilisation hindoue, postérieure à Sakya-Mouni ;

Puis viendront les Grecs ;

À un degré inférieur, les Italiens du moyen âge ;

Plus bas, les Espagnols ;

Plus bas encore, les Français des temps modernes ;

Et enfin, après ceux-ci, tirant une ligne, nous n’admettrons plus rien que des inspirations indirectes et des produits d’une imitation savante, non avenues pour les masses populaires.

C’est, dira-t-on, une bien belle couronne que je pose sur la tête difforme du nègre, et un bien grand honneur à lui faire que de grouper autour de lui le chœur harmonieux des Muses. L’honneur n’est pas si grand. Je n’ai pas dit que toutes les Piérides fussent là réunies, il y manque les plus nobles, celles qui s’appuient sur la réflexion, celles qui veulent la beauté préférablement à la passion. En outre, que faut-il pour construire une lyre ? un fragment d’écaille et des morceaux de bois ; et je ne sache pas que personne ait rapporté à la traînante tortue, au cyprès, voire aux entrailles du porc ou au laiton de la mine, le mérite des chants du musicien : et cependant, sans tous ces ingrédients nécessaires, quelle musique harmonieuse, quels chants inspirés ?

Certainement l’élément noir est indispensable pour développer le génie artistique dans une race, parce que nous avons vu quelle profusion de feu, de flammes, d’étincelles, d’entraînement, d’irréflexion réside dans son essence, et combien l’imagination, ce reflet de la sensualité, et toutes les appétitions vers la matière le rendent propre à subir les impressions que produisent les arts, dans un degré d’intensité tout à fait inconnu aux autres familles humaines. C’est mon point de départ, et s’il n’y avait rien à ajouter, certainement le nègre apparaîtrait comme le poète lyrique, le musicien, le sculpteur par excellence. Mais tout n’est pas dit, et ce qui reste modifie considérablement la face de la question. Oui, encore, le nègre est la créature humaine la plus énergiquement saisie par l’émotion artistique, mais à cette condition indispensable que son intelligence en aura pénétré le sens et compris la portée. Que si vous lui montrez la Junon de Polyclète, il est douteux qu’il l’admire. Il ne sait ce que c’est que Junon, et cette représentation de marbre destinée à rendre certaines idées transcendantales du beau qui lui sont bien plus inconnues encore, le laissera aussi froid que l’exposition d’un problème d’algèbre. De même, qu’on lui traduise des vers de l’Odyssée, et notamment la rencontre d’Ulysse avec Nausicaa, le sublime de l’inspiration réfléchie : il dormira. Il faut chez tous les êtres, pour que la sympathie éclate, qu’au préalable l’intelligence ait compris, et là est le difficile avec le nègre, dont l’esprit est obtus, incapable de s’élever au-dessus du plus humble niveau, du moment qu’il faut réfléchir, apprendre, comparer, tirer des conséquences. La sensitivité artistique de cet être, en elle-même puissante au delà de toute expression, restera donc nécessairement bornée aux plus misérables emplois. Elle s’enflammera et elle se passionnera, mais pour quoi ? Pour des images ridicules grossièrement coloriées. Elle frémira d’adoration devant un tronc de bois hideux, plus émue d’ailleurs, plus possédée mille fois, par ce spectacle dégradant, que l’âme choisie de Périclès ne le fut jamais aux pieds du Jupiter Olympien. C’est que le nègre peut relever sa pensée jusqu’à l’image ridicule, jusqu’au morceau de bois hideux, et qu’en face du vrai beau cette pensée est sourde, muette et aveugle de naissance. Il n’y a donc pas là d’entraînement possible pour elle. Aussi, parmi tous les arts que la créature mélanienne préfère, la musique tient la première place, en tant qu’elle caresse son oreille par une succession de sons, et qu’elle ne demande rien à la partie pensante de son cerveau. Le nègre l’aime beaucoup, il en jouit avec excès ; pourtant, combien il reste étranger à ces conventions délicates par lesquelles l’imagination européenne a appris à ennoblir les sensations !

Dans l’air charmant de Paolino du Mariage secret :


Pria che spunti in ciel’ l’aurora, etc. ...


la sensualité du blanc éclairé, dirigée par la science et la réflexion, va, dès les premières mesures, se faire, comme on dit, un tableau. La magie des sons évoque autour de lui un horizon fantastique où les premières lueurs de l’aube jonchent un ciel déjà bleu ! L’heureux auditeur sent la fraîche chaleur d’une matinée printanière se répandre et le pénétrer dans cette atmosphère idéale où le ravissement le transporte. Les fleurs s’ouvrent, secouent la rosée, répandent discrètement leurs parfums au-dessus du gazon humide parsemé déjà de leurs pétales. La porte du jardin s’ouvre, et, sous les clématites et les pampres dont elle est demi cachée, paraissent, appuyés l’un sur l’autre, les deux amants qui vont s’enfuir. Rêve délicieux ! les sens y soulèvent doucement l’esprit et le bercent dans les sphères idéales où le goût et la mémoire lui offrent la part la plus exquise de son délicat plaisir.

Le nègre ne voit rien de tout cela. Il n’en saisit pas la moindre part ; et cependant, qu’on réussisse à éveiller ses instincts : l’enthousiasme, l’émotion, seront bien autrement intenses que notre ravissement contenu et notre satisfaction d’honnêtes gens.

Il me semble voir un Bambara assistant à l’exécution d’un des airs qui lui plaisent. Son visage s’enflamme, ses yeux brillent. Il rit, et sa large bouche montre, étincelantes au milieu de sa face ténébreuse, ses dents blanches et aiguës. La jouissance vient, l’Africain se cramponne à son siège : on dirait qu’en s’y pelotonnant, en ramenant ses membres les uns sous les autres, il cherche, par la diminution d’étendue de sa surface, à concentrer davantage dans sa poitrine et dans sa tête les crispations tumultueuses du bien-être furieux qu’il éprouve. Des sons inarticulés font effort pour sortir de sa gorge, que comprime la passion ; de grosses larmes roulent sur ses joues proéminentes ; encore un moment, il va crier : la musique cesse, il est accablé de fatigue[191].

Dans nos habitudes raffinées, nous nous sommes fait de l’art quelque chose de si intimement lié avec ce que les méditations de l’esprit et les suggestions de la science ont de plus sublime, que ce n’est que par abstraction, et avec un certain effort, que nous pouvons en étendre la notion jusqu’à la danse. Pour le nègre, au contraire, la danse est, avec la musique, l’objet de la plus irrésistible passion. C’est parce que la sensualité est pour presque tout, sinon tout, dans la danse. Aussi tenait-elle une bien grande place dans l’existence publique et privée des Assyriens et des Égyptiens ; et là où le monde antique de Rome la rencontrait encore plus curieuse et plus enivrante que partout ailleurs, c’est encore là que nous, modernes, nous allons la chercher, chez les populations sémitiques de l’Espagne, et principalement à Cadix.

Ainsi le nègre possède au plus haut degré la faculté sensuelle sans laquelle il n’y a pas d’art possible ; et, d’autre part, l’absence des aptitudes intellectuelles le rend complètement impropre à la culture de l’art, même à l’appréciation de ce que cette noble application de l’intelligence des humains peut produire d’élevé. Pour mettre ses facultés en valeur, il faut qu’il s’allie à une race différemment douée. Dans cet hymen, l’espèce mélanienne apparaît comme personnalité féminine, et bien que ses branches diverses présentent, sur ce point, du plus ou du moins, toujours, dans cette alliance avec l’élément blanc, le principe mâle est représenté par ce dernier. Le produit qui en résulte ne réunit pas les qualités entières des deux races. Il a de plus cette dualité même qui explique la fécondation ultérieure. Moins véhément dans la sensualité que les individualités absolues du principe féminin, moins complet dans la puissance intellectuelle que celles du principe mâle, il jouit d’une combinaison des deux forces qui lui permet la création artistique, interdite à l’une et à l’autre des souches associées. Il va sans dire que cet être que j’invente est abstrait, tout idéal. On ne voit que rarement, et par l’effet de circonstances très multiples, des entités dans lesquelles ces principes générateurs se reproduisent et s’affrontent à forces convenablement pondérées. En tout cas, et si on peut croire à de telles combinaisons chez des hommes isolés, il n’y faut pas penser une minute pour les nations, et il n’est question ici que de ces dernières. Les éléments ethniques sont en constante oscillation dans les masses. Il est tellement difficile de saisir les moments où ils se trouvent à peu près en équilibre ; ces moments sont si rapides, si impossibles à prévoir, qu’il vaut mieux n’en pas parler et ne raisonner que sur ceux où tel élément, l’emportant manifestement sur l’autre, préside un peu plus longuement aux destinées nationales.

Les deux civilisations primordiales fortement imbues de germes mélaniens, en même temps que dirigées et inspirées par la puissance propre à la race blanche, ont dû à la prédominance de plus en plus déclarée de l’élément noir l’exaltation qui les caractérisa : la sensualité fut donc leur cachet principal et commun.

L’Égypte, peu ou point régénérée, se montra moins longtemps agissante que les nations chamites noires, si heureusement renouvelées par le sang sémitique. Le pays avait pourtant dans son mobile arian quelque chose d’évidemment supérieur ; mais la marée montante du sang mélanien, sans détruire absolument les prérogatives de ce sang, les domina, et, donnant à la nation cette immobilité qu’on lui reproche, ne lui permit de sortir de l’immense que pour tomber dans le grotesque.

La société assyrienne reçut, de la série d’invasions blanches qui la renouvelèrent, plus d’indépendance dans ses inspirations artistiques. Elle y gagna aussi, il faut l’avouer, une splendeur plus éclatante ; car si rien, dans le genre sublime, ne dépasse la majesté des pyramides et de certains temples palais de la haute Égypte, ces merveilleux monuments n’offrent pas de représentations humaines qui, pour la fermeté de l’exécution, la science des formes, puissent être comparées aux superbes bas-reliefs de Khorsabad. Quant à la partie d’ornementation des édifices ninivites, comme les mosaïques, les briques émaillées, j’en ai déjà dit tout ce que le jugement le moins favorable serait contraint de reconnaître : que les Grecs eux-mêmes n’ont su que copier ces inventions, et n’en ont dépassé jamais le goût sûr et exquis.

Malheureusement le principe mélanien était trop fort et devait l’emporter. Les belles sculptures assyriennes, qu’il faut rejeter dans une antiquité antérieure au septième siècle avant J.-C., ne marquèrent qu’une période assez courte. Après la date que j’indique, la décadence fut profonde, et le culte de la laideur, si cher à l’incapacité des noirs, ce culte toujours triomphant, toujours pratiqué, même à côté des chefs-d’œuvre les plus frappants, finit par l’emporter tout à fait.

