Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre troisième/Chapitre I


CHAPITRE PREMIER.

Les Arians ; les brahmanes et leur système social.

Je suis parvenu à l’époque où Babylone fut prise d’assaut par les Mèdes. L’empire assyrien va changer tout à la fois de forme et de valeur. Les fils de Cham et de Sem cesseront à jamais d’être au premier rang des nations. Au lieu de diriger et de conduire les États, ils en formeront désormais le fond corrupteur. Un peuple arian paraît sur la scène, et, se laissant mieux apercevoir et juger que le rameau de même race enveloppé dans les alliages égyptiens, il nous invite à considérer de près, et avec l’attention qu’elle mérite, cette illustre famille humaine, la plus noble, sans contredit, de l’extraction blanche.

Ce serait s’exposer à mettre cette vérité dans un jour incomplet, que de présenter les Mèdes, sans avoir préalablement étudié et connu tout le groupe dont ils ne sont qu’une faible fraction. Je ne puis donc commencer par eux. Je m’attacherai d’abord aux branches les plus puissantes de leur parenté. À cet effet, je vais m’enfoncer dans les régions situées à l’orient de l’Indus, où se sont développés d’abord les plus considérables essaims des peuples arians.

Mais ces premiers pas, détournés de la partie de l’histoire que j’ai d’abord examinée, m’entraîneront au delà des régions hindoues ; car la civilisation brahmanique, à peu près étrangère à l’occident du monde, a puissamment vivifié la région orientale, et, rencontrant là des races que l’Assyrie et l’Égypte n’ont qu’entrevues, elle s’est trouvée en contact intime avec les hordes jaunes. L’étude de ces rapports et de leurs résultats est de première importance. Nous verrons, avec ce secours, si la supériorité de la race blanche pourra s’établir vis-à-vis des Mongols comme vis-à-vis des noirs, dans quelle mesure l’histoire la démontre, et par suite l’état respectif des deux races inférieures et de leurs dérivées.

Il est difficile de trouver des synchronismes entre les émigrations primordiales des Chamites et celles des Arians ; il ne l’est pas moins de se soustraire au besoin d’en chercher. La descente des Hindous dans le Pendjab est un fait si reculé au delà de toutes les limites de l’histoire positive, la philologie lui assigne une date si ancienne, que cet événement paraît toucher aux époques antérieures à l’an 4000 avant J.-C. Chamites et Arians auraient ainsi quitté, à peu près à la même heure et sous le coup des mêmes nécessités, les demeures primordiales de la famille blanche, pour descendre dans le sud, les uns vers l’ouest, les autres vers l’orient.

Les Arians, plus heureux que les Chamites, ont gardé, pendant une longue série de siècles, avec leur langue nationale, annexe sacrée de l’idiome blanc primitif, un type physique qui ne les exposa pas, tant il resta particulier, à être confondus parmi les populations noires. Pour expliquer ce double phénomène, il faut admettre que, devant leurs pas, les races aborigènes se retiraient, dispersées ou détruites par des incursions d’avant-garde, ou bien qu’elles étaient très clairsemées dans les vallées hautes du Kachemyr, premier pays hindou envahi par les conquérants. Du reste, il n’y a pas à douter que la population première de ces contrées n’appartînt au type noir (1)[1]. Les tribus mélaniennes que l’on rencontre encore aujourd’hui dans le Kamaoun en portent témoignage. Elles sont formées des descendants des fugitifs qui, n’ayant pas suivi leurs congénères lors du grand reflux vers les monts Vyndhia et le Dekkhan (1)[2], se sont jetés au milieu des gorges alpestres, asile sûr, puisqu’ils y conservent leur individualité depuis des séries d’années incalculables.

Avant de mettre le pied plus avant sur le sol de l’Inde, saisissons tout l’ensemble de la famille ariane primitive, à ce moment où son mouvement de marche vers le sud est déjà prononcé, mais où, toutefois, si elle a commencé à envahir la vallée de Kachemyr par ses têtes de colonnes, le gros de ses nations n’a pas encore dépassé la Sogdiane.

Déjà les Arians sont détachés des nations celtiques, acheminées vers le nord-ouest et contournant la mer Caspienne par le haut ; tandis que les Slaves, très peu différents de ce dernier et vaste amas de peuples, suivent vers l’Europe une route plus septentrionale encore.

Les Arians donc, longtemps avant d’arriver dans l’Inde, n’avaient plus rien de commun avec les nations qui allaient devenir européennes. Ils formaient une immense multitude tout à fait distincte du reste de l’espèce blanche, et qui a besoin d’être désignée, ainsi que je le fais, par un nom spécial. Par malheur, des savants de premier ordre n’ont pas apprécié cette nécessité. Absorbés par la philologie, ils ont donné un peu légèrement, à l’ensemble des langues de la race, le nom fort inexact d’indo-germanique, sans s’arrêter à cette considération, pourtant très sérieuse, que, de tous les peuples qui possèdent ces idiomes, un seul est allé dans l’Inde, tandis que les autres n’en ont jamais approché. Le besoin, d’ailleurs impérieux, des classifications a été de tout temps la source principale des erreurs scientifiques. Les langues de la race blanche ne sont pas plus hindoues que celtiques (2)[3], et je les vois beaucoup moins germaniques que grecques. Le plus tôt on renoncera à ces dénominations géographiques sera le mieux.

Le nom d’Arian possède cet avantage précieux d’avoir été choisi par les tribus mêmes auxquelles il s’applique, et de les suivre partout indépendamment des lieux qu’elles habitent ou ont pu habiter. Ce nom est le plus beau qu’une race puisse adopter : il signifie honorable (1)[4] ; ainsi, les nations arianes étaient des nations d’hommes honorables, d’hommes dignes d’estime et de respect, et probablement, par extension, d’hommes qui, lorsqu’on ne leur rendait pas ce qui leur était dû, savaient le prendre. Si cette interprétation n’est pas strictement dans le mot, on verra qu’elle se trouve dans les faits.

Les peuples blancs qui s’appliquèrent cette dénomination en comprenaient la portée hautaine et pompeuse. Ils s’y attachèrent avec force, et ne la laissèrent que tardivement disparaître sous les qualifications particulières que chacun d’eux se donna par la suite. Les Hindous appelèrent le pays sacré, l’Inde légale, Arya-varta, la terre des hommes honorables (2)[5]. Plus tard, quand ils furent divisés en castes, le nom d’Arya resta au gros de la nation, aux Vaycias, la dernière catégorie des vrais Hindous, deux fois nés, lecteurs des Védas.

Le nom primitif, réclamé par les Arians Iraniens, auxquels appartenaient les Mèdes, fut ’Aριοί. Une autre branche de cette famille, les Perses, avaient également commencé par s’appeler ’Aρταιοί, et quand ils y renoncèrent pour l’ensemble de la nation, ils conservèrent la racine de ce mot dans la plupart de leurs noms d’hommes, tels qu’Arta-xerxès, Ario-barzane, Arta-baze, et les prêtèrent ainsi faits aux Scythes-Mongols convertis à leur langage, et qui trouvèrent plus tard à en renouveler l’usage dans l’emploi qu’en faisaient de leur côté les Arians Sarmates (1)[6].

Dans leurs idées cosmogoniques, les Iraniens regardaient comme le pays le premier créé une région qu’ils appelaient Airyanem-Vaëgo, et ils la plaçaient bien loin dans le nord-est, vers les sources de l’Oxus et du Yaxartes (2)[7]. Ils se rappelaient que là l’été ne durait que deux mois de l’année, et que, pendant dix autres mois, l’hiver y sévissait avec une rigueur extrême. Ainsi, pour eux, le pays des hommes honorables était resté l’ancienne patrie ; tandis que les Hindous des temps postérieurs, attachés au nom et oubliant la chose, transportèrent la désignation et en firent don à leur patrie nouvelle.

Cette racine ar suivit partout les rameaux divers de la race et les préoccupa constamment. Les Grecs la montrent, bien conservée et en bon lieu, dans le mot ῎Aρης, qui personnifie l’être honorable par excellence, le dieu des batailles, le héros parfait ; dans cet autre mot, ἀρετή, qui indique d’abord la réunion des qualités nécessaires à un homme véritable, la bravoure, la fermeté, la sagesse, et qui, plus tard, voulut dire la vertu. On le trouve encore dans cette expression de d’ἀράομαι, qui se rapporte à l’action d’honorer les puissances surhumaines ; enfin, il ne serait pas trop hardi, peut-être, ni contraire à toute bonne étymologie de voir l’appellation générique de la famille ariane attachée à une de ses plus glorieuses descendances, en rapprochant les mots arya, ayrianem, de Ἀρχαιοί, et d’Ἀργεῖοι. Les Grecs, en se séparant à une époque antique du faisceau commun, n’auraient point abjuré son nom ni dans leurs habitudes de pensée, le fait est incontestable, ni même dans leur dénomination nationale.

On pourrait pousser beaucoup plus loin cette recherche, et l’on trouverait cette racine ar, ir ou er, conservée jusque dans le mot allemand moderne Ehre, qui semble prouver qu’un sentiment d’orgueil fondé sur le mérite moral a toujours occupé une grande place dans les pensées de la plus belle des races humaines[8].

D’après des témoignages aussi nombreux, on trouvera peut-être à propos de rendre un jour, au réseau de peuples dont il s’agit, le nom général et très mérité qu’il s’était appliqué à lui-même et de renoncer à ces appellations de Japhétides, de Caucasiens et d’Indo-Germains, dont on ne saurait trop signaler les inconvénients. En attendant cette restitution bien désirable pour la clarté des généalogies humaines, je me permettrai de la devancer, et je formerai une classe particulière de tous les peuples blancs qui, ayant inscrit cette qualification soit sur des monuments de pierre, soit dans leurs lois, soit dans leurs livres, ne permettent pas qu’on la leur enlève. Partant de ce principe, je crois pouvoir dénommer cette race spéciale d’après les parties qui la constituent au moment où, déjà séparée du reste de l’espèce, elle s’avance vers le sud.

