Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre troisième/Chapitre II


CHAPITRE II.

Développements du brahmanisme.

Dans le tableau du régime inventé par les purohitas, et qui devint le brahmanisme, je n’ai encore indiqué que le système en lui-même, sans l’avoir montré aux prises avec les difficultés d’application, et j’ai choisi pour le dépeindre, non pas le moment où il commença à se former, se développant petit à petit, se complétant par des actes additionnels, mais l’époque de son apogée. Si j’ai voulu le représenter ainsi, dans sa plus haute taille, et des pieds à la tête, c’est afin qu’après avoir décrit l’enfance, je n’eusse pas à expliquer la maturité. Maintenant, pour voir le système à l’œuvre, rentrons dans le domaine de l’histoire.

La puissance des purohitas s’était établie sur deux fortes colonnes : la piété intelligente de la race ariane, d’une part ; de l’autre, le dévouement, moins noble mais plus fanatique, des métis et des aborigènes soumis. Cette puissance reposait sur les vayçias, toujours enclins à chercher un appui contre la prépondérance des guerriers, et sur les çoudras, pénétrés d’un sentiment nègre de terreur et d’admiration superstitieuse pour des hommes honorés de communications journalières avec la Divinité. Sans ce double appui, les purohitas n’auraient pu raisonnablement songer à attaquer l’esprit d’indépendance si cher à leur race, ou, l’ayant osé, n’auraient pas réussi. Se sachant soutenus, ils furent audacieux. Tout aussitôt, comme ils devaient s’y attendre, une vive résistance éclata dans une fraction nombreuse des Arians. Ce fut certainement à la suite des combats et des grands désastres amenés par cette nouveauté religieuse que les nations zoroastriennes, faisant scission avec la famille hindoue, sortirent du Pendjab et des contrées avoisinantes, et s’éloignèrent vers l’ouest, rompant à jamais avec des frères dont l’organisation politique ne leur convenait plus. Si l’on s’enquiert des causes de cette scission, si l’on demande pourquoi ce qui agréait aux uns écartait les autres, la réponse sans doute est difficile. Cependant je doute peu que les Zoroastriens, étant restés plus au nord et à l’arrière-garde des Arians hindous, n’aient conservé, avec une plus grande pureté ethnique, de bonnes raisons de se refuser à l’établissement d’une hiérarchie de naissance, factice à leur point de vue, et, donc, sans utilité, sans popularité chez eux. S’ils n’avaient pas dans leurs rangs des çoudras noirs, ni de vayçias câpres, ni de kschattryas mulâtres ; s’ils étaient tous blancs, tous forts, tous égaux, aucun motif raisonnable n’existait pour qu’ils acceptassent, à la tête du corps social, des brahmanes moralement souverains. Il est, dans tous les cas, certain que le nouveau système leur inspira une aversion qui ne se dissimulait point. On trouve les traces de cette haine dans la réforme dont un très ancien Zoroastre, Zerduscht ou Zeretoschtro, fut le promoteur ; car les dissidents ne conservèrent pas plus que les Hindous l’ancien culte arian. Ils prétendaient peut-être le ramener à une formule plus exacte. Tout porte, en effet, dans le magisme un caractère protestant, et c’est là que se voit la colère contre le brahmanisme (1)[1]. Dans le langage sacré des nations zoroastriennes, le Dieu des Hindous, le Deva, devint le Diw, le mauvais esprit (2)[2], et le mot maaniou reçut la signification de céleste quand sa racine, pour les nations brahmaniques, conservait celle de fureur et de haine (3)[3]. Ce serait ici le cas d’appliquer le 101e vers du premier livre de Lucrèce.

La séparation eut donc lieu, et les deux peuples, poursuivant leur vie à part, n’eurent plus de rapports que l’arc à la main. Néanmoins, tout en se rendant, sans mesure, aversion pour aversion, insulte pour insulte, ils se souvinrent toujours de leur origine commune et ne renièrent pas leur parenté.

Je noterai ici, en passant, que ce fut, selon toute vraisemblance, à peu de temps de cette séparation, que commença à se former le dialecte prâcrit et que la langue ariane proprement dite, si jamais elle exista sous une forme plus concrète qu’un faisceau de dialectes, acheva de disparaître. Le sanscrit domina longtemps encore à l’état d’idiome parlé et préexcellent, ce qui n’empêcha pas les dérivations de se multiplier et de tendre à refouler, à la longue, la langue sainte dans le mutisme éloquent des livres.

Heureux les brahmanes, si le départ des nations zoroastriennes avait pu les délivrer de toute opposition ! Mais ils n’avaient encore lutté qu’avec un seul ennemi, et beaucoup d’opposants devaient s’efforcer de briser leur œuvre. Ils n’avaient expérimenté qu’une seule forme de protestation : d’autres plus redoutables allaient se révéler.

Les Arians n’avaient pas cessé de graviter vers le sud et vers l’est, et ce mouvement, qui a duré jusqu’au XVIIIe siècle de notre ère, et qui, peut-être même, se poursuit encore obscurément tant le brahmanisme est vivace, était suivi et, en partie, causé par la pression septentrionale d’autres populations qui arrivaient de l’ancienne patrie. Le Mahabharata raconte la grande histoire de cette tardive migration (1)[4]. Ces nouveaux venus, sous la conduite des fils de Pandou, paraissent avoir suivi la route de leurs prédécesseurs et être venus dans l’Inde par la Sogdiane, où ils fondèrent une ville qui, du nom de leur patriarche, s’appelait Panda (2)[5], Quant à la race à laquelle appartenaient ces envahisseurs, le doute n’est pas permis. Le mot qui les désigne veut dire un homme blanc (3)[6]. Les brahmanes reconnaissent, sans difficulté, ces ennemis pour des rejetons de la famille humaine, source de la nation hindoue. Ils avouent même la parenté de ces intrus avec la race royale orthodoxe des Kouravas. Leurs femmes étaient grandes et blondes, et jouissaient de cette liberté qui, chez les Teutons, bizarrerie à demi condamnée des Romains, n’était que la continuation des primitives coutumes de la famille blanche (4)[7].

Ces Pandavas mangeaient toutes sortes de viandes, c’est-à-dire, se nourrissaient de bœufs et de vaches, suprême abomination pour les Arians hindous. Sur ce point, les réformés zoroastriens conservaient l’ancienne doctrine, et c’est une nouvelle et forte preuve rétrospective qu’un mode particulier de civilisation et une déviation commune dans les idées religieuses, avaient réuni longtemps les deux rameaux en dehors des idées primordiales de la race. Les Pandavas, irrespectueux pour les animaux sacrés, ne connaissaient pas davantage la hiérarchie des castes. Leurs prêtres n’étaient pas des brahmanes, pas même les purohitas de l’ancien temps. À ces différents titres, ils paraissaient, aux yeux des Hindous, frappés d’impureté et leur contact compromettait gravement la civilisation brahmanique.

Comme on les reçut fort mal (ils ne s’attendaient pas, sans doute, à un autre accueil), une guerre s’engagea, qui eut pour théâtre tout le nord, le sud, l’est de la péninsule jusqu’à Videha et Viçala, et pour acteurs toutes les populations, tant arianes qu’aborigènes (1)[8]. La querelle fut d’autant plus longue que les envahisseurs avaient des alliés naturels dans beaucoup de nations arianes de l’Himalaya, hostiles au régime brahmanique. Ils en trouvaient dans plusieurs peuples métis, plus intéressés encore à le repousser, et, s’il était possible, à l’abattre : conquérants et pillards, les pillards de toute couleur devenaient leurs amis (2)[9].

L’intérêt incline évidemment du côté des Kouravas, qui défendaient la civilisation. Pourtant, après bien du temps et des peines, après avoir longtemps repoussé leurs antagonistes, les Kouravas finirent par succomber. Le Pendjab et de vastes contrées aux alentours restèrent acquis aux envahisseurs plus blancs, et, par conséquent, plus énergiques que les nations brahmaniques, et la civilisation hindoue, forcée de céder, s’enfonça davantage dans le sud-est. Mais elle était tenace en raison de l’immobilité de ses races. Elle n’eut qu’à attendre, et sa revanche sur les descendants des Pandavas fut éclatante. Ceux-ci, vivant libres de toute restriction sacrée, se mêlèrent rapidement aux indigènes. Leur mérite ethnique se dégrada. Les brahmanes reprirent le dessus. Ils enlacèrent les fils dégénérés de Pandou dans leur sphère d’action, leur imposèrent idées et dogmes, et, les forçant de s’organiser sur les modèles donnés par eux, couronnèrent la victoire en leur fournissant une caste sacerdotale qui ne fut pas triée parmi ce qu’il y avait de mieux. Aussi remarque-t-on, dans le Kachemyr, que les hommes de la classe suprême sont plus bruns aujourd’hui que le reste de la population. C’est que leurs ancêtres viennent du sud (1)[10].