D’où il résulte que, pour assurer aux arts une véritable victoire, il fallait obtenir un mélange du sang des noirs avec celui des blancs, dans lequel le dernier entrât pour une proportion plus forte que les meilleurs temps de Memphis et de Ninive n’avaient pu l’obtenir, et formât ainsi une race douée d’infiniment d’imagination et de sensibilité unies à beaucoup d’intelligence. Ce mélange fut combiné plus tard lorsque les Grecs méridionaux apparurent dans l’histoire du monde.


  1. L’opinion de Klaproth (Asia polyglotta) ne les reporte pas plus haut que l’an 3000 ; mais d’autres chronologistes sont plus larges dans leur estimation, entre autres M. Lepsius, dans ses travaux sur l’Égypte. Il rend l’opinion de Klaproth tout à fait inadmissible, puisqu’il fait remonter une classe entière de monuments égyptiens à l’an 4000. (Lepsius, Briefe über Ægypten, Æthiopien und der Halbinsel des Sinaï ; Berlin, 1852). Je n’ai pas, du reste, à m’occuper d’un tel problème. Il importe peu à mon sujet. Je ne prétends ici qu’à fixer, à peu près, la pensée du lecteur.
  2. J’entends désigner la chaîne qui, s’attachant à l’Hindou-Kho septentrional, remonte au nord, coupe le Thian-Chan et incline à l’ouest vers le lac Kabankoul. (Voir M. A. de Humboldt, Asie centrale, carte.)
  3. (1) Il résulte, des plus récentes découvertes opérées dans le centre et le sud de l’Afrique, que les populations de cette partie du monde ont été étrangement agitées et déplacées à des époques inconnues. (Voir dans la Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes et dans la Zeitschrift der deutschen morgenlændischen Gesellschaft, les travaux de Pott, d’Ewald et du missionnaire protestant Krapf.)
  4. (2) Sur les habitants noirs du Kouenloun, voir Ritter, Erdkunde, Asien ; Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 391. — On trouve encore d’autres noirs à cheveux crépus et laineux dans le Kamaoun, où ils s’appellent Rawats et Rajeh. C’est, probablement, une branche des Thums du Népal. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. II, p. 1044.) — Dans l’Assam, au sud du district de Queda, habitent les Samang, sauvages à cheveux crépus, ressemblant du reste aux Papouas de la Nouvelle-Guinée (Ritter, ouvr. cité, t. III, p. 1131.) — À Formose, autres nègres ressemblant aux Haraforas. (Ritter, t. III, p. 879.) — Kæmpfer parle d’habitants noirs dans les îles au sud du Japon (p. 81.) — Elphinstone (Account of the kingdom of Cabul, p. 493) mentionne dans le Sedjistan, sur le lac Zareh, la présence d’une peuplade nègre, etc.
  5. (3) Elle comptait, certainement, plusieurs variétés, puisque la note précédente indique des nègres à cheveux crépus dans le Kamaoun, dans l’Assan, etc., tandis que la plupart des nègres asiatiques ont les cheveux plats. M. Lassen a donc eu tort de dire (Indische Alterthumskunde, t. I, p. 390) que les nègres asiatiques n’ont pas les cheveux laineux des Africains ni le ventre saillant des Pélagiens. C’est une race très mélangée, un type tertiaire incontestable et qui tient, par tous les côtés, aux familles africaines et océaniennes.
  6. (1) Deuteron., II, 9. « Filiis Loth tradidi Ar in possessionem, 10. Enim primi fuerunt habitatores ejus, populus magnus, et validus, et tam excelsus, ut de Enacim Stirpe, 11. Quasi gigantes crederentur. » Et encore dans le même livre : « 20. Terra gigantum reputata est, et in ipsa olim habitaverunt gigantes quos Ammonitæ vocant Zomzommim, 21. Populus magnus, et multus et proceræ longitudinis, sicut Enacim. » (Voir, plus bas, la note sur les Chorréens.)
  7. (2) Les nègres affectionnent les généalogies qui commencent, non pas au soleil, ni à la lune, mais aux bêtes. Les Sahos, sur la mer Rouge, non loin de Massowa, se disent descendus, à la treizième génération, d’un certain Aa’saor, آعسور fils d’une lionne et habitant des montagnes. Le choix de l’animal est, cette fois, assez noble, il faut l’avouer. Les fréquents contacts avec les Arabes ont produit quelque ennoblissement de l’imagination. (Voir Ewald, Ueber die Sahosprache in Æthiopien, dans la Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes. (t. V, p. 13.)
  8. Prichard, Histoire naturelle de l’homme (trad. de M. Roulin), t. I, p. 259.
  9. (1) Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I.
  10. (2) A. de Humboldt, Asie centrale, t. I.
  11. (3) A. de Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 389. — « Les recherches des dernières années et la conviction que l’on a obtenue de la richesse métallique que possède encore de nos jours l’Asie boréale, jusque dans la région des plaines, nous conduit presque involontairement aux Issédons, aux Arimaspes et à ces griffons, gardiens de l’or, auxquels Aristée de Proconnèse et, deux cents ans après lui, Hérodote, ont donné une si grande célébrité. J’ai visité ces vallons où, à la pente méridionale de l’Oural, on a trouvé, il n’y a que quinze ans, à peu de pouces sous le gazon, et très rapprochées les unes des autres, des masses arrondies d’or, d’un poids de 13, de 16 et de 24 livres. Il est assez probable que des masses plus volumineuses encore ont existé jadis à la surface même du sol, sillonnée par les eaux courantes. Comment donc s’étonner que cet or, analogue aux blocs erratiques, ait été recueilli par des peuples chasseurs ou pasteurs, etc. » C’est le Hataka, le pays de l’or de la géographie mythologique des Hindous. Les trésors y sont abondants et gardés par des gnomes appelés Guhyakas (de guh, cacher), dans lesquels on reconnaît les Finnois, les mineurs à la taille ramassée. Nous leur verrons jouer le même rôle chez les Scandinaves. (Lassen, Ind. Alterth., t. II, p. 62.)
  12. (1) Suivant Ewald, les Sémites reconnaissent, comme leur lieu commun d’origine, le haut pays du nord-est, c’est-à-dire le lieu d’où sortirent les Zoroastriens. Il existe aussi, entre les premiers peuples de l’Asie intérieure et les Arians, des traditions communes qui ont devancé la formation des systèmes idiomatiques respectifs, tels que les quatre âges du monde, les dix ancêtres primitifs, le déluge, etc. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 528 ; Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 304)
  13. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 815.
  14. (2) Id., ibid., t. I, p. 816.
  15. (3) Il semble que l’existence pastorale ait d’abord été inventée par l’espèce blanche. Ce qui l’indiquerait, c’est que plusieurs familles jaunes ont ignoré l’usage du lait, et cela dans un état de civilisation avancée. Les habitants de certaines parties de la Chine et de la Cochinchine ne traient jamais leurs vaches. Les Aztèques ne pratiquent même pas la domestication des animaux. (Voir Prescott, History of the conquest of Mejico, t. III, p. 257 ; et A. de Humboldt, Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, t. III, p. 58.)
  16. (4) Les méthodes que l’on a employées pour tirer, en quelque sorte, du néant ces renseignements, que l’on pourrait appeler l’histoire antéhistorique, ne sont pas sans analogie avec les ingénieux travaux des géologues, et, trouvées par non moins de sagacité et d’acutesse d’esprit, elles conduisent à des résultats aussi précis, aussi incontestables, et tels que les annales positives sont loin de les donner toujours. Ainsi, de ce qu’on rencontre l’usage du char de guerre chez tous les peuples que j’ai énumérés, on conclut, et avec toute raison, que cette mode guerrière était pratiquée par les rameaux blancs d’où sont descendus les Égyptiens, les Hindous, les Galls. En effet, l’idée de combattre en voiture n’est pas de ces notions essentielles qui, comme celles de manger et de boire, viennent indifféremment à toutes les créatures, sans consultation ni entente préalable. D’autre part, c’est une de ces découvertes compliquées qui, une fois faites et jusqu’à ce qu’elles soient remplacées par de plus heureuses, ou entravées dans leur application par des circonstances locales, persistent dans les nations et contribuent à leur luxe comme à leur force. On a pu préciser de la même manière le genre de vie des populations blanches primitives. L’examen des langues qu’on nomme indo-germaniques a fait reconnaître dans le sanscrit, le grec, le latin, les dialectes celtiques et slaves, une parfaite identité de termes pour tout ce qui touche à la vie pastorale et aux habitudes politiques. C’est en considérant les mots de près et dans leurs racines qu’on a appris de quelles idées découlaient les notions simples ou complexes que ces mots étaient chargés de reproduire. On a trouvé que, pour nommer un bœuf, un cheval, un chariot, une arme, les blancs primitifs avaient des expressions qui sont demeurées inébranlablement attachées au lexique de la plupart des langues de la même famille. Les habitudes guerrières et pastorales avaient donc chez eux de profondes racines. En même temps, on remarquait, dans toutes ces langues, la diversité des formes employées pour tout ce qui ressort de l’agriculture, comme les noms des végétaux et des instruments aratoires. Le travail de la terre est donc une invention postérieure aux séparations de la grande famille, etc. En poursuivant le même travail étymologique, on a de même connu ce que les blancs primitifs entendaient par un Dieu ; l’idée qu’emportaient, pour eux, le mot roi, celui de chef. L’étude comparée des idiomes a donné, ainsi, trois grands résultats à l’histoire : 1° la preuve de la parenté des nations blanches les plus séparées par les distances géographiques ; 2° l’état commun dans lequel ces nations vivaient antérieurement à leurs migrations ; 3° la démonstration de leur précoce sociabilité et de ses caractères.