On y compte les multitudes qui vont envahir l’Inde et celles qui, s’engageant sur la route où ont marché les Sémites, gagneront les rivages inférieurs de la mer Caspienne, et de là, passant dans l’Asie Mineure et dans la Grèce, en différentes émissions s’y nommeront les Hellènes. On y reconnaît encore ces colonnes nombreuses dont quelques-unes, descendant au sud-ouest, pénétreront jusqu’au golfe Persique, tandis que les autres, demeurant pendant des siècles aux environs de l’Imaüs, réservent les Sarmates au monde européen. Hindous, Grecs, Iraniens, Sarmates, ne forment ainsi qu’une seule race distincte des autres branches de l’espèce et supérieure à toutes (1)[9].

Pour la conformation physique, il n’y a pas de doute : c’était la plus belle dont on ait jamais entendu parler (2)[10]. La noblesse de ses traits, la vigueur et la majesté de sa stature élancée, sa force musculaire, nous sont attestées par des témoignages qui, pour être postérieurs à l’époque où elle était réunie, n’en ont pas moins un poids irrésistible (3)[11]. Ils établissent tous, sur les points différents où on les recueille, une grande identité de traits généraux, et ne laissent apercevoir les déviations locales que comme des conséquences d’alliages postérieurs (4)[12]. Dans l’Inde, les croisements eurent lieu avec des races noires ; dans l’Iran, avec des Chamites, des Sémites et des noirs ; en Grèce, avec des peuples blancs qu’il ne s’agit pas de déterminer ici et des Sémites. Mais le fond du type demeura partout le même, et il est peu contestable que la souche qui, même dégénérée de sa beauté primordiale, fournissait des types comme ceux des Kachemyriens actuels et comme la plupart des Brahmanes du nord, comme ceux dont la représentation a été figurée sous les premiers successeurs de Cyrus, dans les constructions de Nakschi-Roustam et de Persépolis ; enfin, que les hommes dont l’aspect physique a inspiré les sculpteurs de l’Apollon Pythien, du Jupiter d’Athènes, de la Vénus de Milo, formaient la plus belle espèce d’hommes dont la vue ait pu réjouir les astres et la terre.

La carnation des Arians était blanche et rosée : tels apparurent les plus anciens Grecs et les Perses ; tels se montrèrent aussi les Hindous primitifs. Parmi les couleurs des cheveux et de la barbe, le blond dominait, et l’on ne peut oublier la prédilection que lui portaient les Hellènes : ils ne se figuraient pas autrement leurs plus nobles divinités. Tous les critiques ont vu, dans ce caprice d’une époque où les cheveux blonds étaient devenus bien rares à Athènes et sur les quais de l’Eurotas, un ressouvenir des âges primitifs de la race hellénique. Aujourd’hui encore, cette nuance n’est pas absolument perdue dans l’Inde, et notamment au nord, c’est-à-dire dans la partie où la race ariane a le mieux conservé et renouvelé sa pureté. Dans le Kattiwar, on trouve fréquemment des cheveux rougeâtres et des yeux bleus.

L’idée de la beauté est restée pour les Hindous attachée à celle de la blancheur, et rien ne le prouve mieux que les descriptions d’enfants prédestinés, si fréquentes dans les légendes bouddhiques (1)[13]. Ces pieux récits montrent la divine créature, aux premiers jours de son berceau, avec le teint blanc, la peau de couleur d’or. Sa tête doit avoir la forme d’un parasol (c’est-à-dire, être ronde et éloignée de la configuration pyramidale chez les noirs). Ses bras sont longs, son front large, ses sourcils réunis, son nez proéminent.

Comme cette description, postérieure au VIIe siècle av. J.-C., s’applique à une race dont les meilleures branches étaient assez mélangées, on ne peut se montrer surpris d’y voir des exigences un peu anormales, telles que la couleur d’or souhaitée pour la peau du corps et les sourcils réunis. Quant au teint blanc, aux bras longs, au front large, à la tête ronde, au nez proéminent, ce sont autant de traits qui révèlent la présence de l’espèce blanche et qui, ayant continué à être caractéristiques des hautes castes, autorisent à penser que la race ariane, dans son ensemble, les possédait également.

Cette variété humaine, ainsi entourée d’une suprême beauté de corps, n’était pas moins supérieure d’esprit (1)[14]. Elle avait à dépenser une somme inépuisable de vivacité et d’énergie, et la nature du gouvernement qu’elle s’était donné coïncide parfaitement avec les besoins d’un naturel si actif.

Les Arians, divisés en tribus ou petits peuples concentrés dans de grands villages (2)[15], mettaient, à leur tête, des chefs dont le pouvoir très limité n’avait rien de commun avec l’omnipotence absolue exercée par les souverains chez les peuples noirs ou chez les nations jaunes (3)[16]. Le nom sanscrit le plus ancien pour rendre l’idée d’un roi, d’un directeur de la communauté politique, c’est viç pati ; le zend viç païtis l’a parfaitement conservé, et le lithuanien wiespati indique aujourd’hui encore un seigneur terrien (4)[17]. La signification en est tout entière dans le Ποιμὴν λαῶν si fréquent chez Homère et Hésiode, et, comme la monarchie grecque de l’époque héroïque, tout à fait conforme à celle des Iraniens avant Cyrus, ne montre, dans les souverains, qu’une autorité des plus limitées ; comme les épopées du Ramayana et du Mahabharata ne connaissent également que la royauté élective, conférée par les habitants des villes, les brahmanes et même les rois alliés, tout nous porte à conclure qu’un pouvoir émanant, d’une façon si complète, de la volonté générale, ne devait être qu’une délégation assez faible, peut-être même précaire, tout à fait dans le goût de l’organisation germanique antérieure à l’espèce de réforme qu’en fit chez nous Khlodowig (1)[18].

Ces rois des Arians, siégeant dans leurs villages, parmi des troupeaux de bœufs, de vaches et de chevaux, juges nécessaires des contestations violentes qui accidentent, à tout moment, la vie des nations pastorales, étaient entourés d’hommes plus belliqueux encore que bergers.

Lorsque j’ai parlé, lorsque je parle de la nation ariane, de la famille ariane, je n’entends pas dire que les différents peuples qui la formaient vécussent entre eux dans des sentiments d’affectueuse parenté (1)[19]. Le contraire est incontestable : leur état le plus ordinaire paraît avoir été l’hostilité flagrante et approuvée, et ces hommes honorables ne voyaient rien de si digne d’admiration qu’un guerrier monté sur un chariot, courant, aidé de son écuyer, épuiser ses flèches contre une tribu voisine (2)[20]. Cet écuyer, toujours présent dans les sculptures égyptiennes, assyriennes, perses, dans les poèmes grecs ou sanscrits, dans le Schah-nameh, dans les chants scandinaves et les épopées chevaleresques du moyen âge, fut aussi dans l’Inde une figure militaire d’une grande importance.

Les Arians guerroyaient donc entre eux (3)[21], et comme ils n’étaient pas nomades (4)[22], comme ils restaient le plus longtemps possible dans la patrie qu’ils avaient adoptée, et que leur vaillante audace en avait partout fini promptement avec la résistance des indigènes, leurs expéditions les plus fréquentes, leurs campagnes les plus longues, leurs désastres les plus complets, comme aussi leurs plus beaux triomphes, n’avaient qu’eux-mêmes pour acteurs. La vertu, c’était donc l’héroïsme du combattant, et, avant toute autre considération, la bonté, c’était la bravoure, notion que l’on retrouve, bien loin de ces temps, dans les poésies italiennes où le buon Rinaldo est aussi il gran virtuoso de l’Arioste. Les récompenses les plus éclatantes étaient assurées aux plus énergiques champions. On les nommait çoura, les célestes (5)[23], parce que, s’ils tombaient dans la bataille, ils allaient habiter le Svarga, palais splendide où les recevait Indra, le roi des dieux, et cet honneur était si grand, si au-dessus de tout ce que pouvait réserver l’autre vie, que, ni par les riches sacrifices, ni par l’étendue et la profondeur du savoir, ni par aucun moyen humain, il n’était donné à personne d’occuper au ciel la même place que les çouras. La mort reçue en combattant, tout mérite s’éclipsait devant celui-là. Mais la prérogative des guerroyeurs intrépides ne s’arrêtait même pas à ce point suprême. Il pouvait leur arriver, non pas seulement d’aller habiter, hôtes vénérés, la demeure éthérée des dieux : ils étaient en passe de détrôner les dieux mêmes, et, au sein de sa puissance, Indra, menacé sans cesse de se voir arracher le sceptre par un mortel indomptable, tremblait toujours (1)[24].

On trouvera entre ces idées et celles de la mythologie scandinave des rapports frappants. Ce ne sont pas des rapports, c’est une identité parfaite qu’il faut constater ici entre les opinions de ces deux tribus de la famille blanche, si éloignées par les siècles et par les lieux. D’ailleurs, cette orgueilleuse conception des relations de l’homme avec les êtres surnaturels se rencontre dans les mêmes proportions grandioses chez les Grecs de l’époque héroïque. Prométhée, enlevant le feu divin, se montre plus rusé et plus prévoyant que Jupiter ; Hercule arrache par la force Cerbère à l’Érèbe ; Thésée fait trembler Pluton sur son trône ; Ajax blesse Vénus ; et Mercure, tout dieu qu’il est, n’ose se commettre avec l’indomptable courage des compagnons de Ménélas.

Le Schah-nameh montre également ses champions aux prises avec les personnages infernaux, qui succombent sous la vigueur de leurs adversaires.

Le sentiment sur lequel se base, chez tous les peuples blancs, cette exagération fanfaronne est incontestablement une idée très franche de l’excellence de la race, de sa puissance et de sa dignité. Je ne suis pas étonné de voir les nègres reconnaître si aisément la divinité des conquérants venus du nord, quand ceux-ci supposent, de bonne foi, la puissance surnaturelle communicable à leur égard, et croient pouvoir, en certains cas, et au prix de certains exploits guerriers ou moraux, s’élever aux lieu et place d’où les dieux les contemplent, les encouragent et les redoutent. C’est une observation qui peut se faire aisément, dans l’existence commune, que les gens sincères sont pris aisément pour ce qu’ils se donnent. À plus forte raison devait-il en être ainsi quand l’homme noir d’Assyrie et d’Égypte, dépouillé et tremblant, entendait son souverain affirmer que, s’il n’était pas encore dieu, il ne tarderait pas à le devenir. Le voyant gouverner, régir, instituer des lois, défricher des forêts, dessécher des marais, fonder des villes, en un mot, accomplir cette œuvre civilisatrice dont lui-même se reconnaissait incapable, l’homme noir disait aux siens : « Il se trompe : il ne va pas devenir dieu, il l’est déjà. » Et ils l’adoraient.

