Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre quatrième/Chapitre III


CHAPITRE III.

Les Grecs autochtones  ; les colons sémites ; les Arians Hellènes.

La Grèce primordiale se présente moitié sémitique, moitié aborigène[1]. Ce sont des Sémites qui fondent le royaume de Sicyone, premier point civilisé du pays, ce sont des dynasties purement sémitiques ou autochtones que glorifient les noms caractéristiques d’Inachus, de Phoronée, d’Ogygès, d’Agénor, de Danaüs, de Codrus, de Cécrops, noms dont les légendes établissent la signification ethnique de la manière la plus claire. Tout ce qui ne vient pas d’Asie, à ces époques lointaines, se dit né sur le sol même, et forme la base populaire des États nouvellement éclos. Mais le fait remarquable, c’est que, aux âges primordiaux, on n’aperçoit nulle part la moindre trace historique des Arians Hellènes.

Aucun récit mythique ne fait mention d’eux. Ils sont profondément inconnus dans toute la Grèce continentale, dans les îles à plus forte raison. Pour les rencontrer, il faut descendre jusqu’aux jours de Deucalion, qui, avec des troupes de Lélèges et de Curètes, c’est-à-dire avec des populations locales, par conséquent non arianes, vint, bien longtemps après la création des États de Sicyone, d’Argos, de Thèbes et d’Athènes, s’établir dans la Thessalie. Ce conquérant arrivait du nord.

Ainsi, depuis la fondation de Sicyone, placée par les chronologistes, comme Larcher, à l’an 2164 avant notre ère, jusqu’à l’arrivée de Deucalion en 1541, autrement dit pendant une période de six cents ans, on n’aperçoit en Grèce que des peuples antéarians aborigènes et des colonisateurs de race chamo-sémitique.

Où vivaient donc, que faisaient les Arians Hellènes pendant cette période de six cents ans ? Étaient-ils vraiment bien loin encore de leur future patrie ? La tradition les ignore d’une façon si complète, que l’on serait tenté de croire qu’ils ont exécuté leur apparition première avec Deucalion, brusquement, inopinément, et que, avant cette surprise, on n’avait jamais entendu parler d’eux. Puis soudain Deucalion, établi sur les terres de conquête, donne le jour à Hellen ; celui-ci a pour fils Dorus, Æolus, Xuthus, qui, à son tour, devient père d’Achæus et d’Ion : toutes les branches de la race, Doriens, Æoliens, Achéens et Ioniens, entrent en compétition des territoires jadis exclusivement acquis aux autochtones et aux Chananéens. Les Arians Hellènes sont trouvés.

Il ne faut pas s’étonner de ce défaut de précédents et de transition. Ce sont là les formes mnémoniques ordinaires des récits que conservent les peuples sur leurs origines. Cependant il n’y a pas le moindre doute que les invasions et les établissements des multitudes blanches ne s’accomplissent point ainsi. Une nation menace longtemps un territoire avant de pouvoir s’y établir. Elle tourne autour des frontières du pays convoité sans les franchir. Elle épouvante d’abord et ne saisit que tardivement. Les Arians Hellènes n’ont pas procédé autrement que leurs frères : ils n’ont pas fait exception à la règle.

Puisque avant l’établissement de Deucalion en Thessalie il n’est pas question du nom de son peuple, cessons de rechercher ce nom et, nous attachant à d’autres ressources, voyons ce qu’était Deucalion lui-même, bien reconnu comme Hellène, par les siècles postérieurs, puisqu’il est proclamé l’éponyme même de la race. Observons-le dans sa valeur ethnique, et d’abord, puisque nous procédons de bas en haut, commençons par préciser celle de ses fils, fondateurs des différentes tribus helléniques[2]

Ils naquirent tous, au second degré, de Deucalion et de Pyrrha, fille de Pandore. Dorus commença par établir ses tribus autour de l’Olympe, près du Parnasse. Æolus régna dans la Thessalie, chez les Magnètes. Xuthus s’avança jusqu’au Péloponèse. Hellen, père de ces trois héros, les avait eus d’une fille dont l’origine autochtone est suffisamment indiquée par son nom : la légende l’appelle Orséis, la montagnarde. Pandore également n’était pas née de la souche hellénique. Formée de limon, elle se trouvait être d’une autre espèce que les Arians : elle était autochtone, elle avait épousé le frère de son créateur. Ainsi, les patriarches de la famille hellénique ne se présentent pas comme étant de race pure. Quant à Pandore, cette femme aborigène mariée à un étranger ; quant à sa fille Pyrrha, mariée à un autre étranger ; quant à ce dernier couple qui, après le déluge, se fabrique un peuple avec les pierres du sol, il est difficile de ne pas se rappeler, en les observant, le mythe tout semblable de l’histoire chinoise, où Pan-Kou forme les premiers hommes avec de la glaise, bien qu’il soit homme lui-même. La pensée ariane-grecque et ariane-chinoise n’a trouvé, à des distances immenses, que le même mode de manifestation pour représenter deux idées complètement identiques, le mélange d’un rameau arian avec des aborigènes sauvages et l’appropriation de ces derniers aux notions sociales.

Deucalion, le premier des Grecs, à savoir, le premier d’une race mêlée, un demi-Sémite, à ce qu’il semble, était fils de Prométhée et de Klymène, issue de l’Océan[3]. On sent très bien ici la déviation de la source pure, d’où Prométhée était issu. Si Deucalion devient éponyme de ses descendants, c’est qu’il n’a pas la même composition, la même signification ethnique que son père. Rien de plus évident. Cependant les apports de sang sémitique ou aborigène ne peuvent constituer son originalité : c’est bien dès lors dans la ligne paternelle qu’il faut la chercher, sans quoi Deucalion ne serait nullement considéré par la légende hellénique comme l’homme type, et, dans les récits grecs d’origine sémitique, il serait classé bien après les héros chananéens qui l’ont, en effet, précédé suivant l’ordre des temps. Deucalion tire donc tout son mérite spécial de son père, et ainsi c’est la race de celui-ci qu’il importe de reconnaître. Or, Prométhée était un Titan, ainsi que son frère Épiméthée, d’où les Arians Hellènes descendent également par les femmes. En conséquence, personne, je crois, ne pourra combattre cette conclusion : les Arians Hellènes avant Deucalion, les Arians Hellènes, encore à peu près intacts de tous mélanges soit sémitiques, soit aborigènes, ce sont les Titans (1)[4]. La régularité de la filiation ne laisse rien à désirer.

Jusque-là, il est établi d’une manière irréfragable que les Grecs sont des descendants métis de cette nation glorieuse et terrible. Pourtant on pourrait douter encore que les Titans aient été, eux-mêmes, ces Hellènes, séparés jadis de la famille ariane sur les versants de l’Imaüs, et dont nous avons senti, plutôt que vu, la longue pérégrination dans les montagnes du nord de l’Assyrie, au long de la mer Caspienne. À la vérité, si la généalogie ascendante des Titans était complètement perdue, le fait n’en serait pas moins établi, avec toute la certitude possible, par la philologie et les arguments physiologiques : mais, puisque l’histoire est ici d’une clarté et d’une précision trop rares, je ne repousserai certes pas le secours qu’elle m’apporte, et je compléterai ma démonstration.

Les Titans étaient les fils directs de cet ancien dieu arian, déjà aperçu par nous dans l’Inde, aux origines védiques, de ce Varounas, expression vénérable de la piété des auteurs de la race blanche, et dont les Hellènes n’avaient même pas défiguré le nom en le conservant, après tant de siècles, sous la forme à peine altérée d’Ouranos. Les Titans, fils d’Ouranos, le dieu originel des Arians, étaient bien incontestablement eux-mêmes, on le voit, les Arians, et parlaient une langue dont les restes, survivant au sein des dialectes helléniques, se rapprochaient, sans nul doute, d’une façon très intime, et du sanscrit, et du zend, et du celtique, et du slave le plus ancien.

Les Titans, ces conquérants altiers des contrées montagneuses du nord de la Grèce, ces hommes violents et irrésistibles, laissèrent dans la mémoire des populations de l’Hellade, et, par contre-coup, dans celle de leurs propres descendants, exactement cette même idée de leur nature que les antiques Chamites blancs, que les premiers Hindous, que les Arians égyptiens, que les Arians chinois, tous conquérants, tous leurs parents, ont laissée dans le souvenir des autres peuples (1)[5]. On les divinisa, on les plaça au-dessus de la créature humaine, on s’avoua plus petits qu’eux, et, ainsi que je l’ai dit quelquefois déjà, par une telle façon de comprendre les choses, on rendit exacte justice et aux nations primitives de race blanche pure et aux multitudes de valeur médiocre qui leur ont succédé.

Les Titans occupèrent donc le nord de la Grèce. Leur premier mouvement heureux vers le sud fut celui auquel présida Deucalion, menant à cette entreprise des troupes d’aborigènes, c’est-à-dire de gens étrangers à son sang (1)[6]. Lui-même d’ailleurs, on l’a vu, était un hybride. Ainsi, nous n’avons plus affaire désormais aux Titans. Ils restent, ils se mêlent, ils s’éteignent dans les contrées septentrionales de l’Hellade, dans la Chaonie, l’Épire, la Macédoine : ils disparaissent, mais non sans transmettre et assurer une valeur toute particulière aux populations parmi lesquelles ils se fondent (2)[7].

Ces populations, non plus que celles de la Thrace et de la Tauride, n’étaient pas, je l’ai indiqué sommairement, de race jaune pure. Déjà les nations celtiques et slaves avaient incontestablement poussé leurs marches jusqu’à l’Euxin, jusqu’aux montagnes de la Grèce, jusqu’à l’Adriatique. Elles étaient même allées beaucoup plus loin. Les grands déplacements de peuples blancs septentrionaux, qui, sous l’effort violent des masses mongoles opérant au nord, avaient déterminé les Arians habitant plus au sud, sur les hauts plateaux asiatiques, à descendre le long des crêtes de l’Hindou-Koh, agissaient, dès longtemps, lorsque les Titans se montrèrent au delà de la Thrace. Les Celtes, que l’on trouve, au dix-septième siècle avant Jésus-Christ, fermement établis dans les Gaules, et les Slaves, que, pour des motifs à donner en leur lieu, j’aperçois en Espagne antérieurement à cette époque, avaient quitté depuis des siècles la patrie sibérienne et longé les bords supérieurs du Pont-Euxin. Pour toutes ces causes, une certaine somme de mélanges subis par les Titans avait apporté dans les veines des Arians Hellènes quelque proportion de principes jaunes dus seulement à l’intermédiaire des nations souillées d’un contact plus intime avec les peuples finnois [8].

Après l’époque de Deucalion, à dater du seizième siècle avant Jésus-Christ [9], les tribus fixées dans la Macédoine, l’Épire, l’Acarnanie, l’Étolie, le nord, en un mot, réunirent, à un degré tout particulier, les traits du caractère arian et furent les premières à faire connaître le nom des Hellènes.

Là surtout brilla l’esprit belliqueux. Le héros thessalien, le brave aux pieds légers, reste toujours le prototype du courage hellénique. Tel que l’Iliade nous le montre, c’est un guerrier véhément, ami du danger, cherchant la lutte pour la lutte, et, dans sa religion de loyauté, ne transigeant pas avec le devoir qu’il s’impose. Ses nobles sentiments le font aimer. Les passions impétueuses qui le perdent le font plaindre. Il est digne d’être comparé aux vainqueurs de l’épopée hindoue, du Schahnameh et des chansons de geste.

L’énergie était le trait de cette famille. Cette vertu, quand l’intelligence l’éclaire et la conduit, est partout désignée d’avance pour le souverain pouvoir. Le nord de la Grèce fournit toujours au midi ses soldats les meilleurs, les plus intrépides, les plus nombreux, et longtemps après que le reste du pays était étouffé sous l’élément sémitique, il s’entretenait encore dans cette région des pépinières de hardis combattants. D’autre part, il faut l’avouer, les habitants de ces contrées, si habiles à se battre, à commander, à organiser, à gouverner, ne le furent jamais à briller dans les travaux spéculatifs. Chez eux, pas d’artistes, pas de sculpteurs, de peintres, d’orateurs, de poètes, ni d’historiens célèbres. C’est tout ce que put faire le génie lyrique que de remonter du sud jusqu’à Thèbes pour y produire Pindare. Il n’alla pas au delà, parce que la race ne s’y prêtait pas, et Pindare lui-même fut une grande exception dans la Béotie. On sait ce qu’Athènes pensait de l’esprit cadméen, qui, pour n’avoir pas la langue déliée, ni la pensée fleurie, n’en suscitait pas moins des soldats mercenaires à toute l’Asie et, à l’occasion, un grand homme d’État à la patrie hellénique. Le sang de la Grèce septentrionale avait à Thèbes sa frontière [10].

Le nord fut donc toujours distingué par les instincts militaires et même grossiers de ses citoyens, et par leur génie pratique, double caractère dû incontestablement à un hymen de l’essence blanche ariane avec des principes jaunes. Il en résultait de grandes aptitudes utilitaires et peu d’imagination sensuelle. Nous apercevons ainsi, dans les parties de l’Europe les plus anciennement au pouvoir des Hellènes, l’antithèse ethnique et morale de ce que nous avons observé dans l’Inde, en Perse et en Égypte. Nous allons faire de même l’application de ce contraste aux nations de la Grèce méridionale. La différence sera plus saillante à mesure que nous passerons du continent dans les îles et des îles dans les colonies asiatiques.

Je me suis servi, il n’y a qu’un instant, de l’Iliade pour caractériser le génie tout à la fois arian et finnique des Grecs du nord. Je n’y puise pas de moindres secours lorsque je cherche à me représenter l’esprit arian-sémitique des Grecs du sud, et il me suffira, dans ce but, d’opposer à Achille et à Pyrrhus le sage Ulysse. Voilà bien le type du Grec trempé de phénicien ; voilà l’homme qui nommerait certainement, dans sa généalogie, plus de mères chananéennes que de femmes arianes. Courageux, mais seulement quand il le faut, astucieux par préférence, sa langue est dorée, et tout imprudent qui l’écoute plaider est séduit. Nul mensonge ne l’effraye, nulle fourberie ne l’embarrasse, aucune perfidie ne lui coûte. Il sait tout. Sa facilité de compréhension est étonnante, et sans bornes sa ténacité dans ses projets. Sous ce double rapport, il est Arian.