  17. (1) M. A. de Humboldt fait observer que les contrées à l’est de la Caspienne subissent une dépression considérable (Asie centrale, t. I, p. 31). Le passage est intéressant ; le voici tout entier : « Ces deux grandes masses (le monde anglo-hindou et le monde russe-sibérien) ou divisions politiques ne communiquent, depuis des siècles, que par les basses régions de la Bactriane, je pourrais dire par la dépression du sol qui entoure l’Aral et le bord oriental de la Caspienne entre Balkh et Astrabad, comme entre Tachkend et l’isthme de Troukhmènes. C’est une bande de terrains, en partie très fertile, à travers laquelle l’Oxus a tracé son cours... C’est le chemin de Delhy, de Lahore et de Kaboul à Khiva et à Orenbourg... La dépression du sol asiatique, sur laquelle des mesures très récentes et de la plus haute précision ont rectifié les notions, se prolonge sans doute aussi au delà du rivage occidental de la Caspienne ; mais en descendant du plateau de la Perse par Tebriz et par Erivan (plateau de 600 à 700 toises d’élévation), vers Tiflis, on rencontre la chaîne du Caucase touchant presque au bassin des deux mers et offrant une route militaire très fréquentée, qui a 7530 pieds de hauteur. »
  18. (1) Genèse, ch. IX, v. 25 : « Ait : Maledictus Chanaan, servus servorum erit fratribus suis. » Jamais l’expression de Chanaan n’a indiqué un peuple nègre ni même complètement noir. Elle s’applique, historiquement, à des populations métisses inclinant, sans doute, vers l’élément mélanien, mais non pas identiques avec lui, et la Vulgate a parfaitement établi le fait en reproduisant rigoureusement le terme hébreu (hébreu) et non pas (hébreu) de sorte qu’il n’est même pas possible de se méprendre au sens du passage. D’ailleurs, si l’on veut un commentaire, il se trouve clair et précis au chap. XX, v. 5, de l’Exode, où il est dit : « Ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in filios, in tertiam et quartam generationem eorum qui oderunt me. » La punition des coupables dans la décadence de leur famille est trop fréquemment racontée par les livres saints pour que je ne sois pas dispensé d’en fournir ici tous les exemples. Je conclus que la Bible ne déclare pas que Cham, personnellement, sera noir, ni même esclave, mais seulement que Chanaan, c’est-à-dire un des fils de Cham, sera un jour dégradé dans son sang, dans sa noblesse, et réduit à servir ses cousins. — J’ajouterai encore une dernière observation. La postérité de Cham ne s’est pas bornée au seul Chanaan. Le patriarche eut encore trois fils, outre celui-là : Chus, Mesraïm et Phuth (Gen., X, 6), et le texte ne dit nullement qu’ils aient été atteints par la malédiction. N’y a-t-il pas quelque chose de singulier dans un récit qui respecte le vrai coupable et la plus grande partie de sa postérité, pour ne faire tomber les effets vengeurs du crime que sur un seul membre de la famille, Chanaan, sur celui-là même qui se trouva en compétition territoriale et religieuse avec les enfants d’Israël ? Il s’agirait donc ici bien moins d’une question physiologique que d’une haine politique.
  19. (1) M. le colonel Rawlinson pense que Nemrod est un mot collectif, participe passif régulier d’un verbe assyrien, et signifie : ceux qui sont trouvés ou les colons, les premiers possesseurs, c’est-à-dire, ici, les premiers habitants blancs de la basse Chaldée. (Rawlinson, Report of the Royal Asiatic Society, 1852, p. XVII.)
  20. (1) Movers, das Phoenizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 271.
  21. (1) Tels étaient, par exemple, les chérubins à tête de bœuf. Gesénius les définit ainsi : « (hébreu) in Hebræcorum theologia natura quædam sublimior et cœlestis cujus formam ex humana, bovina, leonina et aquilina (quæ tria animalia cum homine potentiæ et sapientiæ symbola sunt), compositam sibi fingebant. » (Lexicon manuale hebraïcum et chaldaïcum.)
  22. (2) Gen., VI. 2, 4. : « Videntes filii Dei filias hominum quod essent pulchræ, acceperunt sibi uxores ex omnibus quas elegerant... Gigantes autem erant super terram in diebus illis. Postquam enim ingressi sunt filii Dei ad filias hominum, illæque genuerunt, isti sunt potentes a sæculo viri famosi. »
  23. Gen., IV, 23, 24 : « Dixitque Lamech uxoribus suis Adæ et Sellæ : Audite vocem meam, uxores Lamech, auscultate sermonem meum. — Quoniam occidi virum in vulnus meum et adolescentulum in livorem meum, septuplum ultio dabitur de Caïn ; de Lamech vero septuagies septies. » — Le sel de cette composition ne consiste pas seulement dans la rudesse du sentiment. Il y a encore là plus d’orgueil que d’esprit de vengeance. Dieu, en condamnant Caïn, n’avait cependant pas voulu le punir de mort, et il l’avait couvert de sa protection, en déclarant que celui qui le tuerait serait puni au septuple. Lamech se mettait au-dessus même de son aïeul, objet de la vénération de la famille, en promettant soixante-dix-sept fois plus de châtiment à ses agresseurs.
  24. Il est probable que très anciennement des mélanges chamites ont atteint le sang des populations cafres, vers le méridien de Monbaz.
  25. (1) Movers, das Phœniz. Alterth., t. I, 2e partie, p. 461 ; Ewald, Gesch. d. Volkes Israël, t. I, p. 332.
  26. (2) Ewald, ouvrage cité, t. I, p. 327 et passim.
  27. (3) Id., ibid., t. I, p. 337.
  28. (1) Je me sers ici de ces noms de cités célèbres sans prétendre affirmer qu’elles aient les premières servi de métropoles aux États chamites ou même sémo-chamites. Longtemps avant ces grandes villes, la Bible et les inscriptions cunéiformes nous révèlent l’existence d’autres capitales, telles que Niffer, Warka, Sanchara (probablement la Lanchara de Bérose). La fameuse ville où résidait le roi chamite Chedarlaomer, roi d’Élam (Gen., XIV), bien que moins ancienne, florissait cependant avant Ninive. (Voit le lieut.-colonel Rawlinson, Report of the Royal Asiatic Society, 1852, p. XV-XVI.) — De même la capitale de Sennacherib était à Kar-Dunyas, et non pas à Babylone (ouvr. cité, p. XXXII), ce qui est assez remarquable à cette époque, relativement basse, puisque Sennacherib régnait en 716 av. J.-C. seulement. Cependant Babylone était bâtie depuis fort longtemps ; le lieutenant-colonel Rawlinson, s’appuyant sur le 13e verset du 23e chap. d’Isaïe (j’avoue ne pas comprendre très bien les motifs du célèbre antiquaire), pense que l’on peut considérer le treizième siècle avant notre ère comme l’époque de fondation de cette cité. (Ouvr. cité, p. XVII.) La raison qui me porte à m’en tenir aux notions les plus répandues c’est l’état encore imparfait des connaissances modernes sur l’histoire des États assyriens. Nul doute que les découvertes de Botta, de Layard, de Rawlinson, et celles que poursuit, en ce moment, avec tant de zèle, d’énergie et d’habileté, le consul de France à Mossoul, M. Place, n’amènent, dans ce que nous savons des peuples primitifs de l’Asie, une révolution plus considérable encore et suivie de résultats plus heureux et plus brillants que celle qui fut opérée, il y a quelques années, dans les annales de l’Italie antique par les savants travaux des Niebuhr, des O. Müller, des Aufrecht. Mais nous n’en sommes encore qu’aux débuts, et il y aurait témérité à vouloir trop user de résultats, jusqu’ici fragmentaires et souvent si inattendus, si émouvants pour l’imagination la plus froide, qu’avant de les utiliser, il faut qu’une critique sévère en ait plus que constaté la valeur. Lorsque le savant colonel Rawlinson donne, d’après deux cylindres en terre cuite, l’histoire complète des huit premières années du règne de Sennacherib avec le récit de la campagne de ce monarque contre les Juifs (Outlines of Assyrian history, collection from the cuneiform inscriptions, p. XV), c’est bien le moins que nous ne cédions pas trop facilement au charme inévitable qu’exerce sur l’esprit cette autobiographie où le roi raconte sa défaite et la met en regard du récit de la Bible. Une grande réserve ne me semble pas moins obligatoire, lorsque l’infatigable érudit nous offre une découverte plus surprenante encore. Dans des tablettes en terre cuite trouvées sur le bas Euphrate et envoyées à Londres par M. Loftus, membre de la Commission mixte pour la délimitation des frontières turco-persanes, M. Rawlinson pense avoir découvert des reconnaissances du trésor d’un prince assyrien pour un certain poids d’or ou d’argent, déposé dans les caisses publiques, reconnaissances qui auraient eu, dans les mains des particuliers, un cours légal. M. Mohl, en rendant compte de cette opinion, ajoute prudemment : « Ce serait un premier essai de valeurs de convention dans un temps où certainement personne ne l’aurait soupçonné, et cette supposition a quelque chose de si surprenant, qu’on ose à peine espérer qu’elle se vérifiera. » (Rapport à la Société asiatique, 1851, p. 46.) J’espère que personne ne me blâmera d’imiter la discrétion dont un juge si compétent me donne l’exemple. Plus on fera de progrès dans la lecture des inscriptions cunéiformes, plus on découvrira de ruines dans ces vastes provinces, dont le sol inexploré parait en être couvert, plus on accomplira de miracles, j’en suis convaincu, en faisant revivre des faits déjà morts et oubliés à l’époque des Grecs. Mais c’est précisément parce qu’il y a lieu de beaucoup attendre de l’avenir, qu’il ne faut pas le compromettre en embarrassant le présent d’assertions trop hâtives, inutilement hypothétiques et souvent erronées. Je continuerai donc à me tenir de préférence sur des terrains connus et solides, et c’est pourquoi j’invoque les noms de Ninive et de Babylone comme étant ceux qui, jusqu’ici, personnifient le mieux les splendeurs assyriennes.
  29. (1) Movers, das Phœniz. Alterthum, t. II, 1re partie, p. 265 ; Ewald, Geschichte d. V. Israël, t. I, p. 367.
  30. (1) Movers, t. II, 1re partie, p. 302.
  31. (2) Id. ibid., p. 31. — L’opinion de cet auteur est victorieusement réfutée par Ewald, Taber, Michaelis, etc.
  32. (3) Voir les découvertes du docteur Schultz.
  33. (1) Botta, Monuments de Ninive.
  34. (2) Tout ce qui concernait l’élégance et le luxe délicat, ce qui était caprice, les objets de mode et, en un mot, ce qui répondait à ce que la langue commerciale d’aujourd’hui appelle l’article Paris, se fabriquait dans les grandes capitales mésopotamiques. Voir Heeren, Ideen über die Politik, den Verkehr und den Handel der vornehmsten Vœlker der alten Welt, t. I, p. 810 et pass.