À ce sentiment exagéré de sa dignité on pourrait croire que le cœur de l’homme blanc associait quelque penchant à l’impiété. On serait dans l’erreur ; car précisément le blanc est religieux par excellence (1)[25]. Les idées théologiques le préoccupent à un très haut degré. Déjà on a vu avec quel soin il conservait les anciens souvenirs cosmogoniques, dont la tribu sémite des Hébreux abrahamides posséda, moitié par son propre fonds, moitié par transmission chamitique, les fragments les plus nombreux. La nation ariane, de son côté, prêtait son témoignage à quelques-unes des vérités de la Genèse (2)[26]. D’ailleurs, ce qu’elle cherchait surtout dans la religion, c’étaient les idées métaphysiques, les prescriptions morales. Le culte en lui-même était des plus simples.

Également simple se montrait, à cette époque reculée, l’organisation du Panthéon. Quelque peu de dieux présidés par Indra dirigeaient plutôt qu’ils ne dominaient le monde (1)[27]. Les fiers Arians avaient mis le ciel en république.

Cependant ces dieux qui avaient l’honneur de dominer sur des hommes si hautains leur devaient certainement d’être dignes d’hommages. Contrairement à ce qui arriva plus tard dans l’Inde, et tout à fait en accord avec ce qu’on vit dans la Perse, et surtout dans la Grèce, ces dieux furent d’une irréprochable beauté (2)[28]. Le peuple arian voulut les avoir à son image. Comme il ne connaissait rien de supérieur à lui sur la terre, il prétendit que rien ne fût autrement parfait que lui dans le ciel ; mais il fallait aux êtres surhumains qui conduisaient le monde une prérogative distincte. L’Arian la choisit dans ce qui est encore plus beau que la forme humaine à sa perfection, dans la source de la beauté et qui semble aussi l’être de la vie : il la choisit dans la lumière et dériva le nom des êtres suprêmes de la racine dou, qui veut dire éclairer ; il leur créa donc une nature lumineuse (3)[29]. L’idée parut bonne à toute la race, et la racine choisie porta partout une majestueuse unité dans les idées religieuses des peuples blancs. Ce fut le Dévas des Hindous ; le Ζεύς, le Θεός des Hellènes ; le Diewas des Lithuaniens, le Duz gallique (4)[30] ; le Dia des Celtes d’Irlande ; le Tyr de l’Edda ; le Zio du haut-allemand ; la Dewana slave ; la Diana latine. Partout enfin où pénétra la race blanche, et où elle domina, se retrouve ce vocable sacré, au moins à l’origine des tribus. Il s’oppose, dans les régions où existent des points de contact avec les éléments noirs, à l’Al des aborigènes mélaniens (1)[31]. Ce dernier représente la superstition, l’autre la pensée ; l’un est l’œuvre de l’imagination en délire et courant à l’absurde, l’autre sort de la raison. Quand le Deus et l’Al se sont mêlés, ce qui a eu lieu par malheur trop souvent, il est arrivé, dans la doctrine religieuse, des confusions analogues à celles qui résultaient, pour l’organisation sociale, des mélanges de la race noire avec la blanche. L’erreur a été d’autant plus monstrueuse et dégradante, qu’Al l’emportait davantage dans cette union. Au contraire, le Deus a-t-il eu le dessus ? L’erreur s’est montrée moins vile, et, dans le charme que lui prêtèrent des arts admirables et une philosophie savante, l’esprit de l’homme, s’il ne s’endormit pas sans danger, le put du moins sans honte. Le Deus est donc l’expression et l’objet de la plus haute vénération chez la race ariane. Exceptons-en la famille iranienne pour des causes tout à fait particulières, dont l’exposition viendra en son temps (2)[32].

Ce fut à l’époque où les peuples arians touchaient déjà à la Sogdiane que le départ des nations helléniques rendit la confédération moins nombreuse. Les Hellènes se trouvaient en face de la route qui devait les mener à leurs destinées ; s’ils avaient accompagné plus bas la descente des autres tribus, ils n’auraient pas eu l’idée de remonter ensuite vers le nord-ouest. Marchant directement à l’ouest, ils auraient pris le rôle que remplirent plus tard les Iraniens. Ils n’auraient créé ni Sicyone, ni Argos, ni Athènes, ni Sparte, ni Corinthe. Ainsi je conclus qu’ils partirent à ce moment.

Je doute que cet événement soit résulté des causes qui avaient décidé l’émigration primitive des populations blanches. Le contre-coup en était déjà épuisé, car si les envahisseurs jaunes avaient poursuivi les fugitifs, on aurait vu tous les peuples blancs, arians, celtes et slaves, pour échapper à leurs atteintes, se précipiter également vers le sud et inonder cette partie du monde. Il n’en fut pas ainsi. À la même époque, à peu près, où les Arians descendaient vers la Sogdiane, les Celtes et les Slaves gravitaient dans le nord-ouest et trouvaient des routes, sinon libres, du moins assez faiblement défendues pour que le passage restât praticable. Il faut donc reconnaître que la pression qui déterminait les Hellènes à gagner vers l’ouest ne venait pas des régions supérieures : elle était causée par les congénères arians.

Ces nations, toutes également braves, étaient en froissement continuel. Les conséquences de cette situation violente amenaient la destruction des villages, le bouleversement des États et l’obligation pour les peuplades vaincues de subir le joug ou de s’enfuir. Les Hellènes, s’étant trouvés les plus faibles, prirent ce dernier parti, et, faisant leurs adieux à la contrée qu’ils ne pouvaient plus défendre contre des frères turbulents, ils montèrent sur leurs chariots, et, l’arc à la main, s’engagèrent dans les montagnes de l’ouest. Ces montagnes étaient occupées par les Sémites, qui en avaient chassé ou, du moins, asservi les Chamites, auxquels avait plus anciennement appartenu l’honneur d’en dompter les aborigènes noirs. Les Sémites, battus par les Hellènes, ne résistèrent pas à ces vaillants exilés et se renversèrent sur la Mésopotamie, et plus les Hellènes avançaient, poussés par les nations iraniennes, plus ils forçaient de populations sémitiques à se déplacer pour leur donner passage, et plus ils augmentaient l’inondation de l’ancien monde assyrien par cette race mêlée. Nous avons déjà assisté à ce spectacle. Laissons les émigrants continuer leur voyage. On sait dans quels illustres lieux ce récit les retrouvera.

Après cette séparation, deux groupes considérables forment encore la famille ariane, les nations hindoues et les Zoroastriens. Gagnant du terrain et se considérant comme un seul peuple, ces tribus arrivèrent à la contrée du Pendjab. Elles s’y établirent dans les pâturages arrosés par le Sindh, ses cinq affluents et un septième cours d’eau difficile à reconnaître, mais qui est ou la Yamouna ou la Sarasvati (1)[33]. Ce vaste paysage et ses beautés étaient restés profondément gravés dans la mémoire des Zoroastriens Iraniens longtemps après qu’ils l’avaient quitté pour ne plus le revoir. Le Pendjab était, à leur sens, l’Inde entière : ils n’en avaient pas vu davantage. Leurs connaissances sur ce point dirigèrent celles de toutes les nations occidentales, et le Zend-Avesta, se réglant plus tard sur ce que les ancêtres avaient raconté, donnait à l’Inde la qualification de septuple.

Cette région, objet de tant de souvenirs, fut ainsi témoin du nouveau dédoublement de la famille ariane, et les clartés déjà plus vives de l’histoire (2)[34] permettent de démêler assez bien les circonstances du débat qui en fut l’origine. Je vais raconter la plus ancienne des guerres de religion.

Le genre de piété particulier à la race blanche se révèle d’autant mieux dans sa portée raisonnante, qu’on est en situation de le mieux examiner. Après en avoir constaté des lueurs pâles, mais bien reconnaissables, chez les descendants métis des Chamites, après en avoir retrouvé de précieux fragments chez les familles sémitiques, on a vu plus à plein l’antique simplicité des croyances et l’importance souveraine qui leur était attribuée chez les Arians réunis dans leur première station avant l’exode des Hellènes. À ce moment le culte était simple. Il semblerait que tout, dans l’organisation sociale, fût tourné vers le côté pratique et jugé de ce point de vue. Ainsi, de même que le chef de la communauté, le juge du grand village, le viç-pati n’était qu’un magistrat électif entouré, pour tout prestige, du renom que lui donnaient sa bravoure, sa sagesse et le nombre de ses serviteurs et de ses troupeaux ; de même que les guerriers, pères de famille, ne voyaient dans leurs filles que des aides utiles au labeur pastoral, chargées du soin de traire les chamelles, les vaches et les chèvres, et ne leur donnaient pas d’autre nom que celui de leur emploi ; ainsi, encore, s’ils honoraient les nécessités du culte, ils n’imaginaient pas que les fonctions dussent en être remplies par des personnages spéciaux, et chacun était son propre pontife, et se jugeait les mains assez pures, le front assez haut, le cœur assez noble, l’intelligence assez éclairée, pour s’adresser sans intermédiaire à la majesté des dieux immortels (1)[35].

Mais soit que, dans la période qui s’écoula entre le départ des Grecs et l’occupation du Pendjab, la famille ariane, s’étant trouvée en long contact avec les nations aborigènes, eût déjà perdu de sa pureté et compliqué son essence physique et morale de l’adjonction d’une pensée et d’un sang étrangers ; soit que les modifications survenues ne fussent que le développement naturel du génie progressif des Arians, toujours est-il que les anciennes notions sur la nature du pontificat se modifièrent insensiblement, et qu’un moment vint où les guerriers ne se crurent plus le droit ni la science de vaquer aux fonctions sacerdotales : des prêtres furent institués.

