Essai philosophique concernant l’entendement humain/Avis

Traduction par Pierre Coste.
Pierre Mortier (p. xix-xx).


AVIS
SUR CETTE
TROISIEME EDITION.



QUoique dans la Premiére Edition Françoiſe de cet Ouvrage, M. Locke m’eût laiſſé une entiére liberté d’employer les tours que je jugerois les plus propres à exprimer ſes penſées, & qu’il entendît aſſez bien le genie de la Langue Françoiſe pour ſentir ſi mes expreſſions répondoient exactement à ſes idées, j’ai trouvé, en lui reliſant ma Traduction imprimée, & après l’avoir, depuis, examinée avec ſoin, qu’il y avoit bien des endroits à reformer tant à l’égard du ſtile qu’à l’égard du ſens. Je dois encore un bon nombre de corrections à la critique pénétrante d’un des plus ſolides Ecrivains de ce ſiecle, l’illuſtre M. BARBEYRAC, qui ayant lû ma Traduction avant même qu’il entendit l’Anglois, y découvrit des fautes, & me les indiqua avec cette aimable politeſſe qui eſt inſeparable d’un Eſprit modeſte & d’un cœur bien fait.

En reliſant l’Ouvrage de M. Locke, j’ai été frappé d’un défaut que bien des gens y ont obſervé depuis long-temps : ce ſont les repetitions inutiles. M. Locke a preſſenti l’Objection ; & pour justifier les repetitions dont il a groſſi ſon Livre, il nous dit dans la Préface, qu’une même notion ayant differens rapports peut être propre ou néceſſaire à prouver ou à éclaircir differentes parties d’un même diſcours, & que, s’il a repeté les mêmes argumens, ç’a été dans des vuës differentes. L’excuſe eſt bonne en général : mais il reſte bien des repetitions qui ne ſemblent pas pouvoir être pleinement juſtifiées par-là.

Quelques perſonnes d’un goût très délicat m’ont extrêmement fellicité à retrancher absolument ces ſortes de repetitions qui paroiſſent plus propres à fatiguer qu’à éclairer l’Eſprit du Lecteur : mais je n’ai pas oſé tenter l’avanture. Car outre que l’entrepriſe me ſembloit trop pénible, j’ai conſideré qu’au bout du compte la plûpart des gens me blâmeroient d’avoir pris cette licence, par la raiſon qu’en retranchant ces repetitions, j’aurois fort bien pû laiſſer échapper quelque reflexion, ou quelque raiſonnement de l’Auteur. Je me ſuis donc entierement borné à retoucher mon ſtile, & à redreſſer tous les Paſſages où j’ai cru n’avoir pas exprimé la penſée de l’Auteur avec aſſez de préciſion. Ces Corrections avec des Additions très-importantes faites par M. Locke, qu’il me communiqua lui-même, & qui n’ont été imprimées en Anglois qu’après ſa mort, ont mis la Seconde Edition fort au deſſus de la Prémiére, & par conſéquent, de la Reimpreſſion qui en a été faite en 1723. en quelque Ville de Suiſſe qu’on n’a pas voulu nommer dans le Titre. Et voici maintenant une Troisiéme Edition qui ſera lui de beaucoup ſuperieure par les nouveaux avantages qu’elle a sur la ſeconde : car j’ai encore trouvé plusieurs Paſſages qui avoient beſoin d’être ou plus vivement ou plus exactement exprimez, & quelques-uns même où j’avois mal pris la penſée de l’Auteur.

Pour rendre la Seconde Edition plus complette, j’avois d’abord réſolu d’inſerer en leur place des Extraits fidelles de tout ce que M. Locke avoit publié dans ſes Réponſes au Docteur Stillingfleet pour défendre ſon Essai contre les Objections de ce Prélat. Mais en parcourant ces Objections, j’ai trouvé qu’elles ne contenoient rien de ſolide contre cet Ouvrage ; & que les Réponſes de M. Locke tendoient plûtôt à confondre son Antagoniſte qu’à éclaircir ou à confirmer la Doctrine de ſon Livre. J’excepte les Objections du Docteur Stillingfleet contre ce que M. Locke a dit dans ſon Eſſai (Liv. IV. ch. III. §. 6.) qu’on ne ſauroit être aſſuré que Dieu ne peut point donner à certains amas de matiere, diſpoſez comme il le trouve à propos, la Puiſſance d’appercevoir, & de penſer. Comme c’eſt une Question curieuſe, j’ai mis ſous ce Paſſage tout ce que M. Locke a imaginé ſur ce ſujet dans ſa Réponſe au Docteur Stillingfleet. Pour cet effet, j’ai tranſcrit une bonne partie de l’Extrait de cette Réponſe, imprimé dans les Nouvelles de la Republique des Lettres en 1699. Mois d’Octobre, p.363. &c. & Mois de Novembre. p. 497. &c. Et comme j’avois compoſé moi-même cet Extrait, j’y ai changé, corrigé, ajoûté & retranché pluſieurs choſes, après l’avoir comparé de nouveau avec les Pieces Originales d’où je l’avois tiré.

Enfin pour tranſmettre à la Poſterité (ſi ma Traduction peut aller juſque-là) le Caractere de M. Locke tel que je l’ai conçu après avoir paſſé avec lui les ſept derniéres années de ſa vie, je mettrai ici une eſpèce d’Eloge Hiſtorique de cet excellent Homme, que je compoſai peu de temps après ſa mort. Je ſai que mon ſuffrage, confondu avec tant d’autres d’un prix infiniment ſuperieur, ne ſauroit être d’un grand poids. Mais s’il eſt inutile à la gloire de M. Locke, il ſervira du moins à témoigner qu’ayant vu & admiré ſes belles qualitez, je me ſuis fait un plaiſir d’en perpetuer la memoire.