Les rapports entre les castes ne furent pas, dans le nord, pareils à ce qu’ils étaient dans le sud. Les brahmanes ne s’y montrèrent pas intellectuellement supérieurs au reste des nationaux, ceux-ci n’obéirent jamais aisément à leur sacerdoce (2)[11], et le mépris profond des vrais Hindous, des qualifications injurieuses, et, mieux que tout, une infériorité morale très marquée punirent à jamais les descendants des Pandavas de la perturbation qu’ils avaient apportée un moment dans l’œuvre brahmanique. On peut donc observer ici ce phénomène, que ce fut moins de la pureté de la race que de l’homogénéité des éléments ethniques que résulta la victoire des brahmanes sur les descendants des Pandavas. Chez les premiers, tous les instincts étaient classes et agissaient, sans se nuire, dans des sphères spéciales ; chez les seconds, le mélange illimité du sang les brouillait à l’infini. Nous avons déjà vu l’analogue de cette situation dans la dernière période de l’histoire tyrienne.

À dater de ce moment, de nombreuses nations arianes se trouvèrent encore à peu près retranchées de la nationalité hindoue, et réduites à un degré inférieur de dignité et d’estime. Il faut placer, dans cette catégorie, les tribus blanches, vivant entre la Sarasvati et l’Hindou-koh, et plusieurs des riverains de l’Indus, c’est-à-dire celles-là mêmes qui, aux yeux de l’antiquité grecque ou romaine, représentaient les populations de l’Inde (1)[12]. Au-dessous de ces peuplades dédaignées, il y en avait un très grand nombre d’impures, puis venaient les aborigènes (2)[13].

Ainsi, pour les brahmanes, terribles logiciens, l’humanité politique se divisait en trois grandes fractions : la nation hindoue proprement dite, avec ses trois castes sacrées et sa caste supplémentaire, que l’on pourrait appeler de tolérance, sacrifice que la conviction faisait à la nécessité; puis les nations arianes, nommées vratyas, trop ouvertement mêlées au sang indigène, qui avaient adopté tard la règle sacrée, et ne la suivaient pas rigoureusement, ou bien, qui, pires encore, s’étaient obstinées à la repousser. Dans ce cas, l’appellation de vratya, voleur, pillard, ne suffisait pas à l’aversion indignée du véritable Hindou, et de pareilles gens étaient qualifiés de dasyou, terme qui emporte un sens à peu près semblable avec le superlatif. Cette injure agréait d’autant mieux à la rancune acrimonieuse de ceux qui l’employaient, qu’elle se rapproche étymologiquement du zend dandyou, dakyou, dakhou (1)[14], dont usaient les Zoroastriens du sud pour désigner les provinces de leurs États. Rien de plus semblable (charité à part) au rebut du genre humain qu’un hérétique, et réciproquement.

Enfin, en troisième lieu et même au-dessous de ces dasyous si détestés, venaient les nations aborigènes. Nulle part on n’imaginera de plus complets sauvages, et, par malheur, c’est que leur nombre était exorbitant. Pour juger de leur valeur morale, il faut voir aujourd’hui ce que sont leurs descendants les plus purs, soit dans le Dekkhan, soit dans les monts Vyndhias et dans les forêts centrales de la péninsule, où ils vont errant par bandes. Regardons-les vivant, après tant de siècles, comme faisaient leurs aïeux au temps où Rama vint combattre les insulaires de Ceylan, alors leurs congénères. Je ne prétends pas les énumérer tous, ce n’est pas mon affaire ; j’indiquerai seulement quelques noms.

Les Kad-Erili-Garou, parlent le tamoul. Ils vont entièrement nus, dorment sous des grottes et des buissons, vivent de racines, de fruits et d’animaux qu’ils attrapent.

Ne sont-ce pas là les fils d’Anak, les Chorréens de l’Écriture (2)[15] ?

Les Katodis campent sous les arbres, mangent les reptiles crus, et, quand ils l’osent, se couchent sur les fumiers des villages hindous.

Les Kauhirs ne savent même pas se défendre contre les attaques des bêtes féroces. Ils fuient ou sont dévorés, et se laissent faire (1)[16].

Les Kandas, très adonnés aux sacrifices humains, égorgent les enfants hindous qu’ils volent, ou même en achètent des plus misérables parias, leurs semblables à beaucoup d’égards. En voilà assez (2)[17].

Les brahmanes donnaient à tous les peuples de cette triste catégorie le nom général de Mlekkhas (3)[18], sauvages, ou de Barbaras. Ce dernier nom est incrusté dans toutes les langues de l’espèce blanche. Il témoigne assez de la supériorité que cette famille s’adjuge sur le reste de l’espèce humaine (4)[19].

À considérer le nombre immense des aborigènes, les politiques de l’Inde comprenaient cependant que les renier ne les paralysait pas, et qu’il fallait, mettant de côté toute répugnance, les rallier par un appât quelconque à la civilisation ariane. Mais le moyen ? Que restait-il à leur offrir qui pût les tenter ? Tous les bonheurs de ce monde étaient distribués. Les brahmanes imaginèrent pourtant de les leur proposer, même les plus hauts, même ceux que les premiers Arians se faisaient fort de conquérir par la vigueur de leurs bras, j’entends le caractère divin, avec cette seule réserve, que tant de magnifiques perspectives ne devaient s’ouvrir qu’après la mort, que dis-je ? après une longue série d’existences. Le dogme de la métempsycose une fois admis, rien de plus plausible, et comme le Mlekkha voyait, sous ses yeux, toutes les classes de la société hindoue agir en vertu de cette croyance, il avait déjà, dans la bonne foi de ses convertisseurs, une forte raison de se laisser convaincre.

Le brahmane véritablement pénitent, mortifié, vertueux, se flattait hautement de prendre place, après sa mort, dans une catégorie d’êtres supérieurs à l’humanité. Le kschattrya renaissait brahmane avec la même espérance au deuxième degré, le vayçia reparaissait kschattrya, le çoudra, vayçia (1)[20]. Pourquoi l’indigène ne serait-il pas devenu çoudra, et ainsi de suite ? D’ailleurs, il arriva que ce dernier rang lui fut conféré même de son vivant. Quand une nation se soumettait en masse, et qu’il fallait l’incorporer à un État hindou, on était contraint, malgré le dogme, de l’organiser, et le moins qu’on pût faire pour elle, c’était encore de l’admettre immédiatement dans la dernière des castes régulières (2)[21].

Des ressources politiques comme ce système de promesses réalisables moyennant résurrection ne peuvent s’improviser. Elles n’ont de valeur que lorsque la bonne foi de ceux qui les emploient est intacte. Dans ce cas, elles deviennent irrésistibles, et l’exemple de l’Inde le prouve.

Il y eut ainsi, vis-à-vis des Aborigènes, deux sortes de conquêtes. L’une, la moins fructueuse, fut opérée par les kschattryas. Ces guerriers, formant une armée régulière quadruple, disent les poèmes, c’est-à-dire composée d’infanterie, de cavalerie, de chars armés et d’éléphants, et généralement appuyée d’un corps auxiliaire d’indigènes, se mettaient en campagne et allaient attaquer l’ennemi. Après la victoire, la loi civile et religieuse interdisait aux militaires de procéder à l’incorporation des populations impures. Les kschattyras se contentaient d’enlever le pouvoir au chef promoteur de la querelle, et lui substituaient un de ses parents ; après quoi ils se retiraient en emportant le butin et des promesses précaires de soumission et d’alliance (1)[22]. Les brahmanes procédaient tout autrement, et leur manière constitue seule la véritable prise de possession du pays et les conquêtes sérieuses (2)[23].

Ils s’avançaient par petits groupes au delà du territoire sacré de l’Aryavarta ou Brahmavarta. Une fois dans ces forêts épaisses, dans ces marécages incultes où la nature des tropiques fait croître en abondance les arbres, les fruits, les fleurs, place les oiseaux aux riches plumages et aux chants variés, les gazelles par troupeaux, mais aussi les tigres et les reptiles les plus redoutables, ils construisaient des ermitages isolés où les aborigènes les voyaient s’appliquant incessamment à la prière, à la méditation, à l’enseignement. Le sauvage pouvait les tuer sans peine. À demi nus, assis à la porte de leurs cabanes de branchages, seuls le plus souvent, tout au plus assistés de quelques disciples aussi désarmés qu’eux-mêmes, le massacre ne présentait ni les difficultés ni les enivrements de la lutte. Cependant des milliers de victimes tombèrent (1)[24]. Mais, pour un ermite égorgé dix accouraient, se disputant le sanctuaire désormais sanctifié, et les vénérables colonies, étendant de plus en plus leurs ramifications, conquéraient irrésistiblement le sol. Leurs fondateurs ne s’emparaient pas moins de l’imagination de leurs farouches meurtriers. Ceux-ci, frappés de surprise ou d’une superstitieuse épouvante, voulaient enfin savoir ce qu’étaient ces mystérieux personnages si indifférents à la souffrance et à la mort, et quelle tâche étrange ils accomplissaient. Et voilà alors ce que les anachorètes leur apprenaient. « Nous sommes les plus augustes des hommes, et nul ici-bas ne nous est comparable. Ce n’est pas sans l’avoir mérité que nous possédons cette dignité suprême. Dans nos existences antérieures, on nous vit aussi misérables que vous-mêmes. À force de vertus et de degrés en degrés, nous voici au point où les rois même rampent à nos pieds. Toujours poussés d’une unique ambition, aspirant à des grandeurs sans limites, nous travaillons à devenir dieux. Nos pénitences, nos austérités, notre présence ici, n’ont pas d’autre but. Tuez-nous : nous aurons réussi. Écoutez-nous, croyez, humiliez-vous, servez, et vous deviendrez ce que nous sommes (2)[25]. »