Poursuivons le portrait.

Le sang sémitique parle de nouveau en lui, quand il se montre sculpteur : lui-même il a taillé son lit nuptial dans un olivier, et cet ouvrage incrusté d’ivoire est un chef-d’œuvre. Ainsi éloquent, artiste, fourbe et dangereux, c’est un compatriote, un émule du pirate-marchand né à Sidon, du sénateur qui gouvernera Carthage, tandis qu’ingénieux à trouver des idées, inébranlable dans ses vues, habile à gouverner ses passions autant qu’à tempérer celles des autres, modéré quand il le veut, modeste parce que l’orgueil est une enflure maladroite de la raison, c’est un Arian. Il n’y a pas de doute qu’Ulysse doit l’emporter sur Ajax, véritable Arian Finnois. La nuance du type grec à laquelle appartient le fils de Laërte est destinée à une plus haute, plus rapide, mais aussi plus fragile fortune, que son opposite. La gloire de la Grèce fut l’œuvre de la fraction ariane, alliée au sang sémitique ; tandis que la grande prépondérance extérieure de ce pays résulta de l’action des populations quelque peu mongolisées du nord.

On le sait : de bonne heure, et longtemps avant que les premières tribus des Arians Grecs, provenant du mélange des aborigènes avec les Titans, fussent descendues dans l’Attique et le Péloponèse, des émigrants chananéens avaient déjà conduit leurs barques vers ces plages. On ne croit plus guère aujourd’hui, et cela pour des raisons irréfragables, que parmi ces étrangers se soient trouvés des Égyptiens. Les gens de Misr ne colonisaient pas : ils restaient chez eux, et même, bornés longtemps à la possession du cours supérieur du Nil, ils ne sont descendus qu’assez tard jusqu’aux bords de la mer. La partie inférieure du Delta était occupée par des peuples de race sémitique ou chamitique. C’était le grand chemin des expéditions vers l’Afrique occidentale. Si donc, ce que je n’ai nul motif de contester, certaines bandes, venues pour peupler la Grèce, sont parties de ce point, ce n’étaient pas des Égyptiens : c’étaient des congénères de ces autres envahisseurs qui, de l’aveu commun, sont accourus en grand nombre de Phénicie. Tous les noms des anciens chefs d’États grecs primitifs, qui ne présentent pas une apparence aborigène, sont uniquement sémitiques : ainsi Inachus, Azéus, Phégée, Niobé, Agénor, Cadmus, Codrus. On cite une exception, deux au plus : Phoronée, que l’on rapproche du Phra égyptien, et Apis. Mais Phoronée est le fils d’Inachus, le frère de Phégée, le père de Niobé. On trouve ce héros, dans sa famille même, entouré de noms clairement sémitiques, et il ne serait pas plus difficile de découvrir au sien une racine de même espèce qu’il ne l’est de l’identifier avec Phra (1)[11].

On a rapproché le nom d’Inachus du mot Anak, dont M. de Ewald et d’autres hébraïsants ont fait ressortir l’importance ethnique. Si ce nom devait avoir, quant au premier roi de l’Argolide, une signification de race, il indiquerait une parenté avec la tribu honteusement abrutie de ces noirs purs qui, maîtres dépossédés du Chanaan, erraient dans les buissons et hantaient les cavernes de Seïr. Mais la vraisemblance n’en est pas grande, et je ne crois pas qu’il faille soit confondre le nom d’Inachus avec le mot Anak, soit, si l’on ne peut éviter ce rapport, y trouver un sens plus profond qu’une pure similitude de syllabes. C’est ainsi que, pour le mot Kabl, (en arabe) fréquent dans la composition des noms arabes, on aurait le plus grand tort de chercher le père de qui le porte parmi les individus de l’espèce canine (1)[12].

Les colonies venues du sud et de l’est se composaient donc exclusivement de Chamites noirs et de Sémites différemment mélangés. Le degré de civilisation de chacune d’elles n’était pas moins nuancé, et les variétés de sang, créées par ces invasions dans les pays grecs, furent infinies.

Aucune contrée ne présente, aux époques primitives, plus de traces de convulsions ethniques, de déplacements subits et d’immigrations multipliées. On y venait par troupes de tous les coins de l’horizon, et souvent pour ne faire que passer ou se voir tellement assailli, que force était de se confondre aussitôt parmi les vainqueurs et de perdre son nom. Tandis que, à tout moment, des bandes saturées de noir accouraient soit des îles, soit du continent d’Asie, d’autres populations mêlées d’éléments jaunes, des Slaves, des Celtes, descendaient du nord sous mille dénominations imprégnées d’idées toutes spéciales (1)[13]. Pour expliquer ce concours de tant de nationalités sur une péninsule étroite et presque séparée du monde, il est besoin de ne jamais perdre de vue quelles perturbations énormes les agitations des peuples finnois amenaient dans les parties septentrionales du continent. Les guerriers arrivés de la Thessalie et de la Macédoine dans les parages de l’Acarnanie avaient été les victimes directes des dépossessions répétées de proche en proche, et, de même, les Chamites noirs et les Sémites venus de l’est et du sud fuyaient devant des événements analogues, et abandonnaient, pour aller chercher fortune en Grèce, leurs territoires, devenus domaines des invasions hébraïques ou arabes, en un mot, chaldéennes de différentes dates.

Ces armées de fugitifs rejetés, le glaive à la main, dans le Péloponèse, l’Attique, l’Argolide, la Béotie, l’Arcadie, s’y heurtaient les unes contre les autres et s’y livraient bataille. Il résultait encore de ces nouveaux conflits de nouveaux vaincus et de nouveaux vainqueurs, des tribus asservies, d’autres chassées, de sorte que, après le combat, des cohues tumultueuses repartaient, soit pour se diriger vers l’ouest et gagner la Sicile, l’Italie, l’Illyrie, soit pour retourner sur la côte asiatique et y chercher une fortune meilleure (2)[14]. L’Hellade ressemblait à un de ces abîmes profonds creusés dans le lit des fleuves, où les eaux, pressées par le courant, se précipitent en lourdes masses et ressortent en tourbillons.

Pas de repos, pas de trêve. Les temps héroïques sont à peine ouverts, l’épopée balbutie ses plus obscurs récits, et, dédaigneuse des hommes, remarque les dieux seuls, que déjà les expulsions violentes, les dépossessions de tribus entières, les révolutions de toutes sortes ont commencé. Puis, lorsque, mettant pied à terre, la Muse parle enfin de sang-froid et dans des termes que la raison peut discuter, elle nous montre les nations grecques composées à peu près ainsi :

1° Des Hellènes — Arians modifiés par les principes jaunes, mais avec grande prépondérance de l’essence blanche et quelques affinités sémitiques ;
2° Des aborigènes — Populations slavo-celtiques saturées d’éléments jaunes ;
3° Des Thraces — Arians mêlés de Celtes et de Slaves ;
4° Des Phéniciens — Chamites noirs ;
5° Des Arabes et des Hébreux — Sémites très mêlés ;
6° Des Philistins — Sémites peut-être plus purs ;
7° Des Libyens — Chamites presque noirs ;
8° Des Crétois et autres insulaires — Sémites assez semblables aux Philistins.

Ce tableau a besoin d’être commenté (1)[15]. Il ne contient pas, à proprement parler, un seul élément pur. Sur sept, six renferment, à différents degrés, des principes mélaniens ; deux ont des principes jaunes ; deux encore contiennent l’élément blanc pris à la branche chamitique, et donc extrêmement affaibli ; trois le possèdent emprunté au rameau sémitique, deux autres au rameau arian ; trois, enfin, réunissent les deux dernières sources. J’en tire les conséquences suivantes :

Le principe blanc, en général, domine, et l’essence ariane y partage l’influence avec la sémitique, attendu que les invasions des Arians Hellènes, ayant été les plus nombreuses, ont formé le fond de la population nationale. Toutefois l’abondance du sang sémitique est telle, sur certains points en particulier, que l’on ne peut refuser à ce sang une action marquée, et c’est à lui qu’appartient une initiative tempérée par l’action ariane appuyée du contingent jaune. Il va sans dire que ce jugement a pour objet la Grèce méridionale, la Grèce de l’Attique, du Péloponèse, des colonies, la Grèce artiste et savante. Au nord, les éléments mélaniens sont presque nuls. Aussi, dans les siècles rapprochés de la guerre de Troie, ces régions excitèrent, beaucoup moins que les contrées asiatiques, les préoccupations des Grecs du sud.

C’est que, en effet, à ces époques, et vers le temps où Hérodote écrivait, la Grèce était elle-même un pays asiatique, et la politique qui l’intéressait le plus s’élaborait à la cour du grand roi. Tout ce qui avait trait à l’intérieur, agrandi, ennobli à nos yeux par l’admirable manière dont le souvenir nous en a été conservé, n’était pourtant que très secondaire en comparaison des faits extérieurs dont les ressorts restaient aux mains des Perses.

Depuis que l’Égypte était tombée au rang de province ralliée aux États achéménides, il n’y avait plus dans le monde occidental deux civilisations comme jadis. L’antagonisme de l’Euphrate et du Nil avait cessé ; plus rien d’assyrien, plus rien d’égyptien, et, en place, un compromis auquel je ne trouve d’autre nom que celui d’asiatique. Cependant la grande place y appartenait encore au principe assyrien. Les Perses, trop peu nombreux, n’avaient pas transformé ce principe, ne l’avaient pas même renouvelé. Leur bras s’était trouvé assez fort pour lui donner une impulsion que les dynasties chaldéennes n’avaient pu créer à un même degré, et, sous l’atteinte de ce colosse en pourriture, la débile caducité égyptienne s’était réduite en poussière et mêlée à lui. Existait-il dans le monde une troisième civilisation pour prendre la place des champions anciens ? Nullement : la Grèce ne représentait pas, vis-à-vis de l’Assyrie, une culture originale comme l’égyptienne, et bien que son intelligence eût des nuances très spéciales, la plupart des éléments qui la composaient se retrouvaient, avec le même sens et la même valeur, chez les peuples sémitiques du littoral méditerranéen. C’est une vérité qui n’a pas besoin de démonstration.

Dans leur opinion même, les Grecs faisaient beaucoup plus de cas de ce qu’ils appelaient, sans doute, en leur langage, les conquêtes de la civilisation, c’est-à-dire les importations de dieux, de dogmes, de rites asiatiques, et de rêveries monstrueuses venues des côtes voisines, que de la simplicité ariane professée jadis par leurs religieux ancêtres mâles. Ils s’enquéraient avec prédilection de ce qui s’était pensé et fait en Asie. Ils se mêlaient de leur mieux aux affaires, aux intérêts, aux querelles du grand continent, et, bien que pénétrés de leur propre importance, comme tout petit peuple doit l’être, bien qu’appelant même l’univers entier barbare, en dehors d’eux, leur regard ne se détachait pas de l’Asie.

Tant que les Assyriens furent indépendants, les Grecs, faibles et éloignés, ne comptèrent que peu dans le monde ; mais, comme le développement hellénique se trouva contemporain de la grande fortune des Arians Iraniens, ce fut à cette époque qu’en face des maîtres de l’Asie antérieure, ils eurent à opter entre l’antagonisme et la soumission. Le choix était indiqué par leur faiblesse. Ils acceptèrent l’influence victorieuse, dominatrice, irrésistible, du grand roi, et vécurent dans la sphère de sa puissance, sinon à l’état de sujets, du moins à celui de protégés.

Tout, je le répète, leur en faisait une obligation. La parenté avec les Asiatiques était étroite ; la civilisation presque identique dans ses bases, et, enfin, sans le bon vouloir des Perses, c’en était fait des colonies ioniennes, toujours et traditionnellement soutenues par la politique des souverains de l’Assyrie. Or, de la fortune des colonies dépendait celle des métropoles (1)[16].

Il y avait ainsi accord entre les Arians Grecs et les Arians Iraniens. Le lien commun était ce vaste élément sémitique sur lequel, chacun chez soi, ils avaient dominé, et qui, tôt ou tard, par une voie ou par une autre, devait les absorber également dans son unité agrandie.

Il peut paraître singulier que je dise que les Arians Grecs eussent jamais dominé chez eux le principe sémitique, après avoir démontré que la plus grande partie de leur civilisation en était faite. Pour donner raison de cette contradiction apparente, je n’ai qu’à rappeler une réserve inscrite plus haut. En disant que la culture grecque était principalement d’origine sémitique, je réservais un certain état antérieur que je vais examiner maintenant, et qui contient, avec trois éléments tout à fait arians, l’histoire primitive de l’hellénisme épique. Ces éléments sont : la pensée gouvernementale, l’aptitude militaire, un genre bien particulier de génie littéraire. Tous les trois ressortent de l’hymen de ces deux instincts arians, la raison et la recherche de l’utile.

Le fondement de la doctrine gouvernementale des Arians Hellènes était la liberté personnelle. Tout ce qui pouvait garantir ce droit, dans la plus grande extension possible, était bon et légitime. Ce qui le restreignait était à repousser. Voilà le sentiment, voilà l’opinion des héros d’Homère : voilà qui ne se retrouve qu’à l’origine des sociétés arianes.

À l’aurore des âges héroïques, et même longtemps après, les États grecs sont gouvernés d’après les données, les notions déjà observées dans l’Inde, en Perse, et quelque peu à l’origine de la société chinoise, c’est-à-dire pourvus d’un gouvernement monarchique, limité par l’autorité des chefs de famille, par la puissance des traditions et la prescription religieuse. On y remarque un grand éparpillement national, de fortes traces de cette hiérarchie féodale si naturelle aux Arians, préservatif assez efficace contre les inconvénients principaux du fractionnement, conséquence de l’esprit d’indépendance (1)[17]. Rien de plus surveillé dans l’exercice de son pouvoir qu’Agamemnon, le roi des rois ; rien de plus limité dans sa puissance que l’habile souverain d’Ithaque. L’opinion est maîtresse dans ces grands villages (2)[18], où il n’existe pas, sans doute, de journaux (3)[19], mais où les ambitieux, plus ou moins éloquents, ne manquent pas à la perturbation des affaires. Pour bien comprendre ce que c’était qu’un roi grec aux prises avec les difficultés gouvernementales, il n’est rien de mieux que d’étudier le coup d’État d’Ulysse contre les amants de Pénélope. On y voit sur quel terrain scabreux opérait l’autorité du prince, même ayant de son côté le droit et le bon sens.