  35. (1) Wilkinson, Customs and Manners of the ancient Egyptians, t. I, p. 386. Les peintures égyptiennes portent témoignage de ce fait curieux, et ce qui établit complètement l’origine mélanienne de la coutume qu’elles dénoncent, c’est de voir cette même coutume répandue dans toute l’Afrique et sur la côte occidentale aussi bien qu’à l’est. Pour expliquer cette particularité, Degrandpré, surpris de voir des nègres tatoués, dit-il, en couleur, à la manière des Indiens, fait remarquer que les naturels traversent assez souvent toute la largeur de leur continent parallèlement à l’équateur, et que, de cette façon, on peut s’expliquer que les habitants de la Guinée pratiquent ce que les gens du Congo ont pu apprendre des navigateurs de l’Inde. (Voir Pott, Verwandtschaftliches Verhæltniss der Sprachen vom Kaffer und Kongo-Stamme untereinander dans la Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellschaft, t. II, p. 9.) C’est une démonstration un peu pénible, à laquelle je substitue celle que voici : Comme il n’y a au monde aucun peuple se tatouant au moyen de peintures, appliquées seulement sur la peau ou pénétrant sous l’épiderme par incision, qui n’appartienne, de très près, aux espèces noire ou jaune, j’en conclus que le tatouage est une habitude propre à ces deux variétés et qu’elles l’ont fait adopter aux races blanches les plus fortement mêlées à elles. Ainsi, de même que les Chamo-Sémites et les Hindous, alliés aux noirs, se sont peints, de même les Celtes alliés aux jaunes en ont fait autant par une raison toute semblable. Il faut donc considérer les tatouages comme une marque de l’origine métisse et apporter beaucoup de soin à les étudier au point de vue ethnologique. C’est ce qu’ont très bien compris les savants américains. Les formes et les caractères des dessins tracés dans une tribu du nouveau continent ou de la Polynésie, sur le visage ou le corps des guerriers, ont souvent servi à faire reconnaître la descendance, en révélant des rapports avec une autre peuplade souvent fort lointaine. Il m’a été donné, à moi-même, de remarquer le fait dans la belle collection de plâtres de M. de Froberville. Ces empreintes reproduisent des têtes de nègres de la côte orientale d’Afrique. Sur le front de plusieurs de ces spécimens, on retrouve une série de points longitudinaux relevés en saillie par un gonflement artificiel des chairs, ornement de la nature la plus bizarre, mais tout à fait identique à ce que l’on voit pratiquer à plusieurs groupes pélagiens de l’Océanie. Le savant ethnologiste, dont l’obligeance m’a mis à même de faire cette observation, n’hésite pas à y découvrir la preuve d’une identité primitive d’origine entre les deux familles barbares que sépare une mer immense.
  36. (1) Je donne ici la date indiquée par Movers (Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re, partie, p. 259). Lassen (Indische Alterthumskunde, t. I, p. 752) fait mention d’une dynastie existant à cette époque, mais ne se prononce pas sur son origine ethnique. Le colonel Rawlinson (Outlines of Assyrian history, p. XV) ne connaît pas d’empire sémitique avant le treizième siècle qui a précédé notre ère. C’est alors qu’il trouve dans les inscriptions la mention d’un roi nommé honorifiquement Derceto, ou Sémiramis, mais dont il n’a pu encore déchiffrer le nom véritable. Il pense que Ninive a été construite sous ce monarque. M. Rawlinson me paraît ici prendre la quatrième dynastie de Lassen (Ind. Alterth., I, p. 752) et de Movers (loc. cit.) pour la première. Dans tous les cas, sa date est trop basse et ne concorde pas avec la chronologie biblique.
  37. (2) Les inscriptions cunéiformes et la Genèse s’accordent à signaler l’établissement primitif d’un État sémite dans la basse Chaldée, ou dans le pays voisin, la Susiane. Longtemps, le lieu d’origine de leur race, c’est-à-dire la haute Chaldée, la région des montagnes, fut pour les souverains sémites de l’Assyrie un point dangereux d’où sortaient des compétiteurs qu’il fallait mater d’avance, et je crois facilement à l’assertion de M. Rawlinson, qui remarque qu’un des plus illustres conquérants de la dynastie que je persiste à considérer comme la quatrième, monarque dont le nom paraît devoir se lire Amak-bar-bethkira, dirigea l’effort de ses armes vers les sources du Tigre et de l’Euphrate, en Arménie et dans toute la contrée septentrionale avoisinante. (Outlines of Assyrian history, p. XXIII.)
  38. (1) Les Assyriens ont occupé trois fois la Phénicie  : la première fois, 2,000 ans avant J.-C. ; la seconde, vers le milieu du treizième siècle ; la troisième, en 750. (Movers, Das Phœn. Alterth., t. II, 1re partie, p. 259.)
  39. (2) C’est ainsi qu’il faut comprendre l’histoire mythique de Sémiramis, personnification d’une invasion chaldéenne. Avant d’être reine, elle avait commencé par être servante. (Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 261.)
  40. (1) Gen., XI, 10 : « Sem... genuit Arphaxad... 12. Arphaxad ... genuit... Sale... 14. Sale genuit Hebr... 16. Hebr genuit Phaleg... 18. Phaleg... genuit Reu ... 20. Reu genuit Sarug... 22. Sarug... genuit... Nachor... 24. Nachor... genuit Thare. »
  41. (2) Gen., XXIV, 6 : « Cave, ne quando, reducas filium meum illuc. »
  42. (3) Gen., XX, 12 : « Alia autem et vere soror mea est, filia patris mei, et non filia matris meæ, et duxi eam in uxorem. »
  43. (4) Gen., XI, 31 : « Tulit itaque Thare Abram filium suum, et Loth filium Aran, filium filii sui, et Saraï nurum suam, uxorem Abram, filii sui, et eduxit eus de Ur Chaldæorum ut irent in terram Chanaan... » — 28 : « Mortuusque est Aran ante Thare, patrem suum, in terra nativitatis suæ in Ur Chaldæorum. »
  44. (1) Gen., XLVI, 3... : « Responderunt : Pastores ovium sumus servi tui, et nos, et patres nostri. »
  45. (2) Gen., XI, 32 : « Et facti sunt dies Thare ducentorum quinque annorum et mortuus est in Haran. »
  46. (3) Gen., XII, 5 : « Tulit... universam substantiam, quam possederant, et animas, quas fecerant in Haran. »
  47. (1) Gen., XXIII, 6 : « Audi nos, domine, princeps Dei es apud nos. »
  48. (2) Gen., XIV, 13 : « Nunciavit Abram Hebræo qui habitabat in convalle Mambre Amorrhæi, fratris Eschol et fratris Aner ; hi enim pepigerant fœdus cum Abram. » — XXI, 27... « Percusseruntque ambo (cum Abimelech) fœdus. »
  49. (3) Gen., XVIII, 32 : « Et dixit (Deus) : Non delebo propter decem. »
  50. (4) Gen., XIV, 24... : « Filia sum Bathuelis, filii Nachor, quem peperit ei Melcha. »
  51. (5) Gen., XXII, 20 : « His ira gestis, nunciatum est Abrahæ, quod Melcha quoque genuisset filios Nachor fratri suo. »
  52. (1) Ewald, Gesch. d. V. Israël, I, 294. Les Carthaginois ne se montrèrent pas plus militaires que les Tyriens. Ils employaient des stipendiés.
  53. (2) Ewald, ouvrage cité, t. I, p. 293 et pass. Ces troupes mercenaires jouèrent un très grand rôle dans tous les États chamites et sémites d’Asie et d’Afrique. Les Égyptiens mêmes en enrôlaient. Au temps d’Abraham, les petites principautés de la Palestine se confiaient sur elles de leur défense. Phicol, que la Genèse appelle le chef de l’armée d’Abimélech (hébreu) Gen., XXI, 22), était probablement un condottiere de cette espèce. Plus tard, la garde de David fut aussi composée de Philistins. Tout cela prouve combien les mœurs générales étaient peu militaires.
  54. (3) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 294.
  55. Isaïe.
  56. (1) Gesénius, Geschichte der hebraeischen Sprache und Schrift, p. 4.
  57. (2) Les nations berbères et amazighs, d’origine sémitique, s’étendent très avant au sud, dans le Sahara africain, et, dans l’ouest, jusqu’aux îles Canaries. Les Guanches étaient des Berbères. Les invasions sémitiques se sont répétées sur le littoral occidental de l’Afrique pendant mille ans au moins. (Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 2e partie, p. 363 et pass.)
  58. (3) Gesénius, Hebraeische Grammatik, 16e édition, 1851, p. 12. On n’a que peu d’indices de l’existence de dialectes hébraïques. Les Éphraïmites donnaient au Schin la prononciation du Sin ou du Samech. Il paraît aussi, suivant Néhémie, qu’il y avait un langage particulier à Asdod.
  59. (1) Gesénius les définit ainsi : 1° Parmi les consonnes, beaucoup de gutturales ; les voyelles ne jouent qu’un rôle très subordonné ; 2° la plupart des racines, trilittères ; 3° dans le verbe, deux temps seulement ; une régularité singulière quant à la formation des modes ; 4° dans le nom, deux genres, sans plus ; des désignations de cas d’une extrême simplicité ; 5° dans le pronom, tous les cas obliques déterminés par des affixes ; 6° presque aucun composé ni dans le verbe ni dans le nom (excepté dans les noms propres) ; 7° dans la syntaxe, une simple juxtaposition des membres de la phrase, sans grande coordination périodique. (Hebraeische Grammatik, t. I, p. 3.)
  60. (2) Sylvestre de Sacy, Grammaire arabe, 2e édition, t. I, p. 125 et passim. — Ce savant philologue, contrairement à l’avis de plusieurs grammairiens nationaux, trouve l’emploi des dernières formes si rare, qu’il réduit le nombre total à treize, en y comprenant la conjugaison radicale du primitif trilittère.
  61. (3) M. Prisse d’Avennes a récemment fait une très heureuse application de ce principe, dans son examen de la grammaire persane de M. Chodzko. Voir Revue orientale.
  62. (1) Pott, Verwandtschaftliches Verhæltniss der Sprachen vom Kafferund Kongo-Stamme, p. 11, p. 25. « Noch erwæhne ich hier behuf allgemeinerer Charakterisirungs gegenwærtiger Idiome ihre Ueberfülle an dem, was die semitische Grammatik unter Conjugationen versteht ; ich meine die Menge besonderer Verbal-formen, welche eigentümliche Begriffsabschattungen und Nebenbezeichnungen des im jedesmaligen Verbum liegenden Grundgedankens abgeben und darstellen. Diese Conjugationen entshehen aber, in der Regel, durch Zusætze hinten an der Wurzel. » Et page 138 : « Es giebt gar keine Wurzelverba, die nicht æhnlicher Modificationen faehig wären ; und vermittelst gewisser Partikeln oder Zusætze zeigt ein jeder dieser Verba, und alle daraus abgeleiteten, an, ob die Handlung, die sie ausdrücken, selten oder haüfig ist ; ob sich Schwierigkeit, Leichtigkeit, Uebermaass oder andere Unterschiede dabei finden. »