Les sauvages écoutaient, croyaient et servaient. L’Aryavarta gagnait une province. Les anachorètes devenaient la souche d’un rameau brahmanique local. Une colonie de kschattryas accourait pour gouverner et garder le nouveau territoire. Bien souvent, presque toujours, une tolérance nécessaire souffrit que les rois du pays prissent rang dans la caste militaire. Des vayçias se formèrent également, et, je le crois, sans un trop grand respect pour la pureté du sang. D’un district de l’Inde à l’autre, le reproche de manquer de pureté n’a jamais cessé de courir et d’atteindre même les brahmanes (1)[26]. Il est incontestable que ce reproche est fondé, et l’on en peut donner des preuves éclatantes. Ainsi, dans les temps épiques, Lomâpâda, le roi indigène des Angas convertis, épouse Çanta, fille du roi arian d’Ayodhya (2)[27]. Ainsi encore, au XVIIIe siècle, lors des colonisations hindoues opérées chez les peuples jaunes, à l’est de la Kali, dans le Népaul et le Boutan, on a vu les brahmanes se mêler aux filles du pays et installer leur progéniture métisse comme caste militaire (3)[28].

Procédant de cette manière, au nom de leur principe ; rendant ce principe indispensable à l’organisation sociale, cependant le faisant plier, malheureusement pour l’avenir, très judicieusement pour le présent, devant les difficultés trop grandes, les ascètes brahmaniques formaient une corporation d’autant plus nombreuse que la vie de ses membres était généralement sobre et toujours éloignée des travaux de la guerre. Leur système s’implantait profondément dans la société qui leur devait la vie. Tout se présentait bien : seulement, si grands que fussent les obstacles déjà surmontés, il en allait surgir de plus redoutables encore.

Les kschattryas s’apercevaient que si, dans cette organisation sociale, le rôle le plus brillant leur était assigné, la puissance que leur laissait le sacerdoce avait plus de fleurs que de fruits. À peu près réduits à la situation de satellites effacés, il leur devenait difficile d’avoir une idée, une volonté, un plan différent de celui qu’avaient arrêté, sans eux, les brahmanes, et, tout rois qu’on les disait, ils se sentaient tellement enlacés par les prêtres, que leur prestige, vis-à-vis des peuples, devenait secondaire. Ce n’était pas non plus, pour leur avenir, un symptôme peu menaçant que de voir les brahmanes se poser, dans l’État, en médiateurs éternels entre les souverains et leurs bourgeois, leurs peuples, peut-être même leurs guerriers, tandis qu’au moyen d’une énergique patience, d’un indomptable détachement des joies humaines, ces mêmes brahmanes se faisaient les pères, les augmentateurs de l’Aryavarta, par les conversions en masse que leurs courageux missionnaires opéraient dans les nations aborigènes. Un tel tableau devait cesser, tôt ou tard, d’être considéré d’un œil placide par les princes, et les brahmanes paraissent ne pas avoir assez ménagé, même d’après les données de leur propre système, les méfiances et l’ambition des hommes qu’ils avaient le plus à craindre.

Ce n’est pas qu’ils n’aient usé de quelques ménagements. De même qu’ils avaient fait plier la rigueur de leur système jusqu’au point d’admettre des chefs aborigènes à la dignité de kschattryas, ils avaient fait preuve d’une tolérance plus difficile encore à l’égard des Arians de cette caste, en permettant à plusieurs, que signalaient la sainteté, la science et des pénitences extraordinaires, de s’élever au rang de brahmane. L’épisode de Visvamitra, dans le Ramayana, n’a pas d’autre signification (1)[29]. On citerait encore la consécration d’un autre guerrier de la race des Kouravas. Mais de telles concessions ne pouvaient être que rares, et il faut avouer qu’en échange ils se réservaient la faculté d’épouser des filles de kschattryas et de devenir rois à leur tour. Gendres des souverains, ils admettaient encore que les rejetons de leurs alliances suivaient une loi de décroissance, et se trouvaient exclus de la caste sacerdotale. Mais, du chef de leur mère, les prérogatives de la tribu militaire leur revenaient pleinement, et la dignité royale du même coup. Il y a, sur ce sujet, une anecdote que j’intercalerai ici, bien qu’elle interrompe, ou peut-être parce qu’elle interrompt des considérations un peu longues et assez arides.

Il existait, dans des temps très anciens, à Tchampa, un brahmane. Ce brahmane eut une fille, et il demanda aux astrologues quel avenir était réservé à l’objet de son inquiète tendresse. Ceux-ci, ayant consulté les astres, reconnurent, à l’unanimité, que la petite brahmani serait un jour mère de deux enfants, dont l’un deviendrait un saint illustre et l’autre un grand souverain. Le père fut transporté de joie à cette nouvelle, et aussitôt que la jeune fille se trouva nubile, remarquant avec orgueil comme elle était douée d’une beauté parfaite, il voulut concourir à l’accomplissement du destin, peut-être le hâter, et il s’en alla offrir son enfant à Bandusara, roi de Pataliputhra, monarque renommé pour ses richesses et sa puissance.

Le don fut accepté, et la nouvelle épouse conduite dans le gynécée royal. Ses grâces y firent trop de sensation. Les autres épouses du kschattrya la jugèrent tellement dangereuse, qu’elles appréhendèrent d’être remplacées dans le cœur du roi, et se mirent à chercher une ruse qui, tout aussi bien qu’une violence impossible, les pût débarrasser de leurs craintes, en écartant leur rivale. La belle brahmani était, comme je l’ai dit, fort jeune, et, probablement, sans beaucoup de malice. Les conjurées surent lui persuader que, pour plaire à son mari, il lui fallait apprendre à le raser, à le parfumer et à lui couper les cheveux. Elle avait tout le désir imaginable d’être une épouse soumise : elle obéit donc promptement à ces perfides conseils, de sorte que la première fois que Bandusara la fit appeler, elle se présenta devant lui une aiguière d’une main et portant, dans l’autre, tout l’appareil de la profession qu’elle venait d’apprendre.

Le monarque, qui, sans doute, se perdait un peu dans le nombre de ses femmes et avait en tête des préoccupations de toute nature, oublia les tendres mouvements dont il était agité un moment auparavant, tendit le cou et se laissa parer. Il fut ravi de l’adresse et de la grâce de sa servante, et tellement que le lendemain il la demanda encore. Nouvelle cérémonie, nouvel enchantement, et, cette fois, voulant, en prince généreux, reconnaître le plaisir qu’il recevait, il demanda à la jeune fille comment il pourrait la récompenser.

La belle brahmani indiqua naïvement un moyen sans lequel les promesses des astrologues ne pouvaient, en effet, s’accomplir. Mais le roi se récria bien fort. Il remontra cependant avec bonté, à la belle postulante, que, puisqu’elle était de la caste des barbiers, sa prétention était insoutenable, et qu’il ne commettrait certainement pas une action aussi énorme que celle dont elle le sollicitait. Aussitôt, explication ; l’épouse méconnue revendique, avec le juste sentiment de la dignité blessée, sa qualité de brahmani, raconte pourquoi et dans quelle louable intention elle remplit les fonctions serviles qui scandalisent le roi tout en lui agréant. La vérité se fait jour, la beauté triomphe, l’intrigue s’évanouit, et l’astrologie s’honore d’un succès de plus, à la grande satisfaction du vieux brahmane (1)[30].

Ainsi, dans l’organisation antique de l’Inde, l’union de deux castes était, pour le moins, tolérée, et, en mille circonstances, les brahmanes devaient se trouver en concurrence directe avec les kschattryas pour l’exercice matériel de la souveraine puissance (2)[31]. Comment faire ? Appliquer le principe de séparation dans sa rigueur entière, n’était-ce pas blesser tout le monde ? Il y fallait des ménagements. D’autre part, si l’on en gardait trop, le système même était en péril. On essaya de recourir, pour éviter le double écueil, à la logique et à la subtilité si admirables de la politique brahmanique.

Il fut établi que, dans la règle, le fils d’un kschattrya et d’une brahmani ne pourrait être ni roi ni prêtre. Participant, tout à la fois, des deux natures, il serait le barde et l’écuyer des rois. En tant que brahmane dégénéré, il pourrait être savant dans l’histoire, connaître les poésies profanes, en composer lui-même, les réciter à son maître et aux kschattryas rassemblés. Pourtant il n’aurait pas le caractère sacerdotal, il ne connaîtrait pas les hymnes liturgiques, et l’étude directe des sciences sacrées serait interdite à son intelligence. Comme kschattrya incomplet, il aurait le droit de porter les armes, de monter à cheval, de diriger un char, de combattre, mais en sous-ordre, et sans espoir de commander jamais lui-même à des guerriers. Une grande vertu lui fut réservée : ce fut l’abnégation. Accomplir des exploits pour son prince et s’oublier en chantant les traits de valeur des plus braves, tel fut son lot ; on l’appelait le soûta. Aucune figure héroïque des épopées hindoues n’a plus de douceur, de grâce, de tendresse et de mélancolie. C’est le dévouement d’une femme dans le cœur indomptable d’un héros (1)[32].

