Essai philosophique concernant l’entendement humain/Épître

Traduction par Pierre Coste.
Pierre Mortier (p. iv-viii).


A MONSEIGNEUR,


MONSEIGNEUR


EDMUND SHEFFIELD


D U C    D E


BUCKINGSHAMSHIRE & NORMANDY,
MARQUIS DE NORMANDY, COMTE DE MULGRAVE, BARON DE BUTTERWICK, &c.


Monseigneur

En vous dédiant ce Livre, je puis hardiment vous en faire l’éloge ; C’eſt le Chef-d’œuvre d’un des plus beaux Genies que l’Angleterre aît produit dans le dernier Siecle. Il s’en eſt fait quatre Editions en Anglois ſous les yeux de l’Auteur, dans l’eſpace de dix ou douze ans ; & la Traduction Françoiſe que j’en publiai en 1700. l’ayant fait connoître en Hollande, en France, en Italie & en Allemagne, il a été & eſt encore autant eſtimé dans tous ces Païs, qu’en Angleterre, où l’on ne ceſſe d’admirer l’étendue, la profondeur, la juſteſſe & la netteté qui y regnent d’un bout à l’autre. Enfin, ce qui met le comble à ſa gloire, adopté en quelque maniére à Oxford & à Cambrige, il y eſt lu & expliqué aux Jeunes gens comme le Livre le plus propre à leur former l’Eſprit, à régler & étendre leurs Connoiſſances ; de ſorte que Locke tient à préſent la place d’Aristote & de ſes plus célèbres Commentateurs, dans ces deux fameuſes Univerſitez.

Vous pourrez dans quelque temps, Monseigneur, juger vous-même du mérite de cet Ouvrage. Après y avoir vû quels ſont, ſelon l’Auteur, les fondemens, l’étendue ; & la certitude de nos Connoiſſances, il vous ſera aiſé de vous aſſûrer, par ſes propres Règles, de la vérité de ſes Découvertes, & de la juſteſſe de ſes Raiſonnemens.

Je vous préſente maintenant cet Objet comme en éloignement, dans l’eſperance qu’une noble Curioſité vous portera à faire tous les jours des progrès qui puiſſent vous mettre à portée de l’examiner de près, & d’en découvrir toutes les beautez.

Il ne vous faudra pour cela, Monseigneur, qu’un certain degré d’attention qui en vous engageant à ſuivre cet Auteur pas à pas, vous fera voir clairement tout ce qu’il a vû lui-même. Et ce n’eſt pas là tout l’avantage qui vous en reviendra. En vous familiariſant avec les Principes qu’il a ſi évidemment établis dans ſon Livre, vous étendrez & perfectionnerez Vous-même vos Connoiſſances à la faveur de ces Principes ; & par-là vous contracterez une juſteſſe d’Eſprit peu commune, qui éclattera dans votre Converſation, dans vos Lettres les plus familieres, & ſur-tout dans ces Débats & ces Diſcours Publics, où vous ſerez engagé à traiter de ce qui concerne vos plus chers Interêts, dans ce Monde, je veux dire la Proſperité de votre Païs.

Vous ſavez, Monseigneur, qu’un de vos prémiers, plus importans Devoirs, c’eſt de ſervir votre Patrie ; & je puis dire ſans vous flatter, que Vous avez toutes les Qualitez néceſſaires pour pouvoir un jour vous en acquiter dignement. Ces excellentes diſpoſitions vous font honneur, à l’âge[1] où vous êtes : mais elles vous ſeroient inutiles, ſi vous négligiez de les cultiver, & de les fortifier par un fond de belles Connoiſſances, & par des habitudes vertueuſes. Heureuſement, tout vous facilite le moyen de les élever à un grand degré de perfection. Outre l’exemple du feu Duc de Buckingham votre Pere, qui par ſon Eloquence & ſa Fermeté vous a ouvert un chemin à la véritable Gloire, Vous avez l’avantage de recevoir tous les jours de Madame la Ducheſſe votre Mere des Inſtructions qui pleines de Sageſſe, & ſoûtenuës de ſon Exemple ne peuvent que vous inſpirer des Sentimens élevez, un Courage, un Déſintereſſement à l’épreuve des plus fortes tentations, un attachement à des occupations nobles & utiles, & une ardeur ſincere pour tout ce qui eſt louable & généreux. Sans doute, on verra bientôt par votre conduite tant en public qu’en particulier, que vous avez ſu faire uſage de ces Inſtructions pour enrichir & perfectionner le beau Naturel dont le Ciel vous a favoriſé. De mon côté, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous aider dans ce noble Deſſein, tant que j’aurai l’honneur d’être auprès de vous, & toute ma vie, je ſerai avec un profond reſpect,






MONSEIGNEUR,




Ce 10 mai 1729.



& Votre très-humble
,très-obeïſſant ſerviteur


.P. COSTE
  1. Treize ans.