Ces nouveaux guides des consciences devinrent sur-le-champ les conseillers des rois et les modérateurs des peuples. On les appelait purohitas. La simplicité du culte s’altéra entre leurs mains ; elle se compliqua, et l’art des sacrifices devint une science pleine d’obscurités dangereuses pour les profanes. On redouta dès lors de commettre, dans l’acte de l’adoration, des erreurs de forme qui pouvaient offenser les dieux, et, afin d’éviter ce danger, on ne se risqua plus à agir soi-même : on eut recours au seul purohita. Il est probable qu’à la pratique de la théologie et des fonctions liturgiques cet homme spécial joignit, de bonne heure, des connaissances en médecine et en chirurgie ; qu’il se livra à la composition des hymnes sacrés, et qu’il se rendit triplement vénérable aux yeux des rois, des guerriers, des populations tout entières par les mérites qui éclataient en sa personne au point de vue de la religion, de la morale et de la science (1)[36].

Tandis que le pontife se créait ainsi des fonctions sublimes et bien propres à lui concilier l’admiration et les sympathies, les hommes libres n’étaient pas sans gagner quelque chose à la perte de plusieurs de leurs anciens droits, et, tout ainsi que le purohita, en s’emparant exclusivement d’une partie de l’activité sociale, en savait extraire des merveilles que les générations antérieures n’avaient pas soupçonnées, de même le chef de famille, vacant tout entier aux soins terrestres, se perfectionnait dans les arts matériels de la vie, dans la science du gouvernement, dans celle de la guerre et dans l’aptitude aux conquêtes.

L’ambition la plus inquiète n’avait pas le temps de réfléchir à la valeur de ce qu’elle avait cédé, et d’ailleurs les conseils du purohita, non moins que ses secours, lorsque le guerrier était vaincu, ou blessé, ou malade, non moins que ses chants et ses récits, quand il était de loisir, contribuaient à l’impressionner en faveur de l’influence qu’il avait laissé naître, qu’il laissait croître à ses côtés, et à l’étourdir sur les dangers dont, pour l’avenir, elle pouvait menacer sa puissance et sa liberté.

D’ailleurs, le purohita n’était pas un être qui pût sembler redoutable. Il vivait isolé auprès des chefs assez riches ou généreux pour entretenir sa vie simple et pacifique. Il ne portait pas les armes ; il n’était pas d’une race ennemie. Sorti de la famille même du viç-pati ou de sa tribu, il était le fils, le frère, le cousin des guerriers (1)[37]. Il communiquait sa science à des disciples qui pouvaient le quitter à leur gré et reprendre l’arc et la flèche. C’était donc insensiblement et par des voies inconnues, même à ceux qui les suivaient, que le brahmanisme jetait ainsi les fondements d’une autorité qui allait devenir exorbitante.

Un des premiers pas que fit le sacerdoce dans le maniement direct des affaires temporelles, témoigne d’un grand perfectionnement politique et moral chez ces contemporains d’une époque que les érudits allemands appellent, avec une poétique justesse, la grise antériorité des temps (2)[38]. Les viç-pati comprirent qu’il serait bon de ne plus être pour leurs administrés, qui, insensiblement, devenaient leurs sujets, les produits irréguliers de la ruse ou de la violence heureuse. On voulut qu’une consécration supérieure à l’élection populaire investît les pasteurs des peuples de droits particuliers au respect, et on imagina de faire dépendre la légitimité de leur caractère d’une espèce de sacre administré par les purohitas (3)[39]. Dès lors l’importance des rois s’accrut sans doute, car ils étaient devenus participants à la nature des choses saintes, même sans avoir encore détrôné un dieu. Mais le pouvoir mondain du sacerdoce fut également fondé, et l’on devine maintenant ce qu’il va devenir entre les mains d’hommes éclairés, pacifiques, d’une redoutable énergie dans le bien, et qui, sachant que, pour une nation dévouée, corps et âme, à l’admiration de la bravoure, aucun prétexte, si sacré fût-il, ne pouvait couvrir le soupçon d’être lâche, commençaient déjà à pratiquer des doctrines austères d’abstinences intrépides et de renoncements obstinés. Cet esprit de pénitence devait aboutir, un jour, à des mutilations effrénées, à des supplices absurdes, également révoltants pour le cœur et pour la raison. Les purohitas n’en étaient pas là encore. Prêtres d’une nation blanche, ils ne songeaient même pas à de pareilles énormités.

La puissance sacerdotale était désormais assise sur des bases solides. Le pouvoir séculier, fier d’en obtenir sa consécration et de s’appuyer sur elle, servait volontiers ses développements. Bientôt il put s’apercevoir que ce qui se demande se refuse aussi. Tous les rois ne furent pas également bien reçus des maîtres des sacrifices, et il suffit de quelques rencontres où la fermeté de ceux-ci se trouva d’accord avec les sentiments des peuples, il suffit que certains d’entre eux périssent martyrs de leur résistance aux vœux d’un usurpateur, pour que l’opinion publique, frappée de reconnaissance et d’admiration, fit aux purohitas réunis un pont vers les plus hautes entreprises.

Ils acceptèrent le rôle éminent qui leur était attribué. Cependant je ne crois ni à la prédominance des calculs égoïstes dans la politique d’une classe entière, ni aux grands résultats amenés par de petites causes. Quand une révolution durable se produit au sein des sociétés, c’est que les passions des triomphateurs ont pour rebondir un sol plus ferme que des intérêts personnels, sans quoi elles rasent la terre et ne montent à rien. Le fait d’où le sacerdoce arian s’avisa de faire jaillir ses destinées, loin d’être misérable ou ridicule, devait, au contraire, lui gagner les sympathies intimes du génie de la race, et l’observation qu’en firent les prêtres de cette époque antique accuse, chez eux, une rare aptitude à la science du gouvernement, en même temps qu’un esprit subtil, savant, combinateur et logique jusqu’à la rage.

Voici ce dont s’aperçurent ces philosophes, et ce qu’ensuite imagina leur prévoyance. Ils considérèrent que les nations arianes se trouvaient entourées de peuplades noires dont les multitudes s’étendaient à tous les coins de l’horizon et dépassaient de beaucoup par le nombre les tribus de race blanche établies sur le territoire des Sept-Fleuves, et déjà descendues jusqu’à l’embouchure de l’Indus. Ils virent, en outre, qu’au milieu des Arians vivaient, soumises et paisibles, d’autres populations aborigènes qui ne laissaient pas que de former encore une masse considérable, et qui avaient déjà commencé à se mêler à certaines familles, probablement les plus pauvres, les moins illustres, les moins fières de la nation conquérante. Ils remarquèrent sans peine combien les mulâtres étaient inférieurs en beauté, en intelligence, en courage à leurs parents blancs ; et surtout ils eurent à réfléchir aux conséquences que pouvait amener, pour la domination des Arians, une influence exercée par les individualités métisses sur les populations noires soumises ou indépendantes. Peut-être avaient-ils sous les yeux l’expérience de quelques accessions fortuites de sang mêlé à la dignité royale.

Guidés par le désir de conserver le souverain pouvoir à la race blanche, ils imaginèrent un état social hiérarchisé suivant le degré d’élévation d’intelligence. Ils prétendirent confier aux plus sages et aux plus habiles la conduite suprême du gouvernement. À ceux dont l’esprit était moins élevé, mais le bras vigoureux, le cœur avide d’émotions guerrières, l’imagination sensible aux excitations de l’honneur, ils remirent le soin de défendre la chose publique. Aux hommes d’humeur douce, curieux de travaux paisibles, peu disposés aux fatigues de la guerre, ils se piquèrent de trouver un emploi convenable en les conviant à nourrir l’État par l’agriculture, à l’enrichir par le commerce et l’industrie. Puis, du grand nombre de ceux dont le cerveau n’était éclairé que de lueurs incomplètes, de tous ceux qui n’avaient pas l’âme prête à subir, sans faiblesse, le choc du danger, des gens trop pauvres pour vivre libres, ils composèrent un amalgame sur lequel ils jetèrent le niveau d’une égale infériorité, et décidèrent que cette classe humble gagnerait sa subsistance en remplissant ces fonctions pénibles ou même humiliantes qui sont cependant nécessaires dans les sociétés établies.

Le problème avait trouvé sa solution idéale, et personne ne peut refuser son approbation à un corps social ainsi organisé qu’il est gouverné par la raison et servi par l’inintelligence. La grande difficulté, c’est de faire passer un projet abstrait de cette espèce dans le moule d’une réalisation pratique. Tous les théoriciens du monde occidental y ont échoué : les purohitas crurent avoir trouvé le sûr moyen d’y réussir.

Partant de cette observation établie, pour eux, sur des preuves irréfragables, que toute supériorité était du côté des Arians, toute faiblesse, toute incapacité du côté des noirs, ils admirent, comme conséquence logique, que la proportion de valeur intrinsèque chez tous les hommes était en raison directe de la pureté du sang, et ils fondèrent leurs catégories sur ce principe.

Ces catégories, ils les appelèrent varna, qui signifiait couleur, et qui, depuis lors, a pris la signification de caste (1)[40].

Pour former la première caste, ils réunirent les familles des purohitas en qui éclatait quelque mérite, telles que celles des Gautama, des Bhrigou, des Atri (2)[41], célèbres par leurs chants liturgiques, transmis héréditairement comme une propriété précieuse. Ils supposèrent que le sang de ces familles recommandables était plus arian, plus pur que celui de toutes les autres.

À cette classe, à cette varna, à cette couleur blanche par excellence, ils attribuèrent non pas d’abord le droit de gouverner, résultat définitif qui ne pouvait être que l’œuvre du temps, mais du moins le principe de ce droit et tout ce qui pouvait y conduire, c’est-à-dire le monopole des fonctions sacerdotales, la consécration royale qu’ils possédaient déjà, la propriété des chants religieux, le pouvoir de les composer, de les interpréter et d’en communiquer la science ; enfin ils se déclarèrent, eux-mêmes, personnages sacrés, inviolables ; ils se refusèrent aux emplois militaires, s’entourèrent d’un loisir nécessaire, et se vouèrent à la méditation, à l’étude, à toutes les sciences de l’esprit, ce qui n’excluait ni l’aptitude ni la science politique (3)[42].