Une fois le principe admis, les applications en devenaient constantes, et, en dehors des quatre castes légales, le nombre des associations parasites allait devenir incommensurable (2)[33]. Il le devint tellement, les combinaisons se croisant formèrent un réseau si inextricable, que l’on peut considérer aujourd’hui, dans l’Inde, les castes primitives comme presque étouffées sous les ramifications prodigieuses auxquelles elles ont donné naissance, et sous les greffes perpétuelles que ces ramifications supplémentaires ont causées à leur tour. D’une brahmani et d’un kschattrya nous avons vu naître les bardes-écuyers ; d’une brahmani et d’un vayçia sortirent les ambastas, qui prirent le monopole de la médecine, et ainsi de suite. Quant aux noms imposés à ces subdivisions, les uns indiquent les fonctions spéciales qu’on leur attribuait, les autres sont simplement des dénominations de peuples indigènes étendues à des catégories qui, sans doute, avaient mérité de les prendre, en se mêlant à leurs véritables propriétaires (1)[34].

Cet ordre apparent, tout ingénieux qu’il fût, devenait, en définitive, du désordre, et bien que les compromis dont il résultait eussent été inséparables des débuts du système, il n’était pas douteux que, si l’on voulait empêcher le système lui-même de périr sous l’exubérance de ces concessions néfastes, il ne fallait pas louvoyer plus longtemps, et qu’un remède vigoureux devait, quoi qu’il pût arriver, cautériser au plus vite la plaie ouverte aux flancs de l’état social. Ce fut d’après ce principe que le brahmanisme inventa la catégorie des tchandalas, qui vint compléter d’une manière terrible la hiérarchie des castes impures.

Les dénominations insultantes et les rigueurs n’avaient pas été ménagées aux Arians réfractaires ni aux aborigènes insoumis. Mais on peut dire que l’expulsion, et même la mort, furent peu de chose auprès de la condition immonde à laquelle les quatre castes légales eurent à savoir que seraient désormais condamnés les malheureux issus de leurs mélanges par des hymens défendus. L’approche de ces tristes êtres fut à elle seule une honte, une souillure dont le kschattrya pouvait, à son gré, se laver en immolant ceux qui s’en rendaient coupables. On leur refusait l’entrée des villes et des villages. Qui les apercevait pouvait lancer les chiens sur eux. Une fontaine où on les avait vus boire était condamnée. S’établissaient-ils en un lieu quelconque, on avait le droit de détruire leur asile. Enfin, il ne s’est jamais trouvé sur la terre de monstres détestés contre lesquels une théorie sociale, une abstraction politique, se soit plu à imaginer de si épouvantables effets d’anathème. Ce n’étaient pas les malheureux tchandalas que l’on considérait au moment où l’on fulminait des menaces si atroces : c’étaient leurs futurs parents qu’il s’agissait d’effrayer. Aussi faut-il le reconnaître, si la caste éprouvée a senti, en quelques occasions, s’appesantir sur elle le bras sanguinaire de la loi, ces occasions ont été rares. La théorie lutta ici vainement contre la douceur des mœurs hindoues. Les tchandalas furent méprisés, détestés ; pourtant ils vécurent. Ils possédèrent des villages qu’on aurait eu le droit d’incendier, et qu’on n’incendia point. On ne prit même pas tant de soin de fuir leur contact, qu’on ne tolérât leur présence dans les villes. On les laissa s’emparer de plusieurs branches d’industrie, et nous avons vu tout à l’heure la brahmani de Tchampa prise pour une tchandala par le roi son mari, parce qu’elle remplissait un office concédé à cette tribu, et cependant favorablement accueillie chez un monarque même. Dans l’Inde moderne, des fonctions réputées impures, comme celles de boucher par exemple, rapportent de gros bénéfices aux tchandalas qui s’en mêlent. Plusieurs se sont enrichis par le commerce des blés. D’autres jouent un rôle important dans les fonctions d’interprètes. En montant au plus haut de l’échelle sociale, on trouve des tchandalas riches, heureux et, indépendamment de l’idée de caste, considérés et respectés. Telle dynastie hindoue est bien connue pour appartenir à la caste impure, ce qui ne l’empêche pas d’avoir pour conseillers des brahmanes qui se prosternent devant elle. Il est vrai qu’un pareil état de choses n’a pu être amené que par les bouleversements survenus depuis les invasions étrangères. Quant à la tolérance pratique et à la douceur des mœurs opposées à la fureur théorique de la loi, elle est de tous les temps (1)[35].

J’ajouterai seulement que, de tous les temps aussi, les tchandalas, s’ils eurent quelque chose d’arian dans leur origine, comme on ne peut en douter, n’ont rien eu de plus pressé que de le perdre. Ils ont usé de la vaste latitude de déshonneur où on les abandonnait, pour s’allier et se croiser, sans fin, avec les indigènes. Aussi sont-ils, en général, les plus noirs des Hindous, et quant à leur dégradation morale, à leur lâche perversité, elle n’a pas de limites (2)[36].

L’invention de cette terrible caste eut certainement de grands résultats, et je ne doute pas qu’elle n’ait été assez puissante pour maintenir dans la société hindoue la classification qui en formait la base, et mettre un grand obstacle à la naissance de nouvelles castes, au moins au sein des provinces déjà réunies à l’Aryavarta. Quant à celles qui le furent ensuite, les sources des catégories ne doivent pas non plus être recherchées trop strictement.

Là comme ailleurs, alors comme auparavant, les brahmanes firent ce qu’ils purent. Il leur suffit d’avoir une apparence pour commencer, et de n’établir leurs règles qu’une fois l’organisation assise. Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit pour le Boutan et le Népaul. Ce qui arriva dans ces contrées se produisit dans bien d’autres. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, quel que fût le degré dans lequel la pureté du sang arian se compromit en tel ou tel lieu, cette pureté restait toujours plus grande dans les veines des brahmanes d’abord, des kschattryas ensuite, que dans celles des autres castes locales, et de là cette supériorité incontestable qui, même aujourd’hui, après tant de bouleversements, n’a pas encore fait défaut à la tête de la société brahmanique. Puis, si la valeur ethnique de l’ensemble perdait de son élévation, le désordre des éléments n’y était que passager. L’amalgame des races se faisait plus promptement au sein de chaque caste en se trouvant limité à un petit nombre de principes, et la civilisation haussait ou baissait, mais ne se transformait pas, car la confusion des instincts faisait assez promptement place dans chaque catégorie à une unité véritable, bien que de mérite souvent très pâle. En d’autres termes, autant de castes, autant de races métisses, mais closes et facilement équilibrées.

La catégorie des tchandalas répondait à une nécessité implacable de l’institution, qui devait surtout paraître odieuse aux familles militaires. Tant de lois, tant de restrictions arrêtaient les kschattryas dans l’exercice de leurs droits guerriers et royaux, les humiliaient dans leur indépendance personnelle, les gênaient dans l’effervescence de leurs passions, en leur défendant l’abord des filles et des femmes de leurs sujets. Après de longues hésitations, ils voulurent secouer le joug, et, portant la main à leurs armes, déclarèrent la guerre aux prêtres, aux ermites, aux ascètes, aux philosophes dont l’œuvre avait épuisé leur patience. C’est ainsi qu’après avoir triomphé des hérétiques zoroastriens et autres, après avoir vaincu la féroce inintelligence des indigènes, après avoir surmonté des difficultés de toute nature pour creuser au courant de chaque caste un lit contenu entre les digues de la loi et le contraindre à n’empiéter pas sur le lit des voisins, les brahmanes voyaient venir maintenant la guerre civile, et la guerre de l’espèce la plus dangereuse, puisqu’elle avait lieu entre l’homme armé et celui qui ne l’était pas (1)[37].

L’histoire du Malabar nous a conservé la date, sinon de la lutte en elle-même, du moins d’un de ses épisodes qui fut certainement parmi les principaux. Les annales de ce pays racontent qu’une grande querelle s’émut entre les kschattryas et les sages dans le nord de l’Inde, que tous les guerriers furent exterminés, et que les vainqueurs, conduits par Paraçou Rama, célèbre brahmane qu’il ne faut pas confondre avec le héros du Ramayana, vinrent, après leurs triomphes, s’établir sur la côte méridionale, et y constituèrent un État républicain. La date de cet événement, qui fournit le commencement de l’ère malabare, est l’an 1176 av. J.-C. (1)[38].