Dans cette société vive, jeune, altière, le génie arian inspirait richement la poésie épique. Les hymnes adressés aux dieux étaient des récits ou des nomenclatures plutôt que des effusions. Le jour du lyrisme n’était pas venu. Le héros grec combattait monté sur le char arian, ayant à ses côtés un écuyer de sang noble, souvent royal, bien semblable au souta brahmanique, et ses dieux étaient des dieux-esprits, indéfinis, peu nombreux et ramenés facilement à une unité qui, mieux que tout encore, sentait son origine voisine des monts hymalayens (1)[20].

À ce moment très ancien, la puissance civilisatrice, initiatrice, ne résidait pas dans le sud : elle émanait du nord. Elle venait de la Thrace avec Orphée, avec Musée, avec Linus. Les guerriers grecs apparaissaient grands de taille, blancs et blonds. Leurs yeux portaient leur arrogance dans l’azur, et ce souvenir resta tellement maître de la pensée des générations suivantes, que lorsque le polythéisme noir eut envahi, avec l’affluence croissante des immigrations sémitiques, toutes les contrées comme toutes les consciences, et eut substitué ses sanctuaires aux simples lieux de prière dont jadis les aïeux se contentaient, la plus haute expression de la beauté, de la puissance majestueuse, ne fut pas autre pour les Olympiens que la reproduction du type arian, yeux bleus, cheveux blonds, teint blanc, stature élevée, dégagée, élancée.

Autre signe d’identité non moins digne de remarque. En Égypte, en Assyrie, dans l’Inde, on avait eu l’idée que les hommes blancs étaient dieux ou pouvaient le devenir, et l’on admettait la possibilité du combat et de la victoire des guerriers blancs contre les puissances célestes. Les mêmes notions se retrouvent au sein des sociétés primitives de la Grèce, ainsi que je l’ai dit à propos des Titans, et je le répète ici de leurs descendants immédiats, les Deucalionides. Ces braves combattent audacieusement les êtres surnaturels et les forces personnifiées de la nature. Diomède blesse Vénus ; Hercule tue les oiseaux sacrés du lac Stymphalide, il étouffe les géants, enfants de la terre, et fait trembler d’épouvante la voûte des palais infernaux ; Thésée, parcourant le monde d’en bas l’épée à la main, est un vrai Scandinave. En un mot, les Arians Grecs, comme tous leurs parents, ont une si haute opinion des droits de la vigueur, que rien ne leur paraît trop au-dessus de leurs prétentions légitimes et d’une audace permise.

Des hommes si avides d’honneur, de gloire et d’indépendance étaient naturellement portés à se mettre au-dessus les uns des autres et à réclamer des égards extraordinaires. Il ne leur suffisait pas de limiter de leur mieux l’action du pouvoir social et de rendre ce pouvoir dépendant de leurs suffrages : ils voulaient se faire compter, estimer, honorer, non seulement comme Arians, libres et guerriers, mais, dans la masse des guerriers, des hommes libres, des Arians, comme des individualités d’élite. Cette prétention universelle obligeait chacun à de grands efforts, et puisque, pour atteindre à l’idéal proposé, il n’y avait d’autre voie que d’être le plus Arian possible, de résumer le plus les vertus de la race, l’on attacha une très grande importance à la pureté des généalogies.

Durant les temps historiques, cette notion se pervertit. On s’estima alors suffisamment noble, quand la famille put se dire vieille. Dans ce cas, elle mettait son orgueil à accuser une descendance asiatique (1)[21]. Mais, au début de la nation, avoir le droit de se vanter d’être un pur Arian fut le gage unique d’une supériorité incontestable. L’idée de la préexcellence de race existait aussi complète chez les Grecs primitifs que chez toutes les autres familles blanches. C’est un instinct qui ne se rencontre bien entier que dans ce cercle, et qui s’y altère par le mélange avec les races jaune et noire, auxquelles il fut toujours étranger.

Ainsi la société grecque, très neuve encore, se hiérarchisait suivant la supériorité de naissance. À côté de la liberté et de la liberté jalouse des Arians Hellènes, pas l’ombre d’égalité entre les autres occupants du sol et ces maîtres audacieux. Le sceptre, bien que donné en principe à l’élection, trouva, par le respect dont on entourait les grands lignages, une forte cause de se perpétuer exclusivement dans quelques descendances. Sous certains rapports même, l’idée de suprématie d’espèce, consacrée par celle de famille, conduisit les Arians Grecs à des résultats comparables à ceux que nous avons observés en Égypte et dans l’Inde, c’est-à-dire que, eux aussi, ils connurent les démarcations de castes et les lois prohibitives des mélanges. Il y a plus : ils appliquèrent ces lois jusqu’aux derniers temps de leur existence politique. On cite des maisons sacerdotales qui ne s’alliaient qu’entre elles, et la loi civile fut toujours dure pour les rejetons des citoyens mariés à des étrangères. Cependant, je me hâte de le dire, ces restrictions étaient faibles. Elles ne pouvaient avoir la même portée que les lois du Nil et de l’Arya-varta. La race ariane-grecque, malgré la conscience de sa supériorité d’essence et de facultés sur les populations sémitiques qui la pénétraient de toutes parts, avait ce désavantage d’être jeune d’expérience et de savoir, tandis que les autres étaient vieilles de civilisation. Ces dernières jouissaient, à son détriment, d’une supériorité extérieure qui ne permettait pas de les dédaigner et de se refuser complètement à l’alliage. Le système des castes resta toujours à l’état d’embryon : il ne put se développer. L’hellénisme eut trop souvent intérêt à permettre les mésalliances, et d’autres fois il se vit forcé de les subir. Sous ce double rapport, sa situation ressembla beaucoup à ce que fut plus tard celle des Germains.

Quoi qu’il en soit, l’idée nobiliaire se montra extrêmement forte et puissante chez les Arians Grecs. Le classement des citoyens ne se faisait que d’après la valeur de chaque descendance ; les vertus individuelles venaient après (1)[22]. Je le répète donc : l’égalité était complètement proscrite. Chacun, se sentant fier de son extraction, ne voulait pas être confondu dans la foule.

Et de même que chacun prétendait être libre, honoré, admiré, chacun aussi visait à commander autant que possible. Il semble qu’une telle tendance dût être difficile à réaliser dans une société ainsi faite, que le roi lui-même, le pasteur du peuple, avant d’exprimer un avis, devait s’enquérir si cet avis convenait aux dieux, aux prêtres, aux gens de haute naissance, aux guerriers, au gros du peuple. Heureusement, il restait des ressources : il y avait l’esclave, l’ancien autochtone asservi, puis enfin les étrangers. Voyons d’abord ce qu’était l’esclave.

Pour premier point, la créature réduite à cette condition n’appartenait, dans aucun cas, à la cité. Tout homme né sur le sol consacré et de parents libres avait un droit imprescriptible à vivre libre lui-même. Sa servitude était illégitime, emportait le caractère de crime, ne durait pas, n’était pas. Si l’on réfléchit que la cité grecque primitive renfermait une nation, une tribu particulière, et que cette nation, cette tribu, se considérant comme unique en son espèce, ne voyait le monde qu’en elle-même, on découvre dans cette prescription fondamentale la proclamation du principe que voici : « L’homme blanc n’est fait que pour l’indépendance et la domination ; il ne doit pas subir, dans la perpétration de ses actes, la direction d’autrui. »

Cette loi, évidemment, n’est pas une invention locale. On la retrouve ailleurs, on la revoit dans toutes les constitutions sociales de la famille que l’on peut observer d’assez près pour se rendre compte des détails. J’en tire la conséquence que, suivant cette opinion, il n’était pas permis de réduire en servitude un homme blanc, c’est-à-dire un homme, et que l’oppression, quand elle était limitée aux individus des espèces noire et jaune, n’était pas censée constituer une violation de ce dogme de la loi naturelle.

Après la séparation des différentes descendances blanches, chaque nation s’étant imaginé, dans son isolement au milieu de multitudes inférieures ou métisses, être l’unique représentant de l’espèce, ne se fit aucun scrupule d’user des prérogatives de la force dans toute leur étendue, même sur les parents que l’on rencontrait et qui n’étaient plus reconnus pour tels, du moment qu’ils appartenaient à d’autres rameaux. Ainsi, bien que, dans la règle, il ne dût y avoir que des esclaves jaunes et noirs, il s’en fit pourtant de métis et ensuite de blancs, par une corruption de la fâcheuse prescription antique dont on avait involontairement altéré le sens, en en restreignant le bénéfice aux seuls membres de la cité.

Une preuve sans réplique que cette interprétation est la bonne, c’est qu’en vertu d’une extension très anciennement appliquée, on ne voulut pas non plus pour esclaves les habitants des colonies, ni les alliés, ni les peuples avec lesquels on avait des rapports d’hospitalité ; et, plus tard encore, suivant une autre règle qui, au point de vue de la loi originelle, et dans un sens ethnique, n’était qu’une assimilation arbitraire, on étendit cette franchise à toutes les nations grecques.

Je vois ici une preuve que, dans l’Asie centrale, les peuples blancs, au temps de leur réunion, s’interdisaient de posséder leurs congénères, c’est-à-dire les hommes blancs ; et les Arians Grecs, observateurs incorrects de cette loi primordiale, ne consentaient pas davantage à asservir leurs congénères, c’est-à-dire leurs concitoyens.

En revanche, la situation des premiers possesseurs de l’Hellade, tels que les Hélotes et les Pénestes, ressemblait à du servage (1)[23]. La différence essentielle était que les populations soumises n’habitaient pas les demeures (2)[24] du guerrier ainsi que les esclaves : elles vivaient sous leurs toits particuliers, cultivant le sol et payant des redevances, comparables, en ceci, aux serfs du moyen âge. Pour achever la ressemblance, au-dessus de ces manants se plaçait une espèce de bourgeoisie également exclue de l’exercice des droits politiques, mais mieux traitée et plus riche que la classe des paysans. Ces hommes, Perrhèbes et Magnètes en Thessalie (1)[25], et en Laconie Périœkes, descendaient certainement de différentes catégories de vaincus. Ou bien ils avaient formé les classes supérieures de la société dissoute, ou bien ils s’étaient soumis volontairement et par capitulations.

Les étrangers domiciliés avaient des droits analogues ; mais en somme, esclaves, pénestes, périœkes, étrangers, portaient le poids de la suprématie hellénique.

Telles étaient les institutions par lesquelles les Arians Grecs, si amoureux de leur liberté personnelle et si jaloux de la conserver les uns vis-à-vis des autres, trouvaient à satisfaire, dans l’intérieur de l’État et hors des temps de guerre et de conquête, leur besoin de domination. Le guerrier renfermé dans sa maison y était roi. Sa compagne ariane, respectée de tous et de lui-même, avait aussi son parler franc devant le pasteur du peuple. Pareille à Clytemnestre, l’épouse grecque était assez hautaine. Froissée dans ses sentiments, elle savait punir comme la fille de Tyndare. Cette héroïne des temps primitifs (2)[26] n’est pas autre que la femme altière aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux bras blancs, que nous avons déjà vue aux côtés des Pandavas, et que nous retrouverons chez les Celtes et dans les forêts germaniques. Pour elle, l’obéissance passive n’était pas faite.

Cette noble et généreuse créature, assise vis-à-vis de son belliqueux époux, auprès du foyer domestique, apparaissait entourée d’enfants soumis jusqu’à la mort inclusivement aux volontés paternelles. Les fils et les filles marquaient, dans la maison, le premier degré de l’obéissance : des représentations de leur part n’étaient pas de mise. Mais, une fois sorti de la demeure des aïeux, le fils allait fonder une autre souveraineté domestique, et pratiquait à son tour ce qu’il avait appris. Après les enfants venaient les esclaves : leur situation subordonnée n’avait rien de trop pénible. Qu’ils eussent été achetés pour un certain poids d’argent ou d’or, ou acquis par échange en retour de taureaux et de génisses, ou bien encore que le sort de la guerre les eût jetés aux mains de leurs vainqueurs comme épaves d’une ville prise d’assaut, les esclaves étaient plutôt des sujets que des êtres abandonnés à tous les caprices des propriétaires.

D’ailleurs, un des caractères saillants des sociétés jeunes, c’est la mauvaise entente de ce qui est productif (1)[27], et cette heureuse ignorance rendait assez douce l’existence des esclaves grecs. Soit que, confondus avec les serfs, ils gardassent les troupeaux sur les rives du Pénée et de l’Achéloüs, soit que, dans l’intérieur du manoir, ils eussent à vaquer aux travaux sédentaires, ce qu’on exigeait d’eux était minime, parce que les maîtres avaient eux-mêmes peu de besoins. Les repas étaient promptement apprêtés. Le chef du logis se chargeait, le plus souvent, de tuer les bœufs ou les moutons, et de jeter leurs quartiers dans les chaudières d’airain. Il y prenait plaisir. C’était une politesse envers ses hôtes que de ne pas laisser à des mains serviles le soin de leur bien-être. Y avait-il à faire dans le domaine œuvre de maçon ou de charpentier, le maître encore ne dédaignait pas de manier la doloire et la hache. Fallait-il garder les troupeaux, il n’y répugnait pas davantage. Soigner les arbres du verger, les tailler, les émonder, il s’en chargeait volontiers. En somme, les travaux des esclaves ne s’accomplissaient pas sans la participation du guerrier, tandis que les femmes, réunies autour de l’épouse, tissaient avec elle à la même toile, ou préparaient la laine des mêmes toisons.

Rien donc ne contribuait nécessairement à empirer la condition de l’esclave, puisque tout labeur était assez honorable pour que le chef de la maison y prît une part constante. Puis il y avait au logis identité d’idées et de langage. Le guerrier n’en savait guère plus long que ses serviteurs sur les choses du monde et de la vie. S’il arrivait un poète, un voyageur, un sage, qui, après le repas, eût quelques récits à faire entendre, les esclaves, rassemblés autour du foyer, avaient leur part de l’enseignement. Leur expérience se formait comme celle du plus noble champion. Les conseils de leur vieillesse étaient aussi bien accueillis que s’ils étaient sortis d’une bouche libre et illustre.