Immédiatement au-dessous d’eux, ils placèrent la catégorie des rois alors existants avec leurs familles. En exclure aucun, c’eût été donner un démenti à la valeur de la consécration, et, en même temps, créer à l’organisation naissante des hostilités trop redoutables. À côté des rois, ils placèrent les guerriers les plus éminents, tous les hommes distingués par leur influence et leurs richesses, et ils supposèrent, plus ou moins justement, que cette classe, cette varna, cette couleur, était déjà moins franchement blanche que la leur, avait déjà contracté un certain mélange avec le sang aborigène, ou bien que, égale en pureté, tout aussi fidèle à la souche ariane, elle ne méritait néanmoins que le second rang, par la supériorité de la vocation intellectuelle et religieuse sur la vigueur physique. C’était une race grande, noble, illustre, que celle qui pouvait accepter une telle doctrine. Aux membres de la caste militaire, les purohitas donnèrent le nom de kschattryas ou hommes forts. Ils leur firent un devoir religieux de l’exercice des armes, de la science stratégique, et, tout en leur concédant le gouvernement des peuples, sous la réserve de la consécration religieuse, ils s’appuyèrent sur le sentiment public, imbu des doctrines libres de la race, pour leur refuser la puissance absolue (1)[43].

Ils déclarèrent que chaque varna conférait à ses membres des privilèges inaliénables, devant lesquels la volonté royale expirait. Il était défendu au souverain d’empiéter sur les droits des prêtres. Il ne lui était pas moins interdit d’attenter à ceux des kschattryas ou des castes inférieures (1)[44]. Le monarque fut entouré d’un certain nombre de ministres ou de conseillers, sans le concours desquels il ne pouvait agir et qui appartenaient aussi bien à la classe des purohitas qu’à celle des guerriers (2)[45].

Les constituants firent plus. Au nom des lois religieuses, ils prescrivirent aux rois une certaine conduite dans la vie intérieure. Ils réglèrent jusqu’à la nourriture et proscrivirent, de la manière la plus énergique, et sous des peines temporelles et spirituelles, toute infraction à leurs mandements. Leur chef-d’œuvre, à mon avis, à l’encontre des kschattryas et de la caste qui va suivre, est d’avoir su se départir de la rigueur des classifications pour ne pas monopoliser absolument les choses de l’intelligence dans le sein de leur confrérie. Ils comprirent, sans doute, que l’instruction ne peut être refusée à qui est capable de l’acquérir, de même qu’on la permet sans résultat aux intelligences mal créées pour la recevoir ; puis, que si le savoir est une force et exerce un prestige, c’est à la condition d’avoir des spectateurs qui se peuvent faire, par eux-mêmes, une idée juste de son mérite, et qui, pour être en état d’en apprécier la valeur, doivent au moins avoir approché les lèvres de sa coupe.

Loin donc de défendre l’instruction aux kschattryas, les purohitas la leur recommandèrent, leur permirent la lecture des livres sacrés, les engagèrent à se les faire expliquer, et les virent avec complaisance s’adonner aux connaissances laïques, telles que la poésie, l’histoire et l’astronomie. Ils formaient ainsi, autour d’eux, une classe militaire intelligente autant que brave, et qui, si elle pouvait un jour trouver, dans l’éveil de ses idées, des excitations à combattre les progrès du sacerdoce, n’y rencontrait pas moins de motifs d’en être séduite, d’y sourire et de les favoriser au nom de cette sympathie instinctive que l’esprit inspire à l’esprit et le talent au talent. Toutefois, il ne faut pas se le dissimuler : quelles que fussent les dispositions intimes des kschattryas, l’intérêt général de leur caste et la nature des choses en faisaient pour les novateurs religieux une terrible pierre d’achoppement, et un danger devait tôt ou tard se montrer de ce côté-là.

Il n’en était pas de même de la varna qui venait après la caste guerrière. Ce fut celle des vayçias, supposés moins blancs que les deux catégories sociales supérieures, et qui, probablement aussi, étaient moins riches et moins influents dans la société. Toutefois, leur parenté avec les deux hautes castes étant encore évidente et indiscutable, le nouveau système les considéra comme des hommes d’élite, des hommes deux fois nés (dvidja), expression consacrée pour représenter l’excellence de la race vis-à-vis des populations aborigènes (1)[46], et on en forma le peuple, le gros de la nation proprement dite, au-dessus duquel étaient les prêtres et les soldats, et ce fut pour cette raison que le nom d’Arians, abandonné par les kschattryas, comme par les purohitas, plus fiers, les uns de leur titre de forts, les autres de la qualification nouvellement prise de brahmanes, resta le partage de la troisième caste.

La loi de Manou, postérieure, du reste, dans sa forme actuelle, à l’époque en question, établit, d’après des autorités plus anciennes qu’elle-même, le cercle d’action où devait s’écouler l’existence des vayçias. On leur confia le soin du bétail. Le raffinement déjà considérable des mœurs ne permettait plus aux hautes classes de s’en occuper, comme avaient fait les ancêtres. Les vayçias firent le négoce, prêtèrent de l’argent à intérêt et cultivèrent la terre (1)[47]. Appelés à concentrer ainsi dans leurs mains les plus grandes richesses, on leur commanda l’aumône et les sacrifices aux dieux. À eux aussi on permit de lire ou de se faire lire les Védas (2)[48], et, afin d’assurer à leur caractère pacifique la tranquille jouissance des humbles, prosaïques mais fructueux avantages qui leur étaient concédés, il fut sévèrement interdit aux brahmanes, comme aux kschattryas d’empiéter sur leurs attributions, de se mêler à leurs travaux et d’obtenir soit un épi de blé, soit un objet fabriqué, autrement que par leur intermédiaire. Ainsi, dès l’antiquité la plus haute, la civilisation ariane de l’Inde asseyait ses travaux sur l’existence d’une nombreuse bourgeoisie, fortement organisée et défendue, dans l’exercice de droits considérables, par toute la puissance des prescriptions religieuses (3)[49]. On remarquera encore que, non moins que les kschattryas, cette classe était admise aux études intellectuelles, et que ses habitudes, plus paisibles, plus casanières que celles des guerriers, tendaient à l’en faire profiter davantage.

Avec ces trois hautes castes, la société hindoue, dans son idéal, était complète. En dehors de leur cercle, plus d’Arians, plus d’hommes deux fois nés. Cependant, il fallait tenir compte des aborigènes, qui, soumis depuis plus ou moins longtemps et peut-être un peu apparentés au sang des vainqueurs, vivaient obscurément au bas de l’échelle sociale. On ne pouvait repousser absolument ces hommes attachés à leurs vainqueurs et ne recevant que d’eux leur subsistance, sans se jeter, avec une barbare imprudence, dans des périls inutiles. D’ailleurs, par ce qui se passa ensuite, il est fort probable que les brahmanes avaient déjà senti combien il serait contraire à leurs véritables intérêts de rompre avec ces multitudes noires qui, si elles ne leur rendaient pas les honneurs délicats et raisonnés des autres castes, les entouraient d’une admiration plus aveugle et les servaient avec un fanatisme plus dévoué. L’esprit mélanien se retrouvait là bien entier. Le brahmane, prêtre pour les kschattryas et les vayçias, était dieu pour la foule noire. On ne se brouille pas de gaieté de cœur avec de si chauds amis, et surtout quand il n’est pas besoin de faire beaucoup pour se les conserver.

Les brahmanes composèrent une quatrième caste de toute cette population de manœuvres, d’ouvriers, de paysans et de vagabonds. Ce fut celle des çoudras ou des dazas, des serviteurs, qui reçut le monopole de tous les emplois serviles. Il fut rigoureusement défendu de les maltraiter, et on les soumit à un état de tutelle éternelle, mais avec l’obligation, pour les hautes classes, de les régir doucement et de les garder de la famine et des autres effets de la misère. La lecture des livres sacrés leur fut interdite ; ils ne furent pas considérés comme purs, et rien de plus juste, car ils n’étaient pas Arians (1)[50].

Après avoir ainsi distribué leurs catégories, les inventeurs du système des castes en fondèrent la perpétuité, en décrétant que chaque situation serait héréditaire, qu’on ne ferait partie d’une varna qu’à la condition d’être né de père et de mère y appartenant l’un et l’autre (1)[51]. Ce ne fut pas encore assez. De même que les rois ne pouvaient gouverner sans avoir obtenu la consécration brahmanique, de même nul ne fut admis à la jouissance des privilèges de sa caste avant d’avoir accompli, avec l’assentiment sacerdotal, les cérémonies particulières de l’accession (2)[52].

Les gens oublieux de ces formalités obligées étaient exclus de la société hindoue (3)[53]. Impurs, fussent-ils nés brahmanes de père et de mère, on les appelait vratyas (4)[54] : brigands, pillards, assassins, et il est bien probable que, pour vivre, ces rebuts de la loi étaient souvent contraints de s’armer contre elle. Ils formèrent la base de tribus nombreuses qui devinrent étrangères à la nationalité hindoue.

Telle est la classification sur laquelle les successeurs des purohitas imaginèrent de construire leur état social. Avant d’en juger les conséquences et le succès, avant, surtout, de nous arrêter devant la subtilité, les ressources inouïes, l’énergie soutenue, l’irrésistible patience employées par les brahmanes pour défendre leur ouvrage, il est indispensable de l’envisager à un point de vue général.

Au point de vue ethnographique, le système avait pour premier et grand tort de reposer sur une fiction. Les brahmanes n’étaient pas et ne pouvaient être les plus authentiques Arians, à l’exclusion de telles familles de kschattryas et de vayçias dont la pureté n’était peut-être pas contestable, mais qui, par la position qu’elles occupaient dans la société, la mesure de leurs ressources, se voyaient forcément désignées pour tenir tel rang et non tel autre. Je suppose, d’autre part, que les illustres races des Gautama et des Atri aient compté dans leur arbre généalogique plusieurs aïeules issues de pères guerriers à une époque où ces alliances étaient légales, et que, de plus, ces aïeules aient eu, dans leur sang, une quantité plus ou moins grande d’alliage mélanien : voilà les Gautama, voilà les Atri reconnus métis. En sont-ils moins possesseurs des hymnes sacrés composés par leurs ancêtres ? Ne remplissent-ils pas auprès de rois puissants les fonctions de sacerdoces révérés ? Puissants ! ne le sont-ils pas eux-mêmes ? Ils comptent parmi les coryphées du nouveau parti, et il ne faut pas s’attendre à ce que, faisant un retour sur leur propre extraction, dont peut-être, d’ailleurs, ils ignorent le vice, ils s’excluent volontairement de la caste suprême.