Dans ce récit, il entre un peu de forfanterie. Généralement l’usage des plus forts n’est pas d’abandonner le champ de bataille, et surtout quand le vaincu est anéanti. Il est donc vraisemblable que, tout au rebours de ce que prétend leur chronique, les brahmanes furent battus et forcés de s’expatrier, et qu’en haine de la caste royale dont ils avaient dû subir l’insulte, ils adoptèrent la forme gouvernementale qui ne reconnaît pas l’unité du souverain.

Cette défaite ne fut, d’ailleurs, qu’un épisode de la guerre, et il y eut plus d’une rencontre où les brahmanes n’obtinrent pas l’avantage. Tout indique aussi que leurs adversaires, Arians presque autant qu’eux, ne se montrèrent pas dénués d’habileté, et qu’ils ne mirent pas dans la puissance de leurs épées une confiance tellement absolue, qu’ils n’aient cru nécessaire d’aiguiser encore des armes moins matérielles. Les kschattryas se placèrent très adroitement au sein même des ressources de l’ennemi, dans la citadelle théologique, soit afin d’émousser l’influence des brahmanes sur les vayçias, les çoudras et les indigènes, soit pour calmer leur propre conscience et éviter à leur entreprise un caractère d’impiété qui l’aurait rendue promptement odieuse à l’esprit profondément religieux de la nation.

On a vu que, pendant le séjour dans la Sogdiane et plus tard, l’ensemble des tribus zoroastriennes et hindoues professait un culte assez simple. S’il était plus chargé d’erreurs que celui des époques tout à fait primordiales de la race blanche, il était moins compliqué cependant que les notions religieuses des purohitas qui commencèrent le travail du brahmanisme. À mesure que la société hindoue gagnait de l’âge et qu’en conséquence le sang noir des aborigènes de l’ouest et du sud et le type jaune de l’est et du nord s’infiltraient davantage dans son sein, les besoins religieux auxquels il fallait répondre variaient et devenaient exigeants. Pour satisfaire l’élément noir, Ninive et l’Égypte nous ont appris déjà les concessions indispensables. C’était le commencement de la mort des nations arianes. Celles-ci avaient continué à être purement abstraites et morales, et bien que l’anthropomorphisme fût peut-être au fond des idées, il ne s’était pas encore manifesté. On disait que les dieux étaient beaux, beaux à la manière des héros arians. On n’avait pas songé à les portraire.

Quand les deux éléments noir et jaune eurent la parole, il fallut changer de système, il fallut que les dieux eux-mêmes sortissent du monde idéal dans lequel les Arians avaient trouvé du plaisir à laisser planer leurs sublimes essences. Quelles que pussent être les différences capitales existant, d’ailleurs, entre le type noir et le type jaune, sans avoir besoin de tenir compte, non plus, de ce fait que ce fut le premier qui parla d’abord et fut toujours écouté, tout ce qui était aborigène se réunit, non seulement pour vouloir voir et toucher les dieux qu’on lui vantait tant, mais aussi pour qu’ils lui apparussent plutôt terribles, farouches, bizarres et différents de l’homme, que beaux, doux, bénins, et ne se plaçant au-dessus de la créature humaine que par la perfection plus grande des formes de celle-ci. Cette doctrine eût été trop métaphysique au sens de la tourbe. Il est bien permis de croire aussi que l’inexpérience primitive des artistes la rendait plus difficile à réaliser. On voulut donc des idoles très laides et d’un aspect épouvantable. Voilà le côté de dépravation.

On a dit quelquefois, pour trouver une explication à ces bizarreries repoussantes des images païennes de l’Inde, de l’Assyrie et de l’Égypte, à ces obscénités hideuses où les imaginations des peuples orientaux se sont toujours complu, que la faute en revenait à une métaphysique abstruse, qui ne regardait pas tant à présenter aux yeux des monstruosités qu’à leur proposer des symboles propres à donner pâture aux considérations transcendantales. L’explication me paraît plus spécieuse que solide. Je trouve même qu’elle prête, bien gratuitement, un goût pervers aux esprits élevés qui, pour vouloir pénétrer les plus subtils mystères, ne sont cependant pas, ipso facto, dans la nécessité absolue de rudoyer et d’avilir leurs sensations physiques. N’est-il pas moyen de recourir à des symboles qui ne soient pas répugnants ? Les puissances de la nature, les forces variées de la Divinité, ses attributs nombreux ne sauraient-ils être exprimés que par des comparaisons révoltantes ? Lorsque l’hellénisme a voulu produire la statue mystique de la triple Hécate, lui a-t-il donné trois têtes, six bras, six jambes, a-t-il contourné ses visages dans d’abominables contractions ? L’a-t-il assise sur un Cerbère immonde ? Lui a-t-il disposé sur la poitrine un collier de têtes et dans les mains des instruments de supplice souillés des marques d’un emploi récent ? Quand, à son tour, la foi chrétienne a représenté la Divinité triple et une, s’est-elle jetée dans les horreurs ? Pour montrer un saint Pierre, ouvrant à la fois le monde d’en haut et celui d’en bas, a-t-elle pris son recours à la caricature ? Nullement. L’hellénisme et la pensée catholique ont su parfaitement se dispenser d’en appeler à la laideur dans des sujets qui cependant n’étaient pas moins métaphysiques que les dogmes hindous, assyriens, égyptiens, les plus compliqués. Ainsi, ce n’est pas à la nature de l’idée abstraite en elle-même qu’il faut s’en prendre quand les images sont odieuses : c’est à la disposition des yeux, des esprits, des imaginations auxquelles doivent s’adresser les représentations figurées. Or, l’homme noir et l’homme jaune ne pouvaient bien comprendre que le laid : c’est pour eux que le laid fut inventé et resta toujours rigoureusement nécessaire.

En même temps que chez les Hindous il fallait produire ainsi les personnifications théologiques, il était de même nécessaire de les multiplier, afin, en les dédoublant, de leur faire présenter un sens plus clair et plus facile à saisir. Les dieux peu nombreux des âges primordiaux, Indra et ses compagnons, ne suffirent plus à rendre les séries d’idées qu’une civilisation de plus en plus vaste enfantait à profusion. Pour en citer un exemple, la notion de la richesse étant devenue plus familière à des masses qui avaient appris à en apprécier les causes et les effets, on mit ce puissant mobile social sous la garde d’un maître céleste, et on inventa Kouvéra, déesse faite de manière à satisfaire pleinement le goût des noirs (1)[39].

Dans cette multiplication des dieux il n’y avait cependant pas que de la grossièreté. À mesure que l’esprit brahmanique lui-même se raffinait, il faisait effort et cherchait à ressaisir l’antique vérité échappée jadis à la race ariane, et, en même temps qu’il créait des dieux inférieurs pour satisfaire les aborigènes ralliés, ou encore qu’il tolérait d’abord et acceptait ensuite des cultes autochtones, il montait de son côté. Il cherchait par en haut, et, imaginant des puissances, des entités célestes supérieures à Indra, à Agni, il découvrait Brahma, lui donnait le caractère le plus sublime que jamais philosophie humaine ait pu combiner, et, dans le monde de création sur-éthérée où son instinct des belles choses concevait un si grand être, il ne laissait pénétrer que peu d’idées qui en fussent indignes.

Brahma resta longtemps pour la foule un dieu inconnu. On ne le figura que très tard. Négligé des castes inférieures, qui ne le comprenaient ni ne s’en souciaient, il était par excellence le dieu particulier des ascètes, celui dont ils se réclamaient, qui faisait l’objet de leurs plus hautes études, et qu’ils n’avaient nulle pensée de détrôner jamais. Après avoir passé par toute la série des existences supérieures, après avoir été dieux eux-mêmes, tout ce qu’ils espéraient, c’était d’aller se confondre dans son sein et se reposer, un temps, des fatigues de la vie, lourde à porter pour eux, même dans les délices de l’existence céleste.

Si le dieu supérieur des brahmanes planait trop au-dessus de la compréhension étroite des classes inférieures et peut-être des vayçias eux-mêmes, il était cependant accessible au sens élevé des kschattryas, qui, restés participants de la science védique, avaient, sans doute, une piété moins active que leurs contemplatifs adversaires, mais possédaient assez de science avec assez de netteté d’esprit, pour ne pas heurter de front une notion dont ils appréciaient très bien la valeur. Ils prirent un biais, et, les théologiens militaires aidant, ou quelque brahmane déserteur, ils transformèrent la nature subalterne d’un dieu kschattrya jusque-là peu remarqué, Vischnou (1)[40], et, lui dressant un trône métaphysique, l’élevèrent aussi haut que le maître céleste de leurs ennemis. Placé alors en face et sur le même plan que Brahma, l’autel guerrier valut celui du rival et les guerriers n’eurent pas à s’humilier sous une supériorité de doctrine.