Que restait-il donc au maître ? Il lui restait toutes les prérogatives d’honneur, et encore des avantages positifs. Il était le seul homme de la maison, le pontife du foyer. Il avait seul le droit d’offrir des sacrifices. Il défendait la communauté, et, couvert de ses armes, superbement vêtu, prenait sa part de la liberté commune et du respect rendu à tous les citoyens de la cité. Mais, encore une fois, à moins que son caractère ne fût exceptionnellement cruel, qu’il n’exerçât sur ses entours l’action d’un insensé, ni la cupidité ni la coutume ne le portaient à opprimer son esclave, qui ne subissait d’autre malheur réel que celui d’être dominé. Les dieux avaient-ils donné à ce serviteur un talent quelconque, de la beauté ou de l’esprit, il devenait le conseiller, tenait tête à chacun, et jouait le rôle du bossu phrygien chez Xanthus.

Ainsi l’Arian Grec, souverain chez lui, homme libre sur la place publique, vrai seigneur féodal, dominait sans réserve son entourage, enfants, serfs et bourgeois.

Tant que régna l’influence du Nord, les choses restèrent à peu près partout dans cette situation ; mais lorsque les immigrations asiatiques, les révolutions de toute espèce arrivées à l’intérieur eurent troublé les rapports originaires, et que l’instinct sémitique commença à se faire plus fortement sentir, la scène changea tout à fait.

Pour premier point, la religion se compliqua. Depuis longtemps les simples notions arianes avaient été abandonnées. Sans doute elles étaient altérées déjà à l’époque où les Titans commencèrent à pénétrer dans la Grèce. Mais les croyances qui leur avaient succédé, assez spiritualistes encore, perdirent pied de plus en plus. Kronos, usurpateur, suivant la formule théologique, du sceptre d’Ouranos, fut à son tout détrôné par Jupiter. Des sanctuaires s’ouvrirent à l’infini, des pontificats inconnus jadis trouvèrent des croyants, et les rites les plus extravagants s’emparèrent de la faveur générale. On appelle, dans les écoles, cette fièvre d’idolâtrie l’aurore de la civilisation.

Je n’y contredis pas : il est certain que le génie asiatique était aussi mûr et même pourri que le génie arian-grec était inexpérimenté et ignorant de ses voies futures. Ce dernier, encore étourdi de la longue traite que venaient de faire ses auteurs mâles à travers tant de pays et de hasards, n’avait pas encore trouvé le loisir de se raffiner. Je ne doute cependant pas que, s’il avait eu assez de temps pour se reconnaître avant de tomber sous l’influence assyrienne, il n’eût agi mieux, et de façon à devancer la civilisation européenne. Il aurait pu faire entrer une plus grande part de son originalité dans les destinées des peuples helléniques. Peut-être aurait-il donné moins de hauteur à leurs triomphes artistiques ; mais leur vie politique, plus digne, moins agitée, plus noble, plus respectable, aurait été beaucoup plus longue. Malheureusement, les masses arianes-grecques n’étaient pas comparables en nombre aux immigrations d’Asie (1)[28].

Je ne date pas la révolution opérée dans les instincts des nations grecques du jour où se firent les mélanges avec les colonisations sémitiques, ou les établissements des Doriens dans le Péloponèse, et, plus anciennement, ceux des Ioniens dans l’Attique. Je me contente de partir du moment où les résultats de tous ces faits modifièrent la pondération des races. Alors l’ancien gouvernement monarchique prit fin. Cette forme de royauté équilibrée avec une grande liberté individuelle, par l’accord des pouvoirs publics, ne convenait plus au tempérament passionné, irréfléchi, incapable de modération, de la race métisse alors produite. Désormais, il fallait du nouveau. L’esprit asiatique était en état d’imposer à ce qui restait d’esprit arian un compromis conforme à ses besoins, et il put, tant il était fort, ne laisser à son associé que des apparences pour satisfaire ce goût de liberté si indélébile dans la nature blanche, que, quand la chose n’existe pas, c’est alors surtout qu’on cherche à mettre le mot en relief.

Au lieu de la pondération, on voulut de l’excessif. Le génie de Sem poussait à l’absolutisme complet. Le mouvement était irrésistible. Il ne s’agissait que de savoir entre quelles mains la puissance allait résider. La confier, telle qu’on la voulait faire, à un roi, à un citoyen élevé au-dessus de tous les autres, c’était demander l’impossible à des groupes hétérogènes qui n’avaient pas assez d’unité pour se réunir sur un terrain aussi étroit. L’idée répugnait aux traditions libérales des Arians. L’esprit sémitique, de son côté, n’avait pas de fortes raisons d’y tenir : il était habitué aux formes républicaines en vigueur sur la côte de Chanaan. Incapable d’ailleurs de se plier à la régularité de l’hérédité dynastique (1)[29], il ne souhaitait pas une institution qui, chez lui, n’avait jamais puisé son origine dans le choix libre du peuple, mais toujours dans la conquête et la violence, et, souvent, dans la violence étrangère. Je ne fais d’exception que pour le royaume juif. On imagina donc, en Grèce, de créer une personne fictive, la Patrie (2)[30], et on ordonna au citoyen, par tout ce que l’homme peut imaginer de plus sacré et de plus redoutable, par la loi, le préjugé, le prestige de l’opinion publique, de sacrifier à cette abstraction ses goûts, ses idées, ses habitudes, jusqu’à ses relations les plus intimes, jusqu’à ses affections les plus naturelles, et cette abnégation de tous les jours, de tous les instants, ne fut que la menue monnaie de cette autre obligation qui consistait à donner, sur un signe, sans se permettre un murmure, sa dignité, sa fortune et sa vie, aussitôt que cette même patrie était censée vous les demander.

L’individu, la patrie l’enlevait à l’éducation domestique pour le livrer nu, dans un gymnase, aux immondes convoitises de maîtres choisis par elle. Devenu homme, elle le mariait quand elle voulait. Quand elle voulait aussi, elle lui reprenait sa femme pour la transmettre à un autre, ou lui attribuait des enfants qui n’étaient pas de lui, ou encore ses enfants propres, elle les envoyait continuer une famille près de s’éteindre. Possédait-il un meuble dont la forme n’agréait pas à la patrie, la patrie confisquait l’objet scandaleux et en punissait sévèrement le propriétaire. Votre lyre comptait une corde, deux de plus que la patrie ne le trouvait bon, l’exil. Enfin, le bruit se répandait-il que le triste citoyen ainsi morigéné obéissait trop bien aux caprices incessants, constamment renouvelés de son despote nerveux et acariâtre, en un mot, pouvait-on, non pas même prouver, mais penser qu’il était immodérément honnête homme, la patrie, perdant patience, lui mettait la besace sur le dos, le faisait saisir et conduire, malfaiteur d’un nouveau genre, à la frontière la plus voisine, en lui disant : Va et ne reviens plus !

Si, contre tant et de si effroyables exigences, la victime, cependant un peu émue, tentait de regimber, ne fût-ce qu’en paroles, il y avait la mort, souvent avec tortures, le déshonneur, la ruine certaine de la famille entière du coupable, qui, repoussée par tous les gens assez vertueux pour s’indigner du crime, mais non pas assez pour encourir le châtiment d’Aristide, devait s’estimer très heureuse d’échapper à l’indignation, aux pierres et aux couteaux de tous les patriotes de carrefours.

En récompense d’une abnégation si grande, on demande si la patrie accordait des compensations suffisamment magnifiques ? Sans doute : elle autorisait pleinement chacun à dire de lui-même, en délirant d’orgueil : je suis Athénien, je suis Lacédémonien, Thébain, Argien, Corinthien, titres fastueux, appréciés, au-dessus de tous les autres, au long d’un rayon de dix lieues carrées, et qui, au delà et dans le pays grec même, pouvait, sous certaines circonstances, valoir le fouet ou la corde à qui s’en serait pavané. En tout cas, c’était une garantie de haine et de mépris. Pour surcroît d’avantages, le citoyen se flattait hautement d’être libre, parce qu’il n’était pas soumis à un homme, et que, s’il rampait avec une servilité sans égale, c’était aux pieds de la patrie. Troisième et dernière prérogative : s’il obéissait à des lois qui n’émanaient pas de l’étranger, ce bonheur, tout à fait indépendant du mérite intrinsèque de la législation, s’appelait posséder l’isonomie, et passait pour incomparable. Voilà tous les dédommagements, et encore n’ai-je pas épuisé la liste des charges (1)[31].

Le mot patrie couvrait en définitive une pure théorie. La patrie n’était pas de chair et d’os. Elle ne parlait pas, elle ne marchait pas, elle ne commandait pas de vive voix, et, quand elle rudoyait, on ne pouvait pas s’excuser parlant à sa personne. L’expérience de tous les siècles a démontré qu’il n’est pire tyrannie que celle qui s’exerce au profit des fictions, êtres de leur nature insensibles, impitoyables, et d’une impudence sans bornes dans leurs prétentions. Pourquoi ? C’est que les fictions, incapables de veiller elles-mêmes à leurs intérêts, délèguent leurs pouvoirs à des mandataires. Ceux-ci, n’étant pas censés agir par égoïsme, acquièrent le droit de commettre les plus grandes énormités. Ils sont toujours innocents lorsqu’ils frappent au nom de l’idole dont ils se disent les prêtres.

Il fallait des représentants à la patrie. Le sentiment arian, qui n’avait pu résister à l’importation de cette monstruosité chananéenne, fut assez séduit par la proposition de confier la délégation suprême aux plus nobles familles de l’État, point de vue conforme à ses idées naturelles. À la vérité, dans les époques où il avait été livré à lui-même, il n’avait jamais admis que les vénérables distinctions de la naissance constituassent un droit exclusif au gouvernement des citoyens. Désormais il était assez perverti pour admettre et subir les doctrines absolues, et, soit que l’on conservât, dans les nouvelles constitutions, un ou deux magistrats suprêmes appelés tantôt rois, tantôt archontes, soit que la puissance exécutive résidât dans un conseil de nobles, l’omnipotence acquise à la patrie fut exercée uniquement par les chefs des grandes familles ; en un mot, le gouvernement des cités grecques se modela complètement sur celui des villes phéniciennes.

Avant d’aller plus loin, il est indispensable d’intercaler ici une observation d’une haute importance. Tout ce qui précède s’applique à la Grèce savante, civilisée, à demi et même déjà plus qu’à demi sémitique. Pour la Grèce septentrionale, dominatrice aux premiers âges, et, en ce moment, retombée dans l’ombre, les faits que j’expose ne la concernent nullement. Cette partie du territoire, restée beaucoup plus ariane que l’autre, avait vu ses domaines se circonscrire.

La frontière sud, envahie par les populations sémitisées, s’était resserrée. Plus on montait vers le nord, plus l’ancien sang grec avait conservé de pureté. Mais, en somme, la Thessalie était elle-même déjà souillée, et il fallait arriver jusqu’à la Macédoine et à l’Épire pour se retrouver au milieu des traditions anciennes.

Au nord-est et au nord-ouest, ces provinces avaient également perdu un voisinage ami. Les Thraces et les Illyriens, envahis et transformés par les Celtes et les Slaves, ne se comptaient plus comme Arians. Cependant le contact de leurs éléments blancs, mêlés de jaunes, n’avait pas pour les Grecs septentrionaux les suites à la fois fébriles et débilitantes qui caractérisaient les immixtions asiatiques du sud.

Ainsi limités, les Macédoniens et les Épirotes se maintinrent plus fidèles aux instincts de la race primitive. Le pouvoir royal se conserva chez eux : la forme républicaine leur demeura inconnue aussi bien que l’exagération de puissance accordée au dominateur abstrait appelé la patrie. On ne pratiqua pas, dans ces contrées peu vantées, le grand perfectionnement attique. En revanche, on se gouverna noblement avec des notions de liberté qui possédaient en utilité réelle l’équivalent de ce qu’elles avaient de moins en arrogance. On ne fit pas tant parler de soi ; mais on ne vécut pas non plus d’une existence de catastrophes. Bref, même dans le temps où les Grecs du sud, ayant peu conscience de l’impureté de leur sang, se demandaient entre eux si vraiment les Macédoniens et leurs alliés valaient la peine d’être considérés comme des compatriotes et non comme des demi-barbares, ils n’osèrent jamais contester à ces peuples un grand et brillant courage et une habileté soutenue dans l’art de la guerre. Ces nations peu estimées avaient encore un autre mérite dont on ne s’apercevait pas alors, et qui, plus tard, devait se rendre de lui-même remarquable : c’est que, tandis que la Grèce sémitique ne pouvait, au prix de torrents de sang, souder ensemble ses antipathiques nationalités éparses, les Macédoniens possédaient une cohésion et une force d’attraction qui s’exerçaient avec succès, et, de proche en proche, tendaient à agrandir la sphère de leur puissance en y incorporant les peuples voisins. Sur ce point, ils suivaient exactement, et par les mêmes motifs ethniques, la destinée de leurs parents, les Arians Iraniens, que nous avons vus réunir de même et concentrer les populations congénères avant de marcher à la conquête des États assyriens. Ainsi, le flambeau arian, j’entends le flambeau politique, brûlait réellement, bien que sans éclairs et sans éclats, dans les montagnes macédoniennes. En cherchant dans toute la Grèce, on ne le voit plus exister que là.

Je reviens au sud. Le pouvoir absolu de la patrie fut donc délégué à des corps aristocratiques, aux meilleurs des hommes, suivant l’expression grecque (1)[32], et ils l’exercèrent naturellement, comme ce pouvoir absolu et sans réplique pouvait être exercé, avec une âpreté digne de la côte d’Asie. Si les populations avaient encore été arianes, il en serait résulté de grandes convulsions, et, après un temps d’essai plus ou moins prolongé, la race aurait rejeté unanimement un régime mal fait pour elle. Mais la tourbe plus qu’à demi sémitique ne pouvait avoir de ces délicatesses. Elle ne devait jamais s’en prendre à l’essence du système, et jamais, en effet, il n’y eut en Grèce, jusqu’aux derniers jours, la moindre insurrection ni des grands ni du peuple contre le régime arbitraire. Toute la discussion resta bornée à cette considération secondaire, de savoir à qui devait appartenir la délégation omnipotente.