Toutefois, s’il s’agissait de n’examiner les choses qu’à travers les notions hindoues, on pourrait répondre qu’aussitôt que, par des mariages exclusifs, les races spéciales des brahmanes, des kschattryas, des vayçias eurent été fixées, la gradation, d’abord supposée, quant à la pureté relative, devint bientôt réelle ; que les brahmanes se trouvèrent être plus blancs que les kschattryas, ceux-ci que les hommes de la troisième classe, qui, à leur tour, dominèrent, en ce point, ceux de la quatrième, presque entièrement noirs. En admettant cette façon de raisonner, il n’en est pas moins vrai que les brahmanes eux-mêmes n’étaient plus des blancs parfaits et sans mélange. En face du reste de l’espèce, vis-à-vis des Celtes, vis-à-vis des Slaves, et plus encore des autres membres de la famille ariane, les Iraniens et les Sarmates, ils avaient adopté, dès lors, une nationalité spéciale et étaient devenus distincts de la souche commune. Supérieurs en illustration au reste des tribus blanches contemporaines, ils étaient inférieurs au type primitif et n’en possédaient plus l’énergie ancienne.

Plusieurs des facultés de la race noire avaient commencé à déteindre sur eux. On ne leur reconnaît plus cette rectitude de jugement, cette froideur de raison, patrimoine de l’espèce blanche, dans sa pureté, et l’on s’aperçoit, à la grandeur même des plans de leur société, que l’imagination tenait désormais une grande place dans leurs calculs et exerçait une influence dominante sur la combinaison de leurs idées. Comme élan d’intelligence, ouverture de vue, envergure de génie, ils avaient gagné. Ils avaient gagné par l’adoucissement de leurs premiers instincts, devenus moins rêches et plus souples. Mais en tant que métis, je ne leur trouve plus qu’un diminutif des vertus souveraines, et si les brahmanes se présentent ainsi déchus, à plus forte raison les kschattryas et, à un degré plus grand encore, les vayçias étaient ce qu’on peut appeler dégénérés des mérites fondamentaux. Nous avons observé en Égypte que le premier effet, et le plus général, de l’immixtion du sang noir est d’efféminer le naturel. Cette mollesse ne fait pas des êtres dénués de courage ; cependant elle altère et passionne la vigueur calme, et on pourrait dire compacte, apanage du plus excellent des types. Les Chamites ne tombent sous l’observation qu’à un moment où ils ont trop perdu les caractères spéciaux de leur origine paternelle, et l’on ne saurait baser sur eux une démonstration exacte. Néanmoins, dans la langueur mêlée de férocité où nous les avons vus plongés, on reconnaît un point où sont arrivées aujourd’hui les classes ethniquement correspondantes de la nation hindoue. On est donc en droit de supposer que, dans leurs commencements, les Chamites ont eu aussi une période comparable à celle de la caste brahmanique à ses débuts. Pour les Sémites, dont on découvre mieux le principe, un tel rapprochement ne laisse rien à désirer. Ainsi toutes les expériences envisagées jusqu’ici donnent ce résultat identique : le mélange avec l’espèce noire, lorsqu’il est léger, développe l’intelligence chez la race blanche, en tant qu’il la tourne vers l’imagination, la rend plus artiste, lui prête des ailes plus vastes ; en même temps, il désarme sa raison, diminue l’intensité de ses facultés pratiques, porte un coup irrémédiable à son activité et à sa force physique, et enlève aussi, presque toujours, au groupe issu de cet hymen le pouvoir et le droit, sinon de briller beaucoup plus que l’espèce blanche et de penser plus profondément, du moins de lutter avec elle de patience, de fermeté et de sagacité. Je conclus que les brahmanes, s’étant engagés, avant la formation des castes, dans quelques mélanges mélaniens, étaient ainsi préparés pour la défaite, quand viendrait le jour de lutter avec des races demeurées plus blanches.

Ces réserves faites, si l’on consent à ne plus envisager les nations hindoues qu’en elles-mêmes, l’admiration pour les législateurs doit être sans réserve. En face des castes normales et des populations décastées qui les entourent, ils paraissent vraiment sublimes. Il ne sera que trop facile de reconnaître plus tard combien, avec le cours des temps et la perversion inévitable des types sans cesse grandissant malgré tous les efforts, les brahmanes ont dégénéré ; mais jamais les voyageurs, les administrateurs anglais, les érudits qui ont consacré leurs veilles à l’étude de la grande péninsule asiatique, n’ont hésité à reconnaître que, au sein de la société hindoue, la caste des brahmanes conserve une supériorité imperturbable sur tout ce qui vit autour d’elle. Aujourd’hui, souillée par les alliages qui faisaient tant d’horreur à ses premiers pères, elle montre cependant, au milieu de son peuple, un degré de pureté physique dont rien n’approche. C’est chez elle que l’on retrouve encore le goût de l’étude, la vénération des monuments écrits, la science de la langue sacrée ; et le mérite de ses membres comme théologiens et grammairiens est assez véritable pour que les Colebrooke, les Wilson et d’autres indianistes justement admirés aient à se féliciter d’avoir recouru à leurs lumières. Le gouvernement britannique leur a même confié une partie importante de l’enseignement au collège de Fort-William. Ce reflet de l’ancienne gloire est bien terne, sans doute. Ce n’est qu’un écho, et cet écho va de plus en plus s’affaiblissant, à mesure qu’augmente la désorganisation sociale dans l’Inde. Pourtant le système hiérarchique inventé par les antiques purohitas est resté debout tout entier. On peut l’étudier bien complet dans toutes ses parties, et pour être amené à lui rendre, sans nul regret, l’honneur qui lui est dû, il suffit de calculer à peu près depuis combien de temps il dure.

L’ère de Kali remonte à l’an 3102 avant J.-C., et on ne la fait commencer pourtant qu’après les grandes guerres héroïques des Kouravas et des Pandavas (1)[55]. Or, à cette époque, si le brahmanisme n’avait pas encore atteint tous ses développements, il existait dans ses points principaux. Le plan des castes était, sinon rigoureusement fermé, du moins tracé, et la période des purohitas dépassée depuis longtemps. Malheureusement le chiffre de 3102 ans a quelque chose de si énorme (2)[56] que je ne veux pas trop presser la conviction sur ce point, et je me tourne d’un autre côté.

L’ère kachemyrienne commence un peu plus modestement, 2,448 ans avant J.-C. On la dit également postérieure à la grande guerre héroïque ; par conséquent, elle laisse un intervalle de 654 ans entre son début et l’ère de Kali.

Tout incertaines que soient ces deux dates, si l’on en veut chercher de plus récentes, on n’en trouve pas, et à mesure que l’on avance, la clarté historique, devenant plus intense, ne permet pas de douter qu’on ne s’éloigne de l’objet cherché. Ainsi, après une lacune, à la vérité assez longue, au XIVe siècle avant J.-C., on trouve le brahmanisme parfaitement assis et organisé, les écrits liturgiques fixés et le calendrier védique établi ; il est donc impossible de descendre plus bas.

Nous avons trouvé l’ère de Kali trop exagérée : n’en parlons pas. Diminuons le nombre des années qu’elle réclame et rabattons-nous à l’ère kachemyrienne. On ne peut descendre davantage sans rendre toute chronologie égyptienne impossible. À mon sens même, c’est beaucoup trop concéder au doute. Mais, pour ce dont il est question ici, je m’en contente. Ne considérons même pas que le brahmanisme existait visiblement longtemps avant cette époque et concluons que, de l’an 2448 avant J.-C. à l’an du Seigneur 1852, il s’est écoulé 4300 ans, que l’organisation brahmanique vit toujours, qu’elle est aujourd’hui dans un état comparable à la situation des Égyptiens sous les Ptolémées du IIIe siècle avant notre ère, et à celle de la première civilisation assyrienne à différentes époques, entre autres au VIIe siècle. Ainsi, en se montrant généreux envers la civilisation égyptienne, en lui accordant, ce que je ne fais pas pour celle des brahmanes, toute la période antérieure à la migration et toute celle de ses débuts avant Ménès, elle aura duré depuis l’an 2448 jusqu’à l’an 300 avant J.-C., c’est-à-dire 2148 ans. Quant à la civilisation assyrienne, en reculant son point de départ aussi haut que l’on voudra, comme on ne peut le faire antérieur de beaucoup de siècles à l’ère kachemyrienne, il s’ensuit qu’il n’en faut pas même parler : elle s’arrête trop loin du but.

L’organisation égyptienne reste le seul terme de comparaison, et elle est en arrière, sur le type d’où elle a tiré sa vie, de 2152 ans. Je n’ai pas besoin de confesser tout ce qu’il y a d’arbitraire dans ce calcul : on s’en aperçoit de reste. Seulement, il ne faut pas oublier que cet arbitraire a pour effet de rabaisser d’une manière énorme le chiffre des années de l’existence brahmanique ; que j’y suppose bien bénévolement l’organisation des castes contemporaines de l’ère de Kachemyr ; qu’avec une facilité non moins exagérée j’admets, contre toute vraisemblance, un synchronisme parfait entre les premiers développements du brahmanisme et la naissance de la civilisation dans la vallée du Nil, et enfin que je reporte au IIIe siècle avant J.-C., époque où les véritables Égyptiens ne comptaient, pour ainsi dire, plus, la comparaison que j’en fais avec les brahmanes actuels, ce qui procure peu d’honneur à ces derniers. J’ai cru, toutefois, devoir cet hommage au siècle où naquit Manéthon. Ainsi, il est bien entendu qu’en ne faisant vivre la société hindoue que 2500 ans de plus que celle d’Assyrie, et 2000 ans de plus que celle d’Égypte, je la calomnie, je rabaisse sa longévité d’un bon nombre de siècles. Toutefois je persiste, parce que les chiffres incomplets qui me sont là entre les mains me permettent encore d’établir le raisonnement qui suit :

Trois sociétés étant données, elles se perpétuent dans la mesure où se maintient le principe blanc qui fait également leur base.

La société assyrienne, incessamment renouvelée au moyen d’affluents médiocrement purs, a déployé une extrême intensité de vie, a témoigné d’une activité en quelque sorte convulsive. Puis, assaillie par trop d’éléments mélaniens et livrée à des luttes ethniques perpétuelles, la lumière qu’elle projetait a été perpétuellement syncopée, a sans cesse changé de direction, de formes et de couleurs, jusqu’au jour où la race ariane-médique est venue lui donner une nouvelle nature. Voilà le sort d’une société très mélangée : c’est d’abord l’agitation extrême, ensuite la torpeur morbide, enfin la mort.