  63. 2) Ce qui n'est pas l'opinion de M. Rawlinson. Voir Journal of the R. A. Society, t. XIX part. 1, p. XXIII, la note sur le pronom kaga de l'inscription de Bi-Soutoun et le rapprochement qu'en fait le savant colonel avec le mot pouschtou haga et le latin hic. — Voir encore, pour les affinités indo-germaniques de l'assyrien, le travail de Rawlinson, précité, p. XCV. Il n'est plus douteux désormais que la plus ancienne classe d'inscriptions cunéiformes recouvre une langue sémitique. MM. Westergaard et de Saulcy, feu M. Burnouf, ont mis le fait hors de question. Et à ce propos, qu'il me soit permis de déposer ici l'expression des profonds regrets que la perte prématurée de M. Burnouf inspire à tous les amis de la science. Homme rare, d'une érudition inouïe, d'une sagacité qui tenait du prodige, d'une prudence merveilleuse, l'Angleterre et l'Allemagne nous l'enviaient justement. Il avait fait, sur les écritures assyriennes, des travaux préparatoires qu'il n'a pas eu le temps de terminer et dont le fruit est ainsi perdu pour nous. Peut-être se passera-t-il bien du temps avant que la place éminente de ce grand esprit soit occupée de nouveau.
  64. (1) Ewald, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, Ueber die Saho-Sprache in Æthiopien, t. V, p. 410.
  65. (2) Les Sahos habitent non loin de Mossawa, ou mieux Massowa مصوع sur la mer Rouge. Jusqu’à d’Abbadie, on les avait toujours confondus tantôt avec les Gallas, tantôt avec les Danakils. (Ewald, Ueber die Saho-Sprache, t. v, p. 412.)
  66. (3) Ewald, loc. cit., p. 422, pense que le saho s’est séparé des autres langues sémitiques dans une antiquité incommensurable. Il se sert de ce mot séparé, parce qu’il part de la supposition que le foyer sémitique est en Asie. Cependant, frappé du monde d’idées que soulève l’examen des langues noires, il s’écrie : « Quelles clartés nouvelles nous sont présentées par l’existence de pareilles langues sur le continent africain, au point de vue de l’histoire primitive des peuples et des idiomes sémitiques ! » M. Ewald ne se trompe pas, c’est toute une révélation.
  67. (4) Pott, ouvr. cité, t. II, p. 8.
  68. (1) Pott, ouvr. cité, loc. cit.
  69. (2) Cette opinion, basée sur les travaux des missionnaires et des voyageurs, et en particulier ceux de d’Abbadie et de Krapf, trouve de vigoureux propagateurs dans M. de la Gabelentz, Zeitschrift d. m. Gesellsch., t. I, p. 238 ; M. Ewald, dans son beau mémoire sur la langue saho ; M. Krapf, directement, dans un essai intitulé  : Von der afrikanischen Ostküste (même recueil, t. III, p. 311), et M. Pott, dont l’autorité est si grande en un pareil sujet. Ritter et Carus partagent le même avis (Erdkunde ; Ueber ungleiche Befæhigung der Menschheitsstæmme, p. 34.)
  70. (1) À cette époque, l’araméen était déjà distinct de la langue de Chanaan. (Gen., XXXI, 47) : « Quem (tumulum) vocavit Laban Tumulum testis, et Jacob, Acervum testimonii, uterque juxta proprietatem lingum suit. » Les mots araméens sont (araméen) les mots hébreux (hébreu).
  71. (1) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 337. — L’arrivée des Joktanides et la fondation de leurs principaux États dans l’Arabie méridionale sont antérieures à l’époque d’Abraham.
  72. (1) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 63-70. — Entre Abraham et Moïse, la Palestine avait été le théâtre de mouvements de population considérables, D’ailleurs de nombreuses nations abrahamides, non israélites, s’y étaient établies, telles que les enfants de Cétura, les fils d’Ismaël, ceux d’Ésaü, ceux de Loth, etc.
  73. (2) Ewald, G. d. V. Israël, t. I, p. 338.
  74. Ewald, G. d. V. Israël, t. I, p. 252.
  75. Même ouvrage, p. 278.
  76. (1) Je ne mentionne pas les ports de Gaza et d’Ascalon, parce qu’ils ne furent fondés qu’après l’émigration de Crète, déterminée par les conquêtes de l’Hellène Minos, 1548 avant J.-C. Du reste, les Assyriens, fidèles à leur système de s’affranchir du monopole phénicien, s’emparèrent très promptement de ces deux cités et leur donnèrent beaucoup de puissance. (Ewald, ouvrage cité, t. I, p. 294 et 367 ; Gesénius, Geschichte der hebraeischen Sprache, p. 14.)
  77. (2) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II-I, p. 298 et 378. La politique assyrienne faisait trembler les États chananéens ; quand il n’y avait pas domination directe, l’influence restait énorme et, se mêlant aux querelles des partis, appuyant le faible pour ruiner le fort, suscitait des querelles incessantes et rendait la paix encore plus redoutable que la guerre. M. Movers décrit très bien le jeu de ces antiques combinaisons, et prouve que le but principal des hommes d’État d’Assyrie touchait aux questions commerciales.
  78. (3) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II-I, p. 259 et 271, et passim.
  79. (1) Le Mahabharata ne connaît pas les noms de Babylone ni de la Chaldée. Cependant il y avait eu, de tout temps, un grand commerce entre les Arians hindous et le monde occidental, par l’intermédiaire des Phéniciens, soit avant, soit après que ceux-ci eurent quitté Tylos et Aradus dans le golfe Persique. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 858 et passim.) Je parlerai ailleurs des vases de porcelaine chinoise trouvés dans des tombeaux égyptiens des plus anciennes dynasties.
  80. (1) Les nègres donnent même ce titre aux Mahalaselys, tribu cafre, qui paraît mériter cet honneur par la possession de vêtements d’étoffe et de maisons pourvues d’escaliers. (Prichard, Histoire naturelle de l’homme, t. II, p. 21.)
  81. (1) Les annales chamites paraissent avoir été conservées avec beaucoup de soin par les intéressés. M. d’Ewald considère le XIVe chapitre de la Genèse et d’autres fragments du même livre comme des emprunts faits à ces histoires. (Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 71.) — À son avis, ces travaux des peuples chananéens auraient, en outre, servi de base à la partie cosmogonique et généalogique de la Genèse, rédigée par un lévite au temps de Salomon. (Ouvr. cité, p. 87 et passim.)
  82. (2) On verra, lorsqu’il s’agira des nations arianes, tous les motifs qui existent d’assimiler les dieux d’Assyrie aux antiques héros blancs. Il ne paraît pas douteux à M. Rawlinson que le dieu-poisson et la déesse Derceto, représentés sur les sculptures de Khorsabad et de Bi-Soutoun, n’aient été les images des patriarches échappés au dernier déluge.
  83. (3) Movers, das Phœnizische Alterth., t. II-I, p. 15. — C’est là ce qui porte M. Movers à combattre le témoignage d’Hérodote, et à soutenir que les Phéniciens n’étaient pas des émigrants de Tylos.
  84. (1) Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II-I.
  85. (1) L’homme venu du pays d’Arpaxad (Gen., X-22). — Tous les peuples sortis de Sem, à la première génération, sont dénommés dans l’ordre de leur position géographique, en commençant par le sud et en finissant par le nord-ouest : Elam, au delà du Tigre, près du golfe Persique ; Assur, l’Assyrie, remontant le Tigre, vers le nord ; Arpaxad, l’Arménie, inclinant à l’ouest ; Lud, la Lydie ; Aram redescend vers le sud avec le cours de l’Euphrate. (Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I.)
  86. (1) Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 352 et passim.
  87. (2) Movers, t. II, 1re partie, p. 369.
  88. (3) Movers, loc. cit.
  89. 1) Movers, t. II, 1re partie, p. 367 et passim.
  90. (1) Movers, t. II, 2e partie, p. 629.
  91. (1) Movers, t. II, 1re partie, p. 366.
  92. (1) Strabon, livre III — La ville de cette époque, avec une population que le grand géographe ne pouvait comparer qu’à celle de Rome, n’occupait encore que l’île. Elle avait cependant été agrandie par Balbus.
  93. (1) Les Phéniciens donnaient à leur pays le nom de Chna ou terre de Chanaan par excellence ; mais cette prétention n’était pas reconnue par les autres nations même de la famille, qui n’attribuaient pas d’appellation collective à l’ensemble des États de la côte syrienne (Movers, t. II, 1re partie, p. 65.) — Outre les Phéniciens, la race de Chanaan compte de nombreux rameaux. Voici l’énumération qu’en donne la Genèse, X, 15 : « Chanaan autem genuit Sidonem, primogenitum suum, Hethæum, 16 : et Zebusæum et Amorrhæum, Gergesæum, 17 : Hevæum et Aracæum, Sinæum, 18 : et Aradium, Samaræum et Amathæum... »
  94. (2) Encore au temps de saint Augustin, le bas peuple de la Carthage romaine se donnait le nom de Chanani. (Gesenius, Hebræische Grammatik, p. 16.)
  95. (1) Rien de plus ridicule que le sens philanthropique attribué par quelques modernes au mythe de l’Hercule tyrien. Le héros sémite et ses compagnons se donnaient des torts et ne redressaient pas ceux des autres.
  96. (1) Un érudit d’une réputation aussi grande que méritée, M. de Saulcy, a émis une théorie nouvelle au sujet du médique, dans lequel il découvre des éléments appartenant aux langues turques. En adoptant cette très intéressante hypothèse, il deviendrait indispensable sans doute d’ajouter une partie constitutive de plus au médique. Mais les rapports existant aussi dans le sein de cet idiome, entre l’indo-germanique et le sémitique, et que je signale, n’en seraient pas troublés. (Voir F. de Saulcy, Recherches analytiques sur les inscriptions cunéiformes du système médique, Paris, 1850.)
  97. (2) Klaproth, Asia polyglotta, p, 65 ; voir aussi, au sujet du médique, Rœdiger et Pott, Kurdische Studien, dans la Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 12-13.
  98. (1) Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 420.
  99. (2) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 334.
  100. (3) Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 753.
  101. (1) Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 858 et pass. — Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 272 et pass.