Un tel coup, bien médité sans doute, et longtemps réfléchi, car il accuse par les développements qui lui furent nécessaires la longueur et l’acharnement d’une lutte obstinée, menaçait le pouvoir des brahmanes, et, avec lui, la société hindoue, d’une ruine complète. D’un côté, aurait été Vischnou avec ses kschattryas libres et armés ; de l’autre, Brahma, égalé par un dieu nouveau, avec ses prêtres pacifiques, et les classes impuissantes des vayçias et des çoudras. Les aborigènes auraient été mis en demeure de choisir entre deux systèmes, dont le premier leur eût offert, avec une religion tout aussi complète que l’ancienne, une délivrance absolue de la tyrannie des castes et la perspective, pour le dernier des hommes, de parvenir à tout, pendant le cours même de la vie actuelle, sans avoir à attendre une seconde naissance. L’autre régime n’avait rien de nouveau à dire ; situation toujours défavorable quand il s’agit de plaider devant les masses ; et, de même qu’il ne pouvait pas accuser ses rivaux d’impiété, puisqu’ils reconnaissaient le même panthéon que lui, sauf un dieu supérieur différent, il ne pouvait non plus se poser, comme il l’avait fait jusqu’alors, en défenseur des droits des faibles, en libéral, comme on dirait aujourd’hui ; car le libéralisme était évidemment du côté de ceux qui promettaient tout aux plus humbles, et voulaient même leur accorder le rang suprême à l’occasion. Or, si les brahmanes perdaient la fidélité de leur monde noir, quels soldats auraient-ils à opposer au tranchant des épées royales, eux qui ne pouvaient payer de leur personne ?

Comment la difficulté fut traitée, c’est ce qu’il est impossible de saisir. Ce sont choses si vieilles, qu’on les devine plutôt qu’on ne les aperçoit au milieu des décombres mutilés de l’histoire. Il est toutefois évident que, dans les deux sommes de fautes que deux partis politiques belligérants ne manquent jamais de commettre, le chiffre le plus petit revient aux brahmanes. Ils eurent aussi le mérite de ne pas s’obstiner sur des détails, et de sauver le fond en sacrifiant beaucoup du reste. À la suite de longues discussions, prêtres et guerriers se raccommodèrent, et, s’il faut en juger sur l’événement, voici quels furent les termes du traité.

Brahma partagea le rang suprême avec Vischnou. De longues années après, d’autres révolutions dont je n’ai pas à parler, car elles n’ont pas un caractère directement ethnique, leur adjoignirent Siva (1)[41], et, plus tard encore, une certaine doctrine philosophique, ayant fondu ces trois individualités divines en une trinité pourvue du caractère de la création, de la conservation et de la destruction, ramena, par ce détour, la théologie brahmanique à la primitive conception d’un dieu unique enveloppant l’univers (2)[42].

Les brahmanes renoncèrent à occuper jamais le rang suprême, et les kschattryas le conservèrent comme un droit imprescriptible de leur naissance.

Moyennant quoi, le régime des castes fut maintenu dans sa rigueur entière, et toute infraction conduisit résolument le fruit du crime à l’impureté des basses castes.

La société hindoue, scellée sur les bases choisies par les brahmanes, venait encore de passer heureusement une des crises les plus périlleuses, qu’elle pût subir. Elle avait acquis bien des forces, elle était homogène et n’avait qu’à poursuivre sa route : c’est ce qu’elle fit avec autant de suite que de succès. Elle colonisa, vers le sud, la plus grande partie des territoires fertiles, elle refoula les récalcitrants dans les déserts et les marais, sur les cimes glacées de l’Himalaya, au fond des monts Vyndhias. Elle occupa le Dekkhan, elle s’empara de Ceylan, et y porta sa culture avec ses colonies. Tout porte à croire qu’elle s’avança, dès lors, jusqu’aux îles lointaines de Java et de Bali (1)[43] ; elle s’instilla aux bords inférieurs du Gange, et osa pénétrer le long du cours malsain du Brahmapoutra, au milieu des populations jaunes que, dès longtemps, elle avait connues sur quelques points du nord, de l’est, et dans les îles du sud (2)[44].

Pendant que s’accomplissaient de tels travaux, d’autant plus difficiles que les régions étaient plus vastes, les distances plus longues, les difficultés naturelles bien autrement accumulées qu’en Égypte, un immense commerce maritime allait de toutes parts, en Chine, entre autres, et cela, d’après un calcul très vraisemblable, 1,400 ans avant J.-C., porter les magnifiques produits du sol, des mines et des manufactures, et rapporter ce que le Céleste Empire et les autres lieux civilisés du monde possédaient de plus excellent. Les marchands hindous fréquentaient de même Babylone (1)[45]. Sur la côte de l’Yémen, leur séjour était, pour ainsi dire, permanent. Aussi les brillants États de leur péninsule regorgeaient de trésors, de magnificences et de plaisirs, résultats d’une civilisation développée sous des règles strictes à la vérité, mais que le caractère national rendait douces et paternelles. C’est, du moins, le sentiment qu’on éprouve à la lecture des grandes épopées historiques et des légendes religieuses fournies par le bouddhisme.

La civilisation ne se bornait pas à ces brillants effets externes. Fille de la science théologique, elle avait puisé à cette source le génie des plus grandes choses, et on peut dire d’elle ce que les alchimistes du moyen âge pensaient du grand œuvre, dont le moindre mérite était de faire de l’or. Avec tous ses prodiges, avec tous ses travaux, avec ses revers si noblement supportés, ses victoires si sagement mises à profit, la civilisation hindoue considérait comme la moindre partie d’elle-même ce qu’elle accomplissait de positif et de visible, et, à ses yeux, ses seuls triomphes dignes d’estime commençaient au delà du tombeau.

Là était le grand point de l’institution brahmanique. En établissant les catégories dans lesquelles elle divisait l’humanité, elle se faisait fort de se servir de chacune pour perfectionner l’homme, et l’envoyer, à travers le redoutable passage dont l’agonie est la porte, soit à une destinée supérieure, s’il avait bien vécu, soit, dans le cas contraire, à un état dont l’infériorité donnait du temps au repentir. Et quelle n’est pas la puissance de cette conception sur l’esprit du croyant, puisque aujourd’hui même l’Hindou des castes les plus viles, soutenu, presque enorgueilli par l’espérance de renaître à un rang meilleur, méprise le maître européen qui le paye, ou le musulman qui le frappe, avec autant d’amertume et de sincérité que peut le faire un kschattrya ?

La mort et le jugement d’outre-tombe sont donc les grands points de la vie d’un Hindou, et on peut dire, à l’indifférence avec laquelle il porte communément l’existence présente, qu’il n’existe que pour mourir. Il y a là des similitudes évidentes avec cet esprit sépulcral de l’Égypte, tout porté vers la vie future, la devinant et, en quelque façon, l’arrangeant à l’avance. Le parallèle est facile, ou mieux, les deux ordres d’idées se coupent à angle droit et partent d’un sommet commun. Ce dédain de l’existence, cette foi solide et délibérée dans les promesses religieuses, donnent à l’histoire d’une nation une logique, une fermeté, une indépendance, une sublimité que rien n’égale. Quand l’homme vit à la fois, par la pensée, dans les deux mondes, et, en embrassant de l’œil et de l’esprit ce que les horizons du tombeau ont de plus sombre pour l’incrédule, les illumine d’éclatantes espérances, il est peu retenu par les craintes ordinaires aux sociétés rationalistes, et, dans la poursuite des affaires d’ici-bas, il ne compte plus parmi les obstacles la crainte d’un trépas qui n’est qu’un passage d’habitude. Le plus illustre moment des civilisations humaines est celui où la vie n’est pas encore cotée si haut qu’on ne place, avant le besoin de la conserver, bien d’autres soucis plus utiles aux individus. D’où dépend cette disposition heureuse ? Nous la verrons toujours et partout corrélative à la plus ou moins grande abondance de sang arian dans les veines d’un peuple.

La théologie et les recherches métaphysiques furent donc le pivot de la société hindoue. De là sortirent, sans s’en détacher jamais, les sciences politiques, les sciences sociales. Le brahmanisme ne fit pas deux parts spéciales de la conscience du citoyen et de celle du croyant. La théorie chinoise et européenne de la séparation de l’Église et de l’État ne fut jamais admissible pour lui. Sans religion, point de société brahmanique. Pas un seul acte de la vie privée ne s’en isolait. Elle était tout, pénétrait partout, vivifiait tout et d’une manière bien puissante, puisqu’elle relevait le tchandala lui-même, tout en l’abaissant, et donnait même à ce misérable un motif d’orgueil et des inférieurs à mépriser.