L’Égypte offre un terme moyen, parce que l’organisation de ce pays se tenait dans les demi-mesures. Le système des castes n’y exerçait qu’une influence ethnique très restreinte, car il était incomplètement appliqué, les alliances hétérogènes étant restées possibles. Probablement, le noyau arian s’était senti trop faible pour commander absolument et il s’était rabattu à des transactions avec l’espèce noire. Il reçut le juste loyer de cette modération. Plus vivace que l’organisation assyrienne, surtout plus logique, plus compact, moins fragile et moins variable, il eut une existence effacée, mêlée à moins d’affaires, moins influente sur l’histoire générale, mais plus honorable et plus longue de beaucoup.

Voici maintenant le troisième terme de l’observation : c’est l’Inde. Point de compromis avoué avec la race étrangère, une pureté supérieure ; les brahmanes en jouissent d’abord, les kschattryas ensuite. Les vayçias et même les çoudras conservent la nationalité première d’une manière relative. Chaque caste équilibre, vis-à-vis de l’autre, sa valeur ethnique particulière. Les degrés se consolident et se maintiennent. La société élargit ses bases, et, pareille aux végétaux de ce climat torride, pousse, de toutes parts, la plus luxuriante végétation. Quand la science européenne ne connaissait que la lisière du monde oriental, son admiration pour la civilisation antique faisait des Phéniciens et des hommes de l’Égypte et de l’Assyrie autant de personnages d’une nature titanique. Elle leur attribuait la possession de toutes les gloires du passé. En considérant les pyramides, on s’étonnait qu’il eût pu exister des créatures capables de si vastes travaux. Mais depuis que nos pas se sont risqués plus loin et que, sur les rives du Gange, nous voyons ce que l’Inde a été dans les temps antiques, pendant des séries infinies de siècles, notre enthousiasme se déplace, passe le Nil, passe l’Euphrate, et va se prendre aux merveilles accomplies entre l’Indus et le cours inférieur du Brahmapoutra. C’est là que le génie humain a vraiment créé, dans tous les genres, des prodiges qui étonnent l’esprit. C’est là que la philosophie et la poésie ont leur apogée, et que la vigoureuse et intelligente bourgeoisie des vayçias a longtemps attiré et absorbé tout ce que le monde ancien possédait de richesses en or, en argent, en matières précieuses. Le résultat général de l’organisation brahmanique fut supérieur encore aux détails de l’œuvre. Il en sortit une société presque immortelle par rapport à la durée de toutes les autres. Elle avait deux périls à redouter, et seulement deux : l’attaque d’une nation plus purement blanche qu’elle-même, la difficulté de maintenir ses lois contre les mélanges ethniques.

Le premier péril a éclaté plusieurs fois, et jusqu’à présent, si l’étranger s’est trouvé constamment assez fort pour subjuguer la société hindoue, il s’est, non moins constamment, reconnu impuissant à la dissoudre. Aussitôt que la cause de sa supériorité momentanée a cessé, c’est-à-dire qu’il a laissé entamer la pureté de son sang, il n’a pas tardé à disparaître et à laisser libre sa majestueuse esclave.

Le second danger s’est réalisé aussi. Il était, d’ailleurs, en germe dans l’organisation primitive. Le secret ne s’est pas trouvé de l’étouffer ni même d’arrêter sa croissance, causée par des alliages qui, pour être rares et souvent inaperçus, n’en sont pas moins certains et ne se montrent que trop dans l’abâtardissement graduel des hautes castes de l’Inde. Toutefois, si le régime des castes n’est pas parvenu à paralyser entièrement les exigences de la nature, il les a beaucoup réduites. Les progrès du mal ne se sont accomplis qu’avec une extrême lenteur, et comme la supériorité des brahmanes et des kschattryas sur les populations hindoues n’a pas cessé, jusqu’à nos jours, d’être un fait incontestable, on ne saurait prévoir, avant un avenir très nébuleux, la fin définitive de cette société. C’est une grande démonstration de plus acquise à la supériorité du type blanc et aux effets vivifiants de la séparation des races.