Les nobles, arguant du droit de premier occupant, appuyaient leurs prétentions sur la possession traditionnelle, et ils éprouvèrent combien cette doctrine était difficile à maintenir en face d’un danger permanent, inhérent aux sources mêmes du système, et qui naissait de l’absolutisme. Toute chose violente possède en soi une force d’une nature spéciale : cette force, par ses écarts ou même son usage simple, produit des périls qui ne peuvent être conjurés qu’au prix d’une tension permanente. Or, l’unique moyen de réaliser cette immobilité se trouve dans une concentration énergique. C’est pourquoi la délégation des pouvoirs illimités de la patrie penchait constamment à se résumer entre les mains d’un seul homme. Ainsi, pour combattre une nuée d’inconvénients, on se mettait à perpétuité sous le coup d’un autre embarras jugé très redoutable, fort détesté, maudit par toutes les générations, et qu’on nomma la tyrannie.

L’origine et la fondation de la tyrannie étaient aussi faciles à découvrir et à prévoir qu’impossibles à empêcher. Lorsque, par suite de l’état de compétition perpétuelle des cités, la patrie périclitait, ce n’était plus un conseil de nobles qui se trouvait capable de faire face à une crise : c’était un citoyen seul qui, bon gré, mal gré, absorbait l’action gouvernementale. Dès ce moment, chacun pouvait se demander si, le danger passé, le sauveur consentirait à lâcher la délégation, et, au lieu de faire frémir tout le monde, s’en retournerait frémir lui-même du trop grand service qu’il avait rendu à la patrie.

Autre cas : un citoyen était riche, puissant, considéré ; sa haute position portait nécessairement ombrage aux nobles. Impossible de ne pas lui laisser deviner quelque chose de cette méfiance. À moins d’être aveugle, il s’apercevait qu’un jour ou l’autre un piège lui serait tendu, qu’il y tomberait, et qu’il serait victime d’une proscription proportionnée en dureté à l’éclat de ses mérites, à l’importance de sa fortune, à l’étendue de son crédit. Plus donc il avait de moyens de renverser l’autorité légitime et de prendre sa place, plus il avait de raisons de n’y pas manquer. À défaut d’ambition, il y allait de son bien et de sa tête (1)[33]. Il s’ensuivit que le prétendu état républicain des villes grecques fut presque constamment éclipsé par l’accident inévitable des tyrannies, et ce qui devait faire l’exception se trouva la règle.

Aussitôt que régnait un tyran, on se plaignait de ce qu’on ne remarquait pas sous le gouvernement légal : on se plaignait de voir l’autorité excessive, arbitraire, dégradante ; et, avec toute raison, on la déclarait différente de l’organisation régulière des Macédoniens et des Perses, où la royauté, fixée et définie par les lois, se conformait aux mœurs et aux intérêts des races gouvernées.

En se montrant si sévère pour l’usurpation, on aurait dû réfléchir que le pouvoir des tyrans n’était pas une extension de l’ancien pouvoir : ce n’était rien de plus que les droits dont la patrie restait en tout temps investie. Le tyran, si atroce fût-il, n’aurait rien su pratiquer qui, un jour ou l’autre, n’eût déjà été mis en usage par l’administration normale. Ses prescriptions pouvaient sembler absurdes ou vexatoires ; toutefois, la patrie avait eu la primeur de l’invention. Le tyran ne se hasardait pas dans un seul sentier que les conseils républicains n’eussent frayé déjà.

On se rabattait sur ceci, que les excès de l’usurpateur ne profitaient qu’à lui, et qu’au contraire, les sacrifices demandés par les souverains à têtes multiples revenaient au bien général. L’objection est assez vide. Les gouvernements légaux, pour être composés d’une agrégation d’hommes, n’en étaient pas moins un assemblage sans frein d’ambitions, de vanités, de passions, de préjugés humains. L’oppression pratiquée par eux était d’aussi belle et bonne étoffe que celle d’un seul chef ; elle avait le même vice moral, elle dégradait tout autant ses victimes. Peu m’importe si c’est Pisistrate ou les Alcméonides qui, suivant leur caprice, peuvent me dépouiller, me violenter, me déshonorer, me tuer ; dès que je sais qu’une prérogative si épouvantable existe au-dessus de ma tête, je tremble, je m’abaisse ; mes mains se joignent suppliantes ; je n’ai plus la conscience d’être un homme, relevant de la raison et de l’équité. Auprès de Pisistrate, une fantaisie inattendue peut me perdre ; auprès des Alcméonides, c’est un hasard de majorité. Avec ou sans la tyrannie, le gouvernement des cités grecques était exécrable, honteux, parce que, dans quelques mains qu’il tombât, il ne supposait pas l’existence d’un droit inhérent à la personne du gouverné, parce qu’il était au-dessus de toute loi naturelle, parce qu’il venait en droite ligne de la théorie assyrienne, parce que ses racines premières, certaines, bien qu’inaperçues, plongeaient dans l’avilissante conception que les races noires se font de l’autorité.

Il arriva, mais très souvent, que ces tyrans, si exécrés, si abhorrés des peuples grecs, les gouvernèrent pourtant avec beaucoup plus de douceur et de sagesse que leurs assemblées politiques. Guidé par un sens juste, le possesseur unique d’un droit absolu se contente aisément d’une certaine part dans cette omnipotence, et trouve tout à la fois peu de plaisir et point d’intérêt à tendre ses prérogatives jusqu’à les faire rompre. Cette réserve heureuse n’a jamais chance de se rencontrer dans des corps constitués, toujours enclins, au contraire, à agrandir leurs attributions, et en Grèce tout y conviait les magistratures, rien ne les en écartait.

Néanmoins, malgré les services que les tyrans pouvaient rendre et la douceur de leur joug, le point d’honneur voulait qu’ils fussent maudits : il fallait donc que cela fût. Leurs règnes étaient un enchaînement de conspirations et de supplices. Rarement ils se maintenaient jusqu’à leur mort, plus rarement encore leurs enfants héritaient de leur sceptre (1)[34]. Cette terrible expérience n’empêchait pas que la nature même des choses ne suscitât sans cesse des successeurs aux tyrans dépossédés. C’est ainsi que ce que je disais tout à l’heure se vérifiait : le gouvernement était la règle, la tyrannie l’exception, et l’exception apparaissait beaucoup plus fréquemment que la règle.

Tandis que les pays grecs avaient ainsi tant de peine à conserver ou à reconquérir leur état légal, le courant sémitique y augmentait toujours. Il se continuait, s’accélérait et devait amener ainsi, dans la constitution de l’État, des modifications analogues à celles que nous avons observées dans les villes phéniciennes. De proche en proche, tous les pays helléniques du sud furent gagnés par sa prédominance. Cependant les points atteints les premiers, ce furent les établissements de la côte ionienne et l’Attique (2)[35].

Sans doute, les grandes immigrations, les colonisations compactes, avaient cessé depuis longtemps ; mais ce qui avait acquis à leur place une extension énorme, c’était l’établissement individuel de gens de toutes classes et de tous états. L’exclusivisme jaloux de la cité, né de l’instinct confus des prééminences ethniques, avait essayé en vain de rejeter tout nouveau venu en dehors des droits politiques : rien n’avait pu arrêter l’invasion du sang étranger. Il s’infiltrait par mille différentes voies dans les veines des citoyens. Les familles les plus nobles, déjà bien métisses, quand elles n’étaient pas purement chananéennes, comme les Géphyres, perdaient de plus en plus leur mérite généalogique. Le plus grand nombre d’ailleurs s’éteignait ; le reste s’appauvrissait et tombait dans le flot dévorant de la population mélangée. Celle-ci allait se multipliant partout, grâce au mouvement créé par le commerce, le plaisir, la paix, la guerre.

L’aristocratie devint infiniment moins forte. Les classes moyennes gagnèrent en influence.

On se demanda un jour pourquoi les nobles représentaient seuls la patrie, et pourquoi les riches n’en pouvaient faire autant (1)[36].

Les nobles, il est vrai, ne possédaient plus guère de noblesse, puisque beaucoup de leurs concitoyens en avaient autant qu’eux (2)[37]. Le sang sémitique prédominait dans les chaumières : il avait gagné aussi les palais.

Il s’ensuivit des convulsions violentes, et les riches bientôt l’emportèrent (3)[38]. Mais à peine étaient-ils maîtres de manœuvrer à leur tour le despotisme de la patrie, à peine avaient-ils entrepris, à la place de leurs rivaux dépossédés, l’éternelle et malheureuse défense de l’ordre légal contre la tyrannie pullulante, que le gros des citoyens posa de nouveau la question soumise naguère aux grands du pays (1)[39], se trouva également digne de gouverner et battit en brèche la position des timocrates. Et quand une fois le simple peuple eut mis le pied sur cette pente, l’État ne put s’y retenir. Il devint clair qu’après les citoyens pauvres allaient venir et réclamer les demi-citoyens, les étrangers domiciliés, les esclaves, la tourbe.

Arrêtons-nous ici un moment, et considérons une autre face du sujet.

La seule et souvent déterminante excuse que peut présenter de son existence prolongée un régime arbitraire et violent, c’est la nécessité d’être fort pour agir contre l’étranger ou dominer à l’intérieur. Le système grec donnait-il au moins ce résultat ?

Il avait trois difficultés à résoudre : d’abord celle qui ressortait de sa situation vis-à-vis du reste du monde civilisé, c’est-à-dire de l’Asie ; puis les relations des États grecs entre eux ; enfin la politique intérieure de chaque cité souveraine.

Nous savons déjà que l’attitude de la Grèce entière envers le grand roi était toute de soumission et d’humilité. De Thèbes, de Sparte, d’Athènes, de partout, des ambassades ne faisaient qu’aller à Suse ou en revenir, sollicitant ou débattant les arrêts du souverain des Perses sur les démêlés des villes grecques entre elles. On ne courait même pas jusqu’au maître. La protection d’un satrape de la côte suffisait pour assurer à la politique d’une localité une grande prépondérance sur ses rivales. Tissapherne ordonnait, et, inquiètes des suites d’une désobéissance, les républiques silencieuses obéissaient à Tissapherne. Ainsi cette force extrême concentrée dans l’État ne contrariait pas la tendance de l’élément sémitique grec à subir l’influence de la masse asiatique. Si l’annexion tardait, c’est que les restes du sang arian maintenaient encore des motifs suffisants de séparation nationale. Mais ce préservatif allait s’épuisant dans le sud. On pouvait prévoir le jour où l’Hellade et la Perse allaient se réunir.

Avec leurs violents préjugés d’isonomie, les villes grecques, cramponnées à leurs petits despotismes patriotiques, marchaient à l’encontre des tendances arianes : il n’était pas question pour elles de simplifier les rapports politiques en agglomérant plusieurs États en un seul. Ce qui se faisait en Macédoine trouvait un contraste parfait dans le travail du reste de la Grèce. Aucune cité ne songeait à dominer un grand territoire. Toutes voulaient s’agrandir elles-mêmes matériellement, et n’avaient à proposer à leurs voisins que l’anéantissement. Ainsi, lorsque les expéditions des Lacédémoniens (1)[40] réussissaient, la fin était pour les vaincus d’aller grossir les troupeaux d’esclaves des triomphateurs. On conçoit que chacun se défendît jusqu’à la dernière extrémité. Pas de fusion possible. Ces Grecs élégants du temps de Périclès entendaient la guerre en sauvages. Le massacre couronnait toutes les victoires. C’était chose reçue que le dévouement si vanté à la patrie ne pouvait amener chaque ville qu’à se traîner dans un cercle étroit de succès inféconds et de défaites désastreuses (2)[41].

Au bout des premiers, la ruine de l’ennemi ; au bout des secondes, celle des citoyens. Pas le moindre espoir de s’entendre jamais, et la certitude de ne rien fonder de grand.

Et à quoi aboutissait de son côté la politique intérieure ? Nous l’avons vu : sur dix ans, six de tyrannie, le reste de débats, de querelles, de proscriptions et de carnages entre l’aristocratie et les riches, entre les riches et le peuple. Quand, dans une ville, tel parti triomphait, tel autre errait au sein des cités voisines, recrutant des ennemis à ses adversaires trop heureux. Toujours un citoyen grec revenait d’exil ou faisait son paquet pour y aller. De sorte que ce gouvernement d’exigences, cette perpétuelle mise sur pied de la force publique, cette monstruosité morale que présentait l’existence d’un système politique dont la gloire était de ne rien respecter des droits de l’individu, aboutissait à quoi ? À laisser l’influence perse grossir sans obstacle, à perpétuer le fractionnement de nationalités qui, résultant de combinaisons inégales dans les éléments ethniques, empêchaient déjà les peuples grecs de marcher du même pas et de progresser dans la même mesure. Grâce à une terrible contraction de l’esprit de chaque localité, la réunion de la race était rendue impossible.

Enfin, à la puissance extérieure annulée ou paralysée venait aussi se joindre l’incapacité d’organiser la tranquillité intérieure. C’était un triste bilan, et, pour en faire l’objet de l’admiration des siècles, il a fallu l’éloquence admirable des historiens nationaux. Sous peine de passer pour des monstres, ces habiles artistes n’étaient pas libres de discuter, bien moins encore de blâmer le révoltant despotisme de la patrie. Je ne crois même pas que la magnificence de leurs périodes aurait suffi à elle seule à égarer le bon sens des époques modernes dans une puérile extase, si l’esprit tortu des pédants et la mauvaise foi des rêveurs théoriciens ne s’étaient ligués pour obtenir ce résultat et recommander l’anarchie athénienne à l’imitation de nos sociétés.

L’intérêt que prirent à cette affaire les entrepreneurs de renommées était bien naturel. Les uns trouvaient la chose belle, parce qu’elle était expliquée en grec ; les autres, parce qu’elle allait à l’encontre de toutes les idées nouvelles sur le juste et l’injuste. Toutes les idées, ce n’est pas trop dire : car, au tableau que je viens de tracer, il me reste encore à ajouter quels effroyables effets l’absolutisme patriotique produisait sur les mœurs.

En substituant l’orgueil factice du citoyen au légitime sentiment de dignité de la créature pensante, le système grec pervertissait complètement la vérité morale, et, comme, suivant lui, tout ce qui était fait en vue de la patrie était bien, également rien n’était bien qui n’avait pas obtenu l’approbation, la sanction de ce maître. Toutes les questions de conscience demeuraient irrésolues dans l’esprit aussi longtemps qu’on ne savait ce que la patrie ordonnait qu’on en pensât. On n’était pas libre de suivre là-dessus une donnée plus sérieuse, plus rigoureuse, moins variable, qu’à défaut d’une loi religieuse épurée, l’homme arian eût trouvée jadis dans sa raison.