  102. (2) Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 265.
  103. (3) Damas fut possédé, quelque temps après Abraham, par une émigration de Sémites venus d’Arménie. Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 367. Plus tard, une autre invasion de la même provenance renversa la dynastie nationale des Ben-Hadad, et la remplaça par une famille qui porta le titre de Derketade, ibid., p. 274. — Dans les temps grecs et romains, les Damascènes, par une prétention qui se rencontre rarement chez les peuples comme chez les individus, niaient l’extrême antiquité de leur ville, et prétendaient pour elle à l’honneur d’avoir été fondée par Abraham.
  104. (4) Les Sandonides de Lydie se vantaient d’une origine assyrienne. (Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 329.)
  105. Movers, t. II, 1re partie, p. 277. Les Éthiopiens, Αἰθίωπες (Aithiôpes), des Grecs, sont les enfants de Kouch. Ce sont des Arabes كوش. Ce mot Αἰθίωπες (Aithiôpes) indique la couleur noire des visages, comme celui de Φοίνιϰες (Phoinikes) indique la carnation cuivrée, rougeâtre, des Chananéens.
  106. Movers, t. II, 1re partie, p. 411. Cette alliance naturelle entre les Assyriens et les Grecs, concurrents des Phéniciens, est très bien caractérisée par ce qui se passait à Chypre. Il y eut là, de bonne heure, une double population ; l’une sémitique, l’autre grecque. Les Chypriotes grecs tenaient pour les Assyriens, les Sémites pour Tyr. (Movers, t. II, 1re partie, 387.)
  107. Movers, das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 411.
  108. (1) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 87.
  109. (2) D’ailleurs la famille même du fils de Tharé ne se composait pas que de personnes issue de la même souche. Lorsqu’il forma alliance avec le Seigneur et qu’il eut circoncis tous les mâles de sa maison, ceux-ci devinrent tous hébreux, bien que le texte dise expressément qu’il y avait parmi eux des esclaves achetés à prix d’argent et des étrangers (Gen., XVII, 27) : « Et omnes viri domus illius, tam vernaculi, quam emptitii et alienigenæ, pariter circumcisi sunt. » On doit conclure aussi des paroles expresses du livre saint que la nationalité israélite résultait beaucoup moins de la descendance que du fait de la circoncision. Voici les paroles expresses (Gen., XVII, 11) : « Et circumcidetis carnem præputii vestri ut sit in signum fœderis inter me et vos... » (12) : « Omne masculinum in generationibus vestris ; tam vernaculus quam emptitius circumcidetur... » Et (XXXIV, 15) : « Sed in hoc valebimus fœderari, si volueritis esse similes nostri et circumcidatur in vobis omne masculini sexus. » (13) : « Tunc dabimus mutuo filias vestras ac nostras  : et habitabimus vobiscum, erimusque unus populus. » D’après un tel système, il était impossible que la pureté des races se maintînt, quels que fassent les efforts que l’on pouvait faire d’ailleurs dans ce but.
  110. (1) Gen., XV, 19 ; Sam., 1, 15, 6 ; Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 298 et passim.
  111. (2)Gen., XX, 12 : « Alias autem et vere soror mea est, filia patris mei ; et non filia matris meæ et duxi eam in uxorem.
  112. (3) Gen., XXIX, 3-13.
  113. (4) Je ne citerai, de tous les passages qui l’établissent, que celui qui a rapport à la descendance de Joseph. C’était le fils favori d’Israël, l’homme pur par excellence ; il avait cependant épousé une Égyptienne. — Gen., XLVI, 20 : « Natique sunt Joseph filii in terra Ægypti, quos genuit ei Aseneth, filia Putiphare sacerdotis Heliopoleos : Manasses et Ephraim. »
  114. (1) Isaïe appelle l’hébreu, langue de Chanaan (XXXIV, 11, 13).
  115. (2) Ewald, t. I, p. 71.
  116. (1) Isaïe, XLIX, 12. Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 857.
  117. (2) Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, 1re partie, p. 302.
  118. (1) Gen. XXXVI, 8 : « Habitavitque Esau in monte Seir... »
  119. (2) Tantôt la Vulgate dit Horræi (Gen., XXXVI, 20, 21 et 29), et tantôt Horrhæi (Deutéron., II, 12).
  120. 3) -- (hébreu) trou, caverne.
  121. (4) Ewald, Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 273. Les Chorréens avaient occupé, à des époques plus anciennes, les deux rives du Jourdain jusqu’à l’Euphrate vers le nord-est et au sud jusqu’à la met Rouge. Il est d’ailleurs assez fréquemment question de ces peuplades noires dans la Genèse, le Deutéronome et les Paralipomènes, partout, enfin, où paraissent des aborigènes. Elles ne sont pas connues que sous un seul nom. Appelées Chorréens dans la Genèse, le Deutéronome les nomme aussi Emim ---- (hébreu) dont le singulier est --- (hébreu) qui signifie terreur. Les Emim seraient donc les terreurs, les gens dont l’aspect épouvante (Deutér., II, 10 et 11). On trouve encore une tribu particulière, anciennement établie sur le territoire d’Ar, assigné depuis aux Ammonites. Ces derniers les nommaient les Zomzommim ---- (hébreu). Le texte décrit ainsi leur pays et eux-mêmes. (Deutér., II, 20) : « Terra gigantum reputata est et in ipsa olim habitaverunt gigantes, quos Animonitæ vocant Zomzommim, 21. Populus magnus et multus et proceræ longitudinis, sicut Enacim, quos delevit Dominus a facie eorum... » Gesenius rapporte la racine de ce nom de peuple au quadrilatère inusité : (hébreu) (murmuravit, fremuit). Enfin les Chorréens, les Emim, les Zomzommim, ces hommes de terreur et de bruit, sont toujours comparés aux Enacim, les hommes aux longs cous, les géants par excellence. Ces derniers, avant l’arrivée des Israélites, habitaient les environs d’Hébron. En partie exterminés, ce qui en survécut se réfugia dans les villes des Philistins, où on en rencontrait encore à une époque assez basse. Il n’est pas douteux que le célèbre champion qui combattit contre le berger David, Goliath (dont le nom signifie l’exilé, le réfugié), appartenait à cette famille proscrite.
  122. Deutéron., II, 12 « In Seir autem prius habitaverunt Horrhæi quibus expulsis atque deletis, habitaverunt filii Esaü, sicut fecit Israël in terra possessionis suæ, quam dedit illi Dominus. »
  123. (1) Wilkinson, Customs and manners of the ancient Egyptians, t. I, p. 3. — Cet auteur croit les Égyptiens d’origine asiatique. Il cite le passage de Pline (VI, 34) qui, d’après Juba, remarque que les riverains du Nil, de Syène à Méroé, étaient Arabes. Lepsius (Briefe aus Ægypten, Æthyopien, etc.; Berlin, 1852) affirme le même fait pour toute la vallée du Nil jusqu’à Khartoum, peut-être même pour les populations plus méridionales encore, le long du Nil Bleu, p. 220.
  124. (2) A. W. v. Schlegel, Vorrede zur Darstellung der Ægyptischen Mythologie, von Prichard, übers. von Z. Haymann (Bonn, 1837), p. XIII.
  125. (3) Lepsius (ouvrage cité, p. 220) dit que les peintures exécutées dans les hypogées de l’ancien empire représentent les Égyptiennes avec la couleur jaune. Sous la XVIIIe dynastie, elles sont rougeâtres.
  126. (1) Parmi les nations nègres représentées et nommées sur les monuments, les Toreses, les Tareao, les Éthiopiens ou Kush, présentent un type très prognathe et laineux, (Wilkinson, ouvrage cité, t. I, p. 387-388.)
  127. (2) C’est une vérité qui a frappé M. Schaffarik dans ses Slawische Alterthümer (t. I, p. 24).
  128. (1) M. Lepsius, d’accord avec M. Bunsen, s’exprime ainsi au sujet de la chronologie égyptienne : « Lorsqu’il s’agit des monuments, des sculptures et des inscriptions de la 5e dynastie, nous sommes transportés à une époque de florissante civilisation qui a devancé l’ère chrétienne de quatre mille ans. On ne saurait trop se rappeler à soi-même et redite aux autres cette date jusqu’ici jugée si incroyable. Plus la critique sera sollicitée sur ce point et obligée à des recherches de plus en plus sévères, mieux cela vaudra pour la question. » (Briefe aus Ægypten, etc., p. 36.)
  129. (2) Il s’agit ici de la période postérieure à l’expulsion des Hyksos, et que l’on appelle le nouvel empire. L’âge des pyramides est plus reculé, comme on le verra ailleurs. M. Champollion-Figeac place à l’année 2200 avant J.-C. l’avènement de la 12e dynastie. (Égypte ancienne, Paris, 1840.)
  130. (1) Un roi, en montant sur le trône, commençait l’érection de la pyramide qui devait un jour lui servir de tombe. Il la faisait de taille médiocre, afin d’avoir le temps de l’achever. S’il survivait à la première construction, il la couvrait d’un revêtement de pierre qui la faisait croître en épaisseur et en hauteur. Ce travail achevé, il en entreprenait un tout semblable, et continuait ainsi jusqu’à la fin de ses jours. Lui mort, le revêtement commencé était seul achevé ; mais le successeur, se mettant à travailler pour son propre compte, n’en ajoutait pas d’autres. (Lepsius, Briefe aus Ægypten, p. 42.)
  131. (1) M. le baron d’Eckstein ne convient pas de ce fait très fort et trop affirmé par M. de Bohlen. Cependant il reconnaît, de la manière la plus explicite, l’origine hindoue. Voici ses expressions mêmes : « Quoique le copte soit aux antipodes du sanscrit, mille raisons me semblent toutefois conspirer pour retrouver dans le bassin de l’Indus le siège de la primitive civilisation transportée dans la vallée du Nil. » (Recherches historiques sur l’humanité primitive, p. 76.) M. Wilkinson partage cet avis et considère les Égyptiens comme une colonie hindoue (t. I, p. 3).
  132. (2) Il ne faut pas perdre de vue que le copte ou langue démotique, le seul secours que nous ayons pour traduire les inscriptions hiéroglyphiques, n’est qu’un dialecte, une dégénération, une sorte de mutilation de la langue sacrée, et il faudrait savoir si les traces sanscrites ne sont pas plus abondantes dans ce plus ancien idiome. — Voir Brugsch, Zeitschrift der deutschen morgenlændischen Gesellschaft, t. III, p. 266.
  133. (1) Wilkinson, t. I, p. 225 et pass.
  134. (2) Ouvrage cité, t.1, p. 231.
  135. (1) Wilkinson, t.1, p. 225 et pass.
  136. (2) La Genèse trouve des Sémites parmi les fils de Mesraïm, fils de Cham : « At vero Mesraïm genuit Ludin et Anamim, et Laabim Nephtuïm et Phetrusim et Chasluim ; de quibus egressi sunt Philistiim et Caphtorim (X, 13, 14). »