  1. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 853 ; voir la note 1 p. 229 de ce volume. L’Himalaya contient de nombreux débris de populations noires ou mulâtres qui sont certainement aborigènes.
  2. (1) D’après Ritter, les peuples sanscrits ont repoussé jusqu’à Lanka (Ceylan) les nègres et les métis jaunes et noirs (Malais), qui s’étendaient primitivement dans le nord. (Ritter, Erdkunde, Asien, t. I, p. 435.)
  3. (2) Si l’on voulait absolument appliquer aux groupes de langues des noms de nations, il serait plus raisonnable pourtant de qualifier le rameau arian d’hindou-celtique. On aurait du moins ainsi la désignation des deux extrêmes géographiques, et on indiquerait les deux faces les plus différentes du système ; mais, pour mille causes, cette dénomination serait encore détestable.
  4. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 6 ; Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 461, note.
  5. (2) Le Manava-Dharma-Sastra, traduction de Haughton, partage le territoire national, en dehors duquel un çoudra, pressé par la faim, a seul le droit d’habiter, en plusieurs catégories. Voici sa classification (t. II, chap. II, § 17) : « Between the two divine rivers Saraswati and Drishadwati, lies the tract of land, which the sages have named Brahmaverta, because it was frequented by Gods. » (C’est le territoire primitivement habité par les Arians purs de tout mélange noir ou jaune.) Viennent maintenant les §§ 21 et 22, qui s’expriment ainsi : « That country which lies between Himawat and Vindhya, to the east of Vinasana and to the west of Prayaga, is celebrated by the title of Medhyadesa, or the central region. » §22 : « As far as the eastern, and as far as the western Oceans between the two mountains just mentioned, lies the tract which the wise have named Aryaverta, or inhabited by respectable men. »
  6. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 6.
  7. (2) Ibid., 526. On trouve, aux époques historiques, un grand nombre de noms de peuples arians dans ce pays, que les Orientaux appellent le Touran, et que, jusqu’ici, on a faussement considéré comme habité par des hordes jaunes exclusivement. Ainsi, on y voit, avec Pline, les Ariacæ, les Antariani, les Aramæi, qui rappellent si fort le mot zend aïryaman. (Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. CV-CVI, notes et éclaircissements). Burnouf remarque aussi que des dénominations de lieux évidemment arianes sont celles où l’on trouve les mots : Açp, cheval, arvat ou aurvat, eau, pati, maître. Ptolémée en cite dans la Scythie et même dans la Sérique, Açpabota, Açpacara, Açparatah.
  8. La même racine se trouve dans le pa-zend hir ou ir, qui signifie maître, dans le latin herus et dans l’allemand Herr. (Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 460.)
  9. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 516. — J’ajouterai à l’avis de M. Lassen celui d’un grand partisan de l’unité physique et morale de l’espèce humaine. Voici l’aveu qui échappe à M. Prichard : « Diese Eindringlinge (die indo-Europæer) scheinen ihnen (den Allophylen) überall an geistigen Gaben überlegen gewesen zu seyn. Einige indo-europæische Nationen haben wirklich viele charakteristische Kennzeichen von Barbarei und Wildheit zurückbehalten oder bekommen ; aber mit diesen verbanden sie alle, unzweifelhafte Zeichen von frühzeitiger intellectueller Entwickelung, besonders eine hœhere Kultur der Sprache. » (Prichard, Naturgeschichte des menschlichen Geschlechts, t. III, 1re partie, p. 11.)
  10. (2) Lassen, p. 404.
  11. (3) Lassen, p. 404 et 854.
  12. (4) C’est ainsi que M. Lassen remarque fort bien que le climat ne saurait être rendu responsable du degré de coloration des populations hindoues, attendu que les Malabares sont plus bruns que les Kandys de Ceylan, et les gens du Guzarate que ceux du Karnatik (t. I, p. 407).
  13. (1)Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, t. I, p. 237, 314.
  14. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 854.
  15. (2) Ces villages étaient appelés pour chez les Hindous, πόλις chez les Grecs.
  16. (3) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 807.
  17. (4) On suit très bien, dans les langues arianes, les deux parties de ce mot composé : viç, qui signifie maison, devient, par extension, une collection de maisons, et se retrouve dans le vicus latin et son dérivé ci-vis, l’habitant du vicus. Pati, le chef, en sanscrit, c’est dans l’arménien bod, dans le slave pod, dans le letton patin, dans le polonais pan, dans le gothique faths. (Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 461 ; Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 283.)
  18. (1) Le Manava-Dharma-Sastra (traduction de Haughton ; Londres, 1825, in-4o, t. II) est beaucoup plus dévoué à l’idée de la monarchie absolue que les grands poèmes ; cependant il n’a pas encore, sur ce sujet, les notions des Asiatiques modernes. Après avoir dit magnifiquement (chap. VII, t. VIII, 1) : « A King, even though a child, must not be treated lightly, from an idea that he is a mere mortal : no ; he is a powerful divinity, who appears in a human shape, » verset qui, par parenthèse, pourrait bien avoir été dicté par un esprit d’opposition à des doctrines différentes et antérieures, le législateur ajoute (p. 37) : « Let the king, having risen at early dawn, respectfully attend to brahmens, learned in the three Vedas, and in the sciences of ethicks ; and by their decision let him abide ; » et § 54 : « The king must appoint seven or eight ministers, who must be sworn by touching a sacred image and the like ; men whose ancestors were servants of kings ; who are versed in the holy book ; who are personally braves ; who are skilled in the use of weapons et whose lineage is noble. » § 56 : « Let him perpetually consult with those ministers on peace and war, on his forces, on his revenues, on the protection of his people, and on the means of bestowing aptly the wealth which he has acquired. » § 57 : « Having ascertained the several opinions of his counsellors, first apart and then collectively, let him do what is most beneficial for him in public affairs. » § 58 : « To one learned Brahmen, distinguished among them all, let the king impart his momenteous counsel, relating to six principal articles. » § 59 : « To him, with full confidence, let him intrust all transactions ; and, with him, having taken his final resolution, let him begin all his measures. »
  19. (1) Ce serait nier l’affirmation positive des hymnes védiques. (Lassen, Indisch. Alterthüm., t. 1, p. 734.)
  20. (2) Dans le Zend-Avesta, l’homme de guerre se nomme rathâestâo, celui qui est sur le chariot.
  21. (3) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 617.
  22. 4) Lassen, ibid., p. 816. — Bien que pasteurs par excellence, ils n’étaient pas absolument étrangers non plus aux travaux de l’agriculture, et je serais tenté de croire que, si, dans leur première partie, ils ne s’y adonnèrent pas davantage, c’est que le sol et le climat ne leur permettaient pas d’en tirer des avantages suffisants.
  23. (5) Ibid., p. 734.
  24. Lassen, Indisch. Alterth., t. I.
  25. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 755.
  26. (2) Voici les notions cosmogoniques conservées par une des hymnes du Rigvéda : « Alors il n’y avait ni être ni non-être. Pas d’univers, pas d’atmosphère, ni rien au-dessus ; rien, nulle part, pour le bien de qui que ce fût, enveloppant ou enveloppé. La mort n’était pas, ni non plus l’immortalité, ni la distinction du jour et de la nuit. Mais CELA palpitait sans respirer, seul avec le rapport à lui-même contenu en lui. Il n’y avait rien de plus. Tout était voilé d’obscurité et plongé dans l’eau indiscernable. Mais cette masse ainsi voilée fut manifestée par la force de la contemplation. Le désir (kama, l’amour) naquit d’abord dans son essence, et ce fut la semence originelle, créatrice, que les sages, qui la reconnaissaient dans leur propre cœur, par la méditation, distinguent, au sein du néant, comme étant le lien de l’Existence. » — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 774. C’est plus profond et plus vigoureusement analysé que le langage d’Hésiode et que les chants celtiques ; mais ce n’est pas différent.
  27. (1) Un dieu antérieur à Indra paraît avoir été Vourounas, ou Vouranas ; il est devenu, depuis, chez les Hindous primitifs, Varouna, et chez les plus anciens Grecs, Ouranos ; « c’est physiquement le ciel qui couvre la terre. » — Eckstein, Recherches historiques sur l’humanité primitive, p. 1-2.
  28. (2) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 771.
  29. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 755. — Un autre étymologiste fait dériver le mot dou de dhâ, poser, créer. (Windischmann, Jenaïsche Litteratur-Zeitung, juillet 1834, cité par Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 357.)
  30. (4) Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 58.
  31. (1) Ewald, Gesch. des Volkes Israël, t. I, p. 69. En Abyssinie, on ne se sert pas de cette expression. On dit egzie et amlak, qui signifient simplement seigneur, et qui ont probablement fait disparaître le mot primitif par suite d’une idée analogue à celle qui fait substituer aux Juifs le mot d’Adonaï à celui de Jéhovah, lorsqu’ils le rencontrent dans la lecture de la Bible. — Ewald, Ueber die Saho-Sprache, dans la Zeitschrift der d. morgenl. Gesellsch., t. V, p. 419.
  32. (2) Un autre nom, donné par la race ariane à la Divinité, est le mot Gott, en gothique Gouth, qui se rapporte au grec Κεύθω, et au sanscrit Goûddhah. Ce mot veut dire le Caché. — V. Windischmann, Fortschritt der Sprachen-Kunde, p. 20, et Eckstein, Recherches historiques sur l’humanité primitive. — Burnouf incline à voir la racine de ce mot dans le sanscrit quaddhâta, l’Incréé. (Comment. sur le Yaçna, t. I, p. 554.
  33. (1) Lassen, Zeitschrift der Deutsch. Morgenl. Gesellschaft, t. II, p. 200.
  34. (2) C’est ici que commence véritablement l’existence des peuples hindous. La philologie va les chercher avec raison dans leur berceau ethnique, au delà des montagnes du nord ; mais leurs annales, mal instruites, les déclarent autochtones. Il est à croire que, dans les temps védiques, le brahmanisme n’avait pas encore imité les Chananéens, les Grecs et les peuplades d’Italie, en admettant comme sienne la tradition de la race inférieure qu’il avait subjuguée. — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 511.
  35. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 795.
  36. (1) Lassen, loc. cit. Il est ici question de l’époque où furent composés les hymnes les plus anciens des Védas.
  37. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 812.
  38. (2) Die graue Vorzeit.
  39. (3) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 812. La consécration royale, dont il est si fort question dans le Ramayana, a encore été pratiquée dans les temps modernes. W. v. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 430.
  40. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 514. En kawi, varna a gardé son sens primitif et n’a pas acquis le sens dérivé. — Voir W. v. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 83.
  41. (2) Lassen, ouvr. cité, p. 804.
  42. (3) Lassen, Indisch. Alterthüm., t. I, p. 804 et pass. — Burnouf, Introduction à l’hist. du bouddhisme indien, t. I, p. 141. Le trait essentiel des brahmanes est de pouvoir lire les mantrâs. — Lassen, ouvr. cité, p. 806. L’aumône, jadis facultative, est aujourd’hui obligatoire à l’égard des brahmanes. Le bien qui est fait à un homme de caste ordinaire acquiert un mérite simple ; à un membre de la caste sacerdotale, un mérite double ; à un étudiant des Védas, le mérite se multiplie par cent mille, et si c’est d’un ascète qu’il s’agit, alors il devient incommensurable.
  43. (1) Rien d’admirable comme les prescriptions que le Manava-Dharma-Sastra (traduction de Haughton, Londres, 1825, in-4o, t. II) adresse à la caste militaire et compile probablement de règlements plus anciens. Je ne puis résister au plaisir de traduire cette page, animée du plus pur esprit chevaleresque. Chap. XII, § 88 : « Ne jamais quitter le combat, protéger le peuple et honorer les prêtres, tel est le suprême devoir des rois, celui qui assure leur félicité. » § 89 : « Ces maîtres du monde, qui, ardents à s’entre-défaire, déploient leur vigueur dans la bataille sans jamais tourner le visage, montent, après leur mort, directement au ciel. » § 90 : « Que nul homme, en combattant, ne frappe son ennemi avec des armes pointues emmanchées de bois, ni avec des flèches méchamment barbelées, ni avec des traits empoisonnés, ni avec des dards de feu. » § 91 : « Que, monté sur un char ou chevauchant un coursier, il n’attaque pas un ennemi à pied, ni un homme efféminé, ni celui qui demande la vie à mains jointes, ni celui dont la chevelure dénouée couvre la vue, ni celui qui, épuisé de fatigue, s’est assis sur la terre, ni celui qui dit : je suis ton captif. » § 92 : « Ni celui qui dort, ni celui qui a perdu sa cotte de mailles, ni celui qui est nu ; ni celui qui est désarmé, ni celui qui est spectateur et non acteur dans le combat, ni celui qui est aux prises avec un autre. » § 93 : « Ayant toujours présent à l’esprit le devoir des Arians, des hommes honorables, qu’il ne tue jamais quelqu’un qui a rompu son arme, ni celui qui pleure pour un chagrin particulier, ni celui qui a été blessé grièvement, ni celui qui a peur, ni celui qui tourne le dos. » § 98 : « Telle est la loi antique et irréprochable des guerriers. De cette loi, nul roi ne doit jamais se départir, quand il attaque ses ennemis dans la bataille. »
  44. (1) Manava-Dharma-Sastra, chap. VII, § 123 : « Since the servants of the king, whom he has appointed guardians of districts, are generally knaves, who seize what belongs to other men, from such knaves let him defend his people. » Cet article fut inspiré, selon toute vraisemblance, par la féodalité des kschattryas.
  45. (2) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 805.
  46. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 818.
  47. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 817.
  48. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 1 : « Let the three twiceborn classes, remaining firm in their several duties, carefully read the Veda; but a brahman must explain it to them, not a man of the other two classes : this is an established rule. » – Chap. X, § 79 : « The means of subsistence peculiar to... the vaisya (are), merchandize, attending on cattle and agriculture ; but, with a view to the next life ; the duties... are almsgiving, reading, sacrificing. »
  49. (3) L’importance de cette caste et l’influence extralégale qu’elle était capable d’exercer n’échappèrent pas du tout aux législateurs de l’Inde. Je lis dans le Manava-Dharma-Sastra, ch. VIII, § 418 : « With vigilant care should the king exert himself in compelling merchant and mechanicks to perform their respective duties ; for, when such men swerve from their duty, they throw this world in confusion. »
  50. (1) Lassen, Indisch., Alterth., t. I, p. 817 et pass.
  51. (1) Burnouf, Introduct. à l’histoire du bouddh. indien, t. I, p. 155. — Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 5 : « In all classes they, and they only, who are born, in a direct order, of wives equal in classes and virgins at the time of marriage, are to be considered as the same in class with their father. »
  52. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. II, § 26: « With auspicious acts prescribed by the veda, must ceremonies over conception and so forth, be duty performed, which purify the bodies of the three classes in this life, and qualify them for the next. » Ainsi ce n’était pas seulement pour le bonheur de cette vie qu’il était nécessaire de se pourvoir de la consécration de sa caste, c’était encore pour assurer le sort ultérieur dans l’autre. Puis les cérémonies commençaient dès le moment présumé de la conception. C’était, à proprement parler, celles qui constituaient l’Hindou, indépendamment de l’idée de caste. Cette seconde condition était remplie d’une manière plus complète quelques années après. Chap. II, p. 37 : « Should a brahman, or his father for him, be desirous of his advancement in sacred knowledge ; a cshatriya, of extending his power ; or a vaisya of engaging in mercantile business ; the investiture may be made in the fifth, sixth or eighth year respectively. »
  53. (3) Manava-Dharma-Sastra, ch. II, § 38 : « The ceremony of the investiture hallowed by the gayatri must not be delayed, in the case of a priest, beyond the sixteenth year, not in that of a soldier, beyond the twenty second ; nor in that of a merchant, beyond the twenty fourth. » § 39 : « After that, all youths of these three classes, who have not been invested at the proper time, become vratyas, or outcasts, degraded from the gayatri, and contemned by the virtuous. »
  54. (4) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 821. Vrâta signifie une horde vivant de pillage et formée de gens de toute origine.
  55. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 507 et pass.
  56. (2) Si l’on admet un jour, couramment, les dates extraordinaires de l’histoire égyptienne, il faudra bien s’accommoder de calculs plus lointains encore pour les faits brahmaniques.