Ainsi, par exemple, le respect de la propriété était-il, oui ou non, d’obligation stricte ? En général, oui ; mais, non, si l’on volait bien, si, pour déguiser le vol, on savait à propos et avec fermeté y ajouter le mensonge, la ruse, la fourberie ou la violence. Dans ce cas, le vol devenait une action d’éclat, recommandée, prisée, et le voleur ne passait pas pour un homme ordinaire. Était-il bien de garder la fidélité conjugale ? À dire vrai, ce n’était pas crime. Mais si un époux s’attachait à tel point à sa femme, qu’il prît plaisir à vivre un peu plus sous son toit que sur la place publique, le magistrat s’en inquiétait et un châtiment exemplaire menaçait le coupable.

Je passe sur les résultats de l’éducation publique, je ne dis rien des concours de jeunes filles nues dans le stade, je n’insiste pas sur cette exaltation officielle de la beauté physique dont le but reconnu était d’établir pour l’État des haras à citoyens vertement taillés, corsés et vigoureux ; mais je dis que la fin de toute cette bestialité était de créer un ramas de misérables sans foi, sans probité, sans pudeur, sans humanité, capables de toutes les infamies, et façonnés d’avance, esclaves qu’ils étaient, à l’acceptation de toutes les turpitudes. Je renvoie là-dessus aux dialogues du Démos d’Aristophane avec ses valets (1)[42].

Le peuple grec, parce qu’il était arian, avait trop de bon sens, et, parce qu’il était sémite, avait trop d’esprit, pour ne pas sentir que sa situation ne valait rien et qu’il devait y avoir mieux en fait d’organisation politique. Mais par la raison que le contenu ne saurait embrasser le contenant, le peuple grec ne se mettait pas en dehors de lui-même et ne se haussait pas jusqu’à comprendre que la source du mal était dans l’absolutisme hébétant du principe gouvernemental. Il en cherchait vainement le remède dans les moyens secondaires. À la plus belle époque, entre la bataille de Marathon et la guerre du Péloponèse, tous les hommes éminents inclinaient vers l’opinion vague que nous appellerions aujourd’hui conservatrice. Ils n’étaient pas aristocrates, dans le sens vrai du mot (1)[43]. Ni Eschyle ni Aristophane ne souhaitaient le rétablissement de l’archontat perpétuel ou décennal ; mais ils croyaient que, dans les mains des riches, le gouvernement avait quelque chance de fonctionner avec plus de régularité que lorsqu’il était abandonné aux matelots du Pirée et aux fainéants déguenillés du Pnyx.

Ils n’avaient certainement pas tort. Plus de lumières étaient à trouver dans la noble maison de Xénophon que chez l’intrigant corroyeur de la comédie des Chevaliers. Mais, au fond, le gouvernement de la bourgeoisie et des riches se fût-il consolidé, le vice radical du système n’en subsistait pas moins. Je veux croire que les affaires auraient été conduites avec moins de passion, les finances gérées avec plus d’économie ; la nation n’en serait pas devenue d’un seul point meilleure, sa politique extérieure plus équitable et plus forte, et l’ensemble de sa destinée différent.

Personne ne s’aperçut du véritable mal et ne pouvait s’en apercevoir, puisque ce mal tenait à la constitution intime des races helléniques. Tous les inventeurs de systèmes nouveaux, à commencer par Platon, passèrent à côté, sans le soupçonner ; que dis-je ? ils le prirent, au contraire, pour élément principal de leurs plans de réforme. Socrate fournit peut-être l’unique exception. En cherchant à rendre l’idée du vice et de la vertu indépendante de l’intérêt politique, et à élever l’homme intérieur à côté et en dehors du citoyen, ce rhéteur avait au moins entrevu la difficulté. Aussi je comprends que la patrie ne lui ait pas fait grâce, et je ne m’étonne nullement de voir que dans tous les partis, et surtout parmi les conservateurs, il se soit trouvé des voix, au nombre desquelles on a compté injustement celle d’Aristophane, pour demander son châtiment et porter sa condamnation. Socrate était l’antagoniste du patriotisme absolu. À ce titre, il méritait que ce système le frappât. Pourtant, il y avait quelque chose de si pur et de si noble dans sa doctrine, que les honnêtes gens en étaient préoccupés malgré eux. Une fois dans le tombeau, on regretta le sage, et le peuple assemblé au théâtre de Bacchus fondit en larmes lorsque le chœur de la tragédie de Palamède, inspiré par Euripide, chanta ces tristes paroles : « Grecs, vous avez mis à mort le plus savant rossignol des Muses, qui n’avait fait de mal à personne, le plus savant personnage de la Grèce. » On le pleura ainsi disparu. Si le ciel l’eût soudain ressuscité, nul ne l’en aurait écouté davantage. C’était bien le rossignol des Muses que l’on regrettait, l’homme éloquent, discuteur habile, logicien ingénieux. Le dilettantisme artistique pleurait, le cœur s’affligeait ; quant au sens politique, il était inconvertissable, parce qu’il fait partie intime, intégrante, de la nature même des races, et reflète leurs défauts comme leurs qualités.

Je me suis montré assez peu admirateur des Hellènes au point de vue des institutions sociales pour avoir, maintenant, le droit de parler avec une admiration sans bornes de cette nation, lorsqu’il s’agit de la considérer sur un terrain où elle se montre la plus spirituelle, la plus intelligente, la plus éminente qui ait jamais paru. Je m’incline avec sympathie devant les arts qu’elle a si bien servis, qu’elle a portés si haut, tout en réservant mon respect pour des choses plus essentielles.

Si les Grecs devaient leurs vices à la portion sémitique de leur sang, ils lui devaient aussi leur prodigieuse impressionnabilité, leur goût prononcé pour les manifestations de la nature physique, leur besoin permanent de jouissances intellectuelles.

Plus on s’enfonce vers les origines à demi blanches de l’antiquité assyrienne, plus on trouve de beauté et de noblesse, en même temps que de vigueur, dans les productions des arts. De même, en Égypte, l’art est d’autant plus admirable et puissant, que le mélange du sang arian, étant moins ancien et moins avancé, a laissé plus d’énergie à cet élément modérateur. Ainsi, en Grèce, le génie déploya toute sa force au temps où les infusions sémitiques dominèrent, sans l’emporter tout à fait, c’est-à-dire sous Périclès, et sur les points du territoire où ces éléments affluaient davantage, c’est-à-dire dans les colonies ioniennes et à Athènes (1)[44].

Il n’est pas douteux aujourd’hui que, de même que les bases essentielles du système politique et moral venaient d’Assyrie, de même aussi les principes artistiques étaient fidèlement empruntés à la même contrée ; et, à cet égard, les fouilles et les découvertes de Khorsabad, en établissant un rapport évident entre les bas-reliefs de style ninivite et les productions du temple d’Égine et de l’école de Myron, ne laissent désormais subsister aucune obscurité sur cette question (2)[45]. Mais parce que les Grecs étaient beaucoup plus trempés dans le principe blanc et arian que les Chamites noirs, la force régulatrice existant dans leur esprit était aussi plus considérable, et, outre l’expérience de leurs devanciers assyriens, la vue et l’étude de leurs chefs-d’œuvre, les Grecs avaient un surcroît de raison et un sentiment du naturel fort impérieux. Ils résistèrent vivement et avec bonheur aux excès où leurs maîtres étaient tombés. Ils eurent du mérite à s’en défendre parce qu’il y eut tentation d’y succomber ; car on connut aussi chez les Hellènes les poupées hiératiques à membres mobiles, les monstruosités de certaines images consacrées. Heureusement le goût exquis des masses protesta contre ces dépravations. L’art grec ne voulut généralement admettre ni symboles hideux ou révoltants, ni monuments puérils.

On lui a reproché pour ce fait d’avoir été moins spiritualiste que les sanctuaires d’Asie. Ce blâme est injuste, ou du moins repose sur une confusion d’idées. Si l’on appelle spiritualisme l’ensemble des théories mystiques, on a raison ; mais si, avec plus de vérité, l’on considère que ces théories ne prennent leur source que dans des poussées d’imagination délivrées de raison et de logique, et n’obéissant plus qu’aux éperons de la sensation, on conviendra que le mysticisme n’est pas du spiritualisme, et qu’à ce titre on a mauvaise grâce à accuser les Grecs d’avoir donné dans les voies sensualistes en s’en écartant. Ils furent, au contraire, beaucoup plus exempts que les Asiatiques des principales misères du matérialisme, et, culte pour culte, celui du Jupiter d’Olympie est moins dégradant que celui de Baal. J’ai, du reste, déjà touché ce sujet.

Cependant les Grecs n’étaient pas non plus très spiritualistes. L’idée sémitique régnait chez eux, bien que réduite, et s’exprimait par la puissance des mystères sacrés, exercés dans les temples. Les populations acceptaient ces rites en se bornant quelquefois à les mitiger, suivant le sentiment d’horreur que la laideur physique inspirait. Quant à la laideur morale, nous savons qu’on était plus accommodant.

Cette rare perfection du sentiment artistique ne reposait que sur une pondération délicate de l’élément arian et sémitique avec une certaine portion de principes jaunes. Cet équilibre, sans cesse compromis par l’affluence des Asiatiques sur le territoire des colonies ioniennes et de la Grèce continentale, devait disparaître un jour pour faire place à un mouvement de déclin bien prononcé.

On peut calculer approximativement que l’activité artistique et littéraire des Grecs sémitisés naquit vers le VIIe siècle, au moment où fleurirent Archiloque, 718 ans avant J.-C., et les deux fondeurs en bronze Théodore et Rhœcus, 691 ans avant J.-C. La décadence commença après l’époque macédonienne, quand l’élément asiatique l’emporta décidément, autrement dit vers la fin du IVe siècle, ce qui donne un laps de quatre cents ans. Ces quatre cents années sont marquées par une croissance ininterrompue de l’élément asiatique. Le style de Théodore paraît avoir été, dans la Junon de Samos, une simple reproduction des statues consacrées à Tyr et à Sidon. Rien n’indique que le fameux coffre de Cypsélus fût d’un travail différent ; du moins, les restitutions proposées par la critique moderne ne me paraissent pas rappeler quelque chose d’excellent. Pour trouver la révolution artistique qui créa l’originalité grecque, force est de descendre jusqu’à l’époque de Phidias, qui, le premier, sortit des données, soit du grand goût assyrien, retrouvé chez les Éginètes, et pratiqué dans toute la Grèce, soit des dégénérations de cet art en usage sur la côte phénicienne.

Or, Phidias termina la Minerve du Parthénon l’an 438 avant J.-C. Son école commençait avec lui, et le système ancien se perpétuait à ses côtés. Ainsi, l’art grec fut simplement l’art sémitique jusqu’à l’ami de Périclès, et ne forma vraiment une branche spéciale qu’avec cet artiste. Par conséquent, depuis le commencement du VIIe siècle jusqu’au Ve, il n’y eut pas d’originalité, et le génie national proprement dit n’exista que depuis l’an 420 environ jusqu’à l’an 322, époque de la mort d’Aristote. Il va sans dire que ces dates sont vagues, et je ne les prends que pour enfermer tout le mouvement intellectuel, celui des lettres, comme celui des arts, dans un seul raisonnement. Aussi me montré-je plus généreux que de raison. Cependant, quoi que je fasse, il n’y a de l’an 420, où travaillait Phidias, à l’an 322, où mourut le précepteur d’Alexandre, qu’un espace de cent ans.

Le bel âge ne dura donc qu’un éclair, et s’intercala dans un court moment où l’équilibre fut parfait entre les principes constitutifs du sang national. L’heure une fois passée, il n’y eut plus de virtualité créatrice, mais seulement une imitation souvent heureuse, toujours servile, d’un passé qui ne ressuscita pas.

Je semble négliger absolument la meilleure part de la gloire hellénique, en laissant en dehors de ces calculs l’ère des épopées. Elle est antérieure à Archiloque, puisque Homère vécut au Xe siècle.

Je n’oublie rien. Cependant je n’infirme pas non plus mon raisonnement, et je répète que la grande période de gloire littéraire et artistique de la Grèce fut celle où l’on sut bâtir, sculpter, fondre, peindre, composer des chants lyriques, des livres de philosophie et des annales crédules. Mais je reconnais en même temps qu’avant cette époque, bien longtemps avant, il y eut un moment où, sans se soucier de toutes ces belles choses, le génie arian, presque libre de l’étreinte sémitique, se bornait à la production de l’épopée, et se montrait admirable, inimitable sur ce point grandiose, autant qu’ignorant, inhabile et peu inspiré sur tous les autres (1)[46]. L’histoire de l’esprit grec comprend donc deux phases très distinctes, celle des chants épiques sortis de la même source que les Védas, le Ramayana, le Mahabharata, les Sagas, le Schahnameh, les chansons de geste : c’est l’inspiration ariane. Puis vint, plus tard, l’inspiration sémitique, où l’épopée n’apparut plus que comme archaïsme, où le lyrisme asiatique et les arts du dessin triomphèrent absolument.

Homère, soit que ce fût un homme, soit que ce nom résume la renommée de plusieurs chanteurs (2)[47], composa ses récits au moment où la côte d’Asie était couverte par les descendants très proches des tribus arianes venues de la Grèce. Sa naissance prétendue tombe, suivant tous les avis, entre l’an 1102 et l’an 947. Les Æoliens étaient arrivés dans la Troade en 1162, les Ioniens en 1130. Je ferai le même calcul pour Hésiode, né en 944 en Béotie, contrée qui, de toutes les parties méridionales de la Grèce, conserva le plus tard l’esprit utilitaire, témoignage de l’influence ariane.

Dans la période où cette influence régna, l’abondance de ses productions fut extrême, et le nombre des œuvres perdues est extraordinaire. Pour l’Iliade et l’Odyssée que nous connaissons, nous n’avons plus les Æthiopiques d’Arctinus, la Petite Iliade de Leschès, les Vers cypriotes, la Prise d’Œchalie, le Retour des vainqueurs de Troie, la Thébaïde, les Épigones, les Arimaspies (1)[48], et une foule d’autres. Telle fut la littérature du passé le plus ancien des Grecs : elle resta didactique et narrative, positive et raisonnable, tant qu’elle fut ariane. L’infusion puissante du sang mélanien l’entraîna plus tard vers le lyrisme, en la rendant incapable de continuer dans ses premières et plus admirables voies.