Sous l’égide de la science et de la foi, la poésie des soutas avait aussi trouvé d’illustres imitateurs dans les ermitages sacrés. Les anachorètes, descendus des hauteurs inouïes de leurs méditations, protégeaient les poètes profanes, les excitaient et savaient même les devancer. Valmiki, l’auteur du Ramayana, fut un ascète vénéré. Les deux rapsodes auxquels il confia le soin d’apprendre et de répéter ses vers, étaient des kschattryas, Cuso et Lavo, fils de Rama lui-même. Les cours des rois du pays accueillaient avec feu les jouissances intellectuelles, une partie des brahmanes se consacra bientôt au seul emploi de leur en procurer (1)[46]. Les poèmes, les élégies, les récits de toute nature, vinrent se placer auprès des élucubrations volumineuses des sciences austères (2)[47]. Sur une scène illustrée par les génies les plus magnifiques, le drame et la comédie représentèrent, avec éclat, les mœurs des temps présents et les actions les plus grandioses des époques passées. Certes, le grand nom de Kalidasa mérite de briller à l’égal des plus illustres mémoires dont s’enorgueillissent les fastes littéraires (1)[48]. À côté de cet homme illustre, plusieurs encore créaient ces chefs-d’œuvre recueillis en partie par le savant Wilson, dans son Théâtre indien, et, bref, l’amour des plaisirs intellectuels, d’une part, et celui des profits qu’il rapportait, de l’autre, avaient fini par créer, dans ce monde antique, le métier d’homme de lettres, comme nous le voyons pratiquer sous nos yeux depuis trente ans environ, non pas tout à fait dans la même forme quant aux productions, mais sans la moindre différence quant à l’esprit (2)[49]. Je n’en veux pour démonstration qu’une courte anecdote que je citerai, afin d’ouvrir aussi une échappée de vue sur le côté familier de cette grande civilisation.

Un brahmane faisait le métier que je dis, et, soit qu’il y gagnât peu, ou peut-être qu’il dépensât trop, il se trouvait à court d’argent. Sa femme lui conseilla d’aller se mettre sur le passage du rajah et, aussitôt qu’il le verrait sortir de son palais, de s’avancer hardiment et de lui réciter quelque chose qui lui pût être agréable.

Le poète trouva l’idée ingénieuse, et, suivant le conseil de la brahmani, il rencontra le roi au moment où celui-ci allait faire sa promenade, assis sur le dos de son éléphant. L’auteur vénal ne se piquait pas d’un grand respect. « Qui des deux louerai-je ? se dit-il. Cet éléphant est cher et agréable au peuple ; laissons là le roi, je vais chanter l’éléphant[50]. »

Voilà le laisser-aller de ce qu’on nomme aujourd’hui la vie d’artiste ou de journaliste, avec cette différence que le danger n’en était pas grand au milieu des barrières qui encadraient tous les chemins. Je ne répondrais pas cependant que ces façons d’indépendance, séduisant quelques esprits, n’aient contribué à amener la dernière grande insurrection et une des plus dangereuses, à coup sûr, que le brahmanisme ait eu à subir. Je veux parler de la naissance des doctrines bouddhiques et de l’application politique qu’elles essayèrent.