  137. (3) M. de Bohlen a trouvé entre le fondateur de la royauté égyptienne et le législateur mythique de l’Inde, Manou, un grand rapport de noms.
  138. (1) Schlegel, Préface à la Mythologie Égyptienne de Prichard, p. XV. — Une différence avec les Hindous que M. de Schlegel trouve radicale, c’est la circoncision. Les Hindous ne connaissaient pas cet usage pratiqué en Égypte et dans lequel on voit, à tort, une coutume judaïque. Comme le tatouage, c’est une idée originairement nègre et tout à fait conforme aux notions de cette espèce. Le but hygiénique, par lequel on cherche à la justifier ou à l’expliquer aujourd’hui, me semble peu admissible, soit que la circoncision ait lieu sur les hommes seulement ou sur les hommes et les femmes sans distinction, comme on le voit dans plusieurs tribus africaines. Je ne reconnais dans l’origine de cette coutume que le désir de créer une marque distinctive, ou, peut-être même, uniquement un simple dérivé du goût natif pour la mutilation, que, suivant les temps et les lieux, les populations qui l’ont adopté ont expliqué à leur guise. Chez les Ekkhilis, la circoncision se pratique sur les adultes et d’une manière atroce. L’opérateur arrache la peau du prépuce, en présence des parents et de la fiancée de la victime. La moindre marque de douleur est considérée comme déshonorante. Souvent le tétanos emporte le malade au bout de quelques jours.
  139. (1) Le lecteur a déjà remarqué peut-être que les nations modernes sont les seules qui aient su tracer une barrière exacte entre le respect et l’adoration. Soit qu’il provienne de la crainte ou de l’amour, le respect des peuples mélangés fortement de noir ou de jaune va facilement à l’extrême. Chez les uns, il crée la divinisation pure et simple ; chez les autres, le culte superstitieux des ancêtres.
  140. (1) À une époque assez basse, les Arians ont poussé jusque chez ces peuplades. Ils n’ont fait que passer et n’ont laissé aucune trace de leur séjour. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 533.)
  141. (1) Schlegel, ouvrage cité, p. XXIV.
  142. (1) Wilkinson, t. I, p. 237 et pass. Il n’y avait, en Égypte, de caste réellement impure que la subdivision des porchers. Suivant Hérodote, on comptait sept classes ; suivant Diodore, trois ou cinq. Strabon en nomme trois ; Platon, dans le Timée, six, avec des subdivisions de métiers, d’arts, etc.
  143. (2) Une des capitales de l’ancien empire, c’est Thèbes, Tapou. Elle fut fondée par Sesortesen 1er, premier roi de la dynastie thébaine, la 12e de Manéthon, 2,300 ans av. J.-C. (Lepsius, Briefe aus Ægypten, p. 272.)
  144. (3) Rosellini a trouvé le nom de Sesortesen (M. de Bunsen, Orsitasen 1er de Wilkinson), sur une stèle en Nubie, près de Wadi-Halfa. Ce même prince avait également envahi la presqu’île du Sinaï. (Bunsen, t. II, p. 307. Voir aussi Lepsius, Briefe aus Ægypten, etc., p. 336 et pass.) — L’exploitation des mines de cuivre du Sinaï a commencé sous l’ancien empire. C’est alors qu’elle eut le plus d’importance.
  145. (4) Movers, t. II, 1re partie, p. 301.
  146. (1) Wilkinson, t. I, p. 4. Movers, t. II, 1re partie, 282. Ce nom s’appliquait aussi au Nedj et à l’Yémen. Il s’étendait encore à la partie de l’Asie la plus voisine. L’Écriture sainte fait de Nemrod un Kuschite.
  147. (2) Parmi les pyramides les plus anciennes, plusieurs sont construites en briques crues, ce qui les identifie presque avec les tumulus des peuples blancs primitifs. (Wilkinson, t. I, p. 50.)
  148. (1) Les plus anciens noms, dans les ovales, sont précédés du titre de prêtre au lieu de celui de roi. (Wilkinson, t. I, p. 19.)
  149. (2) Wilkinson, t. I, p. 246.
  150. (1) Wilkinson, t. I, p. 250.
  151. (1) Hérodote, 11, 47.
  152. (1) Le sort des prisonniers semble avoir été moins dur. M. Wilkinson l’affirme. On ne les voit pas, comme sur les monuments ninivites, traînés par les vainqueurs au moyen d’un anneau passé dans la lèvre inférieure. Ils étaient vendus et devenaient esclaves. (Wilkinson, t. I, p. 403 et passim.)
  153. (1) Le type de l’Égypte était fixé sous la troisième dynastie qui, suivant M. Bunsen commença quatre-vingt-dix ans après la première. (Bunsen, Ægyptens Stelle in der Weltgeschichte, t. III, p. 7.)
  154. (1) Dans les hypogées de Beni-Hassan on voit des peintures représentant des combats de gladiateurs d’une carnation très claire, avec les yeux bleus, la barbe et les cheveux rougeâtres. M. Lepsius considère ces figures comme étant les images d’hommes de race sémitique, probablement ancêtres des Hyksos (Lepsius, Reise in Ægypten, etc., p. 98.). — Avant de renverser l’ancien empire et de forcer les dynasties égyptiennes à chercher un refuge en Éthiopie, les Hyksos avaient commencé par s’établir pacifiquement dans le pays, et très probablement ils s’étaient mêlés à la population indigène. — Je remarquerai, en passant que, d’après le témoignage des monuments que je cite, les contrées de l’Asie antérieure possédaient, dans l’âge des Pharaons, certains groupes de populations beaucoup plus blanches qu’aujourd’hui. Elles ne faisaient, pour ainsi dire, que de descendre des montagnes du nord et n’avaient encore contracté qu’un nombre limité d’alliances avec l’espèce mélanienne.
  155. (1) Wilkinson, t. I, p. 140. — Les deux prédécesseurs de Tirhakah, Éthiopiens comme lui, étaient Sabakoph et Shebek. Tirhakah, d’ailleurs, rendit hommage au génie égyptien en retournant, de lui-même, en Éthiopie (Lepsius, p. 275). Espèce de Mantchou, il n’avait jamais régné, aussi bien que ses prédécesseurs de même sang, qu’à la façon antique du pays.
  156. (2) Wilkinson, t, I, p. 22, 85 et passim, 165 et passim, 206 et passim, W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 60.
  157. (1) Cette ville s'appelait Nagara. (Lassen, Indisch Alterth., t. I, p. 748.)
  158. (1) Ce sera peut-être un jour la gloire la plus solide et la plus réelle de notre époque que ces admirables découvertes qui viennent aujourd’hui transformer et enrichir, de toutes parts, le domaine autrefois si sec et si restreint de l’histoire primordiale. Des ruines considérables et des inscriptions sans nombre ont été découvertes dans l’Arabie méridionale. Les annales himyarites sortent du néant où elles étaient presque entièrement ensevelies, et, avant peu, ce qu’on saura de cette antiquité, non seulement lointaine, mais plus étrangère pour nous que celle de Ninive et même de Thèbes, parce qu’elle fut plus absolument locale et tournée vers l’Inde dans ce qu’elle eut d’expansion au dehors, n’aura pas moins d’intérêt dans l’ensemble des chroniques humaines que toutes les conquêtes du même genre dont la science s’enrichit par ailleurs.
  159. (1) Wilkinson, t. I, p. 4. — Ce savant se prononce sans hésitation contre le système chéri des négrophiles. M. Lepsius n’est pas moins péremptoire. En parlant de la pyramide d’Assur, il prononce l’arrêt suivant : « Le plus important résultat de notre examen, exécuté moitié à la clarté de la lune, moitié à celle des torches, ne fut pas précisément de la nature la plus réjouissante. J’acquis la conviction irréfragable (unabweissliche) que, dans ce monument, le plus célèbre de tous ceux de l’ancienne Éthiopie, je n’avais sous les yeux que des débris d’un art relativement très moderne. » (Briefe aus Ægypten, etc., p. 147.) Et quelques lignes plus bas : « Ce serait vainement, désormais, que l’on prétendrait appuyer sur le témoignage d’anciens monuments les hypothèses concernant une Méroé glorieuse et antique, dont les habitants auraient été les prédécesseurs et les maîtres des Égyptiens dans la civilisation. » (Ouvr. cité, p. 184.) M. Lepsius ne pense pas que les constructions éthiopiennes les plus anciennes dépassent le règne de Tirhakah, prince qui avait fait son éducation royale en Égypte et qui florissait au VIIe siècle avant J.-C. seulement.
  160. (1) J. Ludolf, Comm. ad. Histor. Æthiopic., p. 61.
  161. (2) Prichard, Histoire naturelle de l’homme (traduction allemande de Wagner, avec annotations), t. I, p. 324.
  162. (1) M. T. Benfey a réuni un grand nombre d’arguments et de faits tant lexicologiques que grammaticaux, pour mettre cette dernière vérité en lumière. Voir son livre intitulé : Ueber das Verhæltniss der ægyptischen Sprache zum semitischen Sprachstamme, in-8o; Leipzig, 1844.
  163. (2) Wilkinson, t. I, p. 387 et passim.
  164. (3) Id., ibid.
  165. (1) Hérodote, II, 30.
  166. (2) Suivant M. Lepsius, les dynasties chassées par les Hyksos se réfugièrent sur la limite de l’Éthiopie et y ont laissé quelques monuments. (Briefe aus Ægypten, etc., p. 267.)
  167. (1) À Abou-Simbel, sur la jambe gauche d’un des quatre colosses de Rhamsès, le second en allant vers le sud, on trouve une inscription grecque et plusieurs inscriptions chananéennes commémoratives de la poursuite faite des guerriers fugitifs par les soldats grecs et cariens à la solde de Psammatik. — Lepsius, Briefe aus Ægypten, p. 261.
  168. (1) Ludolf, Comm. ad Hist. Æthiop., p. 61. — C. T. Johannsen, Historia Jemanæ, Bonn, 1828, p. 80 : « Ait deinde Hamza, Maaditis eum sororis filium Alharithsum b. Amru præfecisse, Meccam et Medinam expugnasse, tum ad Jemanam reversum Judaismum cum populo suo amplexum, Judæos in Jemanam vocasse, atque Jemanenses et Rebiitas fœdere conjunxisse. »
  169. (2) Prichard, Naturgeschichte d. M. G., t. I, p. 324.
  170. (1) Johannsen, Historia Jemanæ, p. 89 et passim. — La domination des Abyssins dans l’Yémen fut d’une très courte durée, elle commença en 529 de notre ère et finit en 589. (Ibid., p. 100.)
  171. (1) Et aussi Tombouctou au Maroc. (Voir Journal asiatique, 1er janvier 1853 ; Lettre à M. Defrémery, sur Ahmed Baba, le Tombouctien, par M. A. Cherbonneau.)
  172. Brugsch, Zeitschrift d. deutsch Morgenl. Gesellsch., t. III, p. 266 et passim.
  173. Wilkinson, t. I, p. 85 et passim, p. 206 ; Lepsius, 276.
  174. Voici le texte et la traduction de M. de Bunsen : (Ἐφ' οὖ οἱ βόες Ἄπις ἐν Μέμφει ϰαὶ Μνευῖς ἐν Ἡλιουπόλει ϰαὶ ὁ Μενδήσιος τράγος ἐνομίσθησαν εἶναι θεοί.)