Il serait inutile de s’étendre davantage sur ce sujet. C’est assez en dire que de reconnaître la supériorité de l’inspiration hellénique de l’une comme de l’autre époque sur tout ce qui s’est fait depuis. La gloire homérique, non plus qu’athénienne, n’a jamais été égalée. Elle atteignit le beau plutôt que le sublime. Certainement, elle restera à jamais sans rivale, parce que des combinaisons de race pareilles à celles qui la causèrent ne peuvent plus se représenter.



  1. Quelques mots sur ces aborigènes que les temps historiques ont à peine entrevus. Tous les souvenirs primitifs de l’Hellade sont remplis d’allusions à ces tribus mystérieuses. Hésiode appelle autochtones les plus anciennes populations de l’Arcadie, qualifiées de pélasgiques. Érechthée, Cécrops, étaient des chefs reconnus pour autochtones. Il en était de même des nations suivantes : la généralité des Pélasges, des Lélèges, les Kurètes, les Kaukons, les Aones, les Temmikes, les Hyantes, les Béotiens thraces, les Télèbes, les Éphyres, les Phlégyens, etc. (Voir Grote, History of Greece, t. I, p. 238, 262, 268, et t. II, p. 349 ; Larcher, Chronol. d’Hérod., t. VIII ; Niebuhr, Rœmische Geschichte, t. I, p. 26 à 64 ; O. Müller, die Etrusker, Einleit., p. 11 et 75 à 100.) — Sur la rapidité avec laquelle les populations aborigènes disparurent aussitôt que les Arians Hellènes eurent paru au milieu d’elles, consulter Grote, t. II, p. 351. — Hécatée, Hérodote et Thucydide sont d’accord sur ce point, qu’il y a eu une époque antéhellénique où différents langages étaient parlés entre le cap Malée et l’Olympe. (Grote, t. II, p. 317.) — Dès l’an 771 avant J.-C., on ne trouve plus trace d’établissements non mêlés d’Arians Hellènes dans l’Hellade entière. — Pour ce qui est de la nature ethnique des aborigènes, je suis obligé de renvoyer le lecteur au livre suivant, qui traite des populations absolument primitives de l’Europe.
  2. Les noms des différents personnages de la généalogie ariane-hellénique, évidemment symboliques, sont plutôt des qualifications représentant le trait principal, résumant l’histoire de la vie de chacun de ces éponymes ; il en est constamment ainsi, chez toutes les nations, quant à ces êtres génésiaques. Ainsi Deucalion, non seulement l’auteur de la race hellénique, mais le patriarche qui concentre sur sa tête le résumé des antiques souvenirs cosmogoniques, le témoin du déluge (dans la tradition sémitique-grecque, Ogygès remplit ce rôle), Deucalion, qui répond au dieu-poisson, au Nô des Assyriens, au Noah hébraïque, est nommé ainsi du mot ancien Δεῦϰος (Deukos) (inusité), vin nouveau, et ἀλέω (aleô), vieille forme d’ἀλινδέω (alindeô), se rouler, l’homme qui se roule (dans l’ivresse du) vin nouveau. — Le nom de Πυῤῥά (Purrha), qui contient le sens de rouge, ne présente pas une explication aussi nette. — Pandore, Πανδώρα (Pandôra), celle à qui on a tout donné, est bien, en effet, un produit sans individualité propre ; c’est la femme qui appartient à celui qui l’a créée, ou civilisée.
  3. Προμηθεύς (Promêtheus) le prévoyant. Il est fils de Japet, le père commun de la famille blanche, au dire d’Hésiode et d’Apollonius. Sa mère était Asia. C’est la déclaration bien claire et de sa valeur ethnique et de son premier séjour. On donne encore une autre souche que j’accepterais également. Il serait, suivant quelques commentateurs, fils d’Ouranos. Je m’explique plus bas à ce sujet.
  4. (1) Hésiode dérive le mot Τίταν, de τιταίνω, οἱ τεἱνοντες τὰς χεῖρας, ceux qui étendent les mains. On donna à cette signification la portée de βασιλεὺς, et on fit de ceux à qui on l’avait attribuée les Rois par excellence. De même les Arians zoroastriens appelaient leurs ancêtres, probablement contemporains et frères des Titans, Kaï, ou Kava, les Rois. Le Pseudo-Orphée et Diodore représentent les Titans comme les premiers des humains, les hommes types. (Diodore, III, 57 ; V, 66.) — Le dialecte thessalien avait conservé fidèlement la trace de l’idée ancienne, et Τίταν y désignait le seigneur, le chef. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie (Dresde, in-8o, 1826), t. II, p. 47 et passim.)
  5. (1) Il est très vraisemblable qu’on peut considérer comme un monument de la législation titanique ces prescriptions de Busygès, qui, dit-on, furent la souche du code de Dracon. Trois commandements en formaient tout l’ensemble conservé à travers les siècles : « Honore tes parents ; offre aux dieux les prémices de la terre ; ne fais pas de mal au taureau. » C’est évidemment là toute la loi hindoue et zoroastrienne, c’est le pur esprit arian. — On sait que les Grecs ne purent se défaire qu’avec peine du respect traditionnel pour le bœuf. Quand ils se laissèrent aller à sacrifier cet animal, ils imaginèrent, comme palliatif de la mauvaise action qu’ils commettaient, la cérémonie de la βουφόνια ou δειπόλια, dans laquelle le sacrificateur, après avoir frappé sa victime, s’enfuyait en abandonnant la hache, à qui l’on faisait le procès. (Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie, t. II, p. 267.)
  6. (1) Qui d’ailleurs n’étaient point barbares. Elles paraissent avoir eu un degré respectable de culture utilitaire. Ces aborigènes labouraient le sol, prétendaient avoir inventé l’appropriation du bœuf aux travaux agricoles et l’usage du moulin à blé. (Mac Torrens Cullagh, The industrial History of free Nations (London, 1846, in-8o, t. I, p. 7.) — Ce trait, et d’autres encore, qui les identifient aux autochtones d’Italie, servira plus tard à démontrer qu’ils ne pouvaient être que des Celtes ou des Slaves, et, peut-être bien, l’un et l’autre.
  7. (2) De là vont se dégager, avec mille nuances, les Arians Hellènes, peuple nouveau, dans un certain sens, bien que devant son énergie à des éléments anciens atténués. Ce que cette race eut de particulier est bien représenté par sa religion, de même âge que lui. Ce fut le culte de Zeus, dont Heyne, dans une note d’Apollodore, a pu dire avec vérité : « Inde a Jove novus mythorum ordo initium habet vere Hellenicus. » (Bœttiger, t. I, p. 195.)
  8. Très vraisemblablement le grec contient des racines thraces et illyriennes provenant du contact très ancien des Arians Hellènes, et même des Titans avec les populations parlant ces idiomes. O. Müller remarque avec raison que les Hellènes rapportaient aux Thraces leur poésie et leur civilisation primordiales. Le pays au nord de l’Hémus était, pour les admirateurs d’Orphée, le berceau de la culture morale. (Pott, Encycl. Ersch u. Gruber, p. 65.)
  9. On s’aperçoit du premier coup d’œil combien les antiquités les plus lointaines de la Grèce sont humbles en comparaison de ce que l’on observe dans l’Inde, en Assyrie, en Égypte, même en Chine, et de ce que la Bactriane pourrait montrer. Ainsi Sicyone ne date que de l’an 2164 avant J.-C. C’est une fondation chananéenne, et l’arrivée des Arians Hellènes, de six siècles plus tardive, rejette aux âges de maturité des sociétés primitives l’enfance encore antéhistorique de l’Hellade.
  10. Thèbes remplissait parfaitement l’emploi de limite entre deux races. Elle affichait sa double origine en racontant sur sa fondation deux légendes : l’une ariane, qui attribuait le fait à Amphion et à Zéthus ; l’autre sémitique, et par laquelle le Chananéen Cadmus était son premier roi. (Grote, History of Greece, t. I, p. 350.) — Ce sont ces mélanges de traditions asiatiques, helléniques-arianes et aborigènes qui ont rendu longtemps l’histoire primitive et la mythologie grecques presque incompréhensibles. Les époques savantes ont augmenté le désordre par la manie du symbolisme, de l’allégorie, et par les évhémérismes de toute espèce. Puis sont venus les modernes, qui, en généralisant les notions, ont réussi à les rendre absurdes au dernier chef.
  11. (1) L’existence de colonies égyptiennes dans la Grèce primitive compte aujourd’hui beaucoup plus d’adversaires que de partisans. (Voir à ce sujet Pott, Encycl. Ersch u. Gruber, Indo-germanischer Sprachstamm, p. 23, et Grote, Hist. of Greece, t. I, p. 32.) — Ce dernier ne pense pas qu’avant le VIIe siècle il y ait eu des rapports suivis entre la Grèce et la terre des Pharaons.
  12. (1) Le chananéen (chananéen) anak, qui signifie un homme remarquable par l’élévation de la taille et la longueur du cou, c’est-à-dire un géant ou un homme fort, et de là un maître, est la véritable racine de ce nom ou plutôt de ce titre d’Inachus, considéré ensuite comme un appellatif, ainsi qu’on a fait de Brennus, de Boiorix, de Vercingétorix et de tant d’autres mots du même genre. Les Grecs sémitisés du sud l’ont fidèlement conservé dans le titre d'ἄναξ, donné aux dieux, principalement à Apollon, par Homère, et aux Dioscures, θέοι ἄνακες, puis aux chefs militaires. On peut aussi relever, comme une trace, entre tant d’autres, de l’énorme influence des Sémites sur l’esprit grec que (hébreu), anér, désignation que se donnaient les Chananéens, est l’étymologie de ἀνήρ qui, pour les contemporains de Périclès, voulait dire un homme, vir. (Bœttiger, t. I, p. 206.)
  13. (1) Cet état d’antagonisme ne prit jamais fin. Il continua à être représenté par l’existence d’innombrables dialectes. — Inutile de rappeler que la classification en quatre branches, ionique, dorique, éolique et attique, est une œuvre artificielle des grammairiens et ne reproduit nullement un état de choses dans lequel chaque petite subdivision de territoire avait, à tout le moins, des idiotismes qui lui étaient absolument propres. (Grote, t. I, p. 318.)
  14. (2) La race de Dardanus et de Teucer, une de celles qui portèrent l’élément arian-hellénique dans la Troade, fut dans ces derniers.
  15. (1) Je suis de l’avis de Grote (Hist. of Greece, t. II, p. 350 et passim) : je ne crois pas aux Pélasges, en tant que formant une race ou une nation distincte, et le mot signifie trop bien anciens habitants, pour que je lui retire ce sens vague et lui en prête un plus spécial. On rencontre les Pélasges en tant d’endroits et pourvus de caractères si différents, qu’il me semble impossible de leur attribuer une nationalité unique. (Voir, à ce sujet, Grote, t. II, p. 349.) — Pott exprime son sentiment d’une façon qui mérite d’être reproduite ici : « Les Pélasges, dit-il, sont, quoi qu’on fasse, une simple fumée et dénués de toute réalité historique, aussi bien que les Casci c’est-à-dire les anciens, les ancêtres et les aborigènes, c’est-à-dire habitants primitifs. Le nom de Pélasges a été pris à tort pour une appellation de peuple et de race. Il ne s’applique que chronologiquement aux premiers âges de la Grèce et aux tribus qui habitaient alors ce pays, sans distinction d’origine. Si, plus tard, on a cru trouver encore çà et là des peuplades qu’on a jugées propres à revêtir cette désignation de Pélasges, c’est par un rapprochement tout semblable à l’idée admise au siècle dernier que les Goths étaient des Scythes, des Gêtes, etc. On croyait alors qu’il existait des restes de cette nation germanique dans la Crimée. » (Encyclop. Ersch u. Gruber, 2e sect. 18e part., p. 18.)
  16. (1) Le fait qui démontre le mieux cet état de choses, c’est l’attitude de la majeure partie des États grecs pendant la guerre persique. À la bataille de Platée, 50.000 fantassins et une nombreuse cavalerie hellénique combattirent dans les rangs du grand roi, contre les Athéniens et leurs alliés. Ces troupes furent fournies, non pas par les Ioniens, que je mets à part, mais par les Béotiens, les Locriens, les Maliens, les Thessaliens, c’est-à-dire toute la Grèce orientale. Il faut y ajouter encore les Phocéens. Ces derniers envoyèrent 2.000 hommes aux Perses. Par conséquent, le Péloponèse et l’Attique, voilà tout ce qui résistait. On a fait depuis, de cette campagne d’une minorité contre la majorité de la Grèce, une gloire nationale. (Zumpt, Mémoires de l’Académie de Berlin, Ueber den Stand der Bevœlkerung und die Volksvermehrung im Alterthum, p. 5.)
  17. (1) « Between the different degrees of hellenic chivalry a certain equality at all times prevailed, which the fewness of their numbers comprend with the population amidst whom they dwelt and the hereditary pride of a dominant race, alike tended to preserve. We find the doric nobles, too, in after times, assuming to themselves the epithet of the Equals. » C’est un sentiment tout à fait pareil et d’une origine ethnique rigoureusement semblable, qui a rendu si cher à la noblesse du moyen âge le nom de pairs, traduction exacte du grec ῞Ομοιοι. (W. Torrens Mc. Cullagh, The industrial History of free Nations (London, 1846, in-8o, t. I, p. 3.)
  18. (2) Athènes avait commencé par être une agrégation de plusieurs hameaux. Sparte était un composé de cinq bourgades et ne fut jamais une ville ; Mantinée également ; Tégée en comptait huit ; Dymé, en Achaïe, et Élis de même ; de même encore Mégare et Tanagra. Jusqu’à la bataille de Leuctres, la plupart des Arcadiens n’eurent aussi que des villages, et les Épirotes les imitèrent. (Grote, t. II, p. 346.)
  19. (3) Les poètes, comme Hésiode et Homère, paraissent avoir eu leur franc parler contre les excès et probablement le simple usage aussi du pouvoir. (Hésiode, les Travaux et les jours, p. 186.)
  20. (1) Voir dans le premier volume la note sur le Vourounas arian, le Varouna hindou et l’Οὺρανός grec, et surtout ce qui a été dit sur le Deus, puis sur les Titans.
  21. (1) Certaines familles athéniennes semblent avoir pu se rendre, avec vérité, ce témoignage. Les Géphyres, d’où descendaient Harmodius et Aristogiton, portaient un nom chananéen (hébreu) geber, geberim, les forts, les puissants, les chefs. (Bœttiger, t. I, p. 206.)