  1. (1) Il y a dans le Zend-Avesta des restes de croyances brahmaniques qui ne se retrouvent pas dans la croyance actuelle des Parsis. Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 342.
  2. (2) Le nom d’Indra est également donné par les Zoroastriens à un mauvais génie. — Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 516.
  3. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 525.
  4. (1) Lassen, ouvr. cité, t. 1, 626 et pass.
  5. (2) Ibid., p. 652.
  6. (3) Ibid., p. 664.
  7. (4) Ibid., p. 822.
  8. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 713.
  9. (2) Ibid., p. 689. — Les Pandavas paraissent avoir dû surtout leur victoire à des renforts venus des régions septentrionales, tels que les Kulindas, établis à l’est vers les sources du Gange. Le Mahabharata les considère comme une race pure, mais très en dehors de la culture hindoue.
  10. (1) Les populations du Kachemyr et du Pendjab ont eu des contacts de toute espèce avec les peuples jaunes, tout aussi bien qu’avec les tribus noires ou mulâtres. Dans les temps plus modernes, elles ont été envahies par les Grecs Bactriens et les Saces, puis par les Arabes, les Afghans, les Baloukis. F. Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 208 : Indisch. Alterth., t. I, p. 404. Il résulte d’un tel état de choses que le pays hindou qui vit le premier dominer les tribus arianes est aujourd’hui un de ceux où ces dernières ont subi le plus de mélanges. Dans les temps épiques, les Dârâdas du Pendjab étaient déjà comptés parmi les peuples réprouvés. — Lassen, loc. cit., p. 544.
  11. (2) C’est ainsi que la fameuse classification que faisaient les écrivains grecs des nations hindoues en trois classes : les pêcheurs, les agriculteurs et les montagnards, ne peut, de toute évidence, s’appliquer qu’à des groupes fort peu arianisés et habitant les confins occidentaux.
  12. (1) « Quant aux Pandits (Cachemyriens), tous bramines de caste, ils sont d’une ignorance grossière, et il n’y a pas un de nos serviteurs hindous qui ne se regarde comme de meilleure caste qu’eux. Ils mangent de tout, excepté du bœuf, et boivent de l’arak ; il n’y a dans l’Inde que les gens des castes infâmes qui le fassent. » (Correspondance de V. Jacquemont. — Lettre du 22 avril 1831.)
  13. (2) Les populations attaquées par Alexandre étaient à demi arianes, mais considérées comme vratyas par les vrais Hindous. Tels étaient les Mali (Malavas) et les sujets de Porus (Pourou). Les Malavas étaient comptés au nombre des Bahlikas, avec les Ksudrakas (Oxydraques). Leurs brahmanes étaient considérés comme peu réguliers, et le Manava-Dharma-Sastra les accuse de négliger l’enseignement religieux. — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 197 ; A. W. V. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 169 et pass. — Si les Grecs ne connaissaient les Hindous que par approximation, ceux-ci n’étaient pas moins ignorants à leur égard. Dans les temps les plus anciens, les hommes d’au delà du Sindh avaient appelé les populations de l’ouest, Chamites et Sémites, avec lesquelles ils avaient des relations commerciales, Javana, mot très difficile à expliquer, car s’il paraît désigner généralement des nations occidentales, il s’applique aussi à des tribus du nord, voire même du sud. Jawa signifie courir, faire invasion. (W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 65 et pass. ; Burnouf, Nouveau journal asiatique, t. X, p. 238.) Plus tard, Javana désigna particulièrement les Arabes. La Bible, s’emparant de cette expression, l’applique aux habitants sémites de Chypre et de Rhodes, et même aux Turdétains d’Espagne, et les nomme Javanim. (Movers, das Phœnizische Alterthum., t. II, 1re partie, p. 270.) Enfin on trouve, dans une inscription de Darius, Jouna devenu la dénomination des Grecs insulaires, et, comme l’usage de ce mot chez les Hellènes est postérieur à Homère, il est à croire que les colons de la côte l’ont reçu des Perses, et, après l’avoir adopté pour eux-mêmes, l’ont transmis aux populations continentales. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 730.) Ce n’est que très tard que les Hindous ont sciemment reconnu les Grecs dans les Javanas et l’époque n’en est pas antérieure au Ve siècle avant notre ère. Le Mahabharata, dans ses derniers livres, dénomme ainsi les Macédoniens-Bactriens, et les vante comme faisant partie d’un peuple brave et savant. (Lassen, ibid., p. 862, et Zeitschrift für d. K. des Morgenl., t. III, p. 215.)
  14. (1) Lassen, Zeitschrift für K. d. Morgenl., t. II, p. 49.
  15. (2) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, 364. – Une tribu qui rappelle encore mieux les fils d’Anak est celle qui habitait jadis au delà de la rive sud de la Yamouna, dans le désert de Dandaka, jusqu’à la Gadaouri. C’étaient des géants féroces, toujours enclins à attaquer les ermitages des ascètes brahmaniques. (Ouvr. cité, p. 524 et passim.)
  16. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 372.
  17. (2) Ibid., p. 377.
  18. (3) Mlekkha veut dire faible. (Benfey, Encycl. Ersch u. Gruber, Indien, p. 7.)
  19. (4) Barbara, varvara indique un homme qui a les cheveux crépus ; papoua a la même signification. (Benfey, loc. cit.) Comme le mot barbare est en usage dans toutes les langues de notre société, il en faut conclure que les premiers peuples non blancs connus des Arians furent des noirs, ce qui est d’accord avec ce qui a été remarqué de l’énorme diffusion de cette race vers le nord. (Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 855.) Plusieurs nations, non blanches, métisses ou noires portent aujourd’hui ce nom. Ainsi les Barbaras, sur la côte occidentale de l’Indus (Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 215) ; les Barabras, sur le cours supérieur du Nil ; les Berbers d’Afrique, etc. (Meïer, Hebräisches Wurzelwœrterbuch, 1845.)
  20. (1) Les fautes, les crimes produisaient le même effet en sens contraire : « As the son of a Sudra may thus attain the rank of a Brahman, and as the son of a Brahman may sink to a level with Sudras, even so must it be with him who springs from a Chsatriya ; even so with him, who was born of a Vaisya. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 65.)
  21. (2) Les temps les plus anciens offrent des exemples de cette politique tolérante. Ainsi les Angas, les Poundras, les Bangas, les Souhmas et les Kalingas, populations aborigènes du sud-est, s’étant converties, furent d’abord déclarées çoudras en masse. Puis le roi des Angas, Lomâpâda, ayant obtenu la main de la fille du souverain arian d’Ayodhya, ses descendants furent considérés comme fils de brahmanis et de kschattryas. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 559.)
  22. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535. — Il est douteux que la campagne de Rama contre les Raksasas, démons noirs du sud, ait déterminé l’établissement des Arians à Lanka ou Ceylan. Le vainqueur, après avoir détrôné Ravana, donna l’empire à un des frères de ce géant et s’en retourna vers le nord. — Ramayana.
  23. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 578.
  24. (1) D’après les légendes brahmaniques et les poèmes, les ascètes avaient affaire à des anthropophages.(Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535.)
  25. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 62 : « Desertion of life, without reward, for the sake of preserving a priest or a cow, a woman or a child, may cause the beatitude of those base-born tribes. »
  26. (1) « Of two telingas bramines, who came from the vicinity of Hyderabad, one was derived of intermixture with the white race. This man stated that his cast intermarried with the bramins of the Dekkan ; but not with those of Bengal or Guzerat. All the Mahrattas bramins I meet with appeared to be of unmixed white descent ; but one of them said that the telinga bramins were highly respected, while the Pendjaub, Guzerat, Cutche and Cashmere bramins were regarded as impure. » (Pickering, p. 181.)
  27. (2) De même aux termes du Ramayana, une des femmes du roi héroïque Dasaratha appartient à la nation kêkaya. Ce peuple, à la vérité, était arian ; mais habitant au delà de la Sarasvati, hors des limites du territoire sacré, il était considéré comme réfractaire ou vratya.
  28. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 443 et 449.
  29. (1) Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 891.
  30. (1) Bournouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 149.
  31. (2) La Manava-Dharma-Sastra (chap. III) stipule, évidemment, une loi de tolérance que le système rigoureux n’admettait pas (§ 12) : « For the first marriage of the twice born classes, a woman of the same class is recommended ; but for such as are impelled by inclination to marry again, women in the direct order of the classes are to be preferred. » — § 13 : « A Sudra-Woman only must be wife of a Sudra ; she and a Vaicya, of a Vaicya ; they two and a Kshatriya of a Kshatriya ; those two and a Brahmany of a Brahman. » — § 14 : « A woman of the servile class is not mentioned, even in the recital of any ancient story, as the first wife of a Brahman or of a Kshatriya, though in the greatest difficulty to find a suitable match. » — Aujourd’hui, toutes ces atténuations, en effet illogiques, ont été supprimées ; les alliances d’une caste à l’autre sont sévèrement interdites, et le Madana-Ratna-Pradipa dit expressément : « These marriage of twice born men with damsels not of the same class... these parts of ancient law were abrogated by wise legislators. » Malheureusement, la défense est venue quand le mal s’était déjà beaucoup développé. Elle n’est cependant pas inutile.
  32. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 480. — Le soutâ est le véritable prototype de l’écuyer de la chevalerie errante, du Gandolin ou Gwendolin d’Amadis.
  33. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 196.
  34. (1) La loi cherchait cependant à retenir, tout en cédant ; ainsi elle n’est à peu près clémente que pour les unions contractées entre les castes rapprochées l’une de l’autre, et voici ce qu’elle dit, par exemple, du produit d’un guerrier avec une femme de la classe servile : « From a Kshatrya with a wife of the Sudra class, springs a creature, called Ugra, with a nature partly warlike and partly servile, ferocious in his manners, cruel in his acts. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 9.) — Ce passage suffirait seul à prouver l’importance que les brahmanes apportaient à conserver le sang arian en vue des qualité morales qu’ils lui reconnaissaient.
  35. (1) Le comte E. de Warren, l’Inde anglaise en 1843. — Dans les époques antiques, on a vu déjà des hommes qui, sans être de la caste guerrière, pouvaient devenir souverains. Le plus ancien empire établi dans le sud fut celui du Pândja, dont Madhûra était la capitale. Il avait été fondé par un vayçia venu du nord, postérieurement à l’époque des guerres de Rama. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 536.)
  36. (2) C’est à ce dernier trait que les brahmanes prétendent reconnaître surtout les castes impures : « Him, who was born of a sinful mother, and consequently in a low class, but is not openly known, who, though worthless in truth, bears the semblance of a worthy man, let people discover by his acts. — Want of virtuous dignity, harshness of speech, cruelty, and habitual neglect of prescribed duties, betray in this world the son of a criminal mother. » (Manava-Dharma-Sastra, chap. X, §§ 57 et 58.)
  37. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 719-720.
  38. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 537.
  39. (1) Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 771. — Du reste, l’esprit brahmanique lutta longtemps avant d’en venir à l’anthropomorphisme, et c’est ainsi que M. de Schlegel paraît avoir eu toute raison de dire que les monuments hindous ne peuvent rivaliser d’antiquité avec ceux de l’Égypte. Il n’est pas autant dans le vrai, quand il ajoute : « Et ceux de la Nubie. » (A. W. v. Schlegel, Vorrede zur Darstellung der ægyptischen Mythologie von Prichard, übersetzt von Haymann. Bonn, 1837), p. XIII.)
  40. (1) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 781.
  41. (1) Au jugement de Lassen, cette divinité est originairement empruntée à quelque culte des aborigènes noirs. Dans le sud, on l’adore sous la forme du Linga, et un brahmane n’accepte jamais d’emploi dans les temples où elle se trouve. (Indische Alterth., t. I, p. 783 et passim.)
  42. (2) Ibid., t. I, p. 784.
  43. (1) W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache.
  44. (2) Les Arians n’ont jamais possédé dans l’Inde un territoire compact. Sur plusieurs points, des populations complètement aborigènes interrompent encore et isolent leurs établissements. Le Dekkhan est presque absolument privé de leurs colonisations. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 391.)
  45. (1) Le vayçia naviguait beaucoup. Une légende bouddhique cite un marchand qui avait fait sept voyages sur mer. (Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 196.) — Les Hindous pouvaient ainsi se mettre en communication avec les Chaldéens, qui avaient eux-mêmes une marine (Isaïe, XLIII, 14) et une colonie à Gerrha sur la côte occidentale du golfe Persique, où se faisait un grand commerce avec l’Inde. Les Phéniciens, avant et après leur départ de Tylos, y prenaient part. — L’Ophir des livres saints était sur la côte de Malabar (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 539), et, comme les noms hébraïques des marchandises qui en provenaient sont sanscrits et non dekkhaniens, il s’ensuit que les hautes castes du pays étaient arianes au temps où les vaisseaux de Salomon les visitaient. (Ibid.) Il faut aussi remarquer ici que les plus anciennes colonisations arianes, dans le sud de l’Inde, eurent lieu sur les côtes de la mer, ce qui indique clairement que leurs fondateurs étaient, en même temps, des navigateurs. (Ouvrage cité, p. 537). Il est très probable qu’arrivés de bonne heure aux embouchures de l’Indus, ils y établirent leurs premiers empires, tels que celui de Pôtâla. (Ibid., p. 543.)
  46. (1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 141.
  47. (2) La critique littéraire a existé de très bonne heure dans l’Inde. Vers le XIe siècle avant notre ère, les hymnes védiques de l’Atharvan furent réunies et mises en ordre. Au VIe siècle parurent les grammairiens, qui étudièrent et classèrent le langage de toutes les nations habitant le territoire sacré ou ses frontières. Ce travail philologique et les résultats qu’il consacre sont du plus précieux secours pour l’ethnologie. À cette même époque, le langage des Védas fut si parfaitement fixé, que l’on ne trouve, ni dans les manuscrits, ni dans les citations, la moindre variante. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 739 et 750 et passim.)
  48. (1) Les Hindous n’ont pas eu la même manière que nous d’envisager l’histoire, de sorte que, bien que nous ayant conservé les souvenirs les plus remarquables des faits, des caractères et des habitudes de leurs plus anciens ancêtres, ils ne nous fournissent pas d’ouvrage vraiment méthodique à ce sujet. M. Jules Mohl a très bien constaté et apprécié cette particularité remarquable : « On sait, dit cet admirable juge des choses asiatiques, que l’Inde n’a pas produit d’historien, ni même de chroniqueur. La littérature sanscrite ne manque pas pour cela de données historiques ; elle est plus riche, peut-être, que toute autre littérature en renseignements sur l’histoire morale de la nation, sur l’origine et le développement de ses idées et de ses institutions, enfin sur tout ce qui forme le cœur, comme le noyau de l’histoire de ce que les chroniqueurs de la plupart des peuples négligent pour se contenter de l’écorce. Mais, comme dit Albirouni : « Ils ont toujours négligé de rédiger les chroniques des règnes de leurs rois. » De sorte que nous ne savons jamais exactement quand leurs dynasties commencent et quand elles finissent, ni sur quels pays elles ont régné. Leurs généalogies sont en mauvais ordre et leur chronologie est nulle. » (Rapport annuel fait à la Société asiatique, 1849, p. 26-27.)
  49. (2) C’est probablement à l’école de ces littérateurs que se formaient les poètes du genre de celui qui a écrit le Hásyarnavah (l’Océan des plaisanteries). C’est une comédie très mordante dirigée contre les rois, les hommes de cour et les prêtres. Les uns sont traités de fainéants inutiles et les autres d’hypocrites. (W. v. Schlegel, Indische Bibliothek, t. III, p. 161.)
  50. Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 140.