    Kaiechos… Unter ihm wurde die gœttliche Verehrung der Stiere, des Apis in Memphis und des Mnævis in Heliopolis, so wie des mendesischen Bockes eingeführt. (Bunsen, II, p. 103.)

  175. Il ne saurait être inutile de rappeler ici quelle fut la prospérité à laquelle parvinrent les États de la vallée du Nil. On sait que, dans sa plus grande étendue, cette contrée n’a pas 50 milles allemands de largeur, et qu’en longueur, depuis la mer Méditerranée jusqu’à Syène, elle en comporte environ 120. Dans cet espace étroit, Hérodote place 20,000 villes et villages, à l’époque d’Amasis. Diodore en compte 18,000. La France actuelle, douze fois plus grande, n’en a que 39,000. La population de Thèbes, au temps d’Homère, peut se calculer à 2, 800, 000 habitants, et quand je songe à celle que, dans les époques postérieures, atteignit Syracuse, beaucoup moins riche et moins puissante, je ne partage nullement la surprise et l’incrédulité de M. de Bohlen. (Das alte Indien, t. I, p. 32 et passim.)
  176. D’après la chronologie de Wilkinson, qui reconnaît ce prince dans le Rhamsès Amoun-Maï des monuments, roi diospolite de la 19e dynastie, et qui le fait régner en 1235 avant J.-C. (Wilkinson, t. I, p. 83.) — M. Lepsius reporte ce Rhamsès beaucoup plus haut et le place dans la 20e dynastie, au 15e siècle avant notre ère. (Briefe aus Ægypten, p. 274.)
  177. Sous Osirtasen Ier (1740 av. J.-C., suivant le calcul de Wilkinson), les monuments sont magnifiques. Les sculptures de Beni-Hassan appartiennent à cette époque, la plus brillante pour les arts. (Wilkinson, t. I, p. 22.) C’est le commencement du nouvel empire. Il ne s’agit déjà plus des constructions les plus colossales ; ainsi, bien que l’art soit dans tout son beau, il a déjà dépassé sa période de croissance. L’Osirtasen Ier de Wilkinson est le même que le Sesortesen de M. le chevalier Bunsen (t. II, p. 306.)
  178. M. Lepsius remarque que, pendant toute la durée de l’ancien empire, la civilisation fut essentiellement pacifique ; il ajoute que les Grecs ne soupçonnèrent même jamais l’existence de cette période de gloire et de puissance antérieure à la domination des Hyksos. (Lepsius, Briefe aus Ægypten, etc.) Le nouvel empire, dont l’établissement fut déterminé par l’expulsion des Hyksos, commença 1700 ans avant notre ère, et Amosis en fut le premier roi. (Lepsius, p. 272.)
  179. Bunsen, t. II p. 307 ; Lepsius, p. 336 et passim ; Movers, das Phœniz. Alterth., t. II, 1re partie, p. 301.
  180. Movers, t. II, 1re partie, p. 281. Cet historien attribue la stèle en question à Memnon, et la fait contemporaine de la guerre de Troie.
  181. M. de Bunsen porte un jugement bien vrai et bien concluant sur les prétendues expansions de la puissance égyptienne du côté de l’Asie. Voici en quels termes il s’exprime : « Il nous paraît hasardé de déclarer asiatiques les noms des peuples indiqués sur ces monuments (le tombeau de Neropt à Beni-Hassan) comme septentrionaux, toutes les fois que des contrées connues, telles que le Chanana et le Naharaïm (Chanaan et la Mésopotamie) ne sont pas indiquées, et de prétendre chercher parmi ces noms de nouvelles listes de nations, dans l’Iran et le Touran. Est-ce donc le sud que la Libye septentrionale, la Cyrénaique, la Syrtique, la Numidie, la Gétulie, en un mot, toute la côte nord de l’Afrique ? Est-ce même un pays de nègres (nahao) ? Ou bien les Égyptiens n’avaient-ils à penser qu’aux pays septentrionaux de l’Asie, à la Palestine, à la Syrie, où ils ne pouvaient exécuter que des courses ? En revanche, ils se seraient tenus isolés de tout contact avec les pays du nord de l’Afrique ! » (Ægypten’s Stelle in der Welt-Geschichte, t. II, p. 311.)
  182. Deux causes me paraissent surtout induire les égyptologues à céder à leur enthousiaste admiration pour le peuple illustre dont ils étudient l’histoire et dont un penchant bien naturel les porte à exagérer les mérites. L’une, c’est l’expression peuples septentrionaux, inscrite dans les hiéroglyphes commémoratifs des expéditions guerrières et qui reporte aisément la pensée vers le nord-est ; l’autre, c’est la rencontre de certaines appellations ethniques ou géographiques que l’on trouve moyen de rapprocher des noms de plusieurs peuples asiatiques connus. Il est tout simple, sans doute, que lorsque les monuments parlent du Kanana, du Lemanon et d’Ascalon, on reconnaisse des contrées du littoral de Syrie. (Wilkinson, t. I, p. 386.) Mais lorsque, dans les Kheta, on veut reconnaître les Gètes, c’est absolument comme si dans les Gallas d’Abyssinie on prétendait retrouver des Gallas celtiques, et d’autant plus que les Gètes ou Σκύθαι des Grecs étaient des peuples barbares, tandis que les Kheta sont représentés, sur les monuments égyptiens, comme une nation très civilisée. Les peintures de Médinet-Abou nous les montrent vêtus de longues robes de couleurs brillantes tombant jusqu’à la cheville, avec la barbe épaisse et les yeux droits. Ce ne sont donc pas, dans tous les cas, des hommes de race jaune. Ils combattent en fort belle ordonnance, les soldats armés d’épées au premier rang, les piquiers au second. Le Memnonium de Thèbes représente aussi leurs forteresses entourées d’un double fossé. (Wilkinson, t. I, 384.) Aussi, bien que le nom de Kheta ou Sheta ait un certain rapport de son avec celui de Gètes, il n’y a pas là de quoi justifier une identification de nations qui certainement étaient fort dissemblables. Même chose des Tokhari. Les peintures égyptiennes leur attribuent un profil régulier, un nez légèrement aquilin, une coiffure un peu semblable à la mitre persane. On les voit cheminer dans des espèces de charrettes avec leurs femmes et leurs enfants. C’en est assez pour que M. Wilkinson les confonde avec les Tokhari connus des Grecs, les Tokkhara du Mahabharata, habitants de la Sogdiane et de la Bactriane, sur le Iaxarte supérieur et le Zariaspe. M. Lassen partage cette opinion (Indisch. Alterth., t. I, p. 852). M. le lieutenant-colonel Rawlinson me paraît mieux inspiré lorsque, trouvant sur un cylindre assyrien la mention d’une expédition de Sennachérib contre les Tokhari qui habitent la vallée de Salbura, il se refuse à conduire les troupes de son héros chaldéen jusque vers l’Oxus, et se borne à chercher ces fameux Tokhari dans le sud de l’Asie Mineure (Report of the R. A. S., p. XXXVIII). Je crois que la véritable histoire ne saurait que gagner à se tenir fort en garde contre des extensions indéfinies de prétendues conquêtes qui ne se justifient que d’après des preuves aussi fragiles que des ressemblances de noms et quelques vagues ressemblances physiologiques.
  183. Les premières conquêtes en Éthiopie remontent, suivant M. Lepsius, à l’ancien empire, et eurent pour auteur Sesortesen III, roi de la 12e dynastie, qui fonda les remparts de Semleh et devint, plus tard, divinité topique. (Briefe aus Ægypten, p. 259.) — M. Bunsen envoie Sesortesen II non seulement dans la presqu’île du Sinaï, mais sur toute la côte septentrionale de l’Afrique jusque vis-à-vis l’Espagne ; il le ramène ensuite en Asie et en Europe jusqu’à la Thrace. C’est beaucoup. (Bunsen, ouvrage cité, t. II, p. 306 et passim.)
  184. Bunsen, t. II, p, 214 et passim.
  185. Movers, das Phœn. Alterth., t. II, 1re partie, p. 298.
  186. La Phénicie en tenait seule quelque compte ; les petites nations hébraïques ou chananéennes montraient une prédilection presque absolue pour les idées assyriennes. Je l’ai expliqué plus haut du reste : ces petits États-frontières étaient soumis à beaucoup de ménagements, en même temps qu’à beaucoup de séductions, et il n’y a rien d’extraordinaire à ce que, dans le voisinage immédiat de l’Égypte, il se trouve quelques traces de l’influence de ce pays. En tout cas, on aurait tort de trop facilement en accepter l’idée. Plus d’une coutume supposée égyptienne est tout aussi facile à revendiquer pour d’autres origines. La forme des chars est identique à Memphis et à Khorsabad (Wilkinson, t. I, p. 346 ; Botta, Monuments de Ninive) ; la construction des places de guerre se ressemblait extrêmement (loc. cit.), etc., etc.
  187. Bunsen, t. II, p. 320.
  188. Au VIIIe siècle avant J.-C., les Égyptiens n’avaient pas même de marine, bien qu’à cette époque ils eussent englobé le Delta dans leur empire. Les peuples chananéens, sémites ou grecs étaient les seuls navigateurs qui auraient pu animer le commerce de leur pays ; ils attachaient une importance si secondaire à cet avantage, que, pour se défendre des insultes des pirates, ils n’avaient pas hésité à fermer l’entrée du Nil par des barrages qui la rendaient impraticable à tous les navires. (Movers, das Phœnizich Alterth., t. II, 1re partie, p. 370.) — En somme, les guerres des Égyptiens du côté de l’Asie ont toujours eu un caractère plutôt défensif qu’agressif, et l’influence même que les Pharaons s’efforçaient de gagner dans les cités phéniciennes avait plutôt pour but de neutraliser l’action des gouvernements assyriens que de poursuivre des résultats positifs. (Movers, ibid., p. 298,299,415 et passim.)
  189. J’entends parler ici des Hyksos qui renversèrent l’ancien empire.
  190. Blau, Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellsch, t. III, p. 448.
  191. Le mot ku-teta signifie en cafre parler, et en suahili, se battre, parce que l’expression violente et criarde des Africains ressemble à une querelle. (Krapf, Von der afrikanischen Ostküste, dans la Zeitschrift der deutsch. morgenl. Gesellschaft, t. III, p. 317.)