  22. (1) Il faut que cette doctrine ait été bien solidement attachée à l’esprit des tribus helléniques, par la partie ariane de leur sang, puisque, dans la période démocratique et à Athènes même, la naissance conservera toujours du prix. M. Mc. Cullagh le reconnaît sans difficulté : « Regard for ancient lineage was, through every change of plight and policy, fast rooted in the Ionic mind. The old families remained every where, and even in the most democratic states, preserved certain political privileges and what they doubtless prized still more, certain social distinction. » (T. I, p. 239.)
  23. (1) « As a birthright the Hellenes claimed both in peace and war, exclusive sway ; and their kings are depicted as endued with unlimited power over the earth-born multitude. » (Mc. Cullagh. t. I, p. 6.)
  24. (2) Ces demeures étaient des citadelles chevaleresques entourées de cabanes. Elles dominaient les hauteurs et étaient construites en fragments énormes de rochers. Il est très vraisemblable que les cités, à proprement parler, n’étaient que l’œuvre des colons chananéens. (Mc. Cullagh, t. I, p. 22.) — Disons à ce propos qu’en Italie on a trop longtemps attribué aux populations aborigènes ces vastes et solides constructions nommées pélasgiques ou cyclopéennes. Les tribus agricoles qui composaient ces races dites autochtones n’étaient nullement capables de concevoir ni d’exécuter de pareils labeurs, et on est d’autant plus autorisé à en reporter le mérite soit aux Arians Hellènes, soit même à leurs pères, les Titans, que, dans la Péninsule, le souvenir des murailles cyclopéennes est intimement uni à celui des Tyrrhéniens. La porte de Mycènes est aussi une construction essentiellement hellénique.
  25. (1) Grote, History of Greece, t. II, p. 370 et passim.
  26. (2) Grote, t. II, p. 113. — La femme grecque d’Homère est infiniment supérieure à l'épouse des âges civilisés ou sémitisés. Voir Pénélope, Hélène, dans l'Odyssée, et la reine des Phéaciens. Elle a, tout à la fois, plus de gravité, de considération et de liberté. Cette première institution s'était un peu conservée chez les Macédoniens, à en juger par le rôle que joue Olympias dans les affaires d'Alexandre. Comparer aussi les mœurs des Doriens de Sparte. (Bœttiger, t. II, p. 61.)
  27. (1) Le préjugé général des races arianes engendre d’ailleurs cette incapacité : pour elles, la première notion du droit de propriété, c’est la conquête, et, comme le dit très bien un historien anglais, « the hellenic idea of property was spoil whether acquired by land or sea. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 18.)
  28. (1) On a fait d’immenses progrès dans la compréhension de la mythologie hellénique. La distinction est parfaitement établie entre les dogmes, les cultes et les rites venus d’Asie et ceux qui ont eu leurs sources dans des notions européennes. Ce qui reste à faire maintenant est d’une grande difficulté, mais aussi d’un grand intérêt. On sait que les mystères cabires et telchines sont sémitiques, et que l’oracle dodonéen est, pour le fond du moins, d’institution septentrionale. Ce qu’il faudrait maintenant, c’est séparer les données arianes des mélanges finnois. La proportion de ces éléments religieux divers, sémitique, arian, finnique, donnerait la composition exacte du sang grec.
  29. (1) « The heroic notion of the unity of the state being centred in the royal line was already shaken. Many of the less potent nobles saw, in the greater distribution of authority, a pathway opened to their ambition. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 21.)
  30. (2) « In the days of the monarchy the word which subsequently was used to denote a city (πόλις) and finally a state, signified no mote than the castle of the prince. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 22.) — De même, à notre époque féodale, on n’employait guère le mot patrie, qui ne nous est vraiment revenu que lorsque les couches gallo-romaines ont relevé la tête et joué un rôle dans la politique. C’est avec leur triomphe que le patriotisme a recommencé à être une vertu.
  31. (1) Les modernes admirateurs du patriotisme grec l’exposent tous, à peu de choses près, comme M. Mc. Cullagh. Voilà la définition de cet économiste : « However they (the greek states) might differ in internal forms, the but of all was to make every free man feel himself a part of the state and so to organise the state as to concentrate its power, when required, in favour of the least of its injured members or for the punishment of the most powerful contemner of the law. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 142.) — Ces principes-là peuvent s’écrire ou se dire ; mais personne ayant le sens commun, n’ignore qu’ils sont impraticables, et, par conséquent ne valent pas ce qu’ils coûtent.
  32. (1) On les appelait aussi, comme chez nous, les gens bien nés, εὺπατριδαι. Ces nobles ont laissé quelques noms. On connaît encore les Codrides, les Médontides, les Alcméonides, les Géphyres d’Athènes, les Penthélides de Mitylène, les Basilides d’Erythrées, les Néléides de Milet, les Bacchiades de Corinthe, les Ctésippides d’Épidaure, les Eratides de Rhodes, les Hippotadées de Cos et de Cnide, les Aleuades de Larisse, les Opheltiades et les Kléonymides de Thèbes ; les Deucalionides, qui avaient régné à Delphes depuis l’arrivée de leur éponyme. (Mc. Cullagh, t. I, p. 15.)
  33. (1) Tant que toutes les républiques furent aristocratiques, et là où elles le restèrent, les tyrans sortirent des maisons nobles. Le régime de la démocratie fit naître les tyrans parmi les meneurs libéraux, ceux qu’on appelait les Æsymnètes, gens d’esprit pour la plupart, beaux diseurs, amis des arts, possédés du goût de bâtir, mais qui n’avaient pas envie de se faire justicier par les jaloux et préféraient prendre les devants sur ces derniers. Avec la démagogie, les tyrans surgirent de la boue. (Mac Cullagh, t. I, p. 36.) — C’est dans la peinture des despotes populaires qu’Aristophane excelle. Voir les Chevaliers, la Paix, etc., etc. La tyrannie fut la lèpre dont tous les gouvernements grecs eurent à souffrir sans pouvoir la guérir jamais. Elle était de leur essence.
  34. (1) On ne cite pas un seul cas de tyrannie transmise à la troisième génération. Les Cypsélides la gardèrent soixante-treize ans ; les Orthagorides, quatre-vingt-dix-neuf. C’est ce qu’on a de plus long. (Mac Cullagh, t. I, p. 40.)
  35. (2) « With the industrial growth of the commonwealth, the resident aliens, or, as they were termed, metoeci, grew in number and consideration. They were more numerous at Athens than in any other state. » (Mac Cullagh, t. I, p. 253.) — Une preuve bien frappante de l’omnipotence de la civilisation asiatique, dans la Grèce méridionale, se trouve en ceci, que le système monétaire et des poids et mesures introduit en 947 par Phéidon, roi d’Argos, et qui s’appelait éginétique pour avoir été pratiqué depuis longtemps à Égine, était tout à fait identique à celui que connaissaient les Assyriens, les Hébreux, etc. Bœckh l’a solidement établi. (Grote, History of Greece, t. II, p. 429.)
  36. (1) Cette question fut posée un peu partout en Grèce au delà de la Thessalie ; mais les classes moyennes ne remportèrent pas partout la victoire. Dans le nord, à Thespies, à Orchomène, à Thèbes, après des conflits sanglants, la noblesse maintint sa suprématie. À Athènes, au contraire, elle se trahit elle-même. On remarquera que les villes que je nomme étaient beaucoup moins sémitisées que celles de l’extrême sud. (Mac Cullagh, t. I, p. 31.)
  37. (2) Graduellement aussi, ils avaient perdu la prépondérance que donnent la possession du sol et la suprématie de richesse. Cependant la loi leur avait longtemps garanti le premier point, et, dans beaucoup d’États, à Milet, à Corinthe, à Samos, à Chalcis, à Égine, ils avaient, de bonne heure, admis que faire le commerce, ce n’était pas déroger. Ce principe ne fut cependant jamais accepté d’une manière générale (Mac Cullagh, t. I, p. 23.) — Très promptement aussi, les grandes familles helléniques, considérant l’influence et les gros revenus de certaines races plébéiennes, s’étaient alliées à elles et ainsi dégradées. (Ibid., t. I, p. 25.)
  38. (3) Sur quelques points, cette victoire ne s’opéra pas sans transition, et l’on vit certaines villes se faire une constitution où le pouvoir était remis à deux conseils : l’un, la ghérousie (γερουσία), était le collège des nobles ; l’autre, le boulé (βουλή), l’assemblée des riches. (Mac Cullagh, t. I, p. 26.) — Ce sont les deux chambres du système parlementaire anglais.
  39. (1) À Cumes, tout homme possédant un cheval avait voix dans l’assemblée. À Éphèse et à Érythrées, où l’on pratiquait une sorte de régime représentatif, des députés du peuple siégeaient avec la noblesse. (Mac Cullagh, t. I, p. 25.)
  40. (1) C’est ce qui rendait les naturalisations d’étrangers fort difficiles dans les États doriens. « A rigid exclusiveness characterised several greek communities, the most opposites in almost every other political sentiment. The people of Megara boasted that they had never conceded the right of citizenship to any foreigner but Hercules. But Sybaris and Athens are said to have acted otherwise ; and the interest of Corinth, not to speak of less important mercantile states, tended in the like direction. » (Mac Cullagh, t. I, p. 256.) — Les mélanges n’en avaient pas moins lieu, bien que plus lentement, chez les nations de race dorique. Les constitutions et l’isonomie de ces peuples ne durèrent qu’un peu plus que celles des autres.
  41. (2) M. Bœckh, grand partisan de la liberté athénienne, fait le plus triste tableau des conséquences de la ligue hellénique formée sous la présidence de la ville de Minerve, et que la politique du Pnyx voulait faire tourner à l’avantage de l’État, tel qu’on le comprenait alors. Le trésor commun, d’abord déposé dans le temple de Délos, fut apporté à Athènes. On employa les contributions annuelles des villes alliées à payer le peuple affamé d’assemblées ; on en construisit des monuments, on en fit des statues, on en paya des tableaux. Tout naturellement on ne laissa passer guère de temps sans déclarer les contributions insuffisantes. Les cités confédérées furent accablées d’impôts, et, pour bien dire, pillées. Afin de les rendre souples, le peuple d’Athènes s’arrogea sur elles le droit de vie et de mort. Il y eut des révoltes ; on massacra ce qu’on put des populations rebelles, et le reste fut jeté en esclavage. Plusieurs nations, dégoûtées de ce genre de vie, s’embarquèrent sur leurs vaisseaux et s’enfuirent ailleurs. Les Athéniens, charmés, peuplèrent à leur gré les terrains vacants. Voilà ce qu’on appelait, dans l’antiquité grecque, le protectorat et l’alliance ; car, il ne faut pas s’y tromper, c’est l’état d’amitié que je viens de dépeindre d’après les doctes pages de M. Bœckh. De mille cités alliées que compte Aristophane dans les Guêpes, il n’en restait plus que trois qui fussent libres à la fin de la guerre du Péloponèse : Chios, Mytilène de Lesbos et Méthymne. Le reste était non pas assimilé à ses maîtres, non pas même sujet, mais asservi dans toute la rigueur du mot. (Die Staatshaushaltung der Athener, t. I, p. 443.)
  42. (1) Il est facile de juger des résultats que le régime de la démocratie avait amenés à Athènes. À l’époque de Cécrops, l’Attique passe pour avoir eu 20,000 habitants. Sous Périclès, elle en comptait quelque chose de moins, et quand, avec les Macédoniens, l’isonomie véritable eut été remplacée par la domination étrangère, la cité présenta, dans les dénombrements, les chiffres que voici : 21,000 citoyens, 10,000 métœques ou étrangers domiciliés, et 400,000 esclaves. (Clarac, Manuel de l’histoire de l’art chez les anciens (in-12, Paris, 1874), 1re partie, p. 318.) — Ce renseignement statistique, comme ce que j’aurai occasion de dire plus tard de la situation de la Rome royale comparée à la Rome consulaire, fait, à lui seul, justice de toutes les opinions qui ont eu cours chez nous depuis trois cents ans sur le mérite relatif des différents gouvernements de l’antiquité. (Voir aussi Bœckh, die Staatshaushaltung der Athener, t. I, p. 35 et passim.) — Ce savant entre dans des détails qui concordent avec l’opinion de Clarac.
  43. (1) Il y a des observations intéressantes sur ce point dans l’introduction que M. Droysen a mise en tête de sa traduction d’Eschyle. (Aschylose Werke, in-12, zw. Aufl. ; Berlin, 1841.)
  44. (1) Movers, das Phœnizische Alterth., t. II. 1re partie, p. 413.
  45. (2) Bœttiger, à propos de la plus ancienne façon de représenter, sur les monuments, l’enlèvement de Ganymède, où le petit garçon est rudement emporté, tout en pleurs, par les cheveux serrés aux serres de l’aigle, remarque que les traits caractéristiques de l’art grec primitif sont la vivacité, la violence et la recherche de l’expression de la force (Heftigkeit, Gewaltsamkeit, hœchste Kraftaüsserung). C’est bien nettement le principe assyrien et la marque de ses leçons. (Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie, t. II, p. 64.)
  46. (1) « It is the epic poetry which forms at once both the undoubted prerogative and the solitary jewel of the earliest aera of Greece. » (Grote, t. II, p. 158 et 162.)
  47. (2) L’opinion de Wolf est appuyée sur des considérations décisives, Homère, lorsqu’il parle d’un chanteur, de Démodocus, par exemple, ne considère jamais les poèmes dont il charme les auditeurs comme étant des fragments d’un grand tout. Il dit : « Il chanta ceci, ou bien il chanta cela. » L’Iliade et l’Odyssée ne semblent être que des composés de ballades séparées. Dans le premier de ces ouvrages, observe un historien, en isolant les livres I, VIII, XI à XXII, on obtient une Achilléide complète. (Grote, t. II, p. 202 et 240.)
  48. (1) La perte de ce poème est bien regrettable. Il nous aurait beaucoup appris sur les Arians de l’Asie centrale. (Grote, t. II, p. 158 